LE RÉVEIL

1

tombent les barrières du pays

au moipays des espaces

des pierres et des épinettes

ma couenne ma libre

ma force

vive et jaillit

de l’autre côté du fleuve

montréal à notre suite

bleutée dans la lumière

au matin

on s’arrache on

départ

dans le rétroviseur

vous dormez

sans adieu pour votre ville

sans regret sans rien

2

tu jongles

au volant de ta quête

le ciel effiloché

au pare-chocs bosselé

tu te mens

il n’y a pas d’ailleurs

pas d’arrière-pays

si profond pour contenir

le virage de tant d’idées

le mythe manquant

celui que tu appelles

tu désespères toi

aux mains calleuses

sans bois et sans manche

la matière fuit

et tu nous crois

toi

ton fils

ta fille

tes camarades ?

3

l’asphalte long

noir et sans fin

au béton voyageur

il commence à faire jour

ma vie moi mes rêves

au ventre ma quête

au poing

vous comprendrez

kerouac survenant

en âge le monde

au terroir les armes

des rivières pagayées

le moipays territoire

après les ponts

les banlieues tristes

quand au bout du rang

l’amérique se retourne

soulevée du nord

incarnée

en mouvement

4

tu y crois toi au pays

où au fond du corps

les clochecœurs résonnent ?

tu y crois toi à demain ?

les loups les chiens les grands riens

aux mollets en course

aux sueurs dans le dos

au cou

la morsure pour nous traîner

à l’ombre des pierres

où les abatis fument

tu crois vraiment en ces galimatias

à l’incertitude et à la transparence

au mythe sylvestre ?

5

votre main trace

les symboles anciens

de l’enfance sur la vitre

écran au réconfort sur l’autoroute

filée nord où s’étirent les ombres

déjà vous comprenez tout

il n’y aura pas de retour

ni jour embrasé au lendemain

ni printemps ni hiver

l’attente sans ferveur

derrière les vitres le paysage

les arbres en traits

de distance novembre

quand tout cesse

le mouvement

vous ne parlez pas

ne souriez pas

il est trop tôt

au nord québec des flammes

froides et étreintes

où s’égrènent déjà les derniers villages

6

tu ne nous as jamais parlé

d’elle en territoire

à jamais perdue

coulée comme un continent

au sombre des océans

nous sommes trop petits

et croyons à la magie et

elle en pays et en rivières

et en lacs et en étendues

ce n’est pas pareil

elle a la profondeur des cratères

pingualuit

où elle sommeille

elle ensevelie

comme un dieu boréal

retenant son souffle

contre l’arête des forêts

mémoire poème engourdie

au froid complice

7

l’air tout autour

vibre au chant

de l’immense

du distendu

vous bougez maladroitement

pris par la nature enferrée

et barbouillée de brume

à vos côtés immobiles

à votre stupeur

au moipays territoire

où ça sent bon déjà le pin et la terre

et la profondeur des choses

où on se rapproche où on

transpire de vie

où on existe déjà

en espaces primitifs

8

tu portes ta foi

dans des gestes de folie

pour écrire une première fois

la libre identité

du corps radical

ta résistance au vide

langue bousculée de rêves

et claquée sur des palais de verre

tu la portes pour nous

depuis toujours et pour longtemps

encore ta parole père

ta quête emmenée plus loin

autour du cou au bout de la corde

une pierre pour couler

au fond des choses

pour la première fois

9

après le dernier village

au bout du dernier rang

derrière la pinède le sentier

le dernier où

avant le camp

nous arrivons nous

au recommencement

du temps des pierres

des totems pétrifiés

où nous émergeons nous

à l’enfouissement du sable

aux branches pointées

pour voir vibrer les signes

avant que vous ne les écrasiez

à force de marcher dessus

de marcher droit de marcher

10

tu nous en as demandé neuf

neuf jours pour s’arrimer

au norbois le lac carré

aux choses qui sombrent

où tout file lentement

tu nous en as demandé neuf

où entends-tu

il n’y a ni cri ni klaxon

ni moteur ni rien

une pulsation seulement

qui anime le silence

toi qui aimes tellement

te lover ici t’enterrer

on dirait que tu oublies alors

la villevie qui ondule

le camp seulement les vieux livres

jaunis et gonflés

le poêle noir que tu chauffes

l’hiver l’été au diable

la pêche au matin les feux

et les histoires du pays

pour nous endormir

11

vous avez toujours haï

la solitude

les parenthèses de silence

qui s’ouvrent ici

du matin au matin du

panache qui pousse

dur et tendu

sur vos espoirs de ville

les branches qui craquent

et la babiche resserrée

pris alors pris dans une toile pris

sans pouvoir en sortir

fils fille charades

pris à me détester père

alors je ne vous dirai pas

ne changez rien ne vivez pas

au camp il n’y a rien d’autre

le harle au lac les ombres

des truites dans la fosse

près de la falaise le feu

crépite alors

ce qu’il faut de magie pour entrevoir

l’aube rougir le jour

12

et demain

demain ce sera pire

il faudra faire nos sacs

rapailler le nécessaire

gourdes et bottes et boussoles

il faudra demain

te suivre te rejoindre

nous laisserons le camp

engagerons le silence

au matin avec l’orignal

en travers du sentier

tu seras de bonne humeur

tu auras les yeux pétillants

des coups de vent pleins la tête

tu nous aideras à enfiler nos sacs

avant de nous pousser devant

contre l’entrelacement des branches

nous ne dirons rien

ne regretterons rien

et attendrons le feu

13

au camp où

tout croule tout meurt

vous ne soutenez rien

vous ne connaissez pas encore

le temps de la matière

l’obligation de se battre

et à recommencer à le faire

avez l’habitude du mépris

et vous n’entendez rien vous

ne voyez rien

le toit qui défonce vers l’arrière

la mousse qui gagne les bardeaux

la corde de bois qui s’affaisse

vous me regardez de loin

par-dessus la distance

arracher les planches vermoulues

le quai d’où vous aimiez plonger

avant de compter les jours avant

maintenant au camp où

vous détestez chacun de mes gestes

chacun de mes efforts

de père idiot de père

absorbé

14

tu cours à contre-courant

à nous traîner avec

les mouches les bruissements

le ravalement nous

au fond des mocauques

la nuit est grosse

ses cornes pointues

et sur la véranda

tu fumes et la fumée

par la moustiquaire

se mêle à la lenteur

au norbois il n’y a rien

rien d’autre que la nature

qui se piste et se détaille

qui s’effrite se multiplie

se réfracte et se divise

et nous suivons le mouvement

du centre aux extrémités

poussés de plus en plus loin

15

vous ne connaissez

ni le nom ni les choses

ne distinguez pas la pierre

de l’envol

pourtant je vous emmènerai

ce soir à la kermesse

au rituel taïga ce soir

au norbois le camp

pour ouvrir la communication

où sylvestre où vous où

je n’existerai pas

vous n’avez rien dit

et la pluie n’a pas cessé

et aux corps vos clochecœurs

tus et éteints

résonnent de silence

16

prendrons-nous le canot

jusqu’à l’île ?

l’eau noire du ciel

agitée derrière nous

presque glissée

du lait d’étoiles

sur ta langue sevrée

à ton tour tu ne dis rien

et tu guettes les berges le souffle

attendrons-nous le jour

au pays à pierre fendre

aux rapides giclés de soufre ?

attendrons-nous la levée

des arbres en terre

traînant racines et mottes boueuses

toute une armée avec lui

lui sylvestre

empêtré dans son galimatias

dans ta fêle tête ?

en verrons-nous la fin

ou le commencement ?

ferons-nous un feu ?