AU TEMPS DES GALIMATIAS

1

au temps des galimatias

il grêle des perséides

de la cendre

des morceaux de vitraux

il pleut des taches d’aurore

barbouillées d’est

les visages sont longs

blêmis par nos rites

la nuit parfaite s’achève

enspasmée aux énergies vides

sur les débris de cathédrales

des attentats de délais

au temps des galimatias

il y a moi eux

il y a vous il y a

la terrepleine qui s’entrouvre sur son axe

des villes qui libèrent leurs asiles

leurs prisons et leurs voix d’extinction

il y a l’incertitude bègue

qui ulule rouge

au temps des galimatias

au norbois

il y a le renouveau

où je vous trouve où

vous dormez où vous

abandonnez où vous vous résignez

et c’est lui pourtant

qui avance dans l’aubejour

c’est bien lui

sylvestre

sylvestre roi

sur son grand orignal blanc

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une frise qui s’écrit

dans des flocons d’humus

nous voyons l’espace nous

voyons la ressource

voyants lumineux

flashant la sortie

lui

il est plus petit

il est plus laid

il est plus recourbé

il est plus ventru

il est plus chien

il est plus rat

il est plus à côté encore

que ce que nous voulions voir

au québec des hérauts

replié sous les amélanchiers

l’afficheur hurle toujours

3

il n’ouvre pas la bouche

ne parle pas

son casque son armure

son silence

son arme

son poids

sa langue d’or fondu

la barbe des anciens

des bras tatoués et brûlés et

sur ses bottes de la terre

du lierre et des racines

des galets de rivière et des éclats de roc

quand il parlera

vous vous tairez

quand il parlera

vous comprendrez

la soumission du silence

qui précède toute vraie naissance

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tu ne crains rien

sylvestre

tu n’existes pas

au corps une blessure s’entrouvre

la chevauchée est cruelle

et la vase et les saletés

et les regards s’y agglutinent

tu ne dis rien

tu ne regardes pas ce monde

au mythe seul tu respires

au grand air des routes et des arcanes

tu ne vis pas et pourtant

les grandes bêtes t’ont senti approcher

et elles ont secoué leurs bois

nemrod et lynxlynx ont relevé la tête

le grand orignal blanc

de ses yeux fouille le peuple haillon

dans les premiers rayons

où brillent les ongles et les crocs

sylvestre

sylvestre roi

tu n’existes pas

et tu nous reviens

en selle sur ta bête levée

armé d’un nigog de fer rouille

je te reconnais

je t’ai toujours connu

de tout temps

et je te vois là

ici

5

et ça

ça existait ?

(vos doigts pointent la couronne

en disant cela

qui brille grise et verte et

mousseuse dans l’humide du jour et

que replace de sa main

sylvestre)

aux premiers débordements

de la terre des pierres

avec la pression des geysers

lorsque le premier licou est apparu

le premier geste de durforce

crois-tu qu’il était là

jeune sylvestre

accroché à la mamelle du mythe ?

crois-tu qu’il ne savait pas déjà

l’improbabilité

la finalité la violence ?

à se faire colborne à se faire

incendie pendaison traîtrise

à mettre au viol la honte

et au sol le peuple

pour que s’assoie le roi roi

même aux origines

rien n’échappe au vortex

l’histoire enlise tout

ton nouveau roi

comme tous les autres

matraqueurs de foule

asservisseurs et grands seigneurs

crois-tu qu’il n’ait pas tué

qu’il n’ait jamais levé la main ?

pour que la légende se forge

il faut savoir dévorer les héros

détourner leurs chants

l’épopée existe seule

dans le regard de l’autre

de celui qui a été charmé

qui s’est laissé monter par le vainqueur

à genoux dans la fange

la bouche et les jambes ouvertes

crois-tu qu’il était comme ça

sylvestre

sylvestre roi

suceur de moelle

et exploiteur de nègres ?

crois-tu qu’il ne savait pas

des origines le poids du carnage ?

6

il reste là

en suspens

il monte sans selle

l’histoire à faire

et l’obscur

et la lumière

et l’humide du jour

tout le fait centaure

et il reste là

avant de tirer le voile

qu’il ne secoue la brume

il reste là

ne bouge pas

saoulé d’attente

alors que l’air tout autour bat

à la mesure de son arrivée

son souffle seul suffira

7

vous aimeriez à ce point voir

morte toute chose morte

toute envie d’hier

et de demain

voir tout

recraché sur le sol par des lèvres

si sèches et si usées et si minces

des lèvres de vieilles pisseuses

de lèche-curés des lèvres inertes

une coupure de rasoir entrouverte

dans le roc ancestral

où le graffiti s’efface

voir l’absence stérile

voir l’absence de retour

il n’y a rien dans vos clochecœurs

rien dans vos gestes de pas perdus

eaux troubles de clameurs

où l’octobre ne peut être rejoint

vous soupirez vous

auriez aimé concevoir

la fin dans l’arrêtemps dans

le cynisme des bêtes aveuglées

et se jetant des falaises pour survivre

je vous traîne ici pour vous battre

vous réapprendre

vous briser vous

parasiter pour vous gauchir

pour vous forcer à vous tenir

à la ligne droite

la ligne tendue

à la ligne tranchée

vous ne distinguez pas hier

relancé ici sur sa trajectoire

l’histoire des racines et des indépendances

prospection un du jour un

de l’an un

du cri qui se détache enfin

8

et quand arrivera-t-il

ce pays au clochecœur de glaise tendre

vallée de lys et fleuve dense

cette foi aux épaisses poutrelles

dures comme l’acier ?

où existe-t-il

ce prétexte qui se soulève

dans le cours de l’histoire

jusqu’ici

au norbois en commune

dans un rêve de poète ?

dans l’autorité d’un moment

d’une époque ?

dans la contingence

ta mémoire ta folie ?

avec les bêtes tapies

la morsure des maringouins

nos odeurs chiennes nos odeurs

de coureurs de soleil

de videvie déboulé dans un chariot

au centre-ville des grands absents

tu crois à demain

un pied dans l’hier

et nous voulons croire

pour des raisons suffisantes

alors nous attendons

dans l’attente

et nous attendons encore

le bon moment

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son tremblement

dans les bras sa fatigue

et le froid

la nuit achalée

au matin en échardes

le long des nerfs

des muscles en ecchymoses

il ne se couchera pas

il ne se couche pas

il veille au nord

le monde en roulement

paraphrase les cycles

assiste à son propre mythe

il ne se couchera pas

il ne se relèverait pas

dans le sommeil des vieux chiens

les prés abondent

et la lumière explose

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devant lui on ne parle pas

on écoute le vent

engouffré au moipays

devant lui

on recrache la parole souillée

verbe pierre et raciné

empanaché

je ne me reconnais pas

pas plus que le paysage

où la nature où la rivière

où je vous existe en exil

supportés au bout de la rame

la rime pagayée

au québec écharogné

j’existe en dehors

du centre carreauté

l’anfractuosité

en dehors lui

sylvestre lui

apôtre perdu

au plus fort la nature

au gouffre sylvestre pour renommer

les chutes les rivières les lacs pour ensemencer

les marées de tasiujaq pour engrosser

le moipays sans ses frontières

le moipays en jachère

le moipays de langues pilonnées

le moipays échiffé sans arrêt

et sans peine

et nourri au fumier

envasé dans l’espoir

demain en vous demain

après le refus global après

le rêve général

forcé d’exister

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les fanaux sont allumés

et sur le lac noir

les flammes scintillent

des éclats rougis par l’attente

ce sera sans nous qu’existera la gageure

parce que portés ailleurs

au retour en villevie déjà

il n’y a pas d’histoire

il n’y a pas de jour

il n’y a pas de demande

surtout pas de renouvellement

de violence de guerre

au retour logement

dans l’entassement

où ça ne sent pas l’épinette

où il n’y a pas de traces de coyotes

dans la neige blanche du matin

où nous existons sans les ancêtres

sans leur regard sans leur poids

sans la jarnigoine des anciens

toute tournée vers demain

c’est l’instant présent que nous voulons

comme des comètes

filées au-dessus de la nuit

des jets de lumière

pas l’ankylosement

surtout pas le lest de la mémoire

12

je suis l’hakapik

je suis venu

je suis moi roi

je suis moi ici

je suis marasme

je suis violence

je suis feu de camp

je suis grèves et pierres

je suis lendemains

je suis berges

je suis grandeur

je suis mesure et démesure

je suis moi

sylvestre roi

sylvestre moi

je suis devant vous

nord espérance

survenance de l’extrême

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je te crois

sylvestre

tapi dans l’ombre

dans la patience des îles

attendant les feux sur les rivages

bois souches cendres et sphaignes

mémoire en morceaux de faïence

poteries d’apaches

artefacts élevés en bûcher

tu étais là et tu le montes fièrement

maintenant

l’orignal blanc

sylvestre au nord perdu

quand la meute en bande

vire pour se perdre à la plaine

tu portes ton sacre

sylvestre

tu portes ma quête

il y a des violences plus fortes encore

que le souffle des ouragans

des aspirations si grandes

qu’elles se désespèrent en toi

sylvestre

je suis jeune afrique je suis

moipays catalan irlande je suis

corse je suis kosovo

au verbe libre

dans l’esprit qui vacille

au territoire

avec toi

14

et nous n’entendons rien nous

les fils filles les eux

les après tout vous

nous

nous ne retenons rien

n’avons pas été faits ainsi

malgré vous

l’histoire nous glisse sur la peau

l’histoire nous évite

nous n’avons pas votre rétention

ni votre colère ni votre résilience

nous n’avons que le moment

la suffisance et la peur du vide

et vos mots éclatent

sous les gelées hâtives de novembre

et les éclats ne font pas de lumière

et la matière reste sèche et friable

dehors hostile dehors

aux coups d’archet qui brasillent

sur le pont d’un violoncelle

rythmes saccadés

voilures

semences et génitions

nous alors

nimbés de mouvements

et d’incessantes déconstructions

nous ne voulons rien entendre

nous ne désirons plus

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et il s’est mis à crier

les rives

les plages

les lits de sable

et de pierres scintillantes

et les poissons achigan

ouananiche et maskinongé

en flèches argentées

et le temps leste

qui s’égrène sous un pommier

et l’anse grise et l’eau molle

et les rivières articulées

où vous vous êtes baignés

au moipays

où vous vous reconnaissez

où vous vous enfoncez rarement

seulement un bain de profondeur

un discret salut aux ancêtres

sans me soupçonner

moi sylvestre moi

roi senti

ici quand crépite le feu

que stagne la nuit

et qu’il fait froid jour

que je vous souris

avant que ma virelangue ne l’emporte

que je me remette à chanter

au jour du jour

écoutez

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vous ne me croiriez pas

il ne m’écouterait pas

le souffle seul ne suffirait pas

raconter pour les autres

frémir et se réinventer

exister

et passer le chemin pour

arriver ici

arriver tout engourdi

à s’étirer les jambes à faire des moulinets avec les bras

dans le norbois

après le dernier village le dernier chemin le dernier espoir le

dernier rien

il n’y a pas de coups pas de corps morts pas d’odeur grise

pleine tellement pleine

la vie ici la vie

catapulte

lui s’invente encore au siècle passé

entre les roches et les craquements du sol

avec mon père et le père de mon père et

deux mille dix moi au bout du chemin

le camp

le dernier avant le norbois le dernier près du dernier lac

où les bêtes ne s’enfoncent plus

l’ombre seule qui se gagne

il n’y a que lui que vous

et le gris des fantômes

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lève clochecœur la bouteille le coude

aux lèvres la bière flatte

nous t’aimons mais hurle encore

sous nos chemises nos peaux tendues

le tatouage qui te ceinture le corps

nous aussi après elle

nous aussi

nous y voyons les symboles

notre perte épique

la chute vertigineuse

aujourd’hui que nous découvrons sylvestre

nous n’y voyons que de l’encre

et un père qui radote

des bûches pourries enlignées autour de nous

sur lesquelles reposent des peaux et des bois

autour d’une vieille souche

baptisée mamata pour ton plaisir

près des braises des feux de la veille

le voile s’est levé

avec la nuit le jour avec

le vide le souffle

un vent chaud à travers le chablis

une clarté malgré la brume

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vous vous rappelez

aux villes au béton pour séparer

l’itinérance du corps écrou arrêté

montréal et québec et

chuchote de murmures de ville

criée par toutes ses bouches

quand le corps s’arrache au souvenir des banlieues blêmes

qu’il coule au ressentiment du vide

jusqu’aux sifflements plats

jusqu’à la nudité crue

puis

puis la ligne de marque

la démarque le territoire

en sol en terre en champ

au courant et aux chutes

laurentie bouclier rocs

fêlés de pics moires

alors

alors les lacs et les rivières

le fleuve et le golfe

la fonte des glaces

craquées sur des kilomètres

en reste de vie

à transpirer le monde

alors

alors les bois la forêt la taïga

les plaines infinies

celles qui transversent tout

du bouclier où s’écrase

la pointe éméchée d’un pieu antique

d’un dieu chien d’un dieu vautour

d’un dieu romanichel ensauvagé

barbe hérissée et tatouée de lichens

lui sylvestre lui

seul ici

avec nous

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nous

la menace et l’ombre de l’avancée

du silence tapi des villevies

pourquoi revenir à ça ?

pourquoi nous ?

le pays entre les immeubles

les campagnes désertées

les bois rasés

des lisières élevées en barricades de ronces

tu nous ramènes où ?

au mouvement ?

à l’embranchement ?

à l’an mythe à l’an écartèlement ?

entre pagayeur et portageur

absence de chemins et nuits blanches d’étoiles

entre villevies et ancrages et forteresses

et finalité et petitesse

à l’aventure de notre naissance

nous te le concédons

nous le constatons

l’âge de la parole est terminé

et tout ici officie à sa mise en terre

avec lui sylvestre lui

et toi qui parles

qui n’arrêtes par de parler

pour que vienne le mythe

et avec nous

l’épiphanie

20

le mot s’entrouvre

le mot vert

le mot qui craque

le mot court et le mot long

le mot qui sonne

le mot en tambour

qui résonne du verbe creux

les mots tangerine et fleurdelisé

les mots de mon grand-père

et de la parole claude

les mots de ma grand-mère

et de la parole jeanne

les mots éternels qui se conservent

et se racontent à nouveau

les mots qui s’étirent

qui inventent

réinventent

les mots qui ont forcé l’histoire

c’est par eux que j’existe

au mythe le pays

sylvestre

c’est par eux que vous me saisissez

sylvestre

au verbe dru

21

nous avons décidé d’exister sans balises

avec l’héritage de la terre cendrée

avec la racine terreuse et soufflée

nous l’avons décidé

cet aveuglement consentant

pour ne pas entendre

au bois vide et creux

l’appel filial de la meute

où nous sommes malgré tout reconnaissants

achab père achab au pays achab

au pays terre ô terre ô territoire

où tout s’entasse où tout s’écho où

brille seule cassiopée constellée

au norbois où tu nous traînes

par les chants et les pas

où sylvestre s’invente

dans le verbe à paraître

où nous sommes des étranges

aux pieds-bots aux idées courbes

nous ne connaissons pas notre histoire

nous ne connaissons pas notre littérature

nous ne connaissons pas nos arts et nos chants

nous sommes un peuple inculte et bègue

et nous le savons

nous le savons

ici

où tout nous le rappelle

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soupçons

libertés surveillées

caresser la surface des choses

en deviner l’importance

je n’ai pas de vérité à offrir

ni mensonge ni rien du tout

et même si je vous le disais

vous ne me croiriez pas

les fleurs boréales

les laurentiennes

ou l’ombre de l’orford

comme offrandes aux vierges folles

vous ne me croiriez pas

la quantité de mots qui dorment

dans un refus global

qui n’attendent que l’attisée

d’une soirée canadienne

que la morsure d’un cantouque

dans l’urine des forêts

en terre québec

je hurle

sylvestre moi

je hurle

l’octobre

à n’en plus avoir de voix

parce qu’une poévie sentie

une cellule esperanza

s’organise enfin

ici

maintenant

avec vous

23

je te crois

sylvestre

t’as perdu le nord t’as

la langue longue et sèche

tu ne m’aimes pas

tu préfères demain tu

retournes les souches

et demandes à mamata

avec tes poings et tes jointures

les crisses les chieuses les épandeuses

la main du droit en travers de terre

le nord enfourne-moi enfourne

le sel en terre au sol

je te tiendrai les ailes

les clous ne suffiront pas

moi carcasse avant ta rencontre

un feu follet

un gaz de schiste

un invertèbrement

je vous crois aussi vous

au centre des bûches inertes

la mise en scène la folie les lettres

dans la braise ne se lisent pas

se devinent à peine

et pourtant vous riez avec moi

au moipays neuf

au nouspays qui se renouvelle

une certitude

l’octobre

l’octobre

l’octobre enfin