Nora fait la planche, les membres écartés, immobiles, les yeux dans le vague. Elle dérive, sans vie, sur l’eau azurine de la piscine.
— J’ai l’impression que ton entrevue avec Dickovski ne s’est pas très bien passée. Il ne t’a pas fait de mal, au moins ? s’inquiète Régis.
Nora ne bronche toujours pas. Ses yeux sont deux billes de verre que même les brèves apparitions du soleil entre les nuages ne font pas cligner.
— Je l’ai croisé par hasard… Il est venu à la clinique en début d’après-midi. Ce qui est totalement inhabituel, précise Régis.
Nora paraît tout d’un coup s’éveiller.
— En début d’après-midi ?
Elle pivote lentement sur le ventre, nage vers le bord de la piscine, en sort d’une traction des bras.
— Dickovski m’a viré de chez lui vers 13 heures, après avoir eu au téléphone une certaine Priss…
Nora secoue ses cheveux, arrosant Régis au passage.
— Il avait l’air inquiet, poursuit-elle. Et si mes souvenirs sont bons, il a conclu en disant quelque chose comme « Bon, OK, j’arrive ».
— Génial ! s’exclame Régis en claquant des doigts. C’est donc cette Priss qu’il est allé rejoindre à Borderhouse.
— Possible. Ce qui est sûr c’est qu’il avait l’air très contrarié…
Régis acquiesce.
— En arrivant à Borderhouse il a emprunté un ascenseur extérieur. Privé. Il n’y en a que deux à la clinique. L’autre est à l’intérieur. Il est resté très peu de temps absent. J’ai à peine pu finir de nettoyer son hélico.
— Tu as nettoyé l’hélico de Dickovski ?
— Oui, c’est lui qui me l’a demandé.
Nora se triture la bouche. Régis réalise alors qu’elle n’est pas bien du tout. Il s’approche, la prend par les épaules et serre son corps nu et mouillé contre lui. Elle tremble. Il veut l’embrasser, mais elle s’esquive.
— Il sait que tu es avec moi.
Régis fait la grimace.
— Non, je ne crois pas. Mais il a un sixième sens, comme il dit, et il a flairé que je n’étais pas là par hasard. Il me l’a fait sentir, d’ailleurs…
— Il t’a menacé ?
— Pire que ça. Dans l’hélicoptère, il a envisagé de me jeter par-dessus bord. Ce n’était probablement qu’une plaisanterie, mais le doute est permis…
— Qu’est-ce que tu racontes ? Tu as été dans son hélicoptère ?
— Je l’ai même ramené chez lui. Lorsqu’il est sorti de la clinique, toujours par le même ascenseur privé, il était livide et en sueur, il titubait. Il n’avait pas de pilote et il se sentait peu capable de prendre le manche, alors je lui ai proposé mes services…
— Et il a accepté ? Tu réalises que ce que tu me racontes est totalement dingue ?
— C’est Dickovski qui est fou. Ce type est dangereux. Et je pense sincèrement qu’il vaudrait mieux qu’il ne soit pas ton père.
Nora s’écarte violemment de Régis.
— Ça, ce n’est plus possible. Alors évite de dire des conneries, ça nous fera gagner du temps !
— Excuse-moi. Mais j’ai peur pour toi, tu comprends ?
Nora secoue la tête.
— Y a un truc qui m’échappe… Même un type totalement dingue ne se comporte pas de cette manière avec sa fille sans raison. Pablo Escobar aussi était devenu fou. Il était prêt à tuer tous ceux qui n’étaient plus de son bord, mais pour son fils, il aurait donné sa propre vie.
— Exactement. On ne se comporte pas avec sa fille de cette manière sans raison. Et cette raison, on va la trouver.
Régis agite la clef dorée devant le nez de Nora.
— La même que celle utilisée par Dickovski pour son ascenseur privé, murmure-t-il d’un air conspirateur.
Nora soupire.
— Je crois que nous ne sommes plus sur la même longueur d’onde. Tu es en train de te barrer dans une théorie du complot qui ne m’intéresse pas. Ce qui se passe à Borderhouse a peut-être un rapport avec le comportement de Dickovski à mon égard, mais je n’ai plus la patience d’attendre, d’espérer que l’on découvre je ne sais quoi, probablement rien. Il ne l’a jamais franchement avoué, comme si cela pouvait lui écorcher les lèvres ou lui pourrir la langue, mais c’est un fait qu’on ne peut plus décemment réfuter : Dickovski est mon père ! Alors je vais rentrer à Nice et demander à Susan pourquoi elle ne l’avoue pas elle-même et pourquoi il me rejette avec une telle violence.