ai dit :
c’est
le peuple haillon au pas traîné
le premier par la traverse
à faire son entrée
au cercle sabbat des taïgas
le martèlement les chocs tambours
sourds aux corps les ceintures
les outils portés comme des croix
douloureux compagnonnage
métiers des misères travaillées
aux porteurs d’eau les mains
et les épaules sciées et
les centaines d’autres
tailleurs de pierre bûcherons
scieurs de long la masse
les sales
les gueux et les robineux
aux verbes chieurs
virelangues et languàsacres
soulevées au bout des chaînes
hier aujourd’hui demain
résigné et muet
observez leur errance
en cercle autour du cercle
leur geste leur regard
tu tends la conscience du moment
au corps des choses
à leur soumission
tu te projettes
si loin au centre
tu ne vois plus la mesure
et nous
nous les reconnaissons tous
ils ne feront rien
seulement
tourner autour
tourner si près
tout autour
du vide entropique
où tu vois de l’attention
nous voyons de la fuite
et entendons les chaînes
s’agiter au fouet des maîtres
mais aucune révolte
que des pas dociles
ai dit :
avant que ne recrache la forêt
la vieille bête roussie
aux yeux pissés de feu
et bordés de lumières vives
lynxlynx a ouvert la gueule
sa voix a feulé la nôtre
hume l’air hume la
fumée la terre et le bois
lynxlynx alors
dans le cercle avec ses osselets
ses peaux une carcasse carcajou
craquée sous ses pieds
roulée ouverte dans le sable
vous m’avez pris la main
la poussière sur sa veste
de cuir de brindilles
sa voix rauque
le cercle
appelé à être élargi
lynxlynx maître de cérémonie
appuyé sur un os blanc
le mythe renouvelé
a son géant
et la fin chantée de l’hiver
annonce le printemps
lynxlynx devincélébrant
décortiquez les pas de sa danse
écoutez son chant
nous ne croyons pas
le monde par tes yeux
ta parole
ton image ton reflet ton écran toi
parce que justement tu y crois
au sacre sylvestre
au pays sombré
puis relevé
au printemps
tu conjectures
le nord au nord indépendant
lynxlynx halluciné
mythabitants nordiques
pour refaire la roue
avec la préhistoire
là dans le plat
contre les cassants
où personne ne répond jamais
ai dit :
ça se répand autour
au ciel noirci
regardez
les insectes les oiseaux
les petites bêtes rampées
et observez
au sol entre les racines
les grains de sable les galets
toutes choses remuées
entre les jambes en détour
lynxlynx évité
nature du monde
bruissebruitée
coulée en nombre de vies
si grand si plein si dense
marquée de l’aleph
détournez les yeux
ils sont arrivés
esprits bleutés
aux sources les eaux
où ça sent la pourriture
la terre humide
où ça se détache
du corps la peau
en lambeaux de mots
leur langue seule
retournée au fond des gorges
quand les trois molosses japperont
pour que cesse le charivari et
qu’on se relève enfin
pour saluer nemrod
ai dit encore :
avec l’arrivée de la meute
vous vous étonnez
les masques d’écorce
sur le visage des bêtes
avec des sourires exagérés
des yeux d’écailles
la meute du passage nord
du nord viré et soufflé
vécu abyme vécu
par la plaine
bourbe vase rivière
chemins forestiers
les mâchoires claquées
des loups des coyotes
des chiens derrière la meute
déplacée
et sur son pelage tendu
sur ses muscles où gronde
le sang clair
frappé dans ses oreilles
entrechoqué dans ses bois
aux sabots en course
même en arrêt la meute
bat sa cadence
en cercle elle aussi
mêlée au peuple haillon
au pas de l’accidence la meute
contenue pour le revoir roi
lui sylvestre
du territoire parcouru
à son nom résonné
ton récit de leur nombre impressionne
aux bêtes la meute le territoire
pour que plonge au corps la lueur
le mythe en ailes
ne pas avoir peur ne pas crier
rire suffisamment fort
à la première nuit la lutte
le craquement des branches
la sauvagerie des vents
ensemble
des mots anciens
pour féconder l’instant
tu aurais raconté quelque chose
avec ta langue perdue
au pays du mackinaw
porté comme un pagne
tu aurais élargi la brèche
si tu avais pu
entrevoir demain
simplement
nous avons reconnu le conteur
ta force verbe
et nous en sommes gavés
ai dit :
ils ne sont pas tous là
pas encore
mais le sol déjà ploie
sous le poids du dôme
vous contemplez notre ciel
des arbres-arènes
l’enfermement
il n’y a plus de dieu
sous les pacages enterrés
a labouré la terre
et les vers et les larves
et tout ce qui se vautre
et tout ce qui pue
en a mélangé la chair
au gravier et au sable
à l’immensité
autour de nous
qu’eux en réponse
à l’appel du norbois
au moipays où se réinventent
les renaissances du mythe
lynxlynx soulève son os blanc
frappe trois fois le sol
et la meute sent l’air
tout aubejour tout
témoigne autour du cercle
ça remue ça secoue
vous ne souriez pas
vous êtes fatigués
pourtant il viendra
l’attente au cercle
près du feu
à pister dans ta voix les sifflements
du déchiffrement
au culte la crainte
où la profondeur existe
tu commences à nous y désespérer
le mouvement pour arrêter
en espaces parenthèses
nous sommes seuls à entendre
le bruit des arbres qui tombent
dans des forêts hérissées
les lèvres fendues
un sourire cannibale
le mythe en toi
nous survivra
mais nous
en demain nous
nous aveuglerons
comme on étouffe
comme on se noie
la bouche pleine d’amour affamé
ai dit :
au centre du cercle
mamata
la souche noire
antique et ciselée
par la lame d’acier
des vieux canadiens
plonge profonde
mamata
sa mémoire en toile
autour du cercle
jusqu’à la dépouille artefact
pleine mamata
ils viendront à elle
déposer leur offrande
des grandes rivières du nord
au nord élargi ici
à mamata
les trois coups
ont réveillé la rumeur
les vieilles runes
comme des brûlures
mamata marquée
vous pouvez y aller
mais n’y touchez pas
plus tard seulement
les ours et les grandes bêtes
seuls s’y essayeront
et mamata ne bougera pas
la lumière arctique
fraie sur son écorce noire
mamata
où nos doigts ont fait semblant de suivre
les lettres
de phrase en phrase
à la fibre de son bois
mamata
la matière pénétrée
parce que tu y crois toi
à l’indépendance
tu crois aussi
à l’identité du mythe
à son ensemencement
poème planté en terre
verte et pourrie
sous la volée de ton verbe filet
parce qu’à nos corps maintenant
le clochecœur mamata
battu comme fer
nous fait douter d’hier
rappelle-nous où et quand
la nature foudroyée
a enflammé le chemin
s’est transformée en sentier
puis le sable la terre
en pierre
en champ de pierres
que les arbres raréfiés
en sentinelles
se sont animés
rappelle-nous pourquoi
ici
au cercle du bout du nord
où surgit l’impossible
comment l’inertie
comment le pays
comment tout a circulé
à nouveau sur la piste
apache en place de guerre
l’espoir warrior
boudé de la nuit
plané au-dessus d’elle
elle enfin devinée
enfin découverte
ai dit :
c’est le sol secoué
la meute inquiète
lynxlynx presque fixe
gestes figés du shaman
ce ne peut qu’être eux
les ours seuls
en coalition
en alliance marginale
par la trêve des coups
les ours noirs
sans clan sans gîte
sans chef sans rien
rebelles bourrus
ensauvagés
ils raconteront plus tard
leurs batailles et les étincelles
leurs griffes au contact du métal
des machines retournées
déchiquetées
les ours noirs
en petites bandes impossibles
les verres de pierre entrechoqués
pleins de vin noir à se raconter
eux et leurs chants querellés
maudits à vivre seul
la force de leur rage
nous n’aimons pas
l’odeur fauve et humide
que tu racontes
cette vie d’errance captive
leur barbarie
leur royauté
leur liberté
leur geste bougonné
en longueur de griffes
avant tu disais que les ours noirs vivaient
absolument
ils sont trop
portent le territoire
comme des mousquets
il n’y a plus de lente agonie
il n’y a plus de marasme
avec eux
nous existons au recommencement
par la brusquerie des ours noirs
par leurs grondegrognements
à la lumière vive des torches
au pas marqué vers notre devenir
il n’y a plus de christ en croix
plus de mesure ni d’arpenteur
il n’y a plus qu’eux
au cercle sabbat
démontant les grands inuksuit
défaits et refaits
par leur ivresse
ai dit :
enfin
c’est sholom c’est
le bruit craquecraqué
le pas des bêtes hérissées
aux pas souterrains
renflement d’os
au sortir de la terre
désempêtré de l’emprise
mamata
de lui aussi
qui craquera l’allumette
élèvera le feu
vous entendrez son chant
souffle court agonique
parce que c’est sholom entre les branches
c’est l’arrêtemps
au moipays la mort
déterrée d’entre les pierres
taptapée au creux des racines
sol rupestre terre sèche
aux enfers indiens
aux mille mahoumets
sholom mort totem
jonglée au videspace
où son arrivée au cercle
précède sylvestre d’un jet de lance
écoutez bien
votre peur ne lui survivra pas
et vos flammes froides le nourriront
tu as parlé
et maintenant il aubejour
les premiers rayons
sur l’assistance imaginée
au cercle sabbat
avançant des ombres
au sol contre l’obscur
où tu ne nous entends pas
seulement leur langue
pendue et bien accrochée
leur langue à flaque et à floque
à bedingbedang et à turlutte
de tarladondaine
il aubejour maintenant
mais tu n’écoutes pas
seulement ton clochecœur
au corps beffroi
hurlé ragé battu
de l’intérieur jusqu’à nous
parce que la cassure
au brisant à la rupture
jusqu’à les rejoindre
au rythme collectif
des troncs creux
des pierres entrechoquées
pour l’attendre lui et l’appeler lui
parce que tu crois encore à son règne de nègre
dans ce pays de nègres
parce que tu crois encore qu’il viendra
sylvestre
sylvestre roi