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C’est un point très important du roman américain, l’adultère. C’est même une obsession du roman américain, que le mari ou la femme, même après le divorce, ait une histoire avec quelqu’un d’autre, et si possible alors, avec la personne que l’autre déteste le plus. Et je ne sais pas si on saisit bien ce que Dwayne a compris de ces histoires d’empereur et de messager, mais ce qui est sûr, c’est qu’à partir de ce jour-là il a commencé à pointer là, à Rochester Hills, dans les soirs ténébreux qui ouvraient cette histoire, avec l’autoradio qui hésitait entre Jim Sullivan et la guerre en Irak.

Là, au volant de sa Dodge, tandis que ses doigts se crispaient un peu plus à cause des nerfs tendus, à cause de son cerveau qui avait l’air de tourner plus vite que les gamins en vélo, il repensait aux empereurs romains qui envoyaient un messager, qu’en se garant là ces dernières semaines, pensait Dwayne, en quelque sorte il était son propre messager, que bientôt il informerait le vrai Dwayne Koster de la situation, que bientôt il lui exposerait calmement le problème, si le problème s’appelait bien Alex Dennis, si derrière le rideau de la cuisine, c’était bien Alex Dennis qu’il voyait embrasser Susan comme dans un théâtre d’ombres, et se disant doucement que les choses maintenant s’éclaircissaient, oui, s’éclaircissaient lentement.

C’est à ce moment-là, ai-je écrit, que Dwayne Koster a repensé à Lee Matthews, à certaines choses qu’avait dites Lee Matthews, de ce pouvoir qu’il avait de faire s’évanouir les problèmes et toutes les choses un peu sibyllines qu’il avait laissé entendre, que Dwayne portait comme un sac trop lourd et qu’il fallait qu’il l’allège, que lui, Matthews, il pouvait l’alléger.

Et c’était le genre de pensée qui maintenant faisait comme un arc électrique dans son cerveau à lui, Dwayne, le genre de pensée qui pouvait faire basculer son existence d’un instant à l’autre, lui qui était quand même un homme fragile et nerveux, maintenant surtout qu’il s’était remis à boire, maintenant qu’il était sorti des griffes du médecin qui l’en avait empêché dix-huit mois durant, c’est-à-dire l’avait empêché d’être lucide sur la situation, que maintenant les choses sont beaucoup plus claires, oui, transparentes, a pensé Dwayne Koster, avec l’autoradio qui continuait de scander l’arrivée des GI’s sur le sol irakien, torches tournantes qui éclairaient la nuit, la faisant verte et grise sur les écrans du monde, avions lancés comme des pierres dans le ciel du Koweit, et Jim Sullivan qui avait l’air d’apparaître comme en surimpression sur son pare-brise, lui disant de ne pas s’énerver, ne t’énerve pas Dwayne, disait Jim Sullivan.