Nora se trémousse dans le fauteuil en cuir élimé, une antiquité à ressorts qui lui martyrise les fesses.
L’entretien, bien que purement formel, aucun indice matériel ne mettant en doute la thèse du suicide, est pour elle particulièrement éprouvant. Elle a du mal à rester évasive, quasiment abstraite, sur les raisons qui auraient pu pousser sa mère à mettre fin à ses jours. Mais Susan Keller est de nature dépressive et récidiviste en matière de suicide. L’approche de la cinquantaine, un tissu relationnel excessivement réduit et une fille qui va d’un jour à l’autre quitter le domicile familial sont des raisons suffisantes pour justifier son passage à l’acte. Nora fait remarquer qu’elle est donc jugée en partie responsable de la mort de sa mère. L’employée de l’institut médico-légal, ne saisissant pas l’allusion, lui conseille de suivre rapidement quelques séances de psychothérapie et valide le permis d’inhumer. Le bureau est minuscule, un peu vétuste, avec des tuyaux apparents le long des murs. Un cafard détale sous une armoire.
— Brasil, Terry Gilliam, 1985.
La femme, la trentaine, cheveux noirs attachés en chignon, lunettes portées bas sur le nez, lève les yeux de son clavier.
— Pardon ?
— Excusez-moi, je réfléchissais à voix haute. Je me disais que vous aviez une belle vue.
La porte-fenêtre aux armatures en bois et aux verres maculés de chiures de mouches offre effectivement une vue magnifique sur la baie des Anges. Elle s’ouvre sur un petit balcon qui paraît curieusement abandonné.
— Oui, la vue est belle mais le balcon est colonisé par les pigeons. Si vous aimez patauger dans la fiente, ne vous gênez pas…
— Ils sont bizarres, vos pigeons !
— Pardon ?
Un tic de langage probablement. La femme se retourne et pousse un petit cri.
— Mon Dieu, il est tout noir !
— Normal, c’est un corbeau.
— Vous croyez ?
— J’en suis sûre.
Elle remonte les lunettes sur ses yeux.
— Oui, vous avez raison. C’est de mauvais augure.
— Il tient quelque chose dans son bec.
Nora se lève et va ouvrir la porte-fenêtre.
— Qu’est-ce que vous faites ? Arrêtez, vous risquez de le faire rentrer !
Mais le corbeau s’envole en laissant tomber l’objet, juste à la lisière du tapis d’excréments. Nora se penche et le ramasse sans quitter la pièce. Il s’agit d’un cœur en bois percé d’un trou.
Elle ferme la fenêtre, revient dans le bureau, puis présente l’objet à la fonctionnaire.
— C’est une goutte.
La femme fronce les sourcils.
— Pardon ?