Je raconte à Callum ma théorie sur le fait que Du Pont le ciblait lui, pas Yafeu Solomon. Aida n’aime pas du tout cette idée. Son mari est heureux de connaître enfin l’identité du tireur.
— Tu crois qu’il veut se venger pour Jack Du Pont ?
— Oui, c’est possible. Il était à l’étranger quand Jack a été tué… alors, qui sait quelle version de l’histoire sa famille lui a racontée ? Ils ne savent pas ce qui est arrivé. Quand il s’est renseigné, ça a probablement donné l’impression qu’on couvrait l’histoire. Comme si on avait pu être responsables.
— Je suis responsable, répond Callum doucement.
— Ce n’est pas vrai… essaie de dire Aida.
Il l’interrompt.
— Si, c’est ma faute. Jack travaillait pour moi. Je l’ai emmené à cet échange de rançon en sachant que c’était dangereux, que c’était probablement un piège. En sachant qu’on serait en minorité et en désavantage tactique.
— Jack le savait aussi, répond-elle fermement. Il a suivi volontairement.
Callum secoua simplement la tête, n’étant pas prêt à se pardonner pour avoir fait tuer son ami.
— Et maintenant ? demande ma sœur.
— Vous avez besoin de faire profil bas tous les deux, lancé-je. Vous ne pouvez pas donner à Du Pont une autre chance de vous abattre. Ça signifie plus d’apparitions publiques, et en particulier pas d’évènement planifié. Si vous annoncez à ce type où vous serez à l’avance, il ne vous loupera pas la prochaine fois.
— C’est un coup de pot s’il a manqué la dernière fois, répond Callum sombrement.
— Oui, et de rien, rappelle Aida. Pour une fois que la maladresse de ta femme sert à quelque chose…
Elle essaie de plaisanter comme elle le ferait d’habitude, mais son visage est épuisé et pâle. Sa main est pressée contre le flanc de son ventre, comme si elle sentait une douleur.
— Je ne veux pas attendre qu’il me retrouve, déclare Callum. Traquons cet enfoiré et mettons fin à tout ça.
— J’ai une idée de l’endroit où il pourrait être, dis-je. Mais je ne pense pas que tu devrais m’accompagner. Reste avec Aida, hors de vue. On ne va pas l’informer tout de suite qu’on sait qui il est. Laissons-le penser cela pour que tu te caches.
Callum fronce les sourcils. Je peux voir qu’il n’aime pas l’idée de se cacher. Il fait agir tout autant que moi. Peut-être même plus.
Mais Aida s’accroche à son bras. Elle ne veut pas qu’il mette un pied hors de la maison.
— S’il te plaît, Cal, l’implore-t-elle.
Elle ne supplie jamais pour rien.
— S’il te plaît, répète-t-elle.
— D’accord, accepte-t-il avec réticence. Je vais rester tranquille pour l’instant. Mais appelle-moi à la minute où tu trouves quoi que ce soit, Dante.
— Je le ferai, promets-je.
J’agis comme si je ne voulais pas emmener Cal pour pouvoir donner au faux sentiment de sécurité à Du Pont. En vérité, j’aimerais qu’il reste en lieu sûr. Si Aida perdait son mari maintenant avant la naissance du bébé, ça la détruirait. Pour le bien-être de ma petite sœur, je dois protéger Callum, que ça lui plaise ou non.
J’aimerais emmener Nero, mais il bosse sur le disque dur que j’ai volé chez Kenwood. Même si je ne pense plus que l’éditeur a engagé Du Pont, je veux quand même que mon frère le décrypte pour savoir quel genre de merde Kenwood enregistre en secret à l’intérieur de sa maison.
Au lieu de ça, j’appelle Seb en montant dans mon SUV. Il décroche après deux sonneries.
— Yo, grand frère.
— Salut. Tu es libre cet après-midi ?
— Ça dépend. Tu prévois quoi ?
— Mission d’exploration.
— C’est loin ?
— Moins d’une heure.
— D’accord. Viens me chercher. Je t’envoie l’adresse.
Il m’envoie par SMS une adresse que je ne reconnais pas. Celle d’un immeuble d’appartements chics dans le Loop. J’attends dans la voiture et il descend cinq minutes plus tard, légèrement à bout de souffle.
— Qu’est-ce que tu fichais ? demandé-je.
Il sourit.
— À ton avis ?
— Tu as une copine qui vit ici ?
— La copine de quelqu’un d’autre qui se sent seule de temps en temps.
— Oh, bordel… tu prends tes leçons chez Nero ?
Il hausse les épaules.
— Il a opté pour la monogamie. Aida va avoir un bébé. Et toi, tu es perpétuellement chiant… donc il faut bien que quelqu’un s’éclate, réplique-t-il en attachant sa ceinture et allumant le poste.
Je sais qu’il plaisante, mais il ne semble pas réellement s’amuser.
Seb est dans un sale état depuis un an ou deux, depuis qu’il s’est fait péter la jambe. Il va à droite et à gauche, nous aidant de temps en temps avec le boulot, disparaissant parfois pendant des jours ou même des semaines, à boire, faire la fête, et que sais-je d’autre encore. Apparemment, coucher avec des filles déjà prises fait partie de la liste.
Il ne s’est pas rasé, ses cheveux sont en bataille et sa chemise n’a pas l’air très propre. Il a des cernes sous les yeux. J’avais espéré qu’il s’accroche au projet du South Shore comme Nero, que ça lui donne quelque chose de nouveau sur laquelle se concentrer. Mais Seb n’a jamais été aussi intéressé par les affaires familiales que nous.
Pourtant, il est utile pour un job comme celui d’aujourd’hui.
J’ai demandé à Nero de regarder toutes les propriétés possédées par les divers membres de la famille Du Pont. Il y en a trois à moins de deux heures de Chicago. Une est une modeste maison dans Evanston appartenant à MaryAnne Du Pont, maintenant MaryAnne Ghery. Puisqu’elle est enseignante avec trois petits enfants, je l’ai éliminée de la liste. Il y a ensuite un appartement en centre-ville que possède Charles Du Pont. C’est une vraie possibilité. Il est le seul membre lointain de la famille lié à Christian, mais c’est un vieil homme qui semble vivre seul, donc il pourrait accueillir son cousin au troisième degré. C’est cependant le troisième endroit que je vais vérifier en premier.
C’est un domaine de compagne en périphérie de Rockford. La propriétaire est Irene Whittier, qui est une cousine encore plus éloignée de Christian que Charles. Callum me l’a désignée en premier sur la liste. Il a dit que Jack se rendait souvent sur cette propriété en été pour faire du moto-cross dans les collines et aider sa grande tante Irène à faire faire des exercices aux chevaux. Jack n’a jamais mentionné si son cousin Christian s’y rendait aussi ou non ; néanmoins c’était possible, puisqu’ils avaient tous les deux le même âge et étaient reliés à Irene de façon similaire.
Il nous faut une heure et demie pour rouler jusque là-bas. C’est amusant de voir comme tout paraît différent une fois qu’on sort de la ville. Parfois, je ne quitte pas Chicago pendant des mois. J’oublie que le reste de l’état est si plat. En ville, les gratte-ciel sont comme les montagnes, créant une idée de structure et de direction, peu importe où on va. On peut toujours dire dans quel sens on se trouve en se fiant au fleuve, au lac et aux bâtiments. Ici, seul le soleil sert de guide. Les routes et les champs ont l’air identiques de tous les côtés.
Le domaine de Whittier est vaste et beau, mais extrêmement décrépit. Plus nous nous rapprochons de la maison principale, plus la peinture écaillée et les volets cassés sont évidents. Je ne vois pas d’autres voitures garées devant. La plupart des fenêtres sont fermées.
— Qu’est-ce que tu veux faire ? demande Seb en regardant les fenêtres avec nervosité.
Je suis sûr qu’il pense la même chose que moi : on n’a pas très envie de sortir de la voiture si Christian a des chances de se cacher dans une de ses pièces, fusil en joue.
— Reste dans la voiture. Surveille mes arrières.
— D’accord, répond-il, les yeux rivés aux fenêtres.
Je descends de la Cadillac, me sentant à découvert dans la cour vide.
Elle est couverte de mauvaises herbes et ses pavés sont fissurés. Je me sens un peu mieux une fois sous le portique, ma tête étant au moins un peu protégé.
Je toque à la porte, puis sonne. Il y a une longue attente durant laquelle j’entends des chiens qui aboient.
Enfin, des pas résonnent jusqu’à la porte. J’ai mon arme en main, dans ma veste, en cas de besoin. Quand une vieille femme ouvre la porte, je relâche la détente et baisse les bras sur les flancs.
— Que voulez-vous ? demande-t-elle.
Elle est voûtée et a un visage large. Elle est vêtue d’un gilet d’homme et ses cheveux sont si fins que je peux voir son scalp rose dessous. Elle transporte un seau de mélange de graines et ses bottes en caoutchouc sont incrustées de boue. On dirait qu’elle était en train de nourrir les poulets derrière la maison quand j’ai sonné.
— Désolé de vous déranger, m’dame. Je me demandais si je pouvais parler à Christian.
Elle me regarde comme si j’étais fou.
— Christian ? braille-t-elle. Pourquoi venir chercher Christian ici ?
— J’ai supposé qu’il pouvait habiter avec vous, dis-je calmement.
— Vous avez mal supposé.
Elle va pour fermer la porte, mais je l’en empêche facilement avec la pointe de ma botte.
— Vous êtes sûr de ne pas l’avoir vu ? insisté-je en gardant un ton poli.
— Je n’ai pas vu Christian depuis huit ans. Non pas que ça vous regarde, qui que vous soyez. Et ça ne veut pas dire que je vous le dirais si c’était le cas.
Elle m’observe avec suspicion. Elle est peut-être vieille et frêle, mais elle est assez vive d’esprit pour savoir qu’un ami de Christian ne se présenterait pas comme ça à l’improviste.
Malgré tout, je pense qu’elle raconte la vérité. Son indignation après que je l’ai dérangée semble assez sincère.
— Très bien, dis-je en libérant la porte. Merci pour votre temps.
— « Merci », qu’il dit, réplique-t-elle en secouant la tête. Comme si j’avais eu le choix !
Sans rien ajouter, elle me claque la porte au nez.
Je n’en suis pas offensé. J’aime bien les vieilles grincheuses. Elles ont perdu l’envie de cacher ce qu’elles ressentent et je respecte cette franchise.
Irene a raison de ne pas me faire confiance. Je n’ai aucune bonne intention envers son petit-neveu. En fait, j’ai du mal à imaginer une rencontre entre nous où on s’en sortirait tous les deux vivants.
Je dois le trouver plus vite que jamais maintenant, parce que Irene pourrait l’appeler, si elle a son numéro. Ça ne lui prendra pas longtemps pour comprendre qui était le géant sur le pas de sa porte.
Je suis sur le point de remonter dans la voiture, quand j’ai une autre idée. J’envoie un message à Seb.
Une seconde. Je vais vérifier derrière la propriété.
Sans attendre qu’il réponde, je contourne la maison par le côté. Le domaine n’est pas grillagé, donc c’est facile de traverser les terres d’Irene. Cependant, je suis soucieux des chiens que j’entends aboyer dans la maison. Je ne sais pas s’il y en a d’autres qui rôdent et je ne veux pas avoir à choisir entre tirer sur un chien innocent ou perdre un morceau de jambe.
Le domaine en grande majorité n’est pas bien entretenu. Il y a plusieurs champs sans clôture, un vieil enclos à cheveux qui n’a pas l’air d’avoir été utilisé depuis des années, une grange délabrée et quelques tas de bois.
Je suis sur le point de retourner à la voiture quand je vois ce que je cherchais, tout au bout du terrain : une petite cabane. Les grands domaines ont généralement une maison comme ça pour le jardinier. Hors de vue de la maison, mais assez proche pour surveiller le gros de la propriété.
Cette cabane a l’air aussi délabrée et envahie par les herbes que le reste, mais je vais quand même y jeter un œil. Ce serait parfait pour se cacher si on voulait habiter chez sa grand-tante, sans que celle-ci vienne vraiment vous embêter.
Irene est trop âgée pour se traîner jusque là-bas. Christian pourrait y rester des mois sans qu’elle le remarque.
Alors que je me rapproche, je repère un chemin d’accès derrière qui serpente vers la cabane. On pourrait y rouler directement et s’y garer sans être vu. Il n’y a pas de véhicule pour le moment, mais je crois distinguer des traces fraîches dans la boue à côté.
Je m’approche avec prudence, à la recherche de caméras. Des fils de détente, aussi. On en avait plein en Irak. Les insurgés usaient des fils de pêche, transparents et installés à hauteur de mollet. Presque impossible à voir jusqu’à buter contre et déclencher un appareil incendie. Ou une de ces putains de mines terrestres. On l’active, et ensuite la charge propulsive envoie le noyau de la mine à un mètre en l’air où il explose, pulvérisant des fragments dans toutes les directions, la bonne hauteur pour vous déchirer les entrailles.
Oui, on les aimait pas trop.
On transportait partout des aérosols à fil serpentin. Mes fils restaient suspendus sur les câbles du piège, sans déclencher les bombes. Je n’en ai pas avec moi pour l’instant, donc je dois bien regarder où je fous les pieds, faisant attention au chemin emprunté dans les mauvaises herbes.
Dès que j’arrive à la porte de la cabane, je suis certain que Christian est passé par là. Je peux voir le dessin arqué dans la poussière où la porte a été ouverte. Je vérifie l’encadrement pour les pièges et tourne la poignée avant d’entrer.
Ce n’est pas verrouillé. Je doute qu’il s’attendait à ce qu’on découvre son identité, et encore moins où il séjournait.
Je sens l’odeur de son savon, par-dessus la moisissure et la poussière. Il a l’habitude de se laver dans l’évier. Et il dort dans le lit de camp dans le coin. Il est fait nettement, les coins bien tirés et la couverture rentrée de tous les côtés, comme à l’armée. Je reconnaîtrais cette technique partout : quinze centimètres entre le bord supérieur de la couverture et le drap, dix centimètres de tissu replié, et dix de plus de l’oreiller au repli.
Le sol a été bien balayé, et il y a une seule assiette, une tasse et une fourchette posée près de l’évier.
Il n’y a pas de télévision ou de radio, une vieille armoire contre un mur, avec quelques livres moisis et un ourson en peluche abîmé sur l’étagère au-dessus.
Rien de tout ça ne m’intéresse. Je suis attiré par la pile nette de papiers près du lit. Les dossiers et coupures de journaux sont posés sur une caisse retournée. Je les ramasse, parcourant les pages une à une.
« La Bibliothèque de Chicago accueille Imogen Griffin comme nouveau membre du Conseil d’administration… »
« Fergus et Imogen Griffin sont ravis de vous annoncer les fiançailles de leur fils aîné, Callum, à Aida Gallo, fille de Enzo Gallo et de sa défunte épouse, Gianna… »
« Callum Griffin élu conseiller de la 43e circonscription… »
« Le garde du corps du conseiller municipal assassiné dans un cimetière… »
« Dante Gallo arrêté pour le meurtre de Walton Miller… »
« Jack Du Pont, fils de Horace et Elena Du Pont, a été enterré au cimetière de Rosehill… »
« Fusillade au Harris Theater… »
« Les Constructions Gallo annoncent un projet massif de redéveloppement sur South Shore… »
« L’aciérie d’Old South Works reclassée en bien immobilier commercial et résidentiel… »
« Le meeting contre le trafic d’êtres humains organisé par la Fondation de la Liberté se tiendra à Grant Park. Les intervenants sont… »
J’examine les titres, les coupures de journaux et les captures d’écran imprimées des réseaux sociaux. Ils forment une chronologie des Griffin et des Gallo sur les deux dernières années. Certaines choses manquent, par exemple, il n’a apparemment pas lié nos familles au cambriolage du coffre-fort de l’Alliance Bank. C’est sorti dans les journaux, même si brièvement puisque le gérant a fait attention à garder secrets les détails les plus intéressants du vol. Bien sûr, personne dans la presse ne sait qui sont les responsables.
Les coupures mentionnent les tirs sur le chef de la Bratva, Kolya Kristoff durant le spectacle de danse, mais pas le kidnapping de Nessa Griffin qui a précédé. Les Griffin n’ont jamais rendu cette information publique. Ils ont toujours su qu’il leur faudrait récupérer leur fille par eux-mêmes.
Je suis sûr que Christian en sait plus que ce qu’il a là. Pour le prouver, le dernier papier dans la pile qui inclut une liste de noms :
Mikolaj Wilk
Marcel Jankowski
Andrei Wozniak
Kolya Kristoff (chef russe)
Ilya Yahontov
Callum Griffin
Dante Gallo
Nero Gallo
Tous les gens qui étaient présents au cimetière le soir où Jack est mort.
Je ne sais pas où il a obtenu cette information. Donc il n’est sûrement pas conscient de qui a vraiment tué Jack. C’était Marcel Jankowski qui lui a tranché la gorge, sous les ordres de Mikolaj. À moins qu’un de ces gens sur cette liste ait parlé à Du Pont, il ignore probablement qui entre la mafia polonaise, russe, mon frère ou moi avons donné le coup fatal. Il sait sans doute que Cal ne ferait pas une telle chose, cependant il le tient clairement pour responsable quoi qu’il en soit.
Je suis si absorbé dans les papiers que j’oublie presque que je suis dans la cabane de Du Pont et qu’il pourrait revenir à n’importe quel moment. Je manque de sauter au plafond quand la porte s’ouvre brutalement.
— Ce n’est que moi ! lance Seb avec impatience, chassant ses cheveux hirsutes de son visage. Qu’est-ce que tu fous ?
— Qu’est-ce que toi, tu fous ?
— J’ai fait le tour avec la voiture pour que tu n’aies pas à revenir en marchant.
— Oh. Merci.
— C’est quoi tout ça ? demande-t-il en désignant les papiers.
— Les coupures de journaux d’un harceleur. Du Pont a fait des recherches sur nous tous.
— Ah oui ? Est-ce qu’il a vu mon match contre Duke où j’ai mis quarante-deux points ?
— Non, dis-je en secouant la tête. Tu n’es pas présent du tout.
— Une belle connerie.
Je sais qu’il plaisante, en quelque sorte.
— Il n’est pas censé les épingler partout sur les murs et les lier avec plein de fils rouges ?
— Nan, il est du genre ordonné, dis-je en remettant les papiers ensemble pour les replacer là où je les ai trouvés.
— Tu peux le dire, dit-il en jetant un œil au lit fait au carré. Rien ne traîne, à part ce vieil ourson.
Il va vers l’étagère pour le prendre.
— Ne touche à rien ! aboyé-je.
Trop tard. Seb l’a déjà descendu de l’étagère. La plupart des gens n’auraient pas pu le récupérer sans escabeau, mais lui n’a même pas besoin de se mettre sur la pointe des pieds.
— C’est lourd, dit-il en fronçant les sourcils. Dante… Je crois que c’est une… comment tu appelles ça… ?
J’ai déjà compris avant qu’il le dise.
Une caméra miniature.
Seb me montre l’ourson. Il y a une petite lumière rouge qui vacille derrière l’œil gauche vitreux.
La caméra diffuse en direct. Quelqu’un nous observe.
— Remets-le en place, dis-je doucement.
— Il nous a déjà vus…
— Chuut !
J’entends un très léger sifflement en fond. Le bruit d’un aérosol libérant un mélange de composant chimique.
— Cours ! hurlé-je à mon frère.
On file vers la porte, atteignant l’encadrement qui vole en éclat au même moment. Je le pousse devant moi et au moment où mes mains cognent son dos, une force aussi puissante que le tonnerre me percute par-derrière. Elle me projette hors de la cabane. Comme un rondin de bois piégé dans une crue subite, je cogne mon frère et on vole tous les deux. On s’écroule dans l’herbe sèche alors que la cabane se transforme en boule de feu furieuse derrière nous.
— Putain ! crie Seb en grimaçant et en empoignant sa jambe.
Il est retombé durement sur son mauvais genou.
— Ça va ? dis-je en roulant vers lui.
Il grogne une réponse, mais je ne peux pas entendre, car mes oreilles sifflent. Je vais finir sourd à quarante ans si je continue comme ça.
— Quoi ?! hurlé-je.
— Je te demandais si ça allait ! crie-t-il en retour en me regardant les yeux écarquillés.
Je baisse les yeux. J’ai un éclat de bois de la taille d’un crayon enfoncé dans le biceps droit. Quand je bouge, je peux sentir d’autres morceaux de bois et de métal encastrés dans mon dos.
— Putain de merde.
Je prends Seb et l’aide à se soulever.
— Je vais bien, proteste-t-il alors que je vois bien qu’il s’appuie sur l’autre jambe.
— Tirons-nous d’ici. Je suis sûr que la vieille pie a appelé les flics.
Seb et moi boitillons vers le SUV. Je suis profondément heureux qu’il l’ait ramené jusqu’ici, parce qu’aucun de nous ne peut courir de l’autre côté du domaine pour l’instant. Et puis, s’il n’était pas venu et n’avait pas ramassé cet ours, je n’aurais pas remarqué la caméra ni entendu l’activation de la bombe. Je ne m’en serais rendu compte qu’au moment où l’endroit aurait explosé autour de mes oreilles.
Il s’en est fallu de peu ; encore une fois. Je peux sentir ma chance s’amenuiser.
Alors qu’on monte dans la voiture, Seb lance :
— Tu ferais mieux d’aller à l’hôpital.
— Quelle heure il est ?
— Cinq heures quarante-deux.
Je suis bien trop conscient que la dernière fois que quelque chose a explosé si près de moi, j’étais en retard pour mon rendez-vous avec Simone.
Hors de question de recommencer. Pas même si la ville entière était en flammes.
— On va s’arrêter acheter des trucs.
— Quel genre de trucs ? demande-t-il.
Je grimace.
— Des pinces et de l’alcool.