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Que Lee Matthews soit un trafiquant d’art international, que Dwayne Koster finisse par entrer dans la boucle véreuse de Lee, je n’ai jamais douté que le lecteur pourrait le comprendre bien avant que j’en parle plus clairement dans la suite de mon livre. Et quand il a garé sa Dodge dans le haut de Clark Street, quand il a salué tranquillement Lee Matthews dans sa boutique de Chicago, il ne faisait aucun doute pour personne qu’à cet instant précis, Dwayne posait définitivement le pied en territoire miné. Et cela, c’était d’autant plus clair que pendant toute la scène, pendant que Lee accueillait Dwayne et s’excusait de n’être pas venu le voir à la clinique (pas une seule fois, a dit Dwayne, tu n’es pas venu une seule fois, a-t-il quand même insisté), tandis qu’il l’emmenait doucement vers le fond de son magasin, on pouvait très bien voir, outre les deux ou trois presbytes qui scrutaient les défauts d’un vieux vase chinois, un homme curieusement seul qui s’intéressait manifestement plus à cette rencontre qu’aux antiquités.

C’est même par ses yeux à lui qu’on pouvait comprendre au mieux tout le mouvement de l’action, un peu comme un travelling qu’on exécuterait pour suivre Lee emmener discrètement Dwayne dans une pièce à l’arrière qui manifestement lui tenait lieu de bureau. C’est même par ses oreilles qu’on pouvait entendre la voix de Lee dire à Dwayne qu’il allait s’occuper de son petit problème.

Mais en échange, a dit Lee, il faudrait que tu me rendes un petit service. Et Dwayne, quoiqu’en plissant le front et respirant nerveusement, Dwayne a répondu : oui, bien sûr, tout ce que tu voudras, Lee.

Alors par précaution ou réflexe, Lee a fermé la porte de son bureau, au point que sa voix pourtant forte, le type seul qui errait dans la boutique n’en percevait plus qu’un bourdonnement continu d’où émergeaient quelques mots comme « Irak » et « dollars » et puis aussi « cargaison » et encore « Baltimore » sans parler de phrases plus distinctes comme « je m’occupe d’Alex » ou « on est bien d’accord », jusqu’à ce que soudain on n’entende plus ce qui se dit, que bien sûr la conversation continue mais que le volume tombe, et qu’alors l’homme seul ne parvienne plus à percevoir la suite de leur échange, et nous non plus, vu qu’on dépendait de lui pour entendre ce qui se disait. Ce qui est sûr, c’est que ça a duré plusieurs minutes avant qu’ils reparaissent tous les deux au milieu des presbytes qui n’avaient pas bougé. Sauf que dans sa main à lui, Dwayne, maintenant il y avait une mallette en cuir dont on voyait bien, à la manière de la tenir, qu’elle n’était pas la sienne, c’est-à-dire qu’on voyait bien le nœud noir qui se formait sous son crâne et pour ainsi dire le transportait dans un autre monde, à tout le moins exotique, forcément périlleux.

Du moins c’est ce que l’homme seul qui continuait d’écouter d’un peu loin avait cru entendre de la bouche de Lee Matthews, quelque chose comme « si ça merde, personne ne te couvrira » – cela, oui, le type seul et intrigant l’avait parfaitement entendu et en prenait bonne note.

Et sûrement, si on l’avait suivi plus tôt, le type en question, on aurait compris beaucoup de choses quant à Lee Matthews, vu que ce type seul et intrigant et qui notait tout, c’était quand même un homme du FBI et qu’il enquêtait sur Matthews depuis un moment – le genre de type que dans une autre scène de mon livre on voyait parler à son supérieur hiérarchique et lui expliquer la situation avec des « ouaip » et des « m’est avis que ça remonte haut, cette affaire », de sorte qu’on commençait à comprendre des choses, par exemple les liens compliqués qu’il pouvait y avoir entre Lee Matthews et la guerre en Irak, et mille autres choses invisibles à l’œil nu, que le type du FBI soupçonnait à raison, des choses qui ne concernaient pas directement Dwayne Koster, pas directement, mais désormais un peu quand même.