Coulombs, jeudi 28 mai 2020

 

Alexandre Lan Batonnier vit avec Mylène Martin à Coulombs, dans une petite maison avec jardin qu’elle loue. Lui-même loue un studio à Paris. Il est propriétaire d’une maison de ville à Lacroixville, en Côtes-d’Armor, Bretagne. Leur couple est sorti du confinement plus fort que jamais. Aujourd’hui, Alexandre attend impatiemment le discours du Premier ministre sur la deuxième phase du déconfinement pour enfin pouvoir aller entretenir sa maison de campagne dont le jardin est resté en friche depuis plusieurs mois.

 

Debout depuis 6 h 12, Alexandre a mis en route la cafetière, s’est débarbouillé la figure et s’installe au bureau ovale du séjour pour écrire. Une habitude acquise à l’occasion de l’enfermement général de cinquante-cinq jours. Le rythme est pris.

Depuis le début de la semaine, qu’a-t-il fait d’important ?

 

Lundi, visite d’un appartement à Lucé avec Mylène. Mylène veut quitter la maison pour un appartement et se rapprocher de ses amis. Alexandre est déçu pour Mylène, car le logement, situé au rez-de-chaussée, aura peu de soleil. Il faisait beau cet après-midi-là, mais quelques nuages ont occulté l’immeuble lors de la visite avec le gardien. Alors qu’ils repartaient en voiture, ils ont rebroussé chemin pour refaire le tour du quartier afin de vérifier l’exposition exacte de la façade à la faveur d’un ciel dégagé. Alexandre a dit qu’il reviendrait un matin prendre des photos pour avoir une idée de la lumière en début de journée.

 

Mardi, un temps digne d’un mois de juillet. Alexandre a surmonté sa déception en se disant que l’appartement étant au rez-de-chaussée, ce sera plus fonctionnel pour eux dans le futur.

Le couple prenait le petit-déjeuner :

Mylène a dit : « La cuisine est grande, mais il va falloir équiper. »

Elle a parcouru du regard la cuisine et s’est arrêtée tristement sur son four. S’adressant à Alexandre à l’autre bout de la table :

– Cadeau ? demanda Mylène

– Comme je t’ai toujours dit. Je ne veux pas que tu stresses pour ces dépenses. Je te les offre.

– On prendra le moins cher.

– Je veux surtout que ça te soit de qualité et fonctionnel. Je n’emporte rien au paradis.

 

Dans l’après-midi, Mylène et lui ont pris en photo une tique qu’a rapportée Mylène sur une feuille. Emily, sa fille, a appelé et Mylène lui a raconté la visite de l’appartement. Emily a relaté son week-end de l’Ascension à vélo avec Roland sur les bords de Marne. Alexandre a fait savoir à Emily que le Japon, où vit Dany, son fils adoptif et demi-frère de sa fille, a levé l’état d’urgence. Le soir, devant un film (Tandem, sur France 3), il a goûté à deux premières fraises du jardin bien qu’il s’était déjà brossé les dents.

 

Mercredi, l’anticyclone a persisté. Alexandre a mis un polo pour la première fois de la saison. Il a poursuivi la dégustation des fruits du jardin avec cinq premières cerises cueillies par sa femme (il appelle Mylène « sa femme » bien qu’ils ne soient que des compagnons de vie). Une amie, Miranda, qui habite Lucé, s’est longuement entretenue avec Mylène au téléphone et lui a fait savoir qu’elle a loué un gîte en Côtes-d’Armor et qu’elle a dû précipiter sa réservation, car c’était le dernier choix ! Les locations en bord de mer sont prises d’assaut alors que le Premier ministre n’a pas encore annoncé les mesures pour la deuxième phase du déconfinement. En particulier, l’incertitude plane sur la limite des 100 km de son domicile. D’après Miranda, en comparant avec sa propre maison, l’appartement visité lundi par le couple est orienté au nord-ouest.

 

Alexandre a envoyé son manuscrit à quatre éditeurs. Il a fêté l’accomplissement avec Mylène autour d’un apéritif. Contrairement à son habitude, il n’a pas pris de photos. Il en prendrait quelques-unes de l’immeuble de Lucé et quand il pourrait enfin se rendre à Lacroixville.

 

Cette nuit, Mylène s’est levée pour lire. Elle n’arrivait pas à s’endormir. Au petit-déjeuner, elle avouerait à son mari (elle aussi dit « son mari » pour parler de son compagnon) qu’elle s’inquiétait de l’étroitesse de la porte du séjour de l’appartement de Lucé : est-ce qu’elle pourrait y introduire ses deux grands fauteuils ?

Mylène s’est confiée : « Cela m’a complètement perturbée. C’est con, hein ? »

Alexandre la rassura : « Tu peux toujours demander à revenir visiter avec un mètre. »

 

Dans la matinée, la question s’est résolue toute seule. D’abord, la gestionnaire de cet appartement a appelé pour signaler qu’elle a une cliente en deuxième position qui serait très intéressée. Mylène a promis à la gestionnaire qu’elle se déciderait rapidement. Après avoir raccroché, Mylène a recontacté l’agent de l’autre organisme d’habitat social qui l’avait informé mardi par mail que sa demande était toujours en cours d’examen. Comme Mylène a fait part à l’agent de l’adresse de l’appartement pour lequel elle devait se décider rapidement, il a proposé à Mylène d’attendre qu’il lui trouve un logement dans un quartier plus sûr. L’agent a fait savoir à Mylène que son dossier est bien positionné étant donné qu’elle est une ancienne locataire pendant plus de deux décennies et qu’en ce moment il y a beaucoup de départs. L’agent a donc bon espoir de lui trouver une proposition dans un immeuble moins « craignos ». Compte tenu de la prestation plus personnalisée avancée au téléphone par l’agent de l’organisme social, Mylène s’est désistée de l’appartement visité qui avait gâché sa nuit. Bien que Mylène lui avait dit auparavant que cela ne valait pas la peine, Alexandre se sentait mieux en constatant qu’avec ce désistement il n’avait plus de raison objective d’aller prendre des photos du logement.

 

Cependant, Alexandre se demande si la perspective du déménagement de sa femme n’a pas quand même eu l’effet de lui faire rêver cette nuit du quartier de la Porte d’Italie où il a son studio. Un article de psychologie lui avait appris qu’un déménagement n’est jamais anodin et que certaines personnes en subissent un vrai traumatisme.

 

Il a plu. Alexandre est dans le quartier de la Porte d’Italie. Des flaques sur la chaussée, les larges trottoirs et aux coins du grand croisement du tram reflètent les lumières du soir. Tout à coup, lancée de loin par un garçon, une balle de tennis jaune arrive depuis l’autre bout de la Porte, glisse par ricochets sur l’eau et passe silencieusement près d’Alexandre.

Alexandre marche sur le trottoir d’un des boulevards des Maréchaux. Une femme arrive de derrière lui. Il la regarde prendre résolument une passerelle qui la mène vers des buildings de verre semblables à ceux de La Défense. Alexandre la suit, mais ne prend pas la passerelle. Il marche rapidement le long d’un toit en terrasse pour arriver à la hauteur de la femme, mais un grand vide les sépare. Sur le bord de la terrasse, Alexandre heurte soudain un mur constitué de dossiers papier. Les dossiers basculent sans bruit dans le vide. Il réalise que la femme est peut-être Huguette ou une autre cadre, ancienne collègue avec qui il s’entendait bien. Il cherche quelqu’un pour signaler la chute des dossiers dans les sombres abysses entre les immenses tours. Cela l’embête de ne trouver personne.

Alexandre saute en l’air et se retrouve en suspension à l’horizontale, jongle des pieds avec la balle de tennis, devant son immeuble. Il se retrouve plus haut dans l’avenue d’Italie. Un grand talus borde un côté du grand axe. Pas de circulation. Sur le talus, penché en équilibre vers le trottoir, un bloc d’immeuble de bureau qui a la forme d’un cube sur roulettes. Il croit reconnaître son fils Thibault parmi les silhouettes en bas des roues géantes. Plus tard, Alexandre réalisera que ce sont peut-être des réminiscences de sa visite à son fils à Francfort, dans le quartier des finances en pleins travaux.

Alexandre vend des brioches à des clients d’un restaurant chinois assez bondé. Il les sert à distance grâce à une pelle à pizza en bois à longue manche. Il essaye d’atteindre jusqu’à un client à une table haute au milieu de la salle, en passant la manche de la pelle entre des consommateurs dans l’espace intermédiaire. Tout d’un coup, il se retrouve à l’extérieur, en train de marcher au soleil vers un rond-point où s’attardent quelques personnes. Il suit un homme dont la hauteur lui fait penser à un ancien supérieur qui l’avait avancé en grade.

Autre décor. Alexandre décroche une grande poêle ovale d’un mur. Par l’ouverture dans le mur, il aperçoit trois Juifs. Il ne sait pas pourquoi il les a identifiés comme Juifs. Pour une raison inconnue, il leur tend avec précaution la poêle dans laquelle il y a un peu d’eau, qui se tasse d’un côté puis de l’autre au grand bord de l’ustensile. Il ne se souvient plus s’il parlait à quelqu’un ou non.

Alexandre s’apprête à traverser le boulevard Beaumarchais. Il doit sortir quelques déchets. Il trouve un sachet cellophane transparent d’un magazine reçu par la poste, qui lui sert de sac poubelle. Il se voit tenir en main une pince sophistiquée en acier comportant des mâchoires aussi redoutables que celle d’un désherbeur manuel.

 

18 h 01. Mylène arrive dans le séjour où Alexandre écrit au bureau ovale. Elle se penche et susurre à l’oreille de son mari : « Le 2 juin, tu vas pouvoir aller à Lacroixville. » Alexandre ne peut cacher sa joie tranquille. Enfin, il va rejoindre sa résidence de campagne et l’entretenir. Il n’a acheté une maison qu’une fois à la retraite et n’a acquis celle-ci que depuis près de deux ans. Il ne savait pas que devenir propriétaire comporte autant de soucis d’entretien et de satisfactions du travail accompli. Sans doute, un rapport au care qui le caractérise. D’un naturel prévenant, Alexandre est porté vers le souci de l’autre. Cette maison, il l’a achetée pour en profiter avec sa femme au cours des années qui leur restent à vivre. Il souhaite que Mylène s’y sente bien avec lui, autant qu’il se sent bien chez elle à Coulombs, en Eure-et-Loir.

 

Un mail de l’assurance auto exhorte Alexandre à ressortir en toute sécurité tout en repensant son quotidien. La semaine prochaine, il ira à Lacroixville pour les nombreuses tâches qu’il a hâte d’effectuer : jauger le niveau de consommation de fuel et en recommander pendant que les prix sont bas ; faire contrôler la chaudière dont le rendez-vous annuel en avril a été annulé ; faire remettre ses pneus d’été, car il roule toujours avec ses pneus neige ; se faire couper les tignasses ; joindre la mairie pour annuler la réservation de la salle des fêtes pour le 12 juillet, date où il voulait célébrer sa troisième année d’installation en Bretagne.

 

Dès le début de l’année, bien avant la déclaration de la pandémie en France, Alexandre avait adressé à tous ses proches et amis une invitation pour qu’ils réservent si possible la date, « Save the date ! » comme ils disent.

 

Objet : Vœux et invitation à une fête en Bretagne par beau temps

 

Bonjour,

 

En espérant que vous avez passé de bonnes fêtes, je vous adresse mes meilleurs vœux pour 2020.

 

À la retraite, j’ai élu résidence secondaire en Côtes-d’Armor (22), à Lacroixville, une ville de 600 habitants. Afin de célébrer ma 3e année d’installation, je vous invite à « une fête en Bretagne par beau temps » le dimanche 12 juillet 2020 pour un déjeuner en famille.

En espérant que vous pouvez réserver la date (« Save the date »), Mylène et moi continuons de cultiver notre jardin (photo, Mylène de dos).

 

Amitiés,

 

Alexandre Batonnier, auteur

France, Eure-et-Loir (28) ; dimanche 5 janvier 2020

 

Cette initiative, Alexandre l’avait signée en sa qualité d’écrivain.

Puis, le 10 janvier, Alexandre l’avait confirmé par une lettre circulaire, accompagnée d’une photo de la salle des fêtes communale :

 

Objet : Lettre circulaire pour les invités à « la fête en Bretagne par beau temps »

 

Lacroixville, vendredi 10 janvier 2020

 

Bonjour,

 

D’abord, merci à tous ceux qui m’ont adressé leurs vœux et m’ont donné de leurs nouvelles, qu’ils se positionnent ou non par rapport à mon projet de réunir des amis, des anciens collègues et de la famille dans une petite ville armoricaine le dimanche 12 juillet 2020. Évidemment, mon invitation fait partie de mes vœux pour 2020 et cette rencontre se veut intergénérationnelle (dans l’invitation, j’ai mentionné « en famille »).

 

Aujourd’hui, je suis allé à la mairie de Lacroixville (22-Côtes-d’Armor) pour réserver la salle des fêtes. Elle est située 26, rue de Loudéac 22210 Lacroixville. Ma « fête en Bretagne par beau temps » aura lieu là : vous ne pouvez pas vous tromper, elle est au pied de la Tour qui reste du château (photo prise aujourd’hui).

 

Le premier mail du 5 janvier 2020 est destiné à ce que les amis de jeunesse du Laos, de ma période estudiantine, de Polytechnique ou simplement de la vie (ou leurs enfants quand ils sont décédés), anciens collègues et membres de la famille, les « followers » de ma « mailing-list » de haïkus, puissent, SI POSSIBLE, réserver la date dès maintenant et aussi, s’ils ne connaissent pas la Bretagne, réserver leur hébergement s’ils viennent de loin, car la région bretonne est une terre de festivals internationaux en été.

 

Dans un prochain mail plus proche de la date du 12 juillet, je demanderai à chacun de bien vouloir confirmer AVANT une date limite définitive combien d'adultes et combien d'enfants jeunes composeront sa venue, pour que Mylène et moi puissions organiser la logistique, prévoir de payer les animateurs et la SACEM pour l’animation musicale (tarif dépendant du nombre de convives), demander les allergies alimentaires éventuelles de chaque participant...

 

J’ai la chance d’avoir Mylène qui a l’habitude d’organiser des réveillons publics de la Saint-Sylvestre depuis 15 ans, avec une marque de fabrique propre : les jeunes enfants, et même les bébés, peuvent venir avec leurs parents (ou grands-parents), car il y a peu de réveillons de Nouvel An qui acceptent les progénitures gratuitement ou à un tarif adapté. Elle a même l’expérience d’annuler un tel réveillon faute de convives, compte tenu sans doute de l’extension de la pauvreté relative dans le pays. Vous la voyez apparemment soucieuse sur la photo, cette fois de face, devant chez elle en Eure-et-Loir. Mon autre vœu est que le ciel soit aussi bleu pour nous tous le 12 juillet prochain…

 

Compte tenu de nos agendas et des distances, j’ai bien conscience de la difficulté de nous réunir à une date fixée et en un lieu donné. Pour ceux qui ne pourront pas, je leur dis à une autre fois.

 

Amicalement,

 

Alexandre Lan Batonnier

3, rue du Bâton

22210 Lacroixville

+336XXXXXXXX 

 

Au bas de cette confirmation, Alexandre avait adjoint son prénom vietnamien, « Lan », pour ceux qui l’ont connu dans sa vie d’avant la vie d’avant. Quand Internet n’avait pas encore supplanté le 3615 de l’antique Minitel. Alexandre se félicita d’avoir donné une dimension intergénérationnelle à sa célébration quand, plus tard dans le mois, il recevrait le retour du fils d’un ami écrivain polytechnicien.

 

Bonjour 

 

Je suis l'un des fils de Maurice Kass.

 

Je me permets de vous écrire aujourd'hui dans un mail groupé, car vous lui avez tous écrit récemment, soit pour lui demander de ses nouvelles soit pour d'autres événements communs où vous espériez le voir prochainement (réceptions ou autres).

 

Comme vous le savez probablement (je l'apprends peut-être à certains d'entre vous), mon père a eu une intervention assez importante le 14 janvier dernier.

 

Cette longue opération s'est bien passée, mais Maurice a fait plusieurs complications ensuite qui obligent les médecins à le maintenir en réanimation pour le moment.

 

Son évolution est lente, le personnel médical est très performant et fait bien sûr de son mieux afin de lui assurer le meilleur rétablissement/ réveil possible.

 

Ses reins ne fonctionnent plus depuis l'opération (il est possible qu'ils redémarrent après quelques semaines) donc les nombreux sédatifs qu'il a reçus pour le maintenir en sommeil les jours suivants mettent du temps à être évacués.

Il est dès lors toujours endormi aujourd'hui, malgré quelques petites réactions quand nous lui parlons.

 

Nous lui rendons visite tous les jours à tour de rôle et transmettons tous les messages et les attentions le concernant.  

 

N'hésitez pas à m'écrire si vous avez la moindre question.

 

Ne vous inquiétez pas, il est solide.

 

Bien à vous,

 

Stéph Kass

06.XXXXXXXX 

 

C’était il y a quatre mois. Avant la déclaration de l’épidémie de coronavirus en France.

 

Par SMS, Alexandre dit à sa fille Emily sa joie de pouvoir se projeter dans des activités de rattrapage du quotidien d’avant dans sa maison bretonne.

 

Mylène signale à Alexandre qu’il ne faut pas qu’elle oublie d’aller chez le médecin demain. Alexandre note le rendez-vous sur son propre agenda pour le lui rappeler le cas échéant. Mylène programme une sonnerie sur son portable.

 

Alexandre informe Mylène que l’épisode coronavirus étant passé pour lui, il suivra moins passionnément le JT de 20 h, elle sera donc moins contrainte par les horaires pour le dîner devant la télé. Elle lui répond que cela ne la dérange pas, car auparavant elle avait en fait l’habitude de s’installer devant l’écran pour manger deux fois par jour !

 

Ce soir, sur France 3, le couple regarde deux épisodes de Cassandre qui leur procurent une évasion vers la belle région d’Annecy et son lac. L’épisode « Fausse note » raconte l’environnement délétère d’un professeur de piano, directeur d’une école de musique, qui pousse ses élèves jusqu’au burn-out sans qu’il s’en rende compte. Il trouvera la rédemption en se consacrant à dispenser des cours au meurtrier en prison. L’autre épisode, « Le pacte », met en scène un double conflit juridique et familial autour de deux enfants, de deux familles différentes, atteints d’une même maladie rare, l’ataxie de Harding. L’un des enfants bénéficie clandestinement du traitement en cours de développement d’un laboratoire de biogénétique grâce à une chercheuse, véritable Wonder Woman. Le père de l’autre enfant fait un procès à la firme dans le but de la forcer à tester le médicament sur sa fille. À la fin de Cassandre, le couple a zappé sur TF1 pour regarder la fin d’un épisode sur un enlèvement d’enfants dans Les Experts : Manhattan. L’histoire devait se poursuivre dans l’épisode suivant, mais Alexandre était épuisé. Ils ont éteint.

 

Alexandre consulte le réveil avant de s’endormir : 0 h 44. Il consulte toujours pour vérifier à son réveil qu’il a bien eu les six heures dont il a besoin en moyenne.

 

 

Coulombs, vendredi 29 mai 2020

 

Une indisposition a obligé Alexandre à se lever tôt : 6 h 37.

 

Regardant par la fenêtre sur le gazon ensoleillé, Mylène se demande : « Je mets tous les jours du pain pour les oiseaux au fond du jardin. Tous les jours, ça reste jusqu’au soir. Puis le lendemain matin, plus rien. Je ne sais pas quel animal le mange la nuit. »

Alexandre suggère : « Il faudra mettre une caméra nocturne. »

 

Mylène va à son rendez-vous médical pour renouveler ses ordonnances. Elle s’est munie de deux masques jetables. Avant de s’absenter, Mylène rapporte à son mari le mot d’humour que sa sœur Cynthia fait circuler : « Les Français sont cons. Ils mettent un masque alors qu’ils sont seuls dans leur voiture. Est-ce qu’ils mettent une capote quand ils sont seuls dans leur lit ? » En l’absence de sa femme, Alexandre met un CD de Haydn. En prévision de la venue de Fabienne et Gérard demain, Alexandre commence à ranger ses affaires dans la salle de bains après la douche pour laisser le lavabo et le plan de toilette dégagés.

 

À son retour de chez le médecin, Mylène raconte les interactions auxquelles elle a assisté.

Dans la salle d’attente de sa médecin, Madame G., il n’y avait que Mylène et une autre dame plus âgée, assise de l’autre côté. La dame a repris Mylène quand elle a eu le malheur de baisser son masque pour se gratter le nez.

– Ce n’est pas bien de faire ça, Madame.

Mylène s’est retenue. Puis, elle a souri intérieurement quand, soudain, arrive un Monsieur sans masque ! Heureusement pour lui, la dame plus âgée entrait à ce moment-là dans la salle de consultation.

Le cabinet est commun avec un autre médecin. Les médecins ont la même secrétaire. L’autre médecin est sorti du cabinet pour appeler sur le parking une patiente qui avait refusé d’attendre dans la salle d’attente. Il a eu à crier très fort à la fin, car aux premiers appels la patiente n’avait pas entendu vu qu’elle attendait dans sa voiture !

À un autre moment, une patiente était venue s’asseoir pour attendre la même médecin G. que Mylène. Puis un homme se pointe à la porte de la salle d’attente pour lui dire que c’est de l’autre côté qu’elle devait aller. Elle n’a rien voulu entendre, disant qu’elle est là pour G. La secrétaire a dû intervenir pour expliquer que c’était bien l’autre médecin qu’elle devait voir, car au téléphone la secrétaire lui avait donné un rendez-vous en urgence, son médecin habituel, G., n’étant pas disponible.

Après un long enfermement collectif et général, que d’aventures dès qu’on sort de chez soi !

 

Étant barbouillé, au déjeuner Alexandre a juste mangé son assiette de plat principal (dinde à la crème). D’autant plus qu’il avait hâte de terminer sa lettre à l’assurance retraite.

 

Mylène montre la table sur tréteaux qu’elle a préparée dans l’étude pour qu’Alexandre s’y installe pendant le séjour de Fabienne et Gérard, car ils vont dormir dans le canapé-lit du salon.

 

Alexandre se dépêche pour aller faire la queue à la poste à l’ouverture. Il ne se sentira tranquille qu’une fois la réclamation en recommandée avec accusé de réception partie à l’adresse du directeur de la caisse de retraite comme le lui a conseillé la technicienne d’Info Retraite qui n’a pas pu le dépanner malgré vingt-cinq minutes passées au téléphone (au préalable, Alexandre avait eu du mal à trouver ce numéro sur le site officiel) avec leur service technique pour naviguer, sous leur guidage en direct, dans son espace personnel. La technicienne lui a donné le nom du directeur et lui a dit de mettre en objet « réclamation sur mes paiements de pension ».

 

Avec le petit vent de nord-ouest, Alexandre supporte la veste (une veste d’hiver, il n’a pas changé pendant le confinement ni depuis le déconfinement) quand il fait la queue à l’extérieur de la poste. Il remarque que la doublure de sa veste est décousue.

 

Alexandre appelle la mairie de Lacroixville au sujet de sa réservation de la salle des fêtes pour le 2 juillet. La correspondante lui fait savoir qu’ils n’ont pas encore débriefé suite aux mesures gouvernementales dévoilées la veille. Alexandre propose de rappeler le vendredi suivant. Ce qu’allait lui proposer la correspondante également. Il note sur son agenda ce nouveau rendez-vous téléphonique.

 

Quand Mylène s’apprête à « aller en courses », Alexandre lui dit de fermer à clé, car il va faire la sieste. Cependant, il met son portable prêt à sonner si jamais elle devait l’appeler.

– Qu’est-ce que tu veux qu’il m’arrive ?

– Je ne sais pas moi. Tu peux te faire attaquer par un drogué qui a besoin de sous.

– Ben, il ne sera pas déçu du voyage !

 

Mylène revient des courses quand Alexandre se lève de sa sieste.

– Alors, c’était comment tes courses ?

– L’horreur ! Catastrophique !

– Pourquoi ? Beaucoup de monde ?

– Non, ce n’est pas ça. C’est qu’il n’y a plus rien dans les rayons.

– Ils ont préparé leur week-end de trois jours.

– C’est incroyable. Même le rayon papier toilette était vide. On était plusieurs à errer dans les allées.

– Les gens ont peur d’un reconfinement peut-être. Ils ne croient plus ce que leur raconte le gouvernement.

– Pourtant, l’interviewé de la Pitié-Salpétrière qui a dit qu’il ne pense pas qu’il y aurait une deuxième vague est un soignant.

– Finalement, tu as acheté le journal où ?

– Au Carrefour Market de Maintenon.

 

Mylène allume la télé sur France 2, N’oubliez pas les paroles de Nagui, en même temps qu’elle demande à Alexandre :

– Une soupe ?

– Oui.

 

On aura deux minutes d’ensoleillement de plus demain.

Dernier best of de la pastille Au secours, bonjour ! du confinement.

 

 

Coulombs, samedi 30 mai 2020

 

7 h 30. Les jardins et les parcs de Paris s’ouvrent pour la première fois depuis le confinement.

 

Le couple accueille Fabienne et Gérard en ce week-end de Pentecôte, le dernier de la phase 1 du déconfinement où la limite de 100 km est encore en vigueur. Le ministre de l’Intérieur a appelé au sens de la responsabilité des Français et prévenu que les forces de l’ordre séviront.

 

Après avoir débarrassé encore plus ses affaires de la table pour le plan de travail d’Alexandre, Mylène demande :

– Ça te va comme çà ?

– Oui mon amour.

– Car je n’aimerais pas que tu aies un torticolis.

– Non mon amour.

.

S’étant rasé, Alexandre demande :

– Je leur libère deux crochets dans la salle de bains ?

– Non, ce n’est pas nécessaire.

– Ils se débrouilleront ?

– Oui.

 

Alexandre part acheter le journal et deux baguettes. Nogent-le-Roi est bondé en ce week-end ensoleillé digne d’un mois de juillet. Il gare sa voiture à l’écart du centre et revient vers la boulangerie. Comme il attend à l’entrée en attendant que la cliente précédente sorte de l’espace confiné, la patronne s’est adressée à lui à voix haute. Il en a profité pour commander cinq baguettes pas trop cuites par précaution. Il a été tout de suite servi et ressort avant même que la cliente précédente ait fini. Vite, un autre arrive avec un enfant. Alexandre marche sur la chaussée quand la circulation le lui permet, car les trottoirs sont étroits et il veut éviter de croiser d’autres passants. Il dépose le sac de baguettes dans la voiture et repart chercher le journal avec son supplément télé à la supérette. Il prend le quotidien sur le présentoir près de l’entrée et se dirige immédiatement à la caisse. Là, la patronne discute avec un client. Il attend à l’écart. Le client comprend. Il s’apprête à partir. Alexandre sort un billet de vingt euros.

– Je suis désolé. Je n’ai que ça.

– Pas de problème.

– Il faut bien refaire de la monnaie de temps en temps. J’ai épuisé mon stock.

Sur le trajet du retour, à la radio, France Info annonce l’arrestation des trafiquants d’êtres humains suite à l’enquête ouverte à l’occasion de la découverte en octobre 2019 de 39 cadavres de Vietnamiens dans un camion frigorifique dans l’est de Londres.

 

Quand l’écrivain arrive à la maison, Mylène l’informe que la voisine a répondu à son SMS, disant qu’on peut utiliser toute la place qu’on veut pour se garer dans l’allée devant sa maison, elle ne rentrera pas ce week-end. Mylène prédit :

– Je parie que ses parents n’attendent que la levée des 100 km pour venir de Vendée et ils seront là avant elle. L’herbe est très haute. Ils vont sans doute tondre pour elle.

 

Bruit d’une scie électrique au loin.

Fabienne et Gérard sont arrivés un peu avant treize heures, avec un beau bouquet de fleurs. Alexandre plaisante :

– Le port du masque est obligatoire !

– Et un mètre cinquante de distance, ajoute Mylène.

Ils rient et s’embrassent. Un peu plus tard, Alexandre cherche son portable. Il le retrouve dans l’étude où il a déménagé ses affaires pour son travail autoassigné d’écriture.

 

Les deux couples ont déjeuné dans le jardin. Comme d’habitude, Alexandre a pris une photo de groupe au moment de l’apéritif. Mylène a évoqué un déjeuner deux ans auparavant avec les copains d’Alexandre. Elle les avait prévenus qu’ils risquaient de recevoir des choses tombant du cerisier dans leur assiette. Mais Dath avait insisté, disant que la plupart du temps ils étaient confinés dans leur logement. Il voulait profiter du jardin en ce beau jour de juillet 2018. Alexandre se souvient, c’était le 8. Il s’est dit, en écoutant Mylène, que depuis sa retraite, il a réuni ses amis une fois par an. La dernière fois, c’était le 15 décembre 2019, avant la pandémie. Et comme il avait prévu une fête à Lacroixville, si jamais elle est maintenue, ce sera la réunion de la troisième année. Il doit encore appeler la mairie de la ville pour vérifier que la ville accepte de louer la salle des fêtes dans la phase 3 du déconfinement. Si c’est négatif, il annulera la fête et reportera la date. Dans l’autre cas, il aura à décider avec Mylène s’ils prennent le risque de maintenir le rassemblement de leurs amis le 12 juillet prochain.

 

Alexandre consulte la rubrique Euvanol sur Google. Il est déçu d’apprendre que ce pulvérisateur d’huiles essentielles pourtant efficace pour sa rhinite ne serait plus commercialisé. Il demandera à la pharmacie de Lacroixville s’ils en ont toujours ou s’il y a un substitut.

 

19 h 33. Alexandre regarde une vidéo sur les émeutes de protestation suite au lynchage d’un Noir américain par un policier blanc.

 

Au JT de 20 h présenté par Thomas Sotto, les sujets plus d’actualité les uns que les autres se succèdent. Manifestation à Maubeuge pour défendre une usine Renault. Émeutes à Minneapolis malgré le couvre-feu et présence de jeunes Américains blancs parmi les manifestants. L’aéroport d’Orly et la maintenance du tarmac et des avions. La traversée d’un glacier sur un ruban de 2,5 cm. La préparation de l’envoi de SpaceX et le parcours d’Elon Musk. Le kiosque à journaux présente l’édition du 29 mai du journal de Mayotte qui passe à l’orange. Une revue sur Belmondo révèle sa peur des planches dans les coulisses du théâtre Marigny. L’acteur devait accomplir une véritable mission assignée par son père qui aurait préféré qu’il fasse « une vraie carrière » dans le théâtre. Jean-Paul Belmondo ne l’aura accompli que cinq ans après le décès de son géniteur en jouant « Kean » pour son retour sur scène au bout vingt-huit ans d’absence. La météo. Demain, on gagne encore deux minutes d’ensoleillement, lever à 5 h 52, coucher à 21 h 42. Le beau temps se maintient jusqu’à mardi 2 juin, jour où la limite des 100 km sera levée. Il fera très chaud ce jour-là, 30°C sont prévus. Le temps virera à l’orage mercredi. Alexandre aurait intérêt à prendre la route dès mardi.

 

21 h. Gérard, Fabienne et Mylène rentrent du jardin après le JT de 20 h qu’Alexandre a regardé seul. Alexandre avait pris des photos d’eux installés à côté du saule crevettes. Ils vont certainement regarder le premier match du tournoi des maestros de N’oubliez pas les paroles sur France 2. Gérard dit :

– J’ai mis les coussins dans le cabanon et j’ai refermé la porte.

– C’est très bien, lui répond Mylène.

21 h 05. Information coronavirus.

– Ha ! Ça fait longtemps ! s’exclament-ils en chœur.

 

Finalement, Mylène change d’avis. Ils vont plutôt regarder le policier sur France 3 pendant le dîner. Alexandre dit à Gérard de se mettre du bon côté de la table ovale du séjour d’où il pourrait regarder directement l’écran. Mylène prépare les bulots pour son mari. Celui-ci a déjà fermé les volets de la chambre.

 

En allumant pour la première fois l’halogène depuis que Mylène a mis une ampoule neuve, Alexandre déclare :

– C’est Versailles, aujourd’hui. On a des invités.

 

 

Coulombs, dimanche 31 mai 2020

 

Alexandre ne se souvient pas d’avoir rêvé cette nuit. Il a regardé les quatre-vingt-quatorze photos du Los Angeles Times sur les manifestations de vendredi en centre-ville et sur les autoroutes de Los Angeles en protestation contre le meurtre de George Floyd à Minneapolis par un policier. Hier, au JT de 20 h, Thomas Sotto a informé que la femme du policier blanc a demandé le divorce par l’intermédiaire de son avocat. Pour Alexandre, c’est une information plus importante que la mise en examen pour homicide involontaire du meurtrier : les suprémacistes blancs ne réaliseront leur délire que quand leur vie affective et intime et leur famille éclateront à leur figure.

 

L’ironie scandaleuse de l’affaire s’affiche avec les dernières paroles de George Floyd devenues un signe de ralliement, « I can’t breathe » (« Je ne peux respirer ») alors que le pays venait de connaître une crise sanitaire de pénurie de respirateurs ! La violence du traumatisme se traduit par l’imposition d’un couvre-feu dans une grande ville comme New York bien que le meurtre ait eu lieu dans un autre État et que le confinement pour cause de pandémie reste en vigueur jusqu’au 8 juin. Le mot d’ordre « Restez chez vous ! » est doublement renforcé, mais la distanciation sociale vole en éclats dans les confrontations rapprochées entre la police et les manifestants. Dans certains quartiers, ils vont au contact, comme on dit martialement.

 

Une note d’espoir apparaît aux yeux d’Alexandre quand il remarque la présence de quelques jeunes Blancs parmi les manifestants. Seule l’éducation des jeunes générations pourra apprendre aux hommes à se dire que toute vie compte, qu’elle soit Noire, Blanche, Jaune ou Rouge.

 

Alexandre a partagé son émotion avec sa copine Pamela de Los Angeles en lui envoyant un mail en anglais. Il donne de ses nouvelles accompagnées de sa photo prise ce jour même et de celle de l’apéritif d’hier dans le jardin avec Gérard, Fabienne et Mylène.

 

Il communique des nouvelles accompagnées des mêmes photos à sa fille et quelques amis proches qui connaissent déjà Coulombs.

 

Alexandre a fait une sieste de trois heures. Au réveil, il se met du sérum physiologique dans les yeux. Ce doit être la même sécheresse des yeux dont lui parle sa fille à propos du port des lentilles. Il met un peu d’Ontose pour la piqûre d’insecte sous le bras. Cela le démange depuis ce matin.

 

Dehors, Fabienne et Mylène discutent autour de la table mise devant la porte, coincée entre le seuil et le portail. Fabienne est dos à la grande porte. Mylène est sur la gauche, à un bout de la table. Alexandre les prend en photo. Il prend la lune dans le ciel bleu en face de la maison. Mylène dit à Alexandre :

– Fabienne va avoir une de ces courantes quand elle va rentrer chez elle.

– Pourquoi ?

– On a coupé quantité de branches du cerisier et elle a mangé énormément de cerises.

– Comme ça je me souviendrai de vous, répond Fabienne.

Gérard regarde l’émission 66 Minutes Grand Format sur M6 au sujet des « Barbecues, plantes, animalerie : l’incroyable ruée dans les jardineries ». Chez Truffaut, une dame d’un certain âge s’offusque qu’il n’y ait pas de caisses pour les séniors. Le directeur fait la police, car le non-respect de la distanciation sociale provoque des tensions. Il faut être réactif et polyvalent, dit le commentateur.

– Si je vois ça, je m’en vais, moi, déclare Gérard.

– Je vis ça tous les jours à la boulangerie, déplore Alexandre.

Il rentre, le fond de l’air reste frais.

Gérard, profitant d’une interruption de publicité, vient sur le pas de la porte, fait sursauter sa femme en la chatouillant de derrière. Alexandre rapporte l’histoire de la personne âgée qui réclame une caisse spécifique. Gérard dit :

– C’est chez Truffaut, il faut les voir les bonnes femmes. Ce sont elles qui gueulent. Ça ne va pas assez vite ! Et ils vont embaucher ! Il y a la queue jusque dans la rue. Ils ne prennent que 250 personnes à la fois. Ils sont graves, les gens !

Comme il s’énerve également contre les coupures publicitaires, Alexandre fait remarquer :

– C’est malheureusement ça les chaînes privées par rapport aux chaînes publiques.

 

Pour la première fois, Alexandre se résout à se pulvériser du spray Euvanol pour sa rhinite. Comme beaucoup, il n’aime pas s’administrer des médicaments et retarde leur utilisation.

 

Demain, 1er juin, Alexandre consultera sa page Facebook. Il s’astreint à n’aller sur le réseau social qu’une fois par mois depuis la pandémie, à cause des rumeurs et des fake news.

 

 

Coulombs, lundi de Pentecôte 1er juin 2020

 

Gérard et Fabienne repartent aujourd’hui. Ciel bleu.

 

Les deux couples prennent le petit-déjeuner. Leur sujet de conversation porte sur la maison de campagne de Lacroixville. Mylène et Alexandre l’ont choisie parmi quatre offres immobilières bretonnes visitées le même samedi pluvieux. L’évocation de l’agent immobilier qui, tout d’un coup, fait observer au couple une fuite au plafond d’une des maisons les met de bonne humeur : visiblement, il ne cherchait pas vraiment à vendre le bien. La maison de Lacroixville était classée en dernier par le couple lors de la première sélection sur Internet. Elle s’est avérée la plus honnête et la plus intéressante, habitable sans grands travaux tout de suite. Elle est équipée de fenêtres avec double vitrage et est raccordée au tout-à-l’égout.

 

Alexandre lit le mail de sa copine américaine Pamela de Los Angeles. Il est heureux d’avoir un retour immédiat à son envoi d’hier.

 

Pamela lui a dit qu’il a des cheveux gris et qu’elle a pensé à lui en ressortant des assiettes qu’il lui avait offertes lors d’un voyage à Los Angeles avec son ex-femme, du temps où ils étaient mariés. Que de souvenirs !

Pamela est triste pour l’affaire George Floyd et pense que leur président est un « porc ».

 

Sur le trajet du retour, juste après leur départ, Fabienne a rappelé du portable de Gérard pour dire qu’on vient de leur apprendre que l’entreprise de leur fils a pris feu ce matin. Un compresseur surchauffé serait à l’origine du sinistre. Quel malheur !

Sur Facebook, Alexandre a posté une publication sur le scandale du meurtre de George Floyd. Mylène a liké.

 

Une coupure d’électricité a fait craindre à Mylène qu’elle ne pourrait pas regarder la reprise du feuilleton Un si beau soleil de France 2 qui redémarre ce soir selon la nouvelle formule post-confinement. Par un SMS, la voisine du fond de l’allée demande à Mylène si la coupure d’électricité la concerne aussi. Mylène confirme. La voisine n’est pas là, mais elle reçoit une alerte à distance sur son smartphone.

 

Heureusement, l’électricité est revenue peu après dix-huit heures.

 

Alexandre a écrit à Camille et sa sœur Francine pour leur donner des nouvelles. Ils font partie des invités à la fête du 12 juillet et, dans l’incertitude, Alexandre donne des nouvelles pour garder le lien d’amitié.

 

Chère Francine, cher Camille,

 

J'espère que vous allez bien ainsi que la famille. Pour ma part, je suis heureux d'avoir traversé cet épisode en gardant une relative bonne santé et dans de bonnes conditions en Eure-et-Loir avec Mylène. Je pars demain en Bretagne après 4 mois d'absence pour entretenir la maison laissée en friche. J'espère que le virus ne sévira plus cet été pour que la vie reprenne plus normalement. J'attends ce que le gouvernement dira pour la phase 3 à partir du 22 juin.

Rétrospectivement, je me dis que j'ai bien fait d'aller voir mon cousin en Allemagne en janvier dernier et d'avoir à cette occasion visité Berlin, capitale que j'ai retrouvée presque tous les soirs à la télé.

 

Je vous embrasse,

 

Lan
06XXXXXXXX

 

Alexandre verra avec la mairie de Lacroixville vendredi prochain pour savoir s’ils sont autorisés à louer leur salle des fêtes dans le contexte actuel.

 

À partir d’aujourd’hui, Alexandre se met plus intensément à son projet de retrouver trace de ses camarades de classe de prépa Maths sup du Lycée Champollion de Grenoble. C’est bien aléatoire, mais il ne se sent pas de cœur à abandonner ce qu’il avait déjà initié depuis un an, bien avant la pandémie.

 

L’année dernière, il est allé à l’assemblée générale de l’association des anciens élèves et des élèves du Lycée Champollion. Il est en contact par mail et Facebook avec trois responsables de l’association. Il a même appris sur place que les archives du lycée ont été transférées au département et que, suite à une inondation, le bâtiment est inaccessible pour une durée indéterminée en raison des travaux.

Le Président de l’association des anciens du Lycée a appuyé sa démarche sur Facebook en faisant un appel au réseau :

 

Cher réseau,

Alexandre BATONNIER, qui a fait l'effort de se déplacer de Paris pour participer à l'Assemblée générale du 13 juin, est à la recherche de ses camarades de classe Maths sup 1969-1970 (générations 1950 à 1953).

Nous vous invitons à partager en masse ce post et les photos ci-jointes de Alexandre BATONNIER, inscrit à l'époque sous le nom de NGUYEN Ngoc Lan.

Vous pouvez le contacter sur Facebook et retrouver sa biographie "Baby Lan" parue chez l'Harmattan, Paris, en 2016.

Si les noms MUNIER, RIVIERE de cette génération 69-70 vous interpellent, merci de partager !

 

 

Il y a quelques jours, il a tenté d’envoyer des messages à trois contacts de trombi.com, tout en limitant sa demande à trouver un correspondant pour l’aider dans sa démarche. Car, c’est difficile de chercher en étant à Paris. En plus, il n’est resté que neuf mois à Grenoble et a changé de noms et de prénoms. Par ailleurs, le lycée classe les années de sortie selon les années du bac et non pas selon les années de prépa, qui sont post-bac. Toutes ces subtilités, il espère pouvoir les exposer à un correspondant sur place à Grenoble ou dans le département de l’Isère pour qu’il puisse affiner les demandes de contacts.

 

Ainsi, à un certain Gérard Miac, Alexandre a fait parvenir le message suivant :

 

Objet : Ma recherche des camarades de classe de Maths sup (1969-70) du Lycée Champollion de Grenoble, Isère (38), France

 

Après avoir fait Maths sup au lycée Champollion (inscrit sous le nom NGUYEN Ngoc Lan, année scolaire 1969-1970), je suis allé au Lycée Saint-Louis à Paris faire Maths spé et j'ai intégré l'X en 1971. J'ai changé de nom, devenant Alexandre BATONNIER. Vous trouverez mon compte Facebook sous ce nouveau nom (ma photo permet d'éviter les confusions). Les promotions de Champollion sont apparemment classées par année de sortie (sans doute de terminale). J'essaye cependant de trouver un correspondant pour ce hiatus justement. Peut-être que quelqu'un connaît quelqu'un qui connaît quelqu'un qui connaît... Entre 2 personnes quelconques dans le monde, il n'y a que 6 ou 7 étapes, vous savez bien. Alors, si vous pouvez m'aider à faire ces sauts de puce, je vous serais reconnaissant. Surtout que je pense que mes anciens copains ont dû avoir/doivent avoir des enfants et petits-enfants qui ont été à Champollion. Merci par avance.

 

Un mail où je peux être joint a.batonnierXXX@laposte.net

Alexandre Batonnier sur Facebook Messenger/Compte d'auteur chez l'Harmattan (ma biographie « Baby Lan ») et Edilivre (« La solitude de l'écrivain »), éditeurs français et Amazon (recueils de haïkus et haishas)

 

Sobriété et frugalité sont les deux valeurs de la philosophie de vie d’Alexandre. Retrouver des amis de son adolescence en France est le projet qu’il se donne pour l’avenir immédiat. Il se sentira heureux d’avoir de leurs nouvelles et de pouvoir leur dire qu’il va bien, tout simplement. C’est la seule raison pour laquelle il donne autant de détails sur son changement de noms et sur son parcours depuis cinquante ans en France. Non, ce n’est pas pour promouvoir ses livres qu’il les cite, ni pour se « faire de la pub », c’est bien pour que ses anciens camarades aient éventuellement l’idée de le contacter sur ses comptes d’auteur chez les éditeurs dont les sites sont accessibles au grand public.

 

Le journal de 20 h de France 2 est présenté par Anne-Sophie Lapix. Alexandre y a vu deux clins d’œil à son propre projet d’aller en Bretagne le lendemain. D’abord, pour la levée de la limite des 100 km, l’exemple d’une femme qui a emménagé à Boulogne-Billancourt pour la première fois hors de chez ses parents et qui va rentrer voir sa mère à Montauban-de-Bretagne demain par le train, 376 km. Or cette ville est sur le trajet d’Alexandre pour Lacroixville. Puis, dans la revue des Destinations France pour suggérer des lieux de vacances pour les Français, c’est la presqu’île de Crozon dans le Finistère, également en Bretagne, qui est à l’honneur.

 

Dans les trains, le taux de remplissage pourra être de 100% à partir de la mi-juin. Alexandre pense que les restaurateurs vont protester, car, à eux, on impose des règles strictes de distanciation sociale. Pour Paris, la maire a annoncé l’occupation gratuite de certains trottoirs et de places de stationnement par les patrons de bistrots et de restaurants. Certaines rues pourront être neutralisées à la circulation pour en faire des terrasses de cafés, bars et restaurants.

 

Alexandre a montré à Mylène l’image du Pont-Neuf entoilé par Christo en 1985 : il avait vu en vrai.

 

Mylène est venue voir le reportage sur le tournage dans l’Hérault de son feuilleton selon les nouvelles normes. Pour respecter le protocole sanitaire, les scènes de proximité ont été réécrites. Quelques tours de passe-passe ont été évoqués pour donner une illusion d’intimité. En tous cas, pas de scènes de baisers pour le moment. Les comédiens sont très contents de reprendre.

 

Pour la météo, Alexandre note que vendredi prochain il est annoncé de la pluie sur la Bretagne.

 

 

Lacroixville, mardi 2 juin 2020

 

Aujourd’hui, Alexandre part enfin pour Lacroixville. Sur la route, il a repensé à ce que lui a dit Mylène le matin même. Mylène s’est levée bien avant Alexandre et avait pris seule le petit-déjeuner. Quand Alexandre l’a rejointe, comme d’habitude Mylène lui a préparé trois tranches de pain grillées dont deux sont beurrées et versé une tasse de café. Regardant Alexandre manger sa tartine, Mylène lui fait remarquer que, d’après une étude, les couples qui ont bien vécu leur confinement sont ceux qui vont durer. Leurs regards se sont rencontrés et, en silence, ils se sont félicités de se retrouver dans cette catégorie.

 

Les aires d’autoroute ont mis en place un protocole sanitaire. D’abord, un sens de circulation. Dans les toilettes hommes, ils ont neutralisé un urinoir sur deux. Pour certaines boutiques, la commande passe par un guichet, équipé d’un écran en plexiglas. Les cafétérias sont encore fermées. Pas de distributeurs de cafés en fonctionnement.

 

À propos de la levée de la limite des 100 km aujourd’hui, France Bleu donne la parole à une auditrice de Bastia. Elle attend sa fille qui vient du continent pour célébrer la fête des Mères dimanche prochain. Alexandre se fait la réflexion que les autorités ont certainement fait exprès d’abandonner la règle des 100 km juste afin que les familles puissent se réunir. On a été sauvés par la fête des Mères, se dit-il.

 

Alexandre arrive à destination un peu avant 19 h. Quand il a voulu prévenir Mylène en l’appelant de sa ligne fixe, il a la désagréable surprise d’entendre un message de panne de réseau. La ligne de la maison dépend en effet de la Livebox Internet d’Orange. Du coup, Alexandre appelle Mylène par le portable qu’il appelle son « 07 », car il correspond à un abonnement chez Free qui capte mieux dans la maison que l’autre portable, son « 06 », dont le numéro correspond un abonnement à La Poste Mobile. Guidée par Alexandre, à son ordinateur à Coulombs Mylène se connecte sur l’espace personnel d’Alexandre chez Orange et déclare la panne et une demande d’intervention pour sa Livebox et la ligne fixe. Orange accuse réception et informe que le rétablissement du réseau aura lieu au plus tard le 4 juin avant 18 h. Dans la foulée, Alexandre demande l’inscription du numéro de son « 07 » en remplacement de son « 06 » pour que le technicien puisse le joindre le cas échéant. Bien que son « 07 » soit inscrit sur l’espace personnel, Alexandre s’apercevra, sur les deux jours de dépannage, qu’Orange continuera d’envoyer des SMS au sujet de l’intervention sur « son 06 » ! « Quelle bande ! », comme dirait une de ses amies. En cas d’urgence vitale, il ne faudra surtout pas changer de numéro de téléphone portable de contact sur son compte personnel chez Orange. C’est ce que retiendra Alexandre.

 

Pour vérifier si son désagrément viendrait de son équipement individuel ou du réseau extérieur, Alexandre appelle un couple de voisins, Philippe et Marièle. Ceux-ci confirment qu’ils ont eu toute une semaine de panne d’Internet pendant le confinement, due à l’inondation d’un regard au bout de la rue. Cette information rassure Alexandre qui se dit que son problème trouve sans doute son origine dans cette perturbation générale, mais qu’il n’en a connaissance qu’en venant sur place aujourd’hui.

 

Alexandre se félicite d’avoir pris un troisième abonnement chez Free quand il a emménagé à Lacroixville, ce qui lui permet d’avoir au moins un accès au réseau aujourd’hui. Dans un désert numérique comme ici, aucun opérateur autre que Free n’a un émetteur qui permette de couvrir tous les endroits à l’intérieur des résidences dans le quartier. Une de ses voisines a un abonnement de portable chez Orange et elle est obligée de se tenir dans un endroit spécifique élevé dans sa propre maison sans trop bouger pour tenir une conversation. La galère ! Le télétravail ne sera pas possible tout de suite sur tout le territoire !

 

 

Lacroixville, mercredi 3 juin 2020

 

Après une nuit gâchée par une crise d’allergie saisonnière de trois heures, Alexandre entame sa première journée de résidence secondaire post-confinement.

 

Par la fenêtre de la salle de bains, il voit les voisins de la rue qui mène au Morbihan, Michael et Marie-Ange, déjà affairés à leur potager. Il leur dit bonjour. Après quelques échanges, ils offrent une salade à Alexandre et se proposent de le lui remettre en la déposant au portillon qui sépare leurs jardins. Plus tard, Michael viendra en fait remettre la salade à Alexandre en main propre. Le produit de leur jardin est énorme. Alexandre s’enquiert sur le nom de l’espèce. Michael n’a pas su répondre. Alexandre s’en trouve confus. Il explique qu’il est juste curieux de connaître le nom des légumes.

 

Avec Michael et Marie-Ange, il est convenu qu’Alexandre vienne en début d’après-midi chez eux pour bénéficier de leur Wi-Fi, vu que sa Livebox Internet était en panne. Il est un naufragé du réseau !

 

 

Lacroixville, jeudi 4 juin 2020

 

Alexandre s’est levé tôt pour la venue du technicien du chauffagiste. Comme à 8 h 30 passées celui-ci n’est toujours pas là, il trouve une occupation compensatoire en appelant l’entreprise de fuel pour demander où en est sa commande d’hier auprès de la dame du secrétariat. Le patron qui le prend au téléphone n’a pas su lui répondre et, pour plus de sûreté, lui redonne rendez-vous pour le lendemain à 8 h 30. Le patron précise que, si toutefois le conducteur du camion de fuel a déjà prévu de le livrer dans sa tournée d’aujourd’hui, le livreur appellerait directement Alexandre sur le trajet.

 

Le technicien du chauffagiste est arrivé peu après. Il sonne à la porte et met ses gants quand Alexandre est allé lui ouvrir. Alexandre lui propose un café, le technicien lui répond qu’il le prendrait au moment d’établir le certificat de visite. Alexandre l’informe que le livreur de fuel passera le lendemain. Comme le technicien lui conseille d’attendre cinq à six heures après le remplissage de la cuve avant de remettre en route la chaudière à cause de la pression, Alexandre a pensé à lui demander s’il pourrait regarder l’état du bouchon de la cuve de fuel qui lui semble défectueux, et éventuellement de lui trouver un autre si possible, vu la vétusté de l’installation.

Alexandre explique qu’il cumule toutes les tâches d’entretien de la maison à la sortie du confinement.

 

– J’ai encore mes cheveux à faire couper, ajoute Alexandre.

– Je vois, comme moi quoi, répond amusé l’agent chauffagiste.

 

Le technicien est monté en haut du toit du garage pour inspecter le bouchon de la cuve. Il a rassuré Alexandre sur l’état du dispositif de fermeture du réservoir.

Au moment où le chauffagiste finit de prendre un café avec Alexandre, celui-ci reçoit un appel de la secrétaire du marchand de fuel qui lui confirme la promesse de son patron que la livraison aura bien lieu le lendemain. Elle explique qu’elle n’appelle en général que la veille pour une livraison le lendemain, c’était pourquoi elle n’avait pas appelé Alexandre hier, car aucune livraison ne lui est destinée pour aujourd’hui. Après avoir raccroché, Alexandre se dit que la secrétaire a une drôle façon de procéder avec les clients et qu’elle a dû se faire reprendre par le chef d’entreprise.

 

À la fin de l’intervention du chauffagiste, Alexandre le remercie et lui dit de transmettre son bonjour à son collègue.

 

Sur Facebook, Alexandre partage une vidéo de 9 minutes 30 secondes du groupe J-Terre, intitulée Horizon 2030 Un Avenir Désirable avec ce commentaire :

 

Là où la femme redevient l'avenir de l'homme...

 

Bonjour,

 

Cette vidéo rejoint par bien des aspects ce que j'ai mis par écrit sur ma page Facebook fin décembre 2018, début janvier 2019 sur ma vision du monde et du vivre ensemble. C'est pourquoi je la partage. Il m'arrive aussi de repartager ces textes de 2018-2019 qui résument ce que j'ai à dire, pour éviter les répétitions.

Voir aussi mon récit « Baby Lan » (chez l'Harmattan, Paris, 2016) où j'exprime le vœu que mes enfants ne deviennent pas des « chairs à canon économiques », ainsi que « La Solitude de l'écrivain » (Edilivre, 2017) pour ma philosophie du « vivre ensemble » moderne.

 

Bonne continuation.

 

Amitiés,

Alexandre Batonnier, auteur

France, 4 juin 2020

 

 

Lacroixville, vendredi 5 juin 2020

 

Alexandre a dormi en deux séquences cette nuit. Vers 4 h, il s’est mis à consulter Facebook sur son smartphone. Maintenant que le Wi-Fi est revenu, il ne craint plus de dépasser le forfait.

 

À 4 h 16, il a partagé sur sa page une chronique de Pascale Seys :

 

Musiq3-RTBF

 

Rétro 2019 - À l’aube de l'année dernière, Pascale Seys s’interrogeait sur ce que signifie commencer une journée et une nouvelle année. Cela reste bien évidemment valable pour 2020. » Alexandre a ajouté un texte d’accompagnement :

 

« Demain est un autre jour.

Bonjour,

"Comme au passant qui chante, on reprend sa chanson"

 

Amitiés,

 

Alexandre Batonnier, auteur

France, 5 juin 2020

 

6 h 13. Afin d’aller se reposer un peu avant la livraison programmée du fuel prévue pour 8 h 30, il a envoyé par voie électronique son manuscrit à un ultime éditeur se présentant comme un éditeur à compte d’éditeur.

 

Il a pris des photos du livreur de fuel en train de remplir sa cuve en haut du toit du garage. Il explique qu’il photographie pour pouvoir montrer à ses enfants comment entretenir la maison et ses équipements d’une manière régulière et de routine. Car ce sont des enfants de la ville.

 

À 10 h, quelle ne fut sa surprise de trouver la réaction rapide d’un des éditeurs à son mailing d’hier soir l’informant qu’il est intéressé par son manuscrit, à classer dans l’une des deux de leurs collections ! Alexandre se dit qu’il a bien fait d’engager sa campagne d’envoi électronique. Il lui a fallu du temps pour pointer une à une les maisons d’édition qui acceptent les manuscrits sous format numérique. Beaucoup de structures restent en effet traditionnelles et n’acceptent que des textes sur papier. Et puis, certaines n’existent plus ou ferment pendant la période de pandémie. Enfin, pour toutes, Alexandre a parcouru leur catalogue et vérifié leur ligne éditoriale pour être sûr de ne pas faire fausse route.h

 

Alexandre est heureux de prendre connaissance de la réponse de Francine en date du 2 juin :

 

Merci de tes nouvelles Lan. Contente que vous alliez bien, et que tu te déconfines complètement en Bretagne! Nous ça va ... Bernard est toujours en télétravail et en région parisienne c'est encore un peu tendu. Nous espérons pouvoir aller à Saint-Avé du 29 juin au 11 juillet garder nos petits-enfants.

 

Il était presque minuit quand Alexandre a appelé Mylène pour lui dire qu’il tombe de sommeil et lui souhaiter bonne nuit.

 

Ce matin, Alexandre est allé au bureau du marchand de fuel pour régler la facture par carte bancaire (il aurait pu régler hier au chauffeur-livreur, mais celui-ci n’est habilité qu’à accepter des chèques). Puis, il s’est rendu dans la commune voisine de Plomot au bureau du chauffagiste également pour payer la note de contrôle de la chaudière. En attendant l’autorisation de paiement pour sa carte bancaire, Alexandre complimente le chauffagiste pour les photos de femmes en tenue suggestives affichées parmi les étagères de matériels. Puis il s’est renseigné auprès du chauffagiste sur la dentiste qui s’est établie récemment dans la commune. Comme le chauffagiste en dit du bien, Alexandre déclare qu’il irait la consulter.

 

– Ah, mais vous n’y trouverez pas le même type de silhouette, plaisante le patron en désignant les silhouettes aguichantes de sa boutique.

– Oui, mais ça m’arrange. Avec la vague #MeToo, j’ai toujours peur d’être piégé par une de ces belles créatures !

 

À Plomot, Alexandre contrôle s’il a des messages sur le portable 06 qui capte en ville. Il en profite pour appeler Mylène et avoir quelques nouvelles. Il fait 17°C à Coulombs avec un temps variable et beaucoup de vent. À Plomot, il fait 18°C avec un ciel nuageux, mais sans vent.

Sur le trajet du retour, Alexandre s’arrête dans centre de Lacroixville pour prendre à la pharmacie des solutions pour pulvériser dans la gorge et dans les narines en cas de crises d’allergie saisonnière. Par précaution, Alexandre achète aussi un tube de pommade contre les piqûres d’insectes.

 

À midi, il a fait sa soupe chinoise avec le reste de bouillon de poulet à la courgette de l’avant-veille.

 

Quand il a appelé Mylène en début d’après-midi avant d’aller à la sieste, elle lui a parlé du décès soudain, car rapide par cancer, d’une amie commune avec Hector. Elle a donc prévenu ce dernier.

 

Dans l’après-midi, pour changer de menu, il a sorti les sachets de soja et de riz gluant entreposés depuis quelque temps dans le placard de la cuisine. Quel ne fut son étonnement de lire que l’un est périmé depuis 2017 et l’autre depuis 2018 ! Cependant, comme les graines ne présentent aucune moisissure, Alexandre décide de les consommer comme d’habitude en les laissant tremper une nuit avant de les faire cuire à la vapeur le lendemain matin.

 

Ce soir, Alexandre est trop fatigué pour lire. Il a appelé Mylène peu après 20 h pour lui dire qu’il se couche et lui souhaiter bonne nuit. Dans la nuit, il s’est réveillé une fois. Regardant l’heure, il était intrigué de lire « 22 h 27 ». Puis il s’est souvenu qu’en fait cela signifie qu’il s’est assoupi depuis un peu plus de deux heures seulement. Donc, c’était normal.

 

 

 

 

Lacroixville, samedi 6 juin 2020

 

S’étant levé tôt, vers 5 h du matin, Alexandre s’est fait un décaféiné, afin de se rendormir facilement le cas échéant. Il prend une douche froide pour se sentir bien. Puis il s’est souvenu de la casserole de soja et de riz gluant qu’il a fait tremper la veille. Il redescend à la cuisine installer le couscoussier en veillant à y mettre assez d’eau, car il a utilisé le contenu intégral des deux sachets périmés et c’est bien plus que ce qu’il cuit habituellement. Il règle le gaz puis remonte dans la chambre pour lire au lit, son plaisir favori.

 

Au bout d’un quart d’heure, il descend touiller avec une paire de baguettes le riz gluant au soja pour rendre plus régulier l’effet de la vapeur. Il prend des photos de sa manipulation des baguettes pour pouvoir en faire une illustration pédagogique à l’occasion. Alexandre ne peut se passer de faire usage de ces ustensiles exotiques quand il cuisine. Il mélangera son riz au soja ainsi deux fois encore avant d’arrêter au bout de cinquante minutes de cuisson, après avoir goûté à chaque fois pour en vérifier la qualité.

 

Il fait partir la vapeur en enlevant le couvercle et en installant le panier sur une assiette creuse afin que le riz au soja ne s’imbibe pas de la condensation. Puis il remonte continuer sa lecture au lit, étant assuré d’avoir l’essentiel de son futur déjeuner et heureux d’avoir pu éviter de gâcher de la nourriture en principe périmée.

 

Plus tard, vers 9 h, Alexandre lance une lessive et se fait son petit-déjeuner avec un vrai café. Vers 10 h, il se rappelle qu’il doit prendre son antihistaminique au moment où il compte appeler Mylène. Elle lui dit qu’elle a eu Hector au sujet du décès de leur amie commune. Alexandre informe Mylène que sa bru Pauline lui a proposé de venir se faire couper les cheveux demain, dimanche, en début d’après-midi. Mylène s’étonne, car demain, c’est la fête des Mères. Alexandre confirme que le rendez-vous a été effectué par SMS. Mylène se dit que Pauline aurait juste prévu de déjeuner chez sa mère puis de rentrer en début d’après-midi pour la coupe.

 

Vers 11 h, Alexandre appelle sa fille Emily. Il lui apprend qu’il a deux éditeurs qui sont intéressés par son manuscrit sur le déconfinement, dont l’un lui a proposé un contrat et l’autre lui a fait savoir qu’il verrait bien son ouvrage dans leur collection Fiction et Réalité ! Emily dit qu’elle a appris que les éditeurs ont reçu une avalanche de manuscrits à l’issue du confinement et que c’est une très bonne nouvelle si le manuscrit de son père a été remarqué par deux éditeurs. Alexandre fait savoir qu’il va attendre deux à trois semaines pour avoir le verdict du comité de lecture du deuxième éditeur. Ensuite, ils ont eu une longue conversation sur l’orientation de carrière d’Emily, car elle est en négociation avec un employeur potentiel pour booster son parcours tout en prévoyant d’avoir un enfant dans un an. Là où elle est, elle n’a plus de perspectives autres que la routine.

 

Alexandre a demandé des nouvelles des camarades de promo de sa fille qui sont déjà mamans. Emily a raconté l’anecdote de Karin dont le bébé répète un mot non identifié qui sonne comme « psychopathe ». Intriguée, Karin a mené l’enquête. Puis, un jour, en visite chez la nounou, elle découvre que son bébé dit le mot à propos de l’invitation de la nourrice à manger de la compote. Alexandre a rappelé à Emily une anecdote analogue de sa propre enfance. Elle chantonnait la chanson du meunier et quand le moulin va trop vite, elle substituait « katovite ».

Leur conversation a duré 1 h 42 min 33 s !

 

18 h. Alexandre se fait un déca.

18 h 09. Alexandre conclut l’échange par un SMS à Emily : « Tu diras à Karin que tu chantais “Meunier tu dors, ton moulin katovite” » Thibault disait “range-mange” pour le frigo ! Biz, Papa »

 

 

Lacroixville, dimanche 7 juin 2020, fête des Mères

 

Francine lui fait savoir qu’elle ne viendrait pas. Alexandre prépare un mail qu’il destine à son frère Camille pour l’informer de l’annulation de la fête du 12 juillet :

 

Cher Camille,

 

J’espère que tu es sain et sauf, ainsi que tes proches. Pour ma part, je suis resté confiné avec Mylène en Eure-et-Loir et tout s’est bien passé. J’ai écrit un livre que j’ai envoyé électroniquement (télétravail ?) à des éditeurs dont deux sont intéressés, avec un contrat déjà proposé par l’un (signature électronique possible). J’attends le verdict du comité de lecture du deuxième pour voir si cela aboutit à un autre contrat. Je t’en reparlerai.

 

J’ai attendu la phase 1 du déconfinement pour aller à Paris relever mon courrier et les PV éventuels. J’ai attendu encore plus patiemment la levée des 100 km pour aller en Bretagne, en me disant que j’aurais peut-être intérêt à m’acheter une résidence tous les 100 km...

 

En attendant, dans le contexte d’incertitude actuelle, j’ai le regret de t’informer que j’annule la fête prévue le dimanche 12 juillet 2020 à la salle des fêtes de Lacroixville, Côtes-d’Armor, en Bretagne. En effet, la mairie, que j’ai contactée hier, n’a encore aucune directive gouvernementale sur la possibilité ou non de louer cette salle pour la phase 3 du déconfinement. Ils m’ont proposé d’attendre la fin du mois de juin pour me prononcer, mais alors les délais ne seront plus compatibles avec les commandes logistiques aux prestataires ni avec une demande de confirmation de votre présence comme j’avais prévu dans mon invitation de janvier dernier. Avec ce motif, j’ai donc annulé la réservation de la salle.

Je suis vraiment désolé, car certains de mes amis m’ont déjà réservé cette date et des camarades de l’X étaient intéressés. Je souhaite qu’un vaccin soit trouvé pour qu’on puisse sortir et se retrouver librement.

 

Je te dis donc à une autre fois. Si tu as l’occasion de passer en Bretagne, n’hésites pas à me faire coucou. À la maison, il y a moins de contraintes réglementaires que dans un espace public.

En ce qui concerne les activités associatives et musicales de Mylène, tout est à l’arrêt. Le maire de Lucé a annulé toutes les rencontres programmées jusqu’en septembre.

 

Fraternellement,

 

Lan

06XXXXXXXX/un numéro qui passe mieux en Bretagne : 07XXXXXXXX

Alexandre Batonnier

3, rue du Bâton

22210 Lacroixville

 

À partir de ce même texte, Alexandre prépare un mail circulaire qu’il adresse à tous les autres invités pour les aviser de sa décision.

 

Se servant du retardateur, Alexandre se fait une séance photo au bureau monastère avec les longs cheveux du confinement avant leur coupe dans quelques heures.

 

Alexandre a fait huit minutes de taille de mauvaises herbes sous une pluie fine. Il a arrêté quand les gouttes tombent plus fortes. Ses yeux deviennent embués. L’accalmie a été de très courte durée. Alexandre est heureux, car il a eu un retour de la fille de sa marraine, Bénédicte, pour ses vœux de fête des Mères. Bénédicte va l’appeler en fin d’après-midi sur son 07. Et il a eu le plaisir d’avoir Emmanuel sur leur fixe : avec Christelle, ils venaient juste de rentrer de chez le fleuriste pour récupérer des bouquets de la fête des Mères ! Une chance.

 

Ce matin, il a eu un retour en vietnamien de Nhu Ly. Cela l’a rendu de très bonne humeur.

Trois renouements de contact d’amitiés dans la même matinée, quel bonheur !

 

13 h 16. Pauline a appelé au moment où Alexandre s’apprêtait à la rappeler suite à son SMS pour reporter la coiffure à 16 h. Ils sont d’accord pour le report, car il n’y a pas d’urgence et ce n’est pas la peine de se stresser. Pour la fête des Mères, ils ont en fait déjà fêté avant pour des questions d’agenda des enfants.

 

13 h 34. Photo de dos pour la longueur de cheveux sur la nuque.

13 h 35. Photo de l’arum de près, et Alexandre a la désagréable surprise de découvrir qu’il y plein d’insectes sur la fleur qu’on ne voit qu’en s’en approchant. Pourtant, du haut de la salle de bains, sa blancheur éclatante sous un ciel gris avait séduit Alexandre.

Il règle son appareil photo à l’heure d’été.

 

13 h 42. Alexandre goûte au bonheur de l’amitié en prenant connaissance de la réponse de son ami Maurice Kass. Youpi !

 

Le mail dit :

 

Merci pour ton message. Je n'avais pas enregistré la date du 12 juillet, car au moment de ton mail j'étais dans le coma. J'ai été opéré le 14 janvier suite à une embolie pulmonaire qui m'avait, en cadeau, laissé 2 gros caillots dans l'artère pulmonaire.  Extraction seulement possible par opération.  Tout s'est bien passé, mais à J+3 J'ai fait une dépression pulmonaire aiguë qui a nécessité la mise en coma. J'y suis resté 7 semaines.  Je n'en ai aucun souvenir.  Puis 4 semaines confiné dans un centre de rééducation.  Je suis rentré chez moi fin avril. Aujourd'hui je vais bien, mais la route est encore longue pour retrouver ma forme ancienne.

 

Avant l'opération j'avais commencé à écrire un livre sur mon expérience Mongolie. Je l'ai terminé après mon retour et envoyé à mon éditeur habituel. J'attends son verdict.

 

Je pars demain dans les Alpes-Maritimes pour un bref séjour et je pense aller au Pornic vers le 20 juillet. J'ai bien noté ton invitation.

 

Amitiés, 

Maurice

 

Son ami Édouard, qui était venu avec sa femme au déjeuner qu’Alexandre et Mylène avaient organisé en décembre dernier à Coulombs, a répondu aussi à sa lettre d’annulation de la fête du 12 juillet en Bretagne.

 

13 h 50. Quel plaisir de prendre connaissance de la réponse du couple qui tient le café des Vieux de Saint-Ivy.

 

Des moments de bonheur des amitiés fidèles.

 

Courte sieste avant de se rendre chez Pauline pour 16 h.

 

Photos du soir prises de la chambre d’un ciel quadrillé par les voltiges des hirondelles sous un voile nuageux.

 

 

Lacroixville, lundi 8 juin 2020

 

Alexandre s’est levé tard, alors qu’il s’était couché vers 23 h la veille. Le soleil est là. Il disparaîtra en début d’après-midi.

 

Après avoir pris son petit-déjeuner, Alexandre consulte ses mails. Il a été agréablement accueilli par le retour de Patrice à son courrier circulaire de samedi. Alexandre est en effet très désolé, car des amis ont réservé la date dès la première missive de la « vie d’avant ».

 

La réactivité de Patrice renforce leur lien épistolaire, ce qui encourage Alexandre à maintenir leur échange. Patrice lui a demandé des précisions sur son nouveau livre à paraître. Alexandre lui répond qu’il attend d’avoir choisi un contrat de publication avant d’en dire plus. Il le tiendra au courant.

 

Au téléphone, Mylène lui apprend qu’au JT de 13 h ils ont montré une grosse manifestation organisée à Houston, au Texas, pour préparer les funérailles de George Floyd.

 

Après une courte sieste, un peu avant 15 h Alexandre appelle un éditeur pour lui demander de préciser l’horizon de temps du délai de son comité de lecture. Il appelle aussi une maison d’éditions qui lui a déjà envoyé un contrat par voie électronique pour demander s’il doit informer qu’il souhaite un délai de réflexion. On lui a répondu qu’il n’y a rien à faire, il suffit de ne pas répondre tout de suite.

 

Alexandre a une pensée pour son fils Thibault : l’examen du permis de conduire reprend à partir d’aujourd’hui.

 

Sur le trajet du retour de ses courses à Loudéac, Alexandre était dans ses pensées de publication et s’était trompé de route. Il se dirigeait vers Pontivy. Il a dû rebrousser chemin. Il a fait l’acquisition de boxers en promotion. À la radio, il a écouté le discours du ministre de l’Intérieur sur la déontologie des forces de l’ordre. La question qu’Alexandre se pose est : est-ce qu’en France un policier ou un gendarme laisserait un passant filmer une arrestation pendant neuf minutes et demie. Puis, le média donne la liste des pays imposant des conditions d’entrée strictes au Français, en citant l’Espagne et le Royaume-Uni, avec l’instauration de quatorzaines.

 

Il a goûté avec des madeleines puis des prunes chinoises salées et sucrées.

 

Pour le désherbage de fin d’après-midi, il s’est équipé de chaussures montantes de marche, d’un tablier, de gants qui lui couvrent tout le bras, de lunettes et d’un masque FFP3. Il s’est mis en scène en photo et a adressé la prise de vue à sa fille et à ses amis proches.

 

 

Lacroixville, mardi 9 juin 2020

 

Aujourd’hui, Alexandre a une pensée pour George Floyd dont les obsèques ont lieu à Houston, Texas, où la victime du meurtre par un policier de Minneapolis était née et avait grandi. Alexandre l’a partagé sur sa page Facebook.

 

Alexandre avait mis le réveil pour être sûr de se lever à l’heure pour donner sa voiture pour le rétablissement des pneus d’été. Quand il est arrivé au garage, le hasard l’a fait rencontrer l’ancien propriétaire du garage, Vivien. Ils ont sympathisé. Comme le garage n’avait pas de voiture de prêt pour lui permettre de repartir, la révision des dix mille kilomètres étant plus longue que la simple remise des pneus de saison, Vivien s’est proposé de le ramener chez lui puis de rapporter son véhicule au mécanicien. Vivien a pris le temps de prendre un café chez Alexandre et est reparti avec un recueil de haïkus que l’écrivain lui a offert.

 

15 h 08. Alexandre vient de désherber devant la maison et sur les deux grandes parcelles de son jardin. Mais, il n’a pas mis ni son masque FFP3, ni ses lunettes de protection, ni ses gants, ni son tablier, ni ses chaussures de randonnées, car il s’est concentré sur les herbes bien moins agressives que les laitrons qui, eux, lui donnent de l'urticaire et de l’allergie. Puis il a débouché la baignoire sabot qui recueille l’eau de pluie (il a gardé l’installation de l’ancien propriétaire) et qui était bouchée à cause des feuilles mortes et des débris de brindilles.

 

Il attend le coup de fil de l’éditeur P., mais il sait d’avance qu’il ne le choisira pas, car c’est en fait un éditeur à compte d’auteur.

 

Voilà, c’est fait. La dame des éditions P. l’a appelé à 15 h 40. Alexandre a tout de suite dit qu’entre-temps il a reçu une autre proposition qui lui coûterait moins cher et qu’il souhaite en rester là. Elle a abrégé la conversation en lui souhaitant bonne chance.

 

 

 

 

Lacroixville, vendredi 12 juin 2020 (matin)

 

Hier matin, Alexandre a découvert un problème avec le toit en tôle de l’abri de sa cuve de fuel. Les vents forts ont soulevé un bout du zinc et l’ont fait claquer. Au début, Alexandre ne trouvait pas d’où les claquements secs et intermittents venaient. C’était par intermittence. Il a observé ses volets, ceux de la voisine, le couvercle de la cheminée du barbecue de plein air construit en dur. Non, rien ne bougeait de ces côtés-là. Puis, en sortant dans le jardin, il a surpris un coup de vent faisant se soulever d’un bond tout un pan de la toiture abritant la réserve de fuel. Il s’estimait chanceux d’avoir déterminé la cause de son inquiétude pour ces bruits bizarres qui ne présageaient rien de bon juste le jour où il pensait quitter la Bretagne. Il était immédiatement soucieux de trouver une solution avant que le problème ne s’étende à l’ensemble de la toiture.

 

Alexandre a tout de suite appelé la SARL X qui était déjà intervenu pour une ardoise cassée l’année dernière. Il a eu la femme du couvreur SARL X, qui l’a assuré qu’elle va lui transmettre sa demande.

 

Dans l’attente, à son grand soulagement, Alexandre a réussi à colmater la brèche ouverte par les rafales : avec du fil de fer, un tendeur et une cordelette solide, il a rafistolé un système qui retient solidement le bord de la toiture en prenant appui sur un collier de la gouttière, un piton du mur et le cadenas du regard de la cuve. Déjà, il ne sera plus dans l’angoisse d’attendre une intervention d’urgence. Il pourra se permettre de repartir sans craindre une extension des dégâts et de revenir quand le professionnel serait libéré de ses autres chantiers. Alexandre se sent toujours heureux quand il peut partir le cœur léger. Il ne lui restait plus qu’à attendre le rappel du couvreur X pour convenir d’une intervention prochaine.

 

Cependant, hier en début d’après-midi, toujours pas de réponse. Alexandre a rappelé la SARL X et a laissé un message vocal. Comme dans l’annonce du répondeur, la SARL X indique qu’on peut aussi appeler à leur domicile, Alexandre a tenté également ce numéro et laissé un autre message vocal. En début de soirée, toujours pas de réactions de notre SARL X. Vers 19 h 30, Alexandre a essayé de nouveau de la joindre sans succès. En s’excusant d’appeler si tardivement, il a déposé un message sur chacun des deux répondeurs.

 

Enfin, excédé par le manque de civilité de cette société, Alexandre avait appelé ses voisins, Michael et Marie-Ange. C’était cette dernière qui a décroché.

 

– Bonsoir, Marie-Ange. J’ai le toit en tôle de la cuve de fuel qui est soulevé par le vent. Le vent a fait sauter deux vis. J’ai pu bricoler un truc, mais je cherche un couvreur pour une solution plus professionnelle. Est-ce que vous connaîtriez quelqu’un ?

– La SARL X. C’est eux que l’on fait intervenir chez nous.

– Je les ai appelés, mais depuis ce matin ils n’ont pas du tout rappelé malgré mes nombreuses relances. Je trouve cela un peu léger de leur part.

– Je pense à un jeune que je connais, Steven, qui travaille bien et qui est sur Plomot. Attends, je vais chercher sur Google et Internet, dans les Pages jaunes.

– Je reste en ligne.

 

Marie-Ange avait cherché un long moment les coordonnées d’un couvreur sur Plomot sans succès. Alexandre lui a proposé de raccrocher pour lui laisser le temps de contacter la grand-tante de Steven pour obtenir l’information.

 

Marie-Ange était revenue vers Alexandre pour lui communiquer le numéro du domicile de Steven. Alexandre a immédiatement pris contact avec celui-ci et a expliqué la situation. Steven lui a fixé un rendez-vous pour le lendemain entre 8 h 30 et 9 h.

 

Même pour rencontrer un couvreur il faut passer par ses relations, s’était dit tristement Alexandre en se mettant à son dîner. Heureusement qu’il a pu rafistoler provisoirement lui-même la brèche. Il n’était pas absolument bloqué en Bretagne. C’est déjà ça.

 

C’était hier. Il s’était endormi heureux d’avoir trouvé un artisan disponible.

 

Il est 8 h 44, Alexandre attend le jeune couvreur, Steven, que Marie-Ange lui a recommandé hier soir. Dès qu’Alexandre entend un camion se garer devant la maison, il sort ouvrir. Il dit bonjour à Steven en tendant la main :

 

– Bonjour, on peut quand même se serrer la main, si vous voulez.

Sans hésitation, Steven accepte la main tendue.

 

Dans la cuisine, Alexandre lui montre les deux vis récupérées du toit. Il explique que l’une était projetée à distance dans une des nervures de la tôle et l’autre ne tenait plus dans son trou de passage.

Dans la courette, Alexandre installe l’échelle et montre le chemin en devançant Steven sur le toit-terrasse du garage pour accéder au niveau de la toiture de l’abri où est logé la cuve de fuel.

Steven enlève le fil de fer qu’Alexandre avait passé par le trou dans la tôle de la vis supérieure. Avec sa visseuse, il arrive à remettre la vis dans son logement. Mais pour la vis inférieure, le bois sous-jacent est trop pourri pour tenir. Steven devra revenir pour remplacer le support. Alexandre en profite pour lui demander de bien renforcer la protection contre le vent du rebord supérieur de la toiture, car il pense que la vis que le jeune couvreur a revissée a été fragilisée et ne tiendrait pas longtemps. En outre, une seule vis en haut et une deuxième seulement en bas pour une aussi large et longue nervure ne lui semblent pas suffisantes pour éviter l’effet bras de levier. Alexandre propose au couvreur d’installer une plaque supplémentaire de recouvrement du bord de la tôle et de la fixer au mur de l’abri. Steven dit qu’il pourra revenir le vendredi suivant effectuer ces travaux. Alexandre est d’accord pour ce second rendez-vous. « Le plus tôt est le mieux », dit-il. En attendant, Steven remet donc le fil d’acier dans le trou de la vis inférieure afin de retenir provisoirement la tôle à la barre de fer latérale selon le bricolage d’Alexandre. Comme Alexandre a confiance en Steven, il lui fait savoir que le livreur de fuel accède au toit du garage en disposant une échelle depuis la rue. Ainsi, en attendant leur rendez-vous, Steven pourrait très bien venir entre-temps en son absence procéder aux réparations. Aujourd’hui, Alexandre doit repartir pour Coulombs, mais assure qu’il reviendrait de toute façon exprès le vendredi suivant pour le jeune couvreur, car ces travaux de couverture sont trop importants et urgents pour qu’il les retarde.

 

 

Coulombs, vendredi 12 juin 2020 (après-midi)

 

Dans l’après-midi, Alexandre est de retour chez sa femme.

 

16 h 21. Alexandre montre à Mylène les photos de l’installation provisoire pour retenir le toit de la cuve de fuel de Lacroixville. Il montre aussi le cerisier qui a l’aspect d’un arbre dénudé en hiver, mais qui recèle quelques belles cerises ! Les deux poiriers sont chargés de magnifiques poires Williams. Alexandre fait défiler les images de son jardinage manuel pour venir à bout des laitrons et des plantes rampantes, des sortes de liserons.

 

16 h 29. Alexandre consulte ses mails après son long trajet depuis la Bretagne. Récemment, il avait retrouvé une ancienne connaissance, Denise, qu’il avait rencontrée à l’anniversaire des quatre-vingts ans de Robert, un ancien collègue de Mylène. Comme dans le mail retrouvé par Alexandre Denise disait s’intéresser aux livres qu’Alexandre avait écrits, il reprend contact avec elle en lui adressant le texte suivant (Mylène est mise en copie) :

 

Bonjour Denise,

 

Comme le temps a passé! Depuis, nous avons eu la triste nouvelle de la disparition de Robert. Comment s'est passé l'épisode du virus pour vous? J'espère que vous êtes saine et sauve. Pour Mylène et moi, tout s'est relativement bien passé pour notre confinement chez elle, à Coulombs, en Eure-et-Loir. J'ai attendu le déconfinement pour aller chercher mon courrier à Paris. Puis la levée des 100 km pour aller inspecter ma maison de campagne à Lacroixville, Côtes-d'Armor, en Bretagne. Et j'ai bien fait, car avec la tempête j'ai eu à appeler un couvreur. Il doit revenir vendredi prochain pour des travaux plus solides.

 

Pour votre information, j'ai profité du confinement pour écrire un livre et j'ai déjà un contrat d'éditeur. Mais j'ai aussi la proposition de 2 autres éditeurs : j'attends donc la fin du mois pour choisir le contrat le plus sérieux. En tout cas, je suis sûr de voir mon livre publié bientôt par une maison d'édition. Je vous en reparlerai.

 

Je suis à la retraite depuis deux ans. Pour ma retraite, j'ai acheté en Bretagne en 2018, car Mylène a sa famille dans le Morbihan et cela nous permet de passer l'été près d'eux. Je navigue donc entre Paris (où sont mes enfants), l'Eure-et-Loir et les Côtes-d'Armor quand la circulation est permise.

 

J'espère avoir de vos nouvelles.

 

Je vous communique ici mes numéros de portable:

07xxxxxxxx (pour la Bretagne)/06xxxxxxxx (région autre que la Bretagne, car ce numéro ne capte pas bien là-bas). Je suis aussi sur Facebook où je publie pour tout public (il n'est pas besoin d'être mon "ami" sur Facebook pour consulter ma page, vous pouvez demander à quelqu'un - un parent, un voisin, une connaissance - qui a un compte Facebook de vous montrer ma page et mes publications). Mon compte s'appelle "Alexandre Batonnier" et il y a ma photo. Je signe mes publications "Alexandre Batonnier, auteur".

 

À bientôt, j'espère.

 

Mylène est mise en copie.

 

Alexandre Batonnier

 

17 h 19. Alexandre consulte sa page Facebook. Vingt-six notifications en cours. Pour un groupe dont il est administrateur bénévole, il approuve toutes les demandes de publications sauf une, qui invoque Dieu.

 

 

Coulombs, dimanche 14 juin 2020

 

Dans la nuit de samedi à dimanche, Alexandre est allé au studio à Paris. Il vient y chercher la nouvelle carte bleue que lui a adressée La Banque postale.

Puis il rentre à Coulombs dans l’après-midi du dimanche.

 

Ce soir, au JT de 20 h, Alexandre et Mylène écoutent l’allocution du président de la République.

 

 

Coulombs, lundi 15 juin 2020

 

Les frontières à l’intérieur de l’espace Schengen de nouveau ouvertes.

 

Mylène raconte ses rêves « de merde » à Alexandre. Cela a un rapport avec son futur déménagement à Lucé. Elle s’était réveillé les larmes aux yeux. Une douleur à la cheville qu’elle a calmée avec une relieving thermo lotion Aloe Vera.

 

9 h 57. Alexandre et Mylène terminent leur petit-déjeuner.

Mylène observe que les framboises dans le jardin poussent vigoureusement.

– Les pieds de groseilles sont à cueillir avant que les oiseaux me les mangent, dit Mylène.

 

Alexandre constate que sa facture de La Poste Mobile est de 10,16 euros.

 

Il essaye de joindre le bailleur de son box garage parisien pour des explications sur des charges de 2018. Il n’y parvient pas parce qu’il ne sait pas comment saisir sur le pavé téléphonique virtuel de son Samsung les caractères « L/ » de son contrat quand le robot répondeur le lui a réclamé.

 

Au déjeuner, Alexandre dit qu’à Paris, la Présidente de région appelle à la suppression de l’attestation d’employeur aux heures de pointe dans le métro. Il avait complètement oublié cette mesure restrictive de circulation.

 

13 h 56. Alexandre prend des photos des groseilles, des framboises, des cerises par terre dans le jardin. Avant d’aller à sa sieste, i prend aussi la chatte Pistache au milieu du potager et Mylène maniant le râteau dans le jardin.

 

 

Coulombs, mardi 16 juin 2020

 

Alexandre s’est levé à 6 h 55, Mylène à 9 h. 55

 

Il y avait deux ans exactement, Alexandre achetait la maison de Lacroixville.

 

 

Quand Alexandre ne photographie pas, il écrit. Entre deux nécessités de la vie, en particulier les besoins biologiques et les impératifs administratifs. Aujourd’hui est un de ces jours où la météo annoncée à la télévision officielle de la veille a prédit +0 minute d’ensoleillement.

 

Après le petit-déjeuner – nécessité biologique – avec sa femme, Alexandre appelle son assurance habitation pour demander une attestation annuelle d’assurance pour son box garage – nécessité administrative. Il en profite pour demander que son contrat précise l’adresse de l’entrée sortie parking, en plus de l’entrée sortie des piétons qui y était déjà inscrite. On ne sait jamais.

– Heureusement qu’en appelant la plateforme de l’assurance, je n’ai pas eu à saisir des lettres ou des slashs, dit Alexandre triomphalement à Mylène.

– Il y avait un sketch sur ce sujet, mais je ne me souviens plus de qui, le console Mylène.

– Ged Elmaleh, peut-être.

 

La veille, en effet, en contactant la plateforme du bailleur du box garage, impossible de saisir la référence du contrat qui commence par « L/ » à partir du pavé téléphonique du portable. Mylène a voulu l’aider, sans plus de succès. Ils ont tous les deux googlisé « comment saisir des lettres et / sur le pavé téléphonique d’un smartphone ». Ils ont téléchargé le manuel du modèle de smartphone d’Alexandre. Ils ont scruté tous les documents et chats disponibles à l’écran. Ils ont changé plusieurs paramètres sur l’écran tactile. Enfin, en désespoir de cause, Mylène a adressé une question écrite par mail à un conseiller de chez Samsung pour espérer recevoir une indication sous 48 h.

 

Alexandre a dit à Mylène qu’au-delà de son essai de contact téléphonique avec la plateforme du bailleur de son box garage, il a quand même intérêt à savoir comment utiliser le pavé téléphonique intégralement, car s’il se retrouve en panne et que la plateforme de son assurance lui réclame la saisie d’une référence comportant des lettres et des chiffres, ce serait vital pour lui de connaître la manip !

 

Voilà comment la technologie des entreprises vous déclasse, à votre insu de votre plein gré ! Bien sûr, il y aura toujours la possibilité pour Alexandre de rentrer dans une boutique de vente de smartphone pour demander à un jeune vendeur de lui montrer la façon de faire. Mais, par ces temps de coronavirus, ce n’est pas le premier réflexe qu’il adopterait.

 

 

Coulombs, mercredi 17 juin 2020

 

La retraite est un grand lâcher-prise pour Alexandre. En 2018, ce n’était qu’au bout d’un an et demi d’échange de documents et six mois après son départ à la retraite qu’il a pu liquider et valider définitivement ses pensions auprès des sept caisses de retraite où son parcours de vingt-cinq ans dans le secteur privé puis de dix-neuf années dans l’administration l’a fait cotiser. En 2019, il a informé toutes les associations amicales et littéraires où il participait qu’il réduisait sa présence aux réunions à celle d’un adhérent de base. Puis, il a pris la décision de ne plus renouveler ses adhésions, car il se rendait compte que dans les faits il ne se rendait plus du tout aux réunions.

 

Des microdécisions successives de la vie chaotique quotidienne ont amené cet état de fait.

 

En 2018, les grèves perlées de la SNCF avaient rendu compliquées les prévisions d’aller-retour Épernon-Paris-Montparnasse pour se rendre aux manifestations associatives. Déjà, en temps normal, pour Alexandre qui séjourne chez Mylène, à Coulombs, Eure-et-Loir, un voyage dans la capitale est une expédition. D’abord, il lui faut s’arranger avec sa femme pour qu’elle le conduise à la gare d’Épernon (il y est très difficile de se garer et il n’est pas conseillé d’y laisser son véhicule plusieurs nuits de suite) pour attraper un train sur une ligne dont les dysfonctionnements sont malheureusement légendaires pour les pauvres travailleurs obligés d’effectuer la navette chaque jour. Ensuite, à Montparnasse, Alexandre doit prendre le métro (il convient d’être vigilant et se tenir informé des grèves, des colis suspects, des chutes ou malaises de voyageurs, de visites de personnalités qui amènent la RATP à interrompre le service ou à fermer des stations) pour se rendre Rive droite ou dans le centre de la capitale. Enfin, le soir, il y a peu de trains en dehors des heures de pointe pour revenir en Eure-et-Loir : alors, quand Alexandre doit se rendre à Paris, il prévoit un séjour à sur plusieurs jours, d’une part pour répartir la fatigue, d’autre part pour donner plus de souplesse à la possibilité pour Mylène d’aller le chercher à la gare d’Épernon. Alexandre se paye en effet le luxe de garder le studio qu’il avait loué à Paris à l’origine pour accueillir ses enfants pendant ses années de divorce conflictuel. Et vu les difficultés des transports collectifs pour se rendre dans la capitale, il a également gardé le box garage loué à un autre bailleur à un quart d’heure à pied de son logement, afin de se garder la possibilité de venir à tout moment à Paris en voiture. Désormais, il conserve ce double luxe afin de pouvoir venir en aide à sa fille le jour où elle deviendrait maman.

 

Alexandre se félicite d’autant plus d’avoir réduit toutes ses activités associatives au cours de l’année 2018 qu’à partir de novembre et tout le long de l’année suivante, le mouvement des Gilets jaunes l’a définitivement dissuadé de se rendre à des rencontres le week-end sur Paris.

 

L’ironie de la situation n’échappe pas à l’intéressé. Pendant ses années d’activités professionnelles, il ne pouvait pas se rendre aux réunions associatives parisiennes, car elles avaient lieu pour la plupart en semaine. Alors, Alexandre devait soit poser des congés pour participer aux manifestations les plus intéressantes, soit aller à celles qui restent organisées en fin de semaine. Maintenant, retraité, Alexandre a plus de liberté pour répondre présent à tout avis de réunion, mais se retrouve réduit à une mobilité réduite par lassitude des complications dues à une grève perlée et par peur des violences urbaines.

 

Désormais, Alexandre ne commute plus qu’en voiture personnelle entre la région Centre-Val de Loire et Paris. Et pour ne pas exploser son budget transports, il espace ses séjours dans la capitale selon le rythme du calendrier scolaire, toutes les six ou sept semaines. Le rythme qu’il avait déjà au cours des onze ans de la procédure de séparation, pendant qu’il exerçait en province.

 

2020. Après deux années de repli sur soi, la pandémie a définitivement ancré la vie de notre jeune retraité dans le Centre-Val de Loire, au Pays drouais. Le confinement a soudé le couple Mylène-Alexandre. Mylène, sa compagne de vie, est devenue « sa femme » et elle, elle l’appelle tout simplement « son mari ». Le processus a été tout naturel pour tous les deux.

 

Depuis quelque temps, Alexandre a repris goût à ce projet qu’il avait envie de réaliser dès son départ à la retraite : revoir des amis que la vie lui a fait perdre de vue et, plus particulièrement, des camarades de classe de son lycée de Grenoble, le lycée Champollion. Reste à savoir comment réactualiser et progresser par temps de Covid-19, après les contacts qu’il a pu établir avec l’association des anciens élèves et sur Facebook. Ce questionnement commence à se dérouler mentalement comme une application active en arrière-plan dans la vie quotidienne d’Alexandre.

 

9 h 28. Un éditeur propose à Alexandre un contrat de publication. Il va l’étudier.

 

 

Coulombs, jeudi 18 juin 2020

 

Aujourd’hui, la France commémore l’appel historique du Général de Gaulle. Hier, à la télé officielle, ils ont fait l’exégèse de la photo en noir et blanc du Grand Héros en uniforme lisant deux feuilles de papier face à un micro de la préhistoire. Cette photo, est-il expliqué, ne date pas du jour même : la preuve en est la Croix de Lorraine qu’arbore le Grand Homme, symbole d’un ordre qui ne sera créé que bien plus tard. L’enregistrement original à la BBC a été égaré. Celui que les générations futures écoutent date de quelques jours plus tard. Mais un mythe est né. Et on ne réécrit pas un mythe.

 

Quand on se plonge dans l’écriture, le présent est la ligne de crête qui sépare ce sur quoi on écrit et l’espace insécable qui fait basculer vers l’impensé non encore inscriptible. Ce qui est pensé peut faire partie du passé comme de l’avenir. Le courage est de se frotter à la réalité. La récompense est de se sentir vivant. Le suicide vient du vertige du néant. Écrire éloigne du précipice. Faire ce que doit, advienne que pourra. Cela a toujours été la devise d’Alexandre entre deux séquences d’écriture.

 

Un ami énarque, F. D., qu’il a joint il y a deux jours lui a fait part de l’annonce informelle du décès de J-M., dont il est le camarade de promo. Mais F. D. n’a aucune confirmation, compte tenu du contexte de la pandémie. Seulement voilà, quand il appelle sur le téléphone personnel de son ami, l’appareil sonne dans le vide. F. D. a demandé à Alexandre si lui-même aurait eu vent de quelque chose. Alexandre a répondu par la négative, mais a promis à son ami de faire des recherches, car il connaît une amie qui pourrait le renseigner.

 

Ainsi, hier, Alexandre a contacté E. à La Rochelle dont une proche, G., était dans une association d’énarques. E. lui a communiqué le numéro de portable de G. Alexandre a joint G. ce matin. Après avoir échangé sur leur vie de confinés et leurs projets de changement d’air pour l’été, Alexandre a exposé sa demande de service. G. a pris volontiers en charge la commission. Elle rappellera Alexandre. À cette occasion, Alexandre lui a demandé de lui préciser son adresse électronique.

 

En début d’après-midi, Alexandre quitte Coulombs pour se rendre à Lacroixville. Il ne veut pas rater le rendez-vous du lendemain avec Steven, le jeune couvreur. Les artisans sont très demandés et deviennent rares dans les campagnes. Alors, quand il a rendez-vous avec un prestataire pour sa maison de ville, Alexandre s’y rend toujours au moins la veille pour être sur place le jour convenu.

 

À son arrivée, en ouvrant la véranda et en inspectant le toit de la cuve de fuel, Alexandre a l’agréable surprise de voir que les travaux ont été effectués en son absence. Et bien. Il monte sur le toit du garage pour constater que le jeune couvreur a bien fixé avec une plaque supplémentaire qui recouvre le bord exposé aux vents et a remis les vis. Les cordes vertes de son rafistolage de fortune pendent le long de la gouttière et du cadenas du regard de la cuve.

 

Une belle éclaircie illumine le résultat du passage du jeune couvreur.

 

Dans la soirée, utilisant son 07, Alexandre envoie un SMS à Steph Kass pour demander communication du numéro de téléphone de son père Maurice. Steph le lui communique tout de suite. Mais Alexandre n’en prendra connaissance que le lendemain et le remerciera.

 

 

Lacroixville, vendredi 19 juin 2020

 

La veille, Alexandre avait mis le réveil pour être prêt pour le rendez-vous de 9 h avec le jeune couvreur, Steven. Il ne lui reste plus qu’à le régler. Dès l’arrivée de l’artisan, Alexandre le remercie d’avoir pris le temps pendant son absence de réparer le toit de la cuve de fuel.

 

– Cela nous fait gagner du temps !

– Oui, dans la semaine, j’ai eu un peu de temps. Je suis venu faire ce que vous m’avez dit.

– Je serai plus disponible quand ma femme sera là avec moi. Peut-être que vous pourrez inspecter pour faire du préventif avant que ça s’écroule, lui propose Alexandre en le raccompagnant.

– On peut faire comme ça. Vous m’appelez.

– Oui, je n’hésiterai pas. Et encore merci. Bonne journée.

– Bonne journée.

 

Dans la matinée, Alexandre téléphone à Maurice Kass, dont le fils a eu la gentillesse de lui transmettre le numéro. Curieusement, ce n’est qu’à Lacroixville qu’il se sent dans le cadre adapté pour joindre tous ceux qu’il avait invités à la fête du 12 juillet qui devait avoir lieu dans cette ville. Même sa lettre circulaire d’annulation de la réception a été conçue, réalisée et envoyée de cette maison bretonne qu’il a eu la chance d’acquérir deux ans avant l’engouement pour la Bretagne provoqué par la crise sanitaire.

 

Pour cette conversation, Alexandre s’installe dans les combles où il a disposé un fauteuil et deux cartons en guise de table. Un stylo et des feuilles de papier sont laissés à demeure pour noter. Il choisit cet endroit élevé dans la maison pour pouvoir utiliser le forfait « illimité » de son 06. Maurice a répondu immédiatement à son appel.

 

Maurice est un ami polytechnicien qu’il a connu au moment de la mise en place du groupe des X auteurs d’ouvrages, devenu une association par la suite. Il a été confiné avec Steph. Il a envoyé un manuscrit à l’Harmattan donnant sa vision de la Mongolie et attend le verdict du comité de lecture. Il connaît les Côtes-d’Armor pour avoir été à Saint-Brieuc en tant que conférencier sur un sujet qui portait sur le Sahara. Il a neuf petits-enfants. Comme beaucoup, il prévoit un regroupement familial et serait vers le 20 juillet au Pornic. Entre-temps, il doit rencontrer un ophtalmo pour un changement de lunettes. Alexandre dit que pour sa part, il a pu changer de lunettes juste avant la pandémie.

 

Il est convenu avec Maurice que si c’est opportun pour lui, il viendrait faire un coucou à Alexandre à Lacroixville quand il sera au Pornic.

 

Alexandre est très heureux d’avoir eu des nouvelles de son ami à sa sortie d’une longue hospitalisation et de complications de santé. Il a bien fait d’avoir envoyé cette invitation à une fête intergénérationnelle. Elle n’aura pas lieu dans les faits, mais cette missive a été l’occasion pour nombre de ses amis de lui donner de leurs nouvelles. Son projet a été formulé dès janvier. Personne ne peut penser que c’était une invitation opportuniste. Même si en fin de compte la salle des fêtes de Lacroixville n’accueillera aucun convive le dimanche 12 juillet prochain, son geste a été accompli au bon moment pour inviter tous ses proches et ses amis à célébrer avec lui sa troisième année d’installation en Bretagne, sa région d’adoption pour la retraite. C’était sa façon de rendre la politesse à tous ceux qui l’ont invité dans le passé chez eux, au cours de cette vie de bâton de chaise minée par les impératifs du quotidien et les soucis professionnels. L’intention était claire et sincère. La réalisation concrète a été rendue impossible par un événement inimaginable, en l’occurrence une pandémie planétaire.

Alexandre se remémore la définition d’un cas de force majeure. Il faut que ladite « force » cumule les trois conditions suivantes :

– imprévisible,

– irrésistible,

– extérieure.

Il se demande si la pandémie rendre dans ce cadre juridique.

 

Il retire presque une fierté d’avoir lancé un projet avorté !

 

En fin de matinée, Alexandre appelle Lydie, une amie de la région de Grenoble. Il lui avait laissé un message hier, mais elle est encore en activité et Alexandre se dit qu’elle devait être occupée. Cette fois-ci, son appel aboutit. Lydie l’informe qu’elle a eu des soucis de santé : deux opérations du sein, la seconde fois pendant le confinement. Elle doit encore décider si elle accepte le traitement plutôt handicapant qu’on lui propose.

 

Alexandre évoque la publication à venir de sa nouvelle de société. Il fait part à Lydie de sa recherche d’un correspondant pour retrouver traces d’anciens camarades de classe du Lycée Champollion. Son amie lui fait savoir que, justement, son compagnon Pierre connaît très bien ce lycée. Alexandre s’exclame :

 

– Mais c’est super ! Je lui en parlerai. Il pourra peut-être m’aider. Tu sais. Mon problème c’est que je ne suis resté que neuf mois à Grenoble, avec une année de Maths sup qui est post-bac. Or, les promotions du lycée sur les plateformes de type trombi quelque chose ne sont recensées que pour l’obtention du bac. Je me souviens encore de quelques noms de famille et de prénoms. Je pense que ceux qui font prépa viennent de familles plutôt aisées, bien installées dans la région. Peut-être que des enfants ou des petits-enfants de mes anciens copains ont aussi fait Champollion. J’ai le souvenir de deux frères jumeaux dont la mère travaillait dans un grand labo. Une autre camarade de classe était fille d’un grand industriel.

 

Alexandre croit à l’intergénérationnel et au déterminisme des classes sociales.

 

Pour finir de convaincre son amie, Alexandre ajoute :

 

– Tu sais, ma propre fille est devenue interne en prépa au Lycée Saint-Louis à Paris, trente-six ans après moi. J’étais interne dans ce lycée après avoir quitté l’internat de Champollion.

 

Lydie est originaire des Deux-Sèvres, mais son compagnon, Pierre, doit être d’une famille iséroise de longue date. C’est peut-être sa chance. Alexandre a souvent dit à ses enfants que pour réussir, il y a toujours une combinaison de travail, d’attention et de chance. Pour lui, la réussite repose sur ce trépied, et on sait qu’un trépied est ce qu’on a de plus stable sur le terrain.

Pour Alexandre, la Colombie l’a compris en matière de famille stable en reconnaissant légalement le mariage de trois hommes en 2017.

 

Dans notre vie dite moderne, dès qu’un couple « normal » met au monde un petit d’homme, l’organisation implique presque toujours une tierce personne (nounou, papy, mamy), ne serait-ce qu’occasionnellement. L’enfant moderne grandit grâce au trépied : mère, père et une assistance familiale extérieure au couple de parents. En matière de polyamour, le vocable trouple a vu le jour.

 

Le parcours de vie de chacun de nous dépend, selon l’écrivain, d’une dynamique à trois : Moi, l’Inconscient et l’Autre. L’alignement de ces soleils n’est parfait que dans des fenêtres de tir fugaces : à chacun de les sentir et de les saisir au bond. On ne se baigne jamais dans la même eau. Alexandre le dit souvent pour lui-même : il faut faire les choses comme ça vient, sinon on n’aura jamais le temps. La sérendipité est dans la perspective de l’alignement des astres.

 

L’Inconscient est irrésistible. L’Autre est extérieur au Moi. C’est un autre Moi imprévisible. Et mon Moi propre reste pour une part imprévisible, y compris pour moi-même.

 

L’intergénérationnel est une force souterraine invisible. Les déterminismes socioculturels sont extérieurs à la personnalité de chacun. Mon parcours de vie est une suite de rencontres inattendues. Pour l’écrivain, la vie n’a pas d’autre sens.

 

Au moment de son entrée dans la vie active, l’écrivain voulait devenir chercheur avait-il confié à ses enfants un jour.

– Et pourquoi tu n’as pas choisi la recherche ? lui demanda sa fille.

– Parce que je voulais aussi fonder une famille et un chercheur gagne difficilement sa vie.

– Et maintenant, ta fille se met avec un chercheur !

Ce que l’écrivain n’a pas précisé à Emily, c’est qu’à la différence de lui, son copain Roland n’a pas, au moment de choisir une activité professionnelle, à se soucier de faire venir d’une zone de guerre chaude ses parents.

 

 

Lacroixville, samedi 20 juin 2020

 

L’auteur a déjà obtenu au moins un contrat de publication pour son manuscrit envoyé sous format numérique. Contrairement à ses débuts dans l’écriture, il ne ressent plus l’impatience de voir son œuvre publiée. Un sentiment conduisant à une autre disposition d’esprit, il se dit qu’il va prendre le temps pour tenter sa chance auprès de quelques maisons d’édition traditionnelles. Ce qu’il n’avait jamais osé, il va le tenter maintenant. Ainsi, il aura au moins essayé. Et puis, ce sera un travail sur lui-même, une épreuve de patience. Il ne sait pas ce qu’il deviendra au bout de la période, qu’elle aboutisse ou non sur un autre contrat. Il se sera frotté au moins à la réalité du monde de l’édition, par temps de pandémie.

 

Loudéac, un samedi. La boutique où l’écrivain fait faire habituellement ses impressions est fermée. Il part à la recherche d’un service de multicopies. Dans un magasin informatique, on l’oriente vers Bureau Vallée, sur le parc commercial. L’écrivain y prend un forfait pour imprimer son manuscrit en dix exemplaires.

 

Il va consacrer son week-end à préparer les dix enveloppes. L’envoi postal aura lieu lundi.

 

 

Lacroixville, dimanche 21 juin 2020

 

Aujourd’hui cumul de fêtes : Fête de la musique et fête des Pères.

 

À son lever, l’écrivain a la chance de voir Jane, une habitante du quartier de quatre-vingt-huit ans qui passe devant chez lui pour aller faire ses courses à pied au Vival du centre-ville. Vite, Alexandre saisit son appareil photo, ouvre discrètement la fenêtre de la cuisine pour garder cet instant « feel good ».

 

Seul dans sa maison de ville avec jardin, l’écrivain regarde des vidéos de la Fête de la musique à Paris aux abords du canal Saint-Martin et rue du Paradis. Une ambiance libératoire dans un contexte culpabilisante et « corona-compatible » d’injonctions paradoxales infantilisantes de l’administration de la Culture. À sa fille, Alexandre relatera au téléphone le rassemblement rue du Paradis : elle habitait dans la rue qui est dans le prolongement et ils avaient déjeuné dans un restaurant de cette rue à l’automne dernier. Comme c’est lointain.

 

Alexandre profite de ce jour du Seigneur pour préparer manuellement ses dix enveloppes d’envoi postal du lendemain aux maisons d’édition qui n’acceptent que les manuscrits dactylographiés papier. Il sort onze enveloppes Kraft de son stock de fourniture, dont une qu’il affranchira à son adresse pour le retour du document refusé. Sur une clé USB, il prépare les lettres d’accompagnement, plus une présentation et un résumé pour l’un des éditeurs. Pour celui-ci également, il préparera une page de couverture spécifique pour y inscrire son adresse mail et son numéro de portable. L’épreuve de patience qu’il engage consiste à attendre au moins quatre mois afin de vérifier les avis défavorables des comités de lecture.

 

Aujourd’hui il appellera son ami et collègue Paul. Peut-être qu’il est de garde. En tous cas, c’est un ami assez proche pour qu’Alexandre se permette de l’appeler un dimanche.

 

Mylène part déjeuner chez sa sœur et son beau-frère. Alexandre lui fait savoir qu’il termine au déjeuner d’aujourd’hui le morceau de jarret qu’elle lui a donné il y a trois jours. Il affirme qu’il ne mange plus autant de viande qu’auparavant.

 

L’écrivain réaménage son étude en mettant une des deux tables sur tréteaux face à la fenêtre donnant sur le jardin. Il pense en effet à la visite de Lisa prévue pour le 12 juillet. Dans son étude, il y a un lit à une place. Peut-être que Lisa y dormira.

 

 

Lacroixville, lundi 22 juin 2020

 

La météo a annoncé un temps caniculaire à partir de demain. Déjà, une certaine chaleur se fait sentir dans l’air habituellement frais de la nuit bretonne. Alexandre n’arrive plus à dormir. Pourtant, il a rejeté la couverture et n’a pas trop chaud. Une pensée lui trotte dans la tête, mais il n’arrive pas à formuler. C’est cette impasse qui le trouble au point de faire tourner son corps d’un côté puis de l’autre, sans pouvoir retrouver le sommeil. Son esprit repasse le rêve qu’il vient de traverser, peut-être que l’idée qu’il veut attraper est en rapport avec les images du songe. Soudain, deux mots surgissent et résonnent dans sa tête : « Ami Jeunesse ». Alors, il se souvient. Son père lui parlait de cet ancien journal qui paraissait au Tonkin, du temps de l’administration française. Est-ce la vague de déboulonnage des statues de grands acteurs de la colonisation française qui a fait émerger ce souvenir de la mémoire de son père, expatrié au Laos, d’une revue publiée dans la ville natale d’Alexandre, Hanoi ? Alexandre était jeune, son père était déjà âgé, mais Alexandre n’en avait pas conscience. Son père s’adressait à lui, Alexandre, qui représentait la jeunesse qu’il avait laissée au Vietnam du Nord, comme on disait à l’époque, pour fuir dans le Sud, avant de suivre l’administration française à Vientiane, au Laos, porté par l’espérance de faire grandir son fils aîné dans une contrée inconnue de lui, mais une contrée en paix. Son père mettait son enfant à l’abri au prix d’un déracinement.

 

Hier, Alexandre a conversé longuement au téléphone avec Paul. Celui-ci lui a parlé de la contestation autour de la statue de Faidherbe. Alexandre ne savait pas que cette figure célèbre était associée à la colonisation. Pour lui, c’était simplement le nom de la bibliothèque (on ne disait pas encore médiathèque) où il amenait son fils adoptif Dany emprunter des livres tous les samedis. Alexandre a donné des nouvelles de ses enfants biologiques à Paul. Il a expliqué que son fils, Thibault, que Paul connaît, est dans une crise d’adolescence et s’est éloigné de son père, sans doute pour ne pas avoir de conflits de loyauté, car il avait aussi quitté sa mère pour se mettre en colocation avec des copains. Cette raison semble d’autant plus vraisemblable qu’Alexandre a relaté à Paul l’anecdote du budget de la quatrième langue qu’il avait donné à Thibault. Ce dernier a un beau jour demandé à rembourser cet argent à son père, en déclarant qu’il n’avait aucune envie d’apprendre une langue supplémentaire. Il voulait rendre l’argent pour rester honnête et être quitte. Alexandre a refusé le remboursement en suggérant à son fils de garder cette somme pour un voyage futur dans un pays dont il ne connaîtrait pas la langue ! Sans se rendre compte alors que son inconscient avait sans doute guidé son désir que son fils s’engage un jour dans une visite à une contrée dont il ne parlerait pas la langue. Car, et Alexandre réalise maintenant seulement l’ampleur du sacrifice de son père, c’était exactement le même type de saut dans l’inconnu réalisé par son propre père en se réfugiant au Laos, qu’il a proposé à Thibault de réitérer à la troisième génération, toute proportion gardée.

 

On dit que le transgénérationnel saute souvent une génération. En l’occurrence, en se rappelant en pleine nuit l’évocation de ce titre de périodique « Ami Jeunesse » par son père quand Alexandre grandissait au Laos, loin de leur pays de naissance, il ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec lui et Thibault. À son tour père dans un pays d’émigration, Alexandre a souhaité que son propre fils, né en France, fasse un jour un voyage d’agrément dans un pays complètement étranger, avec un budget que son fils voulait lui restituer pour être quitte. Là où l’inconscient d’Alexandre l’a pris par la main, c’est que d’une proposition que son fils fasse l’apprentissage d’une langue étrangère, Alexandre en est venu à suggérer que son fils parte en vacances en terre inconnue. Un véritable coup de Trafalgar de la part de son inconscient. À son insu, Alexandre a exprimé le souhait de réparer en quelque sorte le déracinement de son père par le bonheur moderne d’un dépaysement volontaire de son fils. Un voyage d’agrément pour compenser un exode, volontaire certes, mais commandé par la malédiction de la guerre.

 

Fort de cette interprétation, Alexandre voit dans la réaction de son fils la possibilité de rompre une fatalité familiale.

 

 

Lacroixville, mardi 23 juin 2020

 

Hier, la météo a annoncé que le soleil s’imposait partout. Aujourd’hui, le beau temps et la chaleur se généralisent. Le pic de température sera atteint jeudi.

 

Dès son réveil, Alexandre se dit qu’il doit profiter de ce temps sec pour laver toute sa literie et la faire sécher à l’air libre. Il a ainsi l’impression de faire peau neuve. Ne dit-on pas par la négative ironiquement qu’on se retrouve dans de beaux draps dans certaines circonstances problématiques imprévues? Depuis hier, Alexandre se réinvente : il a osé envoyer par courrier postal son manuscrit dactylographié à dix maisons d’édition traditionnelles qui n’acceptent que des propositions d’ouvrage imprimé et qui annoncent des délais de trois à six mois pour leur comité de lecture. Avec l’ouvrage portant le titre provisoire d’« Un rêve de fraternité » qu’il a pu finaliser pendant le confinement, Alexandre se donne l’occasion de sonder ces maisons et de confronter la réalité du monde de l’édition par temps de pandémie. C’est un projet qu’il se donne pour les six mois à venir.

 

Donc, d’abord faire ce que doit, advienne que pourra. Hier, il est allé à la poste de Loudéac avec un masque pour envoyer, dans l’espace Pros, ses dix lourdes enveloppes. Il n’a fourni qu’à un petit éditeur une enveloppe affranchie à son adresse pour le retour du manuscrit refusé (si tant est que, par ces temps de pandémie, la maison d’édition respecte son engagement de retourner le document papier).

 

Alexandre ne se fait pas d’illusions : aux autres grosses maisons d’édition, il adresse son manuscrit sans enveloppe affranchie à son adresse. Le dépassement du délai de lecture sans réponse de leur part fera office d’avis défavorable. Et il n’a aucune envie de voir sa boîte aux lettres déborder pendant son absence.

 

Il n’est point besoin d’espérer pour entreprendre. Dans cet esprit, Alexandre est allé ce matin à Loudéac se faire photographier pour constituer son press-book. Il a bien spécifié que la photo est destinée à des journalistes et des contacts professionnels. Il a aussi demandé au photographe de réduire la taille de la photo et de lui fournir une copie de moyen volume et une de petit volume pour les envois électronique, car certains journaux n’acceptent pas des fichiers trop volumineux. Pour cela, il a montré au photographe le travail fait en 2017 par un autre photographe : Alexandre aurait pu se contenter de ces photos de 2017, mais depuis cette année il porte de nouvelles lunettes et il souhaite avoir une photo cohérente avec son équipement actuel. Comme ces copies sont destinées à des envois électroniques, Alexandre n’a pas besoin de tirage papier. Le photographe a ainsi noté son adresse mail pour lui envoyer demain les résultats. Alexandre est très content de ne pas avoir à revenir à la boutique.

 

Alors qu’il n’y pensait plus, FranceConnect répond à sa réclamation de janvier dernier, concernant son impossibilité de se connecter à la plate-forme de l’assurance retraite via celle de l’assurance maladie. Alexandre lit avec stupeur le résultat de l’enquête du service support de FranceConnect : « Nous vous recontactons suite au retour d'Ameli qui nous informe qu'une divergence est enregistrée dans leur base de données, en effet le code géographique de votre lieu de naissance enregistré sur votre compte Ameli est erroné. Afin de faire modifier cette erreur, nous vous invitons à vous rapprocher de votre CPAM, muni d'un acte de naissance ou d'un livret de famille, afin de démarrer un litige auprès de l'INSEE ou du service SANDIA» Alexandre note le gras mis dans le texte.

 

Alexandre se souvient : avant même de pouvoir formuler une quelconque réclamation, il a fallu trouver le mail du service support de FranceConnect. Puis, à la réclamation, il fallait leur joindre une capture d’écran ! Là également, il a fallu chercher et trouver comment procéder ! Tout un parcours du combattant…à distance. Le coronavirus ne sévissait pas encore dans l’hexagone.

 

Bien avant d’aller chez le photographe pour se refaire faire son portrait, voilà notre écrivain se rendant tôt à un centre de bureautique de Loudéac pour imprimer la lettre préparée la veille sous Word pour l’Assurance Maladie de Paris, la signer avec son stylo personnel (avec les normes sanitaires en vigueur, le personnel vous demande si vous avez votre propre ustensile sur vous), photocopier l’exemplaire signé pour garder une trace, photocopier recto et verso la carte « Vitale », imprimer le format PDF du mail de signalement de FranceConnect, imprimer les pages du livret de famille qu’il avait scannées il y a quelque temps et qu’il a avec lui sur une clé USB, joindre ces trois documents à l’original de la lettre papier signée. Puis, notre écrivain se rend à la poste pour établir un recommandé avec accusé de réception (avec les administrations, notre écrivain procède toujours par envoi recommandé avec A.R.). Voilà, c’est parti ! Il ne reste plus à notre écrivain qu’à attendre le verdict de la boîte noire qu’est notre Administration… Il se sent pot de terre confronté à un pot de fer.

 

L’après-midi, Alexandre retourne à Loudéac pour donner la couette d’hiver au pressing. Il se souvient que celui-ci est généralement fermé en août. Cependant, peut-être que cette année il restera ouvert pendant ce mois-là. En tout cas, en donnant maintenant, il pourra récupérer la couette quand il reviendra en juillet avec Mylène. Au pressing, le masque est obligatoire et pas plus de deux clients en même temps à l’intérieur. La dame lui a dit de mettre sa couette dans un grand sac mis à disposition dans un casier à l’entrée avant de lui remettre le tout. Elle lui a demandé s’il était déjà venu. Il a répondu par l’affirmative, précisant qu’il était venu en novembre à une époque où c’était encore à peu près normal. Elle lui a demandé son nom pour le retrouver dans ses fichiers. Une cliente était rentrée quand Alexandre se dépatouillait pour insérer dans le grand sac plastique transparent la couette qui lui glissait de dessous du bras où il l’avait coincé pour avoir les mains libres pour ouvrir le sac. Elle ne s’est pas du tout impatientée. Alexandre s’en étonnait dans son for intérieur. Il a pensé que le pressing aurait pu mettre un dispositif pour servir de support au sac plastique comme ces sacs positionnés pour réceptionner des salades dans les supermarchés. Ainsi, il aurait réussi plus vite et aurait moins fait attendre la cliente suivante. La dame lui a proposé la date du 4 juillet pour la livraison de la couette. Alexandre a accepté, disant qu’il va repartir et qu’ils ne reviendront que début juillet.

 

Après le pressing, Alexandre passe faire quelques courses au Leclerc. Une baguette pour manger avec le pâté en boîte qu’il avait acheté avant le confinement et dont il avait soudain envie. Une bouteille de Perrier en guise d’apéritif. Des chutes de jambon cru. Alexandre calcule dans sa tête le nombre de repas avant qu’il ne reparte pour Coulombs.

 

Un mail informe Alexandre que l’agence de Nogent-le-Roi de son assurance habitation du studio de Paris est désormais ouverte sans rendez-vous depuis hier. Il pense à sa démarche faite le mercredi précédent pour préciser l’adresse du box garage qu’il loue à Paris dans le contrat. Il avait rencontré l’agent R. P. justement cité dans le mail générique et se souvient qu’il avait dit que la précision serait validée sur son contrat sur l’espace client le samedi. Il contrôle son espace client et s’aperçoit que rien n’est encore fait. Il appelle l’agence de Nogent-le-Roi. Par chance, il tombe tout de suite sur R. P. et lui fait part de sa réclamation. L’agent certifie qu’il va faire le nécessaire. Alexandre lui demande de lui signaler expressément par mail quand le contrat sera bien mis à jour et disponible sur son espace client. Que de perte de temps à cause de ces dysfonctionnements administratifs. Ici, juste une modification par traitement de texte dans une zone commentaire, sans aucun impact sur le contrat d’assurance puisque de toute façon le box est assuré.

 

18 h. Alexandre est de retour à la maison. Il se fait son sandwich au pâté, puis consulte le journal Libération en ligne. Il revoit rapidement tous les événements depuis dix jours, notamment les paroles des victimes de violences policières. Décidément, en France on n’est pas nécessairement heureux, mais il faut s’estimer heureux de ne pas avoir la malchance de croiser ce genre de policiers.

 

 

Lacroixville, mercredi 24 juin 2020

 

5 h 41. Alexandre ouvre un œil. Un calcul instinctif lui fait se rappeler qu’il s’était résolu à s’endormir à 23 h 34 hier soir et qu’il a bien son compte de six heures de sommeil.

 

5 h 55. Alexandre se lève. Il va s’asperger d’eau froide la figure, remets ses quatre dents amovibles avant de descendre préparer son petit-déjeuner. Les trois chiffres 5, lumineux et verts à la suite de son réveil que ses yeux ont capté danse dans sa tête. Le souvenir de sa mère disant « ba con năm » (« trois chiffres cinq ») lui revient : elle parlait souvent de cette enseigne de cigarettes qu’une publicité affichait sur la rive laotienne du Mékong de son enfance. De son père, le souvenir du souffle d’un « h » aspiré quand il prononce « halage », pour parler d’un quai de la Marne à Orly où ses deux parents ont vécu, remonte du fin fond de l’esprit en éveil de l’écrivain. Sa mère ne parlait pas français, mais elle savait compter et allait au marché sans handicap particulier. Son père a appris le français tout seul quand le Tonkin était encore sous protectorat. De sa mère, l’écrivain a sans doute retenu la mémoire des chiffres et de son père la volonté d’apprendre une langue étrangère.

 

« Afin de démarrer un litige auprès » d’une administration aussi institutionnellement inscrite dans le marbre que l’INSEE, l’écrivain a pris la précaution de demander trois copies intégrales de son acte de naissance au Service de l’état civil du ministère des Affaires étrangères à Nantes non seulement afin d’en avoir des documents datés et réactualisés, mais aussi dans le but de constituer un dossier pédagogique pour guider sa fille Emily au cas où un jour elle aurait à s’adresser à cette boîte noire qu’est l’Administration pour obtenir une telle attestation authentique.

 

Car, c’est tout un parcours du combattant.

 

D’abord, il faut savoir que tous les Français nés à l’étranger doivent s’adresser exclusivement à ce Service central du ministère des Affaires étrangères délocalisé à Nantes (distinct donc de la mairie de la même ville) pour un acte d’état civil.

 

Ensuite, il faut bien se rappeler que la délivrance d’un tel acte est gratuite, donc, sur Internet, éviter toutes les plateformes payantes qui s’interposent pour créer la confusion et vous inciter à la facilité de céder à leur sirène compte tenu de vos difficultés à l’écran à repérer le bon site du bon service public ! D’ailleurs, l’écrivain s’est fait prendre : ce n’était qu’à l’affichage de la demande de paiement à distance qu’il a réalisé son fourvoiement. Il a donc repris au début et a fait un copier/coller des écrans pour montrer les étapes à Emily plus tard.

 

Enfin, dans le cas de l’écrivain, il faut savoir qu’à la demande affichée à l’écran du « nom de famille (nom de naissance) », il est nécessaire de saisir « BATONNIER » et non pas « NGUYEN », car en changeant de patronyme, l’un remplace et annule le précédent ! La naissance référencée dans les parenthèses renvoie à la venue au monde juridique en France d’Alexandre et non pas à sa procréation biologique (la venue au monde de Lân) dans un lointain territoire de la République !

Au cours de la saisie du formulaire de la plateforme du Service central de l’état civil, on vous demande si vous avez déjà fait la démarche dans le passé. Si vous répondez « oui », le formulaire fait alors apparaître une question subsidiaire qui a conduit notre écrivain à retrouver un vieil acte d’état civil pour saisir la référence attribuée au document :

 

Avez-vous déjà obtenu ce document de notre service ?      Oui

Référence de l'acte                                    ACQnnn

 

Un peu plus bas dans le formulaire, un avertissement apparaît, en rouge :

 

« Attention, pour obtenir une copie intégrale ou un extrait avec filiation, les informations concernant la filiation (identités du père et de la mère) doivent être conformes au contenu de l'acte »

 

L’écrivain précise à Emily qu’il faut bien saisir les traits d’union que l’administration française avait mis à l’origine entre les particules des prénoms composés vietnamiens de ses parents. Ainsi, pour son père, sur le formulaire il faut déclarer un prénom unique constitué des deux particules de son prénom vietnamien composé, séparés par un tiret. Pour sa mère, il faut déclarer un prénom unique comportant deux tirets séparant les trois prénoms vietnamiens qui représentent un seul prénom composé en vietnamien.

 

C’est à croire que l’administration aime les tirets traits d’union puisque ces signes sont significatifs dans les immatriculations des véhicules, contrairement à la pratique dans d’autres pays.

 

La constitution de ce dossier de filiation pour sa fille vient au bon moment, car Emily lui a souhaité une bonne fête des Pères dimanche dernier. La veille, samedi, quand Emily l’a appelé, l’écrivain lui a communiqué ses dernières réflexions sur la question qu’elle se pose sur une nouvelle orientation professionnelle éventuelle compte tenu de son impression de faire du sur-place dans son emploi actuel.

 

L’écrivain a rappelé à sa fille la visite qu’ils ont faite tous les deux au siège des Compagnons du devoir quand Amélie a eu son bac et qu’elle pensait faire un métier dans la restauration d’art.

 

Maintenant, compte tenu du parcours de sa fille dans la finance internationale depuis dix ans, il encourage Emily à rechercher une orientation dans la sauvegarde du patrimoine artistique, en s’inspirant d’actions comme celles de Stéphane Bern et en fondant sa crédibilité sur le fait qu’elle a désormais l’habitude de manipuler des grosses sommes d’argent, car les œuvres d’art exigent des garanties et des assurances lors de leur transport et pour leur exposition dans le monde entier. Pour établir sa légitimité dans ce créneau professionnel très fermé, et sans doute encore patriarcal, l’écrivain explicite la filiation artistique maternelle d’Emily : « N’oublie pas que du côté de Papy et de Mamy, il y a eu des artisans qui ont réalisé les lustres de Versailles et que Papy et Mamy ne sont devenus fonctionnaires que pour avoir une vie meilleure. Le logement du Marais que j’ai fait rénover pour vous élever était l’ancien atelier de leurs ascendants artisans qui y ont exercé et dont ils ont hérité. »

 

Du transgénérationnel encore. Sans cesse faire confiance à l’inconscient pour se frayer la bonne voie.

 

L’écrivain a invité Emily à aller consulter sur sa page Facebook l’émission en anglais qu’il a partagée et qui est réalisée pendant le confinement par le Van Gogh Museum Book Club au sujet d’un jeune écrivain qui présente son dernier ouvrage de recherche sur le peintre et sa filiation avec les impressionnistes et les pointillistes. L’auteur répond à des questions venant du mon entier sur les impulsions données par le peintre à son art qui prend ainsi en compte les différentes influences françaises dans ses techniques de création et l’ambiance de ses tableaux.

 

Pour l’écrivain, l’art est une formidable aventure. Il suggère à sa fille de regarder le film The Monuments Men au sujet des œuvres volées par les nazis. Mais il n’y a pas que des tableaux, il y a aussi des morceaux de musique qu’on découvre régulièrement à titre posthume, par exemple. Il indique à Emily un septième continent à investiguer pour donner un peu plus de sens à sa vie, si elle le veut.

 

Hier, mardi, Alexandre a appelé sur Viber son cousin en Allemagne, histoire de garder le contact heureux établi avant la pandémie. En fin de journée, il a fait du désherbage manuel, afin de maintenir une certaine forme physique. Mylène l’a appelé dans la matinée pour le prévenir de son absence de Coulombs pour aller voir sa sœur Cynthia. Cette prévenance lui a fait chaud au cœur et lui confirme s’il en est encore besoin qu’ils forment bien un couple même s’ils ne sont pas toujours physiquement dans le même lieu.

 

Dès réception du signalement d’erreur de base de données de l’assurance maladie sur son lieu de naissance, Alexandre a posté un message sur son espace personnel d’ameli.fr pour demander s’il pouvait envoyer des documents par scan. La CPAM de Paris lui a répondu aujourd’hui que cette fonctionnalité n’existe pas pour eux, ils lui recommandent d’adresser les documents papier par la poste. Alexandre se félicite de ne pas avoir attendu cette réponse électronique négative. Heureusement, dès hier, il a sans tarder fait le nécessaire, par un envoi en recommandé à la poste de Loudéac des documents papier.

 

Dans cette danse improductive entre le pot de terre et le pot de fer, il ne lui reste plus qu’à attendre que l’Administration veuille bien rectifier sur le signalement d’erreur possible d’une plateforme sensée centraliser toutes les démarches administratives du citoyen. Il a attendu six mois pour que FranceConnect veuille bien enquêter sur sa réclamation. Il espère que l’assurance maladie fera quand même diligence pour rectifier l’erreur sur son lieu de naissance dans leur base de données. Et s’il n’y a pas d’erreur à ce niveau-là, qu’on lui donne une explication sur ce dysfonctionnement technique qu’il a rencontré en essayant de se connecter via ameli.fr à tout hasard un beau jour. Il avait déjà l’habitude de se servir de FranceConnect via les impots.gouv.fr et tout fonctionnait bien. S’il n’avait pas eu ce retour en erreur de la plateforme ameli.fr en sortant un jour de ses habitudes, jamais il ne serait douté que son lieu de naissance pourrait être faux dans les fichiers de l’assurance maladie. On peut toujours mettre en exergue le droit à rectification, encore faudrait-il avoir conscience qu’une donnée personnelle pouvait être fausse. Dans son cas, c’est le service support technique de FranceConnect qui lui a signalé ce qui semble être une erreur le concernant personnellement. Il n’y a pas de fumée sans feu : l’informatique ne se trompe jamais ! Et si la donnée est correcte dans la base interne à l’assurance maladie, il n’y a plus qu’une autre possibilité : l’interface entre cette administration et la plateforme est défectueuse. Mais pour arriver à cette ultime hypothèse, il faudrait envisager que deux chaînes himalayennes puissent se rencontrer : la CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie) et ses troupes informatiques d’une part, la gouvernance centralisatrice de FranceConnect et ses commandos de nouvelles technologies d’autre part.

 

Autre déboire aujourd’hui avec la gestion de l’information par les services publics. En consultant sur Internet, Alexandre a eu l’information selon laquelle la déchèterie n’est plus ouverte que le mercredi depuis le 22 mai, en raison de la crise sanitaire. Ce matin, il est donc tout content d’avoir l’opportunité d’y aller apporter deux sacs de déchets verts. Arrivé sur place, il trouve porte close. Apparemment, les horaires sont revenus à la normale (fermeture le mercredi) sans que l’affichage sur Internet le précise. Alexandre n’a plus qu’à revenir demain, jeudi matin, en espérant que c’est bien un retour aux horaires habituels et non pas un défaut d’information qui continuera de l’induire en erreur.

 

Cette déconvenue au niveau de l’administration locale a fait penser Alexandre à demander à Mylène de lui rapporter l’incinérateur de déchets qu’elle a à Coulombs.

 

Un mail informe Alexandre que sa médiathèque parisienne est de nouveau en accès libre à partir de demain après-midi, sous réserve du respect des normes sanitaires, dont le port du masque et quelques autres restrictions. Alexandre ira dès que possible rendre l’unique livre emprunté avant le confinement pour ne pas le garder pendant l’été et n’empruntera plus rien avant le retour véritable à un fonctionnement normal, afin de ne plus dépendre de ce service public de la Ville de Paris.

 

Depuis quelques mois, à chaque fois qu’il se connecte à son espace client de La Banque postale, une demande de la banque pour s’équiper d’une authentification forte Certicode Plus ou Certicode assez incompréhensible s’affiche, avec, dans le cas d’Alexandre la mention de demander l’activation du système en se rendant à son bureau de poste : « Si vous avez un téléphone portable, vous pouvez vous authentifier avec un code de sécurité que nous vous enverrons par SMS. Vous devez cependant demander l’activation du service Certicode en vous rendant dans votre Bureau de Poste. »

 

Au téléphone, Alexandre en avait déjà parlé à son conseiller de cette affaire avant le confinement. Hier, il l’a eu sur son portable et le lui en a reparlé. Le conseiller devait examiner la question et le rappeler dans l’après-midi. Il ne l’a pas fait. Alexandre le rappelle de son fixe de Lacroixville aujourd’hui. Après plusieurs tentatives, il l’a réussi à le joindre et lui a répété l’objet de son appel. Le conseiller semble ne pas se souvenir de leur conversation d’hier. Alexandre précise que c’est la troisième fois qu’il lui en parle au téléphone et que cela commence à devenir décourageant. Le conseiller lui dit une nouvelle fois qu’il va examiner ce point et qu’il reviendra vers lui. Comme hier, Alexandre lui précise qu’il est en Bretagne et qu’il convient de le rappeler sur le portable 07 qui capte mieux.

 

Quand Alexandre raccroche, son agacement est tel qu’il se dit qu’il fermera sans doute son compte à La Banque postale à terme pour éviter tous ces ennuis qui traînent de mois en mois et qui l’obligent à se répéter x fois au téléphone.

 

Dire que, pendant le confinement, tous ces commerces et services vous envoient des mails pour vous assurer qu’ils veillent à « garder le lien » et nous souhaitent de « prendre soin de soi ». Tous ces enquiquinements que subit Alexandre ne lui donnent qu’une seule envie, celle de simplifier sa vie en réduisant ses interactions avec ces organismes qui le phagocytent à distance !

 

17 h 22. Le mail du responsable éditorial d’un éditeur informe l’écrivain qu’il souhaite le rencontrer à Lyon ou à Paris, ou à défaut, convenir d’un rendez-vous téléphonique. Mais d’après les informations obtenues par Alexandre, c’est un éditeur qui va lui demander de débourser de l’argent. Donc ce n’est pas intéressant pour l’écrivain. Il va plutôt attendre la réponse des dix maisons d’éditions traditionnelles à qui il a envoyé son manuscrit papier il y a deux jours.

 

21 h 01. Alexandre appelle Mylène. Elle décroche et lui fait savoir qu’elle est à quatre minutes de la fin de son feuilleton, Un Si Grand Soleil. Il raccroche pour qu’elle puisse regarder tranquillement. Elle le rappelle peu après, avant que sa série dramatique Romance ne commence. Ils bavardent quelques instants puis, comme le film commence, Alexandre dit à Mylène de regarder son épisode et de le rappeler plus tard. Ils continueront la conversation s’il ne s’endort pas lui-même entre-temps.

 

Depuis qu’Alexandre est à Lacroixville, Mylène n’achète plus le journal papier d’Eure-et-Loir tous les jours. Mylène lui fait savoir que pour les avis d’obsèques, elle consulte Internet et que, pour les faits divers, elle les retrouve aussi sur la Toile. Elle se demande si elle va continuer à acheter le quotidien. Son amie Miranda se pose la même question et se demande même si elle ne va pas écrire à la direction du journal. Miranda a en effet remarqué que pendant le confinement, alors que tous les sports étaient à l’arrêt, le journal papier regorgeait paradoxalement de pages sur ce sujet. Et si on retirait les pages de publicité, ce qui restait d’information était bien mince. Alexandre pense que, de toute façon, avec le confinement, les familles ont certainement pris l’habitude de poster les avis de décès sur Internet et que désormais, il convient de suivre ces annonces sur le réseau.

 

Alexandre pense repartir vendredi, quand le pic de chaleur sera passé. Il lui faut prévoir d’aller rendre le livre à la médiathèque parisienne, sans doute dès samedi matin, pour ne rien leur devoir pendant l’été, bien qu’ils aient automatiquement renouvelé tous les prêts jusqu’en septembre. Alexandre ne souhaite pas garder le livre emprunté si longtemps. Et compte tenu des risques futurs, il ne va rien emprunter de nouveau avant un vrai retour à la normale, sans doute après la mise à disposition d’un vaccin à l’ensemble de la population. Alexandre tient à être à Lucé dimanche pour participer à la fête du départ du chef d’orchestre de l’Harmonie dans laquelle joue Mylène. Ce sera une fête privée dans un jardin privé, donc organisée sans difficulté majeure.

 

En juillet et août, Mylène et Alexandre seront chez ce dernier à Lacroixville. Alexandre espère qu’il n’y aura pas de nouveau confinement.