tombent les barrières du pays
au moipays des espaces
des pierres et des épinettes
ma couenne ma libre
ma force
vive et jaillit
de l’autre côté du fleuve
montréal à notre suite
bleutée dans la lumière
au matin
on s’arrache on
départ
dans le rétroviseur
vous dormez
sans adieu pour votre ville
sans regret sans rien
tu jongles
au volant de ta quête
le ciel effiloché
au pare-chocs bosselé
tu te mens
il n’y a pas d’ailleurs
pas d’arrière-pays
si profond pour contenir
le virage de tant d’idées
le mythe manquant
celui que tu appelles
tu désespères toi
aux mains calleuses
sans bois et sans manche
la matière fuit
et tu nous crois
toi
ton fils
ta fille
tes camarades ?
l’asphalte long
noir et sans fin
au béton voyageur
il commence à faire jour
ma vie moi mes rêves
au ventre ma quête
au poing
vous comprendrez
en âge le monde
au terroir les armes
des rivières pagayées
le moipays territoire
après les ponts
les banlieues tristes
quand au bout du rang
l’amérique se retourne
soulevée du nord
incarnée
en mouvement
tu y crois toi au pays
où au fond du corps
les clochecœurs résonnent ?
tu y crois toi à demain ?
les loups les chiens les grands riens
aux mollets en course
aux sueurs dans le dos
au cou
la morsure pour nous traîner
à l’ombre des pierres
où les abatis fument
tu crois vraiment en ces galimatias
à l’incertitude et à la transparence
au mythe sylvestre ?
votre main trace
les symboles anciens
de l’enfance sur la vitre
écran au réconfort sur l’autoroute
filée nord où s’étirent les ombres
déjà vous comprenez tout
il n’y aura pas de retour
ni jour embrasé au lendemain
ni printemps ni hiver
l’attente sans ferveur
derrière les vitres le paysage
les arbres en traits
de distance novembre
quand tout cesse
le mouvement
vous ne parlez pas
ne souriez pas
il est trop tôt
au nord québec des flammes
froides et étreintes
où s’égrènent déjà les derniers villages
tu ne nous as jamais parlé
d’elle en territoire
à jamais perdue
coulée comme un continent
au sombre des océans
nous sommes trop petits
et croyons à la magie et
et en lacs et en étendues
ce n’est pas pareil
elle a la profondeur des cratères
pingualuit
où elle sommeille
elle ensevelie
comme un dieu boréal
retenant son souffle
contre l’arête des forêts
mémoire poème engourdie
au froid complice
l’air tout autour
vibre au chant
de l’immense
du distendu
vous bougez maladroitement
pris par la nature enferrée
et barbouillée de brume
à vos côtés immobiles
à votre stupeur
au moipays territoire
où ça sent bon déjà le pin et la terre
et la profondeur des choses
où on se rapproche où on
transpire de vie
où on existe déjà
en espaces primitifs
tu portes ta foi
dans des gestes de folie
pour écrire une première fois
la libre identité
du corps radical
ta résistance au vide
langue bousculée de rêves
et claquée sur des palais de verre
tu la portes pour nous
depuis toujours et pour longtemps
encore ta parole père
ta quête emmenée plus loin
autour du cou au bout de la corde
une pierre pour couler
au fond des choses
pour la première fois
après le dernier village
au bout du dernier rang
derrière la pinède le sentier
le dernier où
avant le camp
nous arrivons nous
au recommencement
du temps des pierres
des totems pétrifiés
où nous émergeons nous
à l’enfouissement du sable
aux branches pointées
avant que vous ne les écrasiez
à force de marcher dessus
de marcher droit de marcher
tu nous en as demandé neuf
neuf jours pour s’arrimer
au norbois le lac carré
aux choses qui sombrent
où tout file lentement
tu nous en as demandé neuf
où entends-tu
il n’y a ni cri ni klaxon
ni moteur ni rien
une pulsation seulement
qui anime le silence
toi qui aimes tellement
te lover ici t’enterrer
on dirait que tu oublies alors
la villevie qui ondule
le camp seulement les vieux livres
jaunis et gonflés
le poêle noir que tu chauffes
l’hiver l’été au diable
la pêche au matin les feux
et les histoires du pays
pour nous endormir
vous avez toujours haï
la solitude
les parenthèses de silence
qui s’ouvrent ici
du matin au matin du
panache qui pousse
dur et tendu
sur vos espoirs de ville
les branches qui craquent
et la babiche resserrée
pris alors pris dans une toile pris
sans pouvoir en sortir
fils fille charades
pris à me détester père
alors je ne vous dirai pas
ne changez rien ne vivez pas
au camp il n’y a rien d’autre
le harle au lac les ombres
des truites dans la fosse
près de la falaise le feu
crépite alors
ce qu’il faut de magie pour entrevoir
l’aube rougir le jour
et demain
demain ce sera pire
il faudra faire nos sacs
rapailler le nécessaire
gourdes et bottes et boussoles
te suivre te rejoindre
nous laisserons le camp
engagerons le silence
au matin avec l’orignal
en travers du sentier
tu seras de bonne humeur
tu auras les yeux pétillants
des coups de vent pleins la tête
tu nous aideras à enfiler nos sacs
avant de nous pousser devant
contre l’entrelacement des branches
nous ne dirons rien
ne regretterons rien
et attendrons le feu
au camp où
tout croule tout meurt
vous ne soutenez rien
vous ne connaissez pas encore
le temps de la matière
l’obligation de se battre
et à recommencer à le faire
avez l’habitude du mépris
et vous n’entendez rien vous
ne voyez rien
le toit qui défonce vers l’arrière
la mousse qui gagne les bardeaux
la corde de bois qui s’affaisse
vous me regardez de loin
par-dessus la distance
arracher les planches vermoulues
le quai d’où vous aimiez plonger
avant de compter les jours avant
maintenant au camp où
vous détestez chacun de mes gestes
chacun de mes efforts
de père idiot de père
absorbé
tu cours à contre-courant
à nous traîner avec
les mouches les bruissements
le ravalement nous
au fond des mocauques
la nuit est grosse
ses cornes pointues
et sur la véranda
tu fumes et la fumée
par la moustiquaire
se mêle à la lenteur
au norbois il n’y a rien
rien d’autre que la nature
qui se piste et se détaille
qui s’effrite se multiplie
se réfracte et se divise
et nous suivons le mouvement
du centre aux extrémités
poussés de plus en plus loin
vous ne connaissez
ni le nom ni les choses
ne distinguez pas la pierre
de l’envol
pourtant je vous emmènerai
ce soir à la kermesse
au rituel taïga ce soir
au norbois le camp
pour ouvrir la communication
où sylvestre où vous où
je n’existerai pas
vous n’avez rien dit
et la pluie n’a pas cessé
et aux corps vos clochecœurs
tus et éteints
résonnent de silence
prendrons-nous le canot
jusqu’à l’île ?
l’eau noire du ciel
agitée derrière nous
presque glissée
du lait d’étoiles
sur ta langue sevrée
à ton tour tu ne dis rien
et tu guettes les berges le souffle
attendrons-nous le jour
au pays à pierre fendre
aux rapides giclés de soufre ?
des arbres en terre
traînant racines et mottes boueuses
toute une armée avec lui
lui sylvestre
empêtré dans son galimatias
dans ta fêle tête ?
en verrons-nous la fin
ou le commencement ?
ferons-nous un feu ?