au temps des galimatias
il grêle des perséides
de la cendre
des morceaux de vitraux
il pleut des taches d’aurore
barbouillées d’est
les visages sont longs
blêmis par nos rites
la nuit parfaite s’achève
enspasmée aux énergies vides
sur les débris de cathédrales
des attentats de délais
au temps des galimatias
il y a moi eux
il y a vous il y a
la terrepleine qui s’entrouvre sur son axe
des villes qui libèrent leurs asiles
leurs prisons et leurs voix d’extinction
il y a l’incertitude bègue
qui ulule rouge
au temps des galimatias
au norbois
où je vous trouve où
vous dormez où vous
abandonnez où vous vous résignez
et c’est lui pourtant
qui avance dans l’aubejour
c’est bien lui
sylvestre
sylvestre roi
sur son grand orignal blanc
une frise qui s’écrit
dans des flocons d’humus
nous voyons l’espace nous
voyons la ressource
voyants lumineux
flashant la sortie
lui
il est plus petit
il est plus laid
il est plus recourbé
il est plus ventru
il est plus chien
il est plus rat
il est plus à côté encore
que ce que nous voulions voir
au québec des hérauts
replié sous les amélanchiers
l’afficheur hurle toujours
il n’ouvre pas la bouche
ne parle pas
son casque son armure
son silence
son arme
son poids
sa langue d’or fondu
la barbe des anciens
des bras tatoués et brûlés et
sur ses bottes de la terre
du lierre et des racines
des galets de rivière et des éclats de roc
quand il parlera
vous vous tairez
quand il parlera
vous comprendrez
la soumission du silence
qui précède toute vraie naissance
tu ne crains rien
sylvestre
tu n’existes pas
au corps une blessure s’entrouvre
la chevauchée est cruelle
et la vase et les saletés
et les regards s’y agglutinent
tu ne dis rien
tu ne regardes pas ce monde
au mythe seul tu respires
au grand air des routes et des arcanes
tu ne vis pas et pourtant
les grandes bêtes t’ont senti approcher
et elles ont secoué leurs bois
nemrod et lynxlynx ont relevé la tête
le grand orignal blanc
de ses yeux fouille le peuple haillon
dans les premiers rayons
où brillent les ongles et les crocs
sylvestre
sylvestre roi
tu n’existes pas
et tu nous reviens
en selle sur ta bête levée
armé d’un nigog de fer rouille
je te reconnais
je t’ai toujours connu
de tout temps
et je te vois là
ici
et ça
ça existait ?
(vos doigts pointent la couronne
en disant cela
qui brille grise et verte et
mousseuse dans l’humide du jour et
que replace de sa main
sylvestre)
aux premiers débordements
de la terre des pierres
lorsque le premier licou est apparu
le premier geste de durforce
crois-tu qu’il était là
jeune sylvestre
accroché à la mamelle du mythe ?
crois-tu qu’il ne savait pas déjà
l’improbabilité
la finalité la violence ?
à se faire colborne à se faire
incendie pendaison traîtrise
à mettre au viol la honte
et au sol le peuple
pour que s’assoie le roi roi
même aux origines
rien n’échappe au vortex
l’histoire enlise tout
ton nouveau roi
comme tous les autres
matraqueurs de foule
asservisseurs et grands seigneurs
crois-tu qu’il n’ait pas tué
qu’il n’ait jamais levé la main ?
pour que la légende se forge
il faut savoir dévorer les héros
détourner leurs chants
l’épopée existe seule
dans le regard de l’autre
de celui qui a été charmé
qui s’est laissé monter par le vainqueur
à genoux dans la fange
la bouche et les jambes ouvertes
crois-tu qu’il était comme ça
sylvestre roi
suceur de moelle
et exploiteur de nègres ?
crois-tu qu’il ne savait pas
des origines le poids du carnage ?
il reste là
en suspens
il monte sans selle
l’histoire à faire
et l’obscur
et la lumière
et l’humide du jour
tout le fait centaure
et il reste là
avant de tirer le voile
qu’il ne secoue la brume
il reste là
ne bouge pas
saoulé d’attente
alors que l’air tout autour bat
à la mesure de son arrivée
son souffle seul suffira
vous aimeriez à ce point voir
morte toute chose morte
toute envie d’hier
voir tout
recraché sur le sol par des lèvres
si sèches et si usées et si minces
des lèvres de vieilles pisseuses
de lèche-curés des lèvres inertes
une coupure de rasoir entrouverte
dans le roc ancestral
où le graffiti s’efface
voir l’absence stérile
voir l’absence de retour
il n’y a rien dans vos clochecœurs
rien dans vos gestes de pas perdus
eaux troubles de clameurs
où l’octobre ne peut être rejoint
vous soupirez vous
auriez aimé concevoir
la fin dans l’arrêtemps dans
le cynisme des bêtes aveuglées
et se jetant des falaises pour survivre
je vous traîne ici pour vous battre
vous réapprendre
vous briser vous
parasiter pour vous gauchir
pour vous forcer à vous tenir
à la ligne droite
la ligne tendue
à la ligne tranchée
vous ne distinguez pas hier
relancé ici sur sa trajectoire
l’histoire des racines et des indépendances
prospection un du jour un
de l’an un
du cri qui se détache enfin
et quand arrivera-t-il
ce pays au clochecœur de glaise tendre
vallée de lys et fleuve dense
cette foi aux épaisses poutrelles
dures comme l’acier ?
où existe-t-il
ce prétexte qui se soulève
dans le cours de l’histoire
jusqu’ici
au norbois en commune
dans un rêve de poète ?
dans l’autorité d’un moment
d’une époque ?
dans la contingence
ta mémoire ta folie ?
avec les bêtes tapies
la morsure des maringouins
nos odeurs chiennes nos odeurs
de coureurs de soleil
de videvie déboulé dans un chariot
au centre-ville des grands absents
tu crois à demain
un pied dans l’hier
et nous voulons croire
pour des raisons suffisantes
alors nous attendons
dans l’attente
et nous attendons encore
le bon moment
son tremblement
dans les bras sa fatigue
et le froid
la nuit achalée
au matin en échardes
le long des nerfs
des muscles en ecchymoses
il ne se couchera pas
il ne se couche pas
il veille au nord
le monde en roulement
paraphrase les cycles
assiste à son propre mythe
il ne se couchera pas
il ne se relèverait pas
dans le sommeil des vieux chiens
les prés abondent
et la lumière explose
devant lui on ne parle pas
on écoute le vent
engouffré au moipays
devant lui
on recrache la parole souillée
verbe pierre et raciné
empanaché
je ne me reconnais pas
pas plus que le paysage
où la nature où la rivière
supportés au bout de la rame
la rime pagayée
au québec écharogné
j’existe en dehors
du centre carreauté
l’anfractuosité
en dehors lui
sylvestre lui
apôtre perdu
au plus fort la nature
au gouffre sylvestre pour renommer
les chutes les rivières les lacs pour ensemencer
les marées de tasiujaq pour engrosser
le moipays sans ses frontières
le moipays en jachère
le moipays de langues pilonnées
le moipays échiffé sans arrêt
et sans peine
et nourri au fumier
envasé dans l’espoir
demain en vous demain
après le refus global après
le rêve général
forcé d’exister
les fanaux sont allumés
et sur le lac noir
les flammes scintillent
des éclats rougis par l’attente
ce sera sans nous qu’existera la gageure
au retour en villevie déjà
il n’y a pas d’histoire
il n’y a pas de jour
il n’y a pas de demande
surtout pas de renouvellement
de violence de guerre
au retour logement
dans l’entassement
où ça ne sent pas l’épinette
où il n’y a pas de traces de coyotes
dans la neige blanche du matin
où nous existons sans les ancêtres
sans leur regard sans leur poids
sans la jarnigoine des anciens
toute tournée vers demain
c’est l’instant présent que nous voulons
comme des comètes
filées au-dessus de la nuit
des jets de lumière
pas l’ankylosement
surtout pas le lest de la mémoire
je suis l’hakapik
je suis venu
je suis moi roi
je suis moi ici
je suis marasme
je suis violence
je suis feu de camp
je suis grèves et pierres
je suis berges
je suis grandeur
je suis mesure et démesure
je suis moi
sylvestre roi
sylvestre moi
je suis devant vous
nord espérance
survenance de l’extrême
je te crois
sylvestre
tapi dans l’ombre
dans la patience des îles
attendant les feux sur les rivages
bois souches cendres et sphaignes
mémoire en morceaux de faïence
poteries d’apaches
artefacts élevés en bûcher
tu étais là et tu le montes fièrement
maintenant
l’orignal blanc
sylvestre au nord perdu
quand la meute en bande
vire pour se perdre à la plaine
tu portes ton sacre
sylvestre
tu portes ma quête
il y a des violences plus fortes encore
que le souffle des ouragans
qu’elles se désespèrent en toi
sylvestre
je suis jeune afrique je suis
moipays catalan irlande je suis
corse je suis kosovo
au verbe libre
dans l’esprit qui vacille
au territoire
avec toi
et nous n’entendons rien nous
les fils filles les eux
les après tout vous
nous
nous ne retenons rien
n’avons pas été faits ainsi
malgré vous
l’histoire nous glisse sur la peau
l’histoire nous évite
nous n’avons pas votre rétention
ni votre colère ni votre résilience
nous n’avons que le moment
la suffisance et la peur du vide
et vos mots éclatent
sous les gelées hâtives de novembre
et les éclats ne font pas de lumière
et la matière reste sèche et friable
dehors hostile dehors
aux coups d’archet qui brasillent
sur le pont d’un violoncelle
voilures
semences et génitions
nous alors
nimbés de mouvements
et d’incessantes déconstructions
nous ne voulons rien entendre
nous ne désirons plus
et il s’est mis à crier
les rives
les plages
les lits de sable
et de pierres scintillantes
et les poissons achigan
ouananiche et maskinongé
en flèches argentées
et le temps leste
qui s’égrène sous un pommier
et l’anse grise et l’eau molle
et les rivières articulées
où vous vous êtes baignés
au moipays
où vous vous reconnaissez
où vous vous enfoncez rarement
seulement un bain de profondeur
un discret salut aux ancêtres
sans me soupçonner
moi sylvestre moi
roi senti
ici quand crépite le feu
et qu’il fait froid jour
que je vous souris
avant que ma virelangue ne l’emporte
que je me remette à chanter
au jour du jour
écoutez
vous ne me croiriez pas
il ne m’écouterait pas
le souffle seul ne suffirait pas
raconter pour les autres
frémir et se réinventer
exister
et passer le chemin pour
arriver ici
arriver tout engourdi
à s’étirer les jambes à faire des moulinets avec les bras
dans le norbois
après le dernier village le dernier chemin le dernier espoir le
dernier rien
il n’y a pas de coups pas de corps morts pas d’odeur grise
pleine tellement pleine
la vie ici la vie
catapulte
lui s’invente encore au siècle passé
entre les roches et les craquements du sol
avec mon père et le père de mon père et
deux mille dix moi au bout du chemin
le camp
le dernier avant le norbois le dernier près du dernier lac
où les bêtes ne s’enfoncent plus
l’ombre seule qui se gagne
il n’y a que lui que vous
et le gris des fantômes
lève clochecœur la bouteille le coude
aux lèvres la bière flatte
nous t’aimons mais hurle encore
sous nos chemises nos peaux tendues
le tatouage qui te ceinture le corps
nous aussi après elle
nous aussi
nous y voyons les symboles
notre perte épique
la chute vertigineuse
aujourd’hui que nous découvrons sylvestre
nous n’y voyons que de l’encre
et un père qui radote
des bûches pourries enlignées autour de nous
sur lesquelles reposent des peaux et des bois
autour d’une vieille souche
baptisée mamata pour ton plaisir
près des braises des feux de la veille
le voile s’est levé
avec la nuit le jour avec
le vide le souffle
un vent chaud à travers le chablis
une clarté malgré la brume
vous vous rappelez
aux villes au béton pour séparer
l’itinérance du corps écrou arrêté
montréal et québec et
chuchote de murmures de ville
criée par toutes ses bouches
quand le corps s’arrache au souvenir des banlieues blêmes
qu’il coule au ressentiment du vide
jusqu’aux sifflements plats
jusqu’à la nudité crue
puis
puis la ligne de marque
la démarque le territoire
en sol en terre en champ
au courant et aux chutes
laurentie bouclier rocs
fêlés de pics moires
alors
alors les lacs et les rivières
le fleuve et le golfe
la fonte des glaces
craquées sur des kilomètres
en reste de vie
à transpirer le monde
alors
alors les bois la forêt la taïga
les plaines infinies
celles qui transversent tout
du bouclier où s’écrase
la pointe éméchée d’un pieu antique
d’un dieu chien d’un dieu vautour
d’un dieu romanichel ensauvagé
barbe hérissée et tatouée de lichens
seul ici
avec nous
nous
la menace et l’ombre de l’avancée
du silence tapi des villevies
pourquoi revenir à ça ?
pourquoi nous ?
le pays entre les immeubles
les campagnes désertées
les bois rasés
des lisières élevées en barricades de ronces
tu nous ramènes où ?
au mouvement ?
à l’embranchement ?
à l’an mythe à l’an écartèlement ?
entre pagayeur et portageur
absence de chemins et nuits blanches d’étoiles
entre villevies et ancrages et forteresses
et finalité et petitesse
à l’aventure de notre naissance
nous te le concédons
nous le constatons
l’âge de la parole est terminé
et tout ici officie à sa mise en terre
avec lui sylvestre lui
et toi qui parles
qui n’arrêtes par de parler
pour que vienne le mythe
et avec nous
l’épiphanie
le mot s’entrouvre
le mot vert
le mot qui craque
le mot court et le mot long
le mot qui sonne
le mot en tambour
qui résonne du verbe creux
les mots tangerine et fleurdelisé
les mots de mon grand-père
et de la parole claude
les mots de ma grand-mère
et de la parole jeanne
les mots éternels qui se conservent
et se racontent à nouveau
les mots qui s’étirent
qui inventent
réinventent
les mots qui ont forcé l’histoire
c’est par eux que j’existe
au mythe le pays
sylvestre
c’est par eux que vous me saisissez
sylvestre
au verbe dru
nous avons décidé d’exister sans balises
avec l’héritage de la terre cendrée
avec la racine terreuse et soufflée
nous l’avons décidé
pour ne pas entendre
au bois vide et creux
l’appel filial de la meute
où nous sommes malgré tout reconnaissants
achab père achab au pays achab
au pays terre ô terre ô territoire
où tout s’entasse où tout s’écho où
brille seule cassiopée constellée
au norbois où tu nous traînes
par les chants et les pas
où sylvestre s’invente
dans le verbe à paraître
où nous sommes des étranges
aux pieds-bots aux idées courbes
nous ne connaissons pas notre histoire
nous ne connaissons pas notre littérature
nous ne connaissons pas nos arts et nos chants
nous sommes un peuple inculte et bègue
et nous le savons
nous le savons
ici
où tout nous le rappelle
soupçons
libertés surveillées
caresser la surface des choses
en deviner l’importance
je n’ai pas de vérité à offrir
ni mensonge ni rien du tout
et même si je vous le disais
les fleurs boréales
les laurentiennes
ou l’ombre de l’orford
comme offrandes aux vierges folles
vous ne me croiriez pas
la quantité de mots qui dorment
dans un refus global
qui n’attendent que l’attisée
d’une soirée canadienne
que la morsure d’un cantouque
dans l’urine des forêts
en terre québec
je hurle
sylvestre moi
je hurle
l’octobre
à n’en plus avoir de voix
parce qu’une poévie sentie
une cellule esperanza
s’organise enfin
ici
maintenant
avec vous
je te crois
sylvestre
t’as perdu le nord t’as
la langue longue et sèche
tu ne m’aimes pas
tu préfères demain tu
et demandes à mamata
avec tes poings et tes jointures
les crisses les chieuses les épandeuses
la main du droit en travers de terre
le nord enfourne-moi enfourne
le sel en terre au sol
je te tiendrai les ailes
les clous ne suffiront pas
moi carcasse avant ta rencontre
un feu follet
un gaz de schiste
un invertèbrement
je vous crois aussi vous
au centre des bûches inertes
la mise en scène la folie les lettres
dans la braise ne se lisent pas
se devinent à peine
et pourtant vous riez avec moi
au moipays neuf
au nouspays qui se renouvelle
une certitude
l’octobre
l’octobre
l’octobre enfin