Non seulement Dickovski ne prend pas la peine de frapper mais, emporté par son élan, il parvient in extremis à tourner la poignée de la porte, qui s’ouvre à la volée et percute violemment le mur.
Le docteur Crahon, qui était en communication téléphonique, laisse échapper son portable.
— Mais qu’est-ce que…
— Votre infirmière a été incapable de me dire ce qui s’est réellement passé. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’elle était en train de baiser avec mon opérateur !
Crahon ramasse son portable en tendant un bras par-dessus l’accoudoir de son fauteuil sans quitter le Morse des yeux, de peur que ce dernier ne lui saute dessus.
— Les torts sont partagés, bredouille-t-il en glissant le portable dans la poche de sa blouse.
— Pas vraiment. Le technicien était à son poste. Ce qui n’est pas le cas de votre infirmière.
Crahon retrouve un certain aplomb.
— Inutile d’épiloguer. Je l’ai immédiatement virée et je présume que vous avez fait de même. Votre épouse a manifesté une conscience réflexe pendant quelques secondes.
— Ce qui signifie ?
— Je ne sais pas ce que vous faisiez dans sa tête, mais elle a dû subir un choc violent, et…
— Je n’étais pas dans sa tête. Je n’y suis jamais. Nous nous retrouvons dans un environnement virtuel géré par une intelligence artificielle qui reproduit le plus fidèlement possible la clinique et ses occupants. Combien de fois faudra-t-il que je vous le répète ?
— D’après ce que j’ai cru comprendre, votre intelligence artificielle jongle un peu avec ses neurones, non ?
Le Morse s’approche lentement de Crahon. Il avance son visage à quelques centimètres de celui du médecin.
— Vous devez me rendre des comptes sur la santé de ma femme. Le reste ne vous concerne pas. Je peux vous remplacer en une seconde. Et aucune clinique au monde ne vous offrira un salaire équivalent. Alors vous allez fermer votre gueule, recruter une infirmière exceptionnelle et doubler son salaire. À la moindre merde, vous êtes viré. OK ?
Une goutte de sueur descend le long de la tempe de Crahon, se laisse capturer par la commissure des lèvres.
Il acquiesce en tremblant.
— Bien. Sinon, le technicien a vu les portes de l’ascenseur se refermer. Ce qui indiquerait que quelqu’un l’a emprunté. Mais il n’y a aucune trace sur les captations de verre lent, ce qui signifierait qu’il a halluciné. Dans le doute, mon équipe se charge de vérifier le matériel et je vous demanderai de faire subir à mon épouse un check-up complet.
— OK. Mais je crois qu’on a été trop vite.
Dickovski affiche une tête de manga.
— Vous plaisantez, j’espère ? Ça fait vingt ans que ma femme est dans le coma.
— Certes, mais je voulais dire… depuis que votre système est au point et qu’elle évolue dans votre… univers virtuel.
— On ne va pas trop vite mais les paramètres à gérer sont colossaux. Alors contentez-vous de faire votre boulot. C’est-à-dire de vous occuper de la santé de ma femme, ici et maintenant. Et pas ailleurs et demain. C’est compris ?
Crahon acquiesce sans véritable enthousiasme.
Le Morse paraît soudain songeur.
— Ne vous inquiétez pas. L’univers virtuel va s’étendre. À San Francisco, ça ira mieux.