DOSSIER
1 Maupassant : écrits sur le roman
2 Du roman de mœurs au roman psychologique
3 Mère et fils
1
Maupassant : écrits sur le roman
« LE ROMAN » : UN DOUBLE DISCOURS
La rédaction du « Roman » suit de peu la publication du « Manifeste des Cinq », attaque violente de la jeune génération contre Zola et le naturalisme. Certains commentateurs en ont conclu que Maupassant y cherche à se démarquer de l’école incriminée. Mais il n’a pas de raison de se sentir visé par les contempteurs de Zola1. « Le roman », s’il est une réponse à leur provocation, c’est plutôt en tant que « manifeste de modération artistique » − le mot est de Geoff Woollen2 −, expression d’une doctrine qui postule la liberté de l’écrivain, garantie par l’impartialité de la critique.
Un incident donnera à ces idées leur poids de réalité3. Le 7 janvier 1888, deux jours avant la sortie de Pierre et Jean en librairie, « Le roman » paraît dans le Supplément littéraire du Figaro, mais, la rédaction ayant fait pratiquer des coupures dans le texte – par Paul Bonnetain, l’un des signataires du « Manifeste des Cinq4 » −, le sens de certains propos, en particulier de ceux qui se rapportent à l’impartialité obligée du critique5, se trouve dénaturé. Un procès est engagé – il se terminera par un arrangement à l’amiable −, occasion pour Maupassant de montrer qu’il est prêt à défendre devant un tribunal la liberté de l’écrivain.
Militer pour cette liberté, c’est refuser toute appartenance à une école quelconque, y compris la réaliste et la naturaliste. Mais Maupassant n’est pas aussi libre qu’il le croit. Implicitement, il parle pro domo, accordant la supériorité à la famille de romanciers dont lui-même est issu. Autrement dit, « Le roman » est un double discours. Comme cet aspect n’a jamais été relevé par les commentateurs, il est intéressant de le regarder de plus près.
Maupassant tient, d’une part, un discours doctrinaire explicite sur la liberté et l’impartialité, mais, d’autre part, ce discours est constamment contredit − à l’insu de l’auteur ? − par des options implicites, qui s’y insinuent au moyen de raisonnements fautifs ou de glissements de sens. De là une impression d’incohérence qui explique, en partie, le peu de succès rencontré par ce texte. Jules Lemaitre note un manque de clarté et s’en étonne : « Vous, si lucide d’ordinaire6 ! » Selon Anatole France, « M. de Maupassant fait la théorie du roman comme les lions feraient celle du courage7 »... en réservant au réalisme, ajouterait-on volontiers, la part du lion. L’auteur met les fautes au compte du Figaro − ceux qui critiquent son essai n’auraient lu que la version tronquée8 −, mais le texte intégral n’est pas exempt non plus de confusions. En voici les plus importantes.
Maupassant oppose deux grandes catégories de romans que le critique doit accueillir, déclare-t-il, « avec un égal intérêt » (p. 44). Ce sont le roman poétique ou idéaliste, qui « transforme la vérité constante, brutale et déplaisante » pour l’embellir (p. 45), et le roman réaliste ou naturaliste, qui propose de montrer « Rien que la vérité et toute la vérité » (p. 47). Mensonge versus vérité : le discours implicite situe l’opposition des deux types de roman sur le plan moral, où le réalisme véridique apparaît nécessairement supérieur à l’idéalisme mensonger. Mais, s’il en est ainsi, comment le critique peut-il considérer les deux sortes de roman « avec un égal intérêt » ? Un glissement de sens permet de sortir de cette impasse. Le propos se déplace du plan de la morale à celui de la connaissance, le terme « vérité » étant utilisé désormais dans le sens d’image exacte de la réalité. Dans le manuscrit, ce changement de sens s’effectue sous nous yeux : nos organes « créent autant de réalités qu’il y a d’hommes sur terre », écrit d’abord Maupassant, puis il biffe « réalités » et lui substitue « vérités9 ». Or, dans ces conditions, il n’y a que des vérités, la vérité n’existe pas. Par conséquent, ni le roman réaliste ni le roman idéaliste ne peuvent la montrer. Autrement dit, les deux se valent : ils méritent « un égal intérêt ». Mais qu’en est-il alors de leur différence ?
Ce serait une question d’art, de composition. Le romancier idéaliste travaille avec cette « ficelle unique » qu’est l’« intrigue », il « machin[e] une aventure » qu’il veut intéressante, il raconte « les crises de la vie ». Le romancier réaliste, au contraire, excelle dans « le groupement adroit de petits faits » relevant de « l’état normal » de la vie, et compose son roman de façon à en rendre les fils « presque invisibles » (p. 46-47). L’écrivain est libre de choisir l’une ou l’autre méthode ; lui contester ce droit serait « vouloir le forcer à modifier son tempérament » (p. 44) − choisir l’écriture idéaliste ou l’écriture réaliste serait donc une affaire de tempérament. Seulement, plus loin, le romancier idéaliste est appelé « Romancier d’hier », et le romancier réaliste, « Romancier d’aujourd’hui » (p. 47). Faudrait-il en conclure qu’il existe un tempérament d’hier et un tempérament d’aujourd’hui ? Ou plutôt que Maupassant, ayant établi l’égalité des deux catégories de romans, manifeste tout de même sa préférence en insinuant que le roman idéaliste est tombé en désuétude, tandis que le roman réaliste est de pleine actualité ?
Même attitude contradictoire devant un autre couple de catégories, « le roman d’analyse pure » et « le roman objectif ». D’un côté, Maupassant veut l’impartialité : il faut « les admettre l’un[e] et l’autre » (p. 49). De l’autre côté, il privilégie le roman objectif : si le romancier en adopte la méthode – celle-ci consiste à éviter « toute dissertation sur les motifs, et [à] se borne[r] à faire passer sous nos yeux les personnages et les événements » −, son roman « y gagne » en intérêt et même en vraisemblance, « car les gens [...] ne nous racontent point les mobiles auxquels ils obéissent » (p. 49-50). D’où l’on conclut que le romancier qui suit la méthode de l’analyse – qui expose les mobiles des personnages − n’y gagne rien.
Pourquoi cette ambiguïté constante ? Certes, il y a la maladresse du lion peu doué pour la théorie. Mais il est plus important d’observer que le double discours du « Roman » correspond à un changement de position en cours10 : Maupassant s’éloigne du réalisme qui travaille, selon lui, avec des personnages à identité instable, pour s’orienter vers le roman psychologique où l’analyse, par la mise en valeur de la subjectivité, promet de consolider les identités. C’est ce mouvement qui commande le double discours du « Roman ». Au niveau implicite, l’auteur fait preuve de fidélité à ses origines réalistes et naturalistes, alors même qu’il craint l’effet délétère de cette tendance pour l’identité. Au niveau explicite, doctrinaire, en prônant l’égalité de toutes les tendances, il exprime un besoin d’absolutiser la différence.
C’est dans cette perspective qu’on comprend aussi l’ajout à cette dissertation sur le roman d’un morceau d’autobiographie intellectuelle que les commentateurs appellent « la leçon de Flaubert11 ». Maupassant y cite les préceptes du maître. Le devoir de l’écrivain est de présenter son objet de façon qu’il ne ressemble à aucun autre individu de sa classe, qu’il s’impose comme unique. Idem pour le style : « Quelle que soit la chose qu’on veut dire, il n’y a qu’un mot pour l’exprimer » (p. 55). Qui plus est, ce mot unique, apte à représenter l’objet comme unique, doit être un mot ordinaire auquel le travail d’écriture conférera son statut d’unique : « Efforçons-nous d’être des stylistes excellents plutôt que des collectionneurs de termes rares » (p. 56). Ici, on notera un enseignement important du manuscrit. Au lieu de « stylistes », Maupassant écrit d’abord « grammairiens », le biffe, puis il écrit « linguistes » : « Efforçons-nous d’être des linguistes excellents12. » Nous ignorons pour quelle raison « stylistes » est substitué à « linguistes » dans la version imprimée. Toujours est-il que pour Maupassant le style n’est pas une affaire de vocabulaire, ni même de rhétorique, mais de linguistique, ce qui revient à dire que n’importe quel mot − n’importe quoi, n’importe qui − peut être pourvu d’un statut d’unique.
RÉFLEXIONS SUR LE ROMAN (1876-1889)
« Il y aura, quand on réunira ses œuvres complètes, un beau volume d’essais à composer », écrit Paul Bourget à la mort de Maupassant13. La majeure partie de ces essais est consacrée à des romanciers et au roman. Souvent, on y rencontre les mêmes idées, les mêmes formules, que l’écrivain répète intentionnellement afin de les diffuser plus largement et de les élaborer mieux. « Le roman », seul écrit sur la littérature recueilli en volume par Maupassant, sera la somme des réflexions publiées auparavant. Pour le choix d’extraits que nous proposons, nous avons retenu l’ordre chronologique, de façon à ébaucher une perspective évolutive. De Flaubert à Flaubert, telle serait la trajectoire de cette évolution : le premier article publié par le débutant en 1876, comme le dernier essai littéraire de l’écrivain célèbre, paru en 189014, sont consacrés au maître.
L’APPRENTI DE FLAUBERT
Dès son premier article, Maupassant préconise la primauté de la forme – c’est un principe qu’il emprunte à Flaubert – et pose la théorie du « mot unique », que l’on retrouvera jusque dans « Le roman » :
Chez lui [Flaubert], la forme c’est l’œuvre elle-même : elle est comme une suite de moules différents qui donnent des contours à l’idée, cette matière dont sont pétris les livres. Elle lui fournit la grâce, la force, la grandeur, toutes ces qualités, qui, pour ainsi dire, dissimulées dans la pensée même, n’apparaissent que par le secours de l’expression. Variable à l’infini comme les sensations, les impressions et les sentiments divers, elle se colle sur eux, inséparable. Elle se plie à toutes leurs manifestations, leur apportant le mot juste et unique, la mesure, le rythme particulier pour chaque circonstance [...]15.
Autre idée du débutant, qui, conçue dès 1880, reviendra plus tard, formulée presque à l’identique16 : travailler la forme, ce n’est pas du raffinement, mais une épreuve de force. En témoigne l’exemple de Flaubert :
Il travaille avec une obstination féroce, écrit, rature, recommence, surcharge les lignes, emplit les marges, trace des mots en travers, et sous la fatigue de son cerveau il geint comme un scieur de long.
[....] la joue enflée, le front rouge, tendant ses muscles comme un athlète qui lutte, il se bat désespérément contre l’idée, la saisit, l’étreint, la subjugue, et peu à peu, avec des efforts surhumains, il l’encage, comme une bête captive, dans une forme solide et précise17.
Conseils du maître au disciple en mal d’individualiser ses objets :
« Vous vous plaignez des femmes qui sont “monotones”. Il y a un remède bien simple, c’est de ne pas vous en servir.
“Les événements ne sont pas variés.” Cela est une plainte réaliste, et d’ailleurs qu’en savez-vous ? Il s’agit de les regarder de plus près. Avez-vous jamais cru à l’existence des choses ? est-ce que tout n’est pas une illusion ? Il n’y a de vrai que les rapports : c’est-à-dire la façon dont nous percevons les objets.
“Les vices sont mesquins ;”− mais tout est mesquin.
“Il n’y a pas assez de tournures de phrases ;” − cherchez et vous trouverez18. »
Est-ce que tout n’est pas une illusion ? L’idée de concevoir la vérité (la connaissance exacte de la réalité) comme illusion réapparaîtra dans « Le roman ».
LA DOCTRINE D’UN ROMANCIER HOSTILE À TOUTE DOCTRINE
Dès 1882, Maupassant esquisse une opposition entre roman objectif et roman psychologique. Le rejet de ce dernier, qu’il exprime ici, sera bientôt dépassé :
Les faits ne sont-ils pas les traductions immédiates des sentiments et des volontés ? [...] montrer les personnages si puissamment que tous leurs dessous soient devinés rien qu’à les voir [...], sans entreprendre en eux un voyage géographique avec la carte des désirs et des sentiments, ne serait-ce pas là faire du vrai roman [...] ?
Je vais plus loin. Je considère que le romancier n’a jamais le droit de qualifier un personnage, de déterminer son caractère par des motifs explicatifs. Il doit me le montrer tel qu’il est, non me le dire. Je n’ai pas besoin de détails psychologiques. Je veux des faits, rien que des faits, et je tirerai les conclusions tout seul19.
La thèse de l’impartialité obligée du lecteur devant le roman véridique et le roman qui embellit la réalité est posée dès 1882 ; elle réapparaîtra, elle aussi, dans « Le roman ».
L’écrivain est et doit rester seul maître, seul juge de ce qu’il se sent capable d’écrire. [...] Il n’est justiciable du lecteur que pour l’exécution.
[...] Je n’ai pas le droit de reprocher à M. Feuillet de ne jamais analyser des ouvriers, ou à M. Zola de ne point choisir des personnages vertueux.
Il ne s’ensuit pas qu’il ne nous soit point permis de garder des préférences pour un certain ordre d’idées ou de sujets. [...]
Le romancier moderne cherche avant tout à surprendre l’humanité sur le fait. Ce qu’il a donc intérêt à dégager d’abord dans toute action humaine, c’est le mobile initial, l’origine mystérieuse du vouloir, et surtout les déterminants communs à toute la race, les impulsions instinctives.
Or, ce qui distingue principalement les gens du monde des catégories d’individus plus simples, c’est surtout une sorte de vernis de conventions, un badigeonnage d’hypocrisie compliquée.
Le romancier se trouve donc placé dans cette alternative : faire le monde tel qu’il le voit, lever les voiles de grâce et d’honnêteté, [...] ou bien se résoudre à créer un monde gracieux et conventionnel [...].
Non point qu’il faille attaquer et condamner le parti pris de ne dépeindre que les surfaces attrayantes, que les apparences aimables ; mais, quand un écrivain est doué d’un tempérament qui ne lui permet d’exprimer que ce qu’il croit être la vérité, on ne le peut contraindre à tromper et à se tromper consciemment20.
En 1883, dans une étude sur Zola, la conception de la vérité comme connaissance subjective de la réalité prend une forme plus claire, plus élaborée :
[L]a théorie [de Zola] est celle-ci : Nous n’avons pas d’autre modèle que la vie puisque nous ne concevons rien au-delà de nos sens ; par conséquent, déformer la vie est produire une œuvre mauvaise, puisque c’est produire une œuvre d’erreur. [...]
Donc, pour Zola, la vérité seule peut produire des œuvres d’art. Il ne faut donc pas imaginer ; il faut observer et décrire scrupuleusement ce qu’on a vu.
Ajoutons que le tempérament particulier de l’écrivain donnera aux choses qu’il décrira une couleur spéciale, une allure propre, selon la nature de son esprit. Il a défini ainsi son naturalisme : « La nature vue à travers un tempérament » ; et cette définition est la plus claire, la plus parfaite qu’on puisse donner de la littérature en général. [...]
Car la vérité absolue, la vérité sèche, n’existe pas, personne ne pouvant avoir la prétention d’être un miroir parfait. [...] Prétendre faire vrai, absolument vrai, n’est qu’une prétention irréalisable, et l’on peut tout au plus s’engager à reproduire exactement ce qu’on a vu, tel qu’on l’a vu, à donner les impressions telles qu’on les a senties, selon les facultés de voir et de sentir, selon l’impressionnabilité propre que la nature a mise en nous21.
En 1884, la distinction entre le roman objectif et le roman psychologique apparaît non seulement plus nuancée et bien plus solidement assise qu’auparavant, mais Maupassant fait preuve d’une ouverture remarquable en appréciant désormais le second type de roman que deux ans avant il rejetait encore :
[...] la recherche des seuls phénomènes psychologiques a préoccupé de tout temps les chercheurs. [...] Aujourd’hui, ce sont surtout les romanciers observateurs qui s’efforcent de pénétrer et d’expliquer l’obscur travail des volontés, le profond mystère des réflexions inconscientes, les déterminants tantôt plus instinctifs que raisonnés, et tantôt plus raisonnés qu’instinctifs ; d’indiquer la limite insaisissable où le vouloir réfléchi se mêle, pour ainsi dire, à une sorte de vouloir matériel sensuel, à un vouloir animal ; de noter les actions de l’un sur l’autre, etc. [...]
C’est ce domaine mystérieux qu’explorent aujourd’hui les romanciers, avec des méthodes très différentes.
Les uns, qui sont purement des objectifs, au lieu de mettre au jour la psychologie des personnages en des dissertations explicatives, la font simplement apparaître par leurs actes. [...]
Les autres, comme M. Paul Bourget, font pour ainsi dire la géographie morale des gens qu’ils présentent au lecteur et ils entrent jusqu’au profond de leur âme pour dévoiler les mobiles de leurs actions. On pourrait appeler ceux-ci des métaphysiciens, et ceux-là des metteurs en scène.
Mais il faut encore distinguer parmi les romanciers deux grandes tendances générales. L’une qui pousse les analystes à simplifier l’âme humaine observée ; à faire, en quelque sorte, la somme des nuances de même nature pour frapper le lecteur par un trait typique, par une note unique et caractéristique ; l’autre qui les détermine au contraire à saisir et à montrer une à une les plus vagues, les plus fugitives sensations de la pensée, les plus obscures évolutions de la volonté, à ne négliger aucun détail d’aucune nature, aucune nuance d’aucune sorte.
Ces derniers auraient donc, au contraire une propension à compliquer. On les pourrait appeler les subtils22.
Héritage de Flaubert, le refus des écoles littéraires est à la base de l’impartialité obligée de la critique, grand thème du « Roman » :
Lorsque Madame Bovary parut, le public, accoutumé à l’onctueux sirop des romans élégants, ainsi qu’aux aventures invraisemblables des romans accidentés, a classé le nouvel écrivain parmi les réalistes. C’est là une grossière erreur et une lourde bêtise. Gustave Flaubert n’était pas plus réaliste parce qu’il observait la vie avec soin que M. Cherbuliez n’est idéaliste parce qu’il l’observe mal.
Le réaliste est celui qui ne se préoccupe que du fait brutal, sans en comprendre l’importance relative et sans en noter les répercussions. Pour Gustave Flaubert, un fait par lui-même ne signifiait rien. [...]
Il s’irritait beaucoup de cette épithète de réaliste qu’on lui avait collée au dos et prétendait n’avoir écrit sa Bovary que par haine de l’école de M. Champfleury.
Malgré une grande amitié pour Émile Zola, une grande admiration pour son puissant talent qu’il qualifiait de génial, il ne lui pardonnait pas le naturalisme23.
Autre idée héritée de Flaubert : le prosateur est artiste, le styliste est grammairien. Ce sera le thème final du « Roman ».
Cette question du rythme de la prose le lançait parfois en des dissertations passionnées : « [...] Quand on sait manier cette chose fluide, la prose française, quand on sait la valeur exacte des mots, et quand on sait modifier cette valeur selon la place qu’on leur donne, quand on sait attirer tout l’intérêt d’une page sur une ligne, mettre une idée en relief entre cent autres, uniquement par le choix et la position des termes qui l’expriment ; quand on sait frapper avec un mot, un seul mot, posé d’une certaine façon, comme on frapperait avec une arme ; quand on sait bouleverser une âme, l’emplir brusquement de joie ou de peur, d’enthousiasme, de chagrin ou de colère, rien qu’en faisant passer un adjectif sous l’œil du lecteur, on est vraiment un artiste, le plus supérieur des artistes, un vrai prosateur24. »
« L’ÉVOLUTION DU ROMAN AU XIXe SIÈCLE »
À partir de 1885, la production des chroniques et, avec elles, des écrits sur la littérature va en décroissant. En 1887, Maupassant publie « Le roman », et, en 1889, « L’évolution du roman au XIXe siècle », importante étude d’orientation historique :
À côté de cette école des amuseurs [...] qui a dû son triomphe [à] ce volcan en éruption de livres, qui se nommait Dumas, se déroula dans notre pays une chaîne de romanciers philosophes dont les trois ancêtres principaux, bien différents de nature, sont : Lesage, J.-J. Rousseau et l’abbé Prévost.
De Lesage descend la lignée des fantaisistes spirituels qui, [...] psychologues souriants, plus ironiques qu’émus, nous ont montré, avec de jolis dehors d’observation et des élégances de style, de fringantes marionnettes. [...]
De J.-J. Rousseau descend la grande famille des écrivains-romanciers-philosophes, qui ont mis l’art d’écrire [...] au service des idées générales.
[...] peu précis et peu observateurs, mais prêcheurs éloquents, artistes et séducteurs, ces romanciers n’ont plus guère de représentants parmi nous.
Mais de l’abbé Prévost nous arrive la puissante race des observateurs, des psychologues, des véritalistes. C’est avec Manon Lescaut qu’est née l’admirable forme du roman moderne. [...]
Sous la Révolution et sous l’Empire, la littérature sembla morte. [...]
La résurrection fut éclatante. Une légion de poète surgit, [...] et deux romanciers apparurent, de qui date la réelle évolution de l’aventure imaginée à l’aventure observée, ou mieux à l’aventure racontée comme si elle appartenait à la vie.
Le premier de ces hommes, grandi pendant les secousses de l’Épopée Impériale, se nomma Stendhal, et le second, le géant des lettres modernes, aussi énorme que Rabelais, ce père de la littérature française, fut Honoré de Balzac.
Stendhal gardera surtout une valeur de précurseur : c’est le primitif de la peinture des mœurs. [...] [Il] a fait couler dans ses livres un flot de pensées nouvelles, mais [...] il a tellement méconnu la toute-puissance du style qui est la forme inséparable de l’idée, et confondu l’emphase avec la langue artiste, qu’il demeure, malgré son génie, un romancier de second plan.
[...] Balzac a l’énergie fécondante, débordante, immodérée, stupéfiante d’un dieu, mais avec les hâtes, les violences, les imprudences, les conceptions incomplètes, les disproportions d’un créateur qui n’a pas le temps de s’arrêter pour chercher la perfection.
On ne peut dire de lui qu’il fut un observateur, ni qu’il évoqua exactement le spectacle de la vie, comme le firent après lui certains romanciers, mais il fut doué d’une si géniale intuition et il créa une humanité tout entière si vraisemblable, que tout le monde y crut et qu’elle devint vraie. [...]
Derrière lui, une école se forma bientôt, qui s’autorisant de ce que Balzac écrivait mal, n’écrivit plus du tout, et érigea en règle la copie précise de la vie. M. Champfleury fut un des plus remarquables chefs de ces réalistes [...].
C’est alors qu’un jeune homme, doué d’un tempérament lyrique, [...] et armé aussi d’un œil admirable d’observateur, [...] qui sait deviner les intentions secrètes tout en jugeant la valeur plastique des gestes et des faits, apporta dans l’histoire de la littérature française un livre d’une impitoyable exactitude et d’une impeccable exécution : Madame Bovary.
C’est à Gustave Flaubert qu’on doit l’accouplement du style et de l’observation modernes.
Mais la poursuite de la vérité, ou plutôt de la vraisemblance, amenait peu à peu la recherche passionnée de ce qu’on appelle aujourd’hui le document humain.
Les ancêtres des réalistes actuels s’efforçaient d’inventer en imitant la vie ; les fils s’efforcent de reconstituer la vie même, avec des pièces authentiques qu’ils ramassent de tous les côtés. Et ils les ramassent avec une incroyable ténacité. Ils vont partout, furetant, guettant, une hotte au dos, comme des chiffonniers. Il en résulte que leurs romans sont souvent des mosaïques de faits arrivés en des milieux différents et dont les origines, de nature diverse, enlèvent au volume où ils sont réunis le caractère de vraisemblance et l’homogénéité que les auteurs devraient poursuivre avant tout.
[...] Pour les débutants qui apparaissent aujourd’hui, au lieu de se tourner vers la vie avec une curiosité vorace, [...] ils ne regardent plus qu’en eux-mêmes, [...] et proclament que le roman définitif ne doit être qu’une autobiographie.
[...]
Nous arrivons donc à la peinture du moi, du moi hypertrophié par l’observation intense [...].
Cette tendance vers la personnalité étalée – car c’est la personnalité voilée qui fait la valeur de toute œuvre, et qu’on nomme génie ou talent – cette tendance n’est-elle pas une preuve de l’impuissance à observer, à absorber la vie éparse autour de soi, comme ferait une pieuvre aux innombrables bras ?
Et cette définition derrière laquelle se barricada Zola dans la grande bataille qu’il a livrée pour ses idées, ne sera-t-elle point toujours vraie, car elle peut s’appliquer à toutes les productions de l’art littéraire et à toutes les modifications qu’apporteront les temps : Un roman, c’est la nature vue à travers un tempérament25.
2
Du roman de mœurs au roman psychologique
Disciple de Flaubert, compagnon de route de Zola, Maupassant commence sa carrière de romancier par des œuvres que la critique conservatrice juge peu convenables parce que les mobiles sociaux et économiques des actes s’y trouvent explicités26. L’héroïne d’Une vie (1883) est noble, elle épouse un noble, mais la question d’argent est débattue tout au long du roman. Dans Bel-Ami (1885), l’argent est le moteur de toute l’action, des escroqueries comme des amours. Si la critique de l’époque ne trouve pas les personnages de ces romans assez « complexes », raffinés, distingués, c’est que leur vie intérieure est présentée telle qu’elle est déterminée par leurs rapports avec le monde extérieur. Dans le roman psychologique à la Bourget, au contraire, seuls importent les mobiles et les combats intérieurs.
Mont-Oriol (1886-1887) est un mélange des deux types de roman : l’argent y est lourdement présent, mais il semble ignoré par les deux protagonistes, préoccupés uniquement par le drame amoureux qu’ils traversent. Telle est tout au moins l’apparence, que certaines réalités ne manqueront pas de réfuter : rappelons seulement que l’héroïne, une aristocrate pauvre, est l’épouse d’un homme d’affaires richissime, et que son amant la quittera pour une opulente héritière. Pierre et Jean, on le sait, est une œuvre de transition. Dans Fort comme la mort (1889) et Notre cœur (1890), romans de la haute société, toute détermination socio-économique semble absente, les personnages vivent, dirait-on, de l’air du temps.
C’est cette évolution que nous proposons d’illustrer par le choix d’extraits qui suit.
UNE VIE
Représentation du passage de l’Ancien au Nouveau Régime, Une vie commence sous la Restauration et se termine au milieu du XIXe siècle. C’est l’histoire d’une déchéance, celle d’une famille de noblesse campagnarde, en rapports paternalistes avec les paysans, mais aux prises, d’une façon de plus en plus dramatique, avec l’argent.
Une conversation style Ancien Régime entre la baronne Le Perthuis de Vauds, mère de l’héroïne, et son futur gendre, le vicomte Julien de Lamare :
« Dites-moi, vicomte, avez-vous entendu parler des Saunoy de Varfleur ? Le fils aîné, Gontran, avait épousé une demoiselle de Coursil, une Coursil-Courville, et le cadet, une de mes cousines, Mlle de la Roche-Aubert qui était alliée aux Crisange. Or M. de Crisange fut l’intime de mon père et a dû connaître aussi le vôtre.
− Oui, madame. N’est-ce pas ce M. de Crisange qui émigra et dont le fils s’est ruiné ? [...] »
Et des noms appris et retenus dès l’enfance dans les conversations des vieux parents revenaient. Et les mariages de ces familles égales prenaient dans leurs esprits l’importance des grands événements publics. Ils parlaient de gens qu’ils n’avaient jamais vus comme s’ils les connaissaient beaucoup ; et ces gens-là, dans d’autres contrées, parlaient d’eux de la même façon ; et ils se sentaient familiers de loin, presque amis, presque alliés, par le seul fait d’appartenir à la même classe, à la même caste, d’être d’un sang équivalent27.
Mais Julien, malgré son orgueil de noble, est intéressé en premier lieu par l’argent. Pauvre, il a épousé Jeanne pour sa fortune. À leur départ en voyage de noces, la baronne remet à sa fille une bourse de deux mille francs : « C’est pour tes petites dépenses de jeune femme28. » Julien propose de garder cet argent dans sa ceinture. À la fin du voyage, Jeanne voudrait s’en servir.
« Mon chéri, veux-tu me rendre l’argent de maman parce que je vais faire mes emplettes ? »
Il se tourna vers elle avec un visage mécontent.
« Combien te faut-il ? »
Elle fut surprise et balbutia :
« Mais... ce que tu voudras. »
Il reprit : « Je vais te donner cent francs ; surtout ne les gaspille pas. »
Elle ne savait plus que dire, interdite et confuse.
Enfin elle prononça, en hésitant : « Mais... je... t’avais remis cet argent pour... »
Il ne la laissa pas achever.
« Oui, parfaitement. Que ce soit dans ta poche ou dans la mienne, qu’importe, du moment que nous avons la même bourse. Je ne t’en refuse point, n’est-ce pas, puisque je te donne cent francs29. »
Les rapports entre les époux se refroidissent. Pourtant, Jeanne, qui voudrait un deuxième enfant, se rapproche de son mari.
Mais elle remarqua bientôt que les caresses de son mari semblaient différentes de jadis. Elles étaient plus raffinées peut-être, mais moins complètes. Il la traitait comme un amant discret, et non plus comme un époux tranquille.
Elle s’étonna, observa, et s’aperçut bientôt que toutes ses étreintes s’arrêtaient avant qu’elle pût être fécondée.
Alors une nuit, la bouche sur la bouche, elle murmura : « Pourquoi ne te donnes-tu plus à moi tout entier comme autrefois ? »
Il se mit à ricaner : « Parbleu, pour ne pas t’engrosser. »
Elle tressaillit : « Pourquoi donc ne veux-tu plus d’enfants ? »
Il demeura perclus de surprise : « Hein ? tu dis ? mais tu es folle ? Un autre enfant ? Ah ! mais non, par exemple ! C’est déjà trop d’un pour piailler, occuper tout le monde et coûter de l’argent. Un autre enfant ! merci30 ! »
Jeanne finit par rester seule. Son fils, à Paris, se lance dans des affaires douteuses qui se soldent à chaque fois par une demande d’argent adressée à sa mère. Celle-ci continue à se dépouiller, jusqu’au jour où Rosalie, son ancienne bonne, à présent une fermière aisée, revient auprès d’elle et prend la situation en main.
Et elle [Rosalie] expliqua ses calculs, ses projets, ses raisonnements.
Une fois les Peuples31 et les deux fermes attenantes vendues à un amateur qu’elle avait trouvé, on garderait quatre fermes situées à Saint-Léonard, et qui, dégrevées de toute hypothèque, constitueraient un revenu de huit mille trois cents francs. On mettrait de côté treize cents francs par an pour les réparations et l’entretien des biens ; il resterait donc sept mille francs sur lesquels on prendrait cinq mille pour les dépenses de l’année ; et on en réserverait deux mille pour former une caisse de prévoyance.
Elle ajouta : « Tout le reste est mangé, c’est fini. Et puis c’est moi qui garderai la clef, vous entendez [...]32. »
BEL-AMI
Jeune ambitieux de trempe balzacienne, mais plus mesquin et plus cynique que ses modèles, Georges Duroy, alias Du Roy, fait son ascension sociale par le journalisme qui lui assure une participation au pouvoir politique, et par les femmes qu’il séduit, dépouille et, dès que son intérêt le conduit ailleurs, rejette.
Premier échelon de l’ascension, sortir de la misère :
Sa maison haute de six étages était peuplée par vingt petits ménages ouvriers et bourgeois, et il éprouva, en montant l’escalier, dont il éclairait avec des allumettes-bougies les marches sales où traînaient des bouts de papiers, des bouts de cigarettes, des épluchures de cuisine, une écœurante sensation de dégoût et une hâte de sortir de là, de loger comme les hommes riches, en des demeures propres, avec des tapis. Une odeur lourde de nourriture, de fosse d’aisances et d’humanité, une odeur stagnante de crasse et de vieille muraille, qu’aucun courant d’air n’eût pu chasser de ce logis, l’emplissait du haut en bas.
Sur son petit lit de fer, où la place de son corps avait fait un creux, il aperçut ses habits de tous les jours jetés là, vides, fatigués, flasques, vilains comme des hardes de la Morgue. [...]
Cela sentait la misère honteuse, la misère en garni de Paris. Et une exaspération le souleva contre la pauvreté de sa vie33.
Soirée dans la bonne société, théâtre du triomphe de Duroy, où les plaisirs crèvent la surface hypocrite :
Ce fut le moment des sous-entendus adroits, des voiles levés par des mots, comme on lève des jupes, le moment des ruses de langage, des audaces habiles et déguisées, de toutes les hypocrisies impudiques, de la phrase qui montre des images dévêtues avec des expressions couvertes, qui fait passer dans l’œil et dans l’esprit la vision rapide de tout ce qu’on ne peut pas dire, et permet aux gens du monde une sorte d’amour subtil et mystérieux, une sorte de contact impur des pensées par l’évocation simultanée, troublante et sensuelle comme une étreinte, de toutes les choses secrètes, honteuses et désirées de l’enlacement. On avait apporté le rôti, des perdreaux flanqués de cailles, puis des petits pois, puis une terrine de foie gras accompagnée d’une salade aux feuilles dentelées, emplissant comme une mousse verte un grand saladier en forme de cuvette. Ils avaient mangé de tout cela sans y goûter, sans s’en douter, uniquement préoccupés de ce qu’ils disaient, plongés dans un bain d’amour34.
Ayant réussi à se séparer de sa première femme qui lui a appris le métier d’écrire, l’a introduit dans le monde, et à qui il a extorqué une somme d’argent considérable, Duroy décide de faire un grand mariage : épouser la fille du puissant et richissime directeur du journal où il est employé. Lui-même fils de ses œuvres, le père finit par reconnaître la valeur du maître chanteur qui vient de lui voler sa fille.
George ne disait plus rien. Il songeait : Donc, si cette petite avait un peu d’audace, il allait réussir, enfin ! Depuis trois mois, il l’enveloppait dans l’irrésistible filet de sa tendresse. Il la séduisait, la captivait, la conquérait. Il s’était fait aimer d’elle, comme il savait se faire aimer. Il avait cueilli sans peine son âme légère de poupée.
[...] Il venait d’obtenir qu’elle s’enfuît avec lui. Car il n’y avait pas d’autre moyen. [...]
Mais une fois qu’il tiendrait la petite au loin, il traiterait de puissance à puissance, avec le père35.
Le père et la mère s’aperçoivent de la fuite de la jeune fille :
[...] il gémit :
« C’est fait, il la tient. Nous sommes perdus. »
Elle ne comprenait pas : « Comment perdus ?
− Eh ! oui, parbleu. Il faut bien qu’il l’épouse maintenant. »
Elle poussa une sorte de cri de bête :
« Lui ! jamais ! Tu es donc fou ? »
Il répondit tristement : « Ça ne sert à rien de hurler. Il l’a enlevée, il l’a déshonorée. Le mieux est encore de la lui donner. En s’y prenant bien, personne ne saura cette aventure. »
Elle répéta, secouée d’une émotion terrible : « Jamais ! jamais il n’aura Suzanne ! Jamais je ne consentirai ! »
Walter murmura avec accablement :
« Mais il l’a. C’est fait. Et il la gardera et la cachera tant que nous n’aurons pas cédé. Donc, pour éviter le scandale, il faut céder tout de suite.
[...] Ah ! le gredin, comme il nous a joués... Il est fort tout de même. Nous aurions pu trouver beaucoup mieux comme position, mais pas comme intelligence et comme avenir. C’est un homme d’avenir. Il sera député et ministre36. »
MONT-ORIOL
Les deux fils de l’intrigue, une histoire économique, celle de la construction d’une ville d’eaux, et une histoire d’amour, tout en nuances psychologiques, courent parallèlement.
Andermatt, l’homme d’affaires juif, est le représentant du monde moderne capitaliste :
« Ah ! vous ne comprenez pas, vous autres, comme c’est amusant, les affaires, non pas les affaires des marchands ou des commerçants, mais les grandes affaires, les nôtres ! Oui, mon cher, quand on les entend bien, cela résume tout ce qu’ont aimé les hommes, c’est en même temps la politique, la guerre, la diplomatie, tout, tout ! il faut toujours chercher, trouver, inventer, tout comprendre, tout prévoir, tout combiner, tout oser. Le grand combat, aujourd’hui, c’est avec l’argent qu’on le livre. [...] Et je me bats, sacrebleu ! je me bats du matin au soir contre tout le monde, avec tout le monde. Et c’est vivre, cela, c’est vivre largement, comme vivaient les puissants de jadis. Nous sommes les puissants d’aujourd’hui, voilà, les vrais, les seuls puissants ! Tenez, regardez ce village, ce pauvre village ! J’en ferai une ville, moi, une ville blanche [...]. Et je réussirai, parce que je tiens le moyen, le seul moyen. [...] J’en ai maintenant pour trois ans de plaisir avec ma ville37. »
Passation des pouvoirs de la noblesse aux nouveaux riches : Andermatt persuade son beau-frère, le comte de Ravenel, un viveur cynique, d’épouser une paysanne bien dotée.
« [...] Écoutez-moi : Vous avez mangé la part de fortune qui vous revenait de votre mère. N’en parlons plus.
− N’en parlons plus.
− Quant à votre père, il possède trente mille francs de rente, soit un capital de huit cent mille francs environ. Votre part sera donc, plus tard, de quatre cent mille francs. Or, vous me devez, à moi, cent quatre-vingt-dix mille francs. Vous devez en outre à des usuriers [...] à peu près autant. [...]
Vous ne pouvez vous tirer de là que par un mariage. Or, vous êtes un parti déplorable, malgré votre nom qui sonne bien, sans être illustre. Enfin, il n’est pas de ceux qu’une héritière, même israélite, paye d’une fortune. Donc, il vous faut trouver une femme acceptable et riche, ce qui n’est pas très commode... »
Gontran l’interrompit :
« Nommez-la tout de suite, ça vaut mieux.
− Soit : une des filles du père Oriol, à votre choix. [...]38 »
L’amour idéal de Christiane, l’épouse d’Andermatt, et de Paul Brétigny, s’oppose aux relations d’intérêt qui se nouent autour d’eux. Mais ce rêve ne dure qu’un été. L’année d’après, Christiane, heureuse de porter l’enfant de son amant, ne parvient pas à pénétrer la raison profonde du subit éloignement de celui-ci. C’est l’auteur qui analyse les motifs de son personnage :
Elle ne comprenait pas qu’il était, cet homme, de la race des amants, et non point de la race des pères. Depuis qu’il la savait enceinte, il s’éloignait d’elle et se dégoûtait d’elle, malgré lui. Il avait souvent répété, jadis, qu’une femme n’est plus digne d’amour qui a fait fonction de reproductrice. Ce qui l’exaltait dans la tendresse, c’était cet envolement de deux cœurs vers un idéal inaccessible, cet enlacement de deux âmes qui sont immatérielles, c’était tout le factice et irréalisable mis par les poètes dans la passion. Dans la femme physique, il adorait la Vénus dont le flanc sacré devait conserver toujours la forme pure de la stérilité. [...] La maternité faisait une bête de cette femme39.
Car ce sont des nuances infimes qui commandent les destins :
Christiane songeait à Tazenat40. C’était la même voiture ! c’étaient les mêmes êtres, mais ce n’étaient plus les mêmes cœurs ! Tout semblait pareil... et pourtant ?... pourtant ?... Qu’était-il donc arrivé ? Presque rien !... Un peu d’amour de plus chez elle !... un peu d’amour de moins chez lui !... presque rien !... la différence du désir qui naît au désir qui meurt !... presque rien !... l’invisible déchirure que la lassitude fait aux tendresses !... oh ! presque rien, presque rien !... et le regard des yeux changé, parce que les mêmes yeux ne voient plus de même le même visage !... Qu’est-ce qu’un regard ?... Presque rien41 !
FORT COMME LA MORT
Histoire de deux amants guettés par la vieillesse, mais dont les cœurs ne savent pas vieillir, Fort comme la mort est une tragédie intime qui se déroule dans l’élite sociale dont le pouvoir se fonde sur le mariage de la particule et du capital – c’est indiqué, par quelques phrases −, mais dont les membres ont le loisir de s’occuper exclusivement de leurs sentiments.
Écrivain psychologue, Maupassant est un précurseur de Proust : la sensation – la « madeleine » − déclenche chez son personnage le travail de la mémoire. Ou, en termes d’histoire littéraire : À la recherche du temps perdu est issu d’une lignée de romans psychologiques, dont ceux de Maupassant.
Bertin sentait en lui s’éveiller des souvenirs, ces souvenirs disparus, noyés dans l’oubli et qui soudain reviennent, on ne sait pourquoi. Ils surgissaient rapides, de toutes sortes, si nombreux en même temps, qu’il éprouvait la sensation d’une main remuant la vase de sa mémoire.
Il cherchait pourquoi avait lieu ce bouillonnement de sa vie ancienne [...]. Il existait toujours une cause à ces évolutions subites, une cause matérielle et simple, une odeur, un parfum souvent. [...] Au fond des vieux flacons de toilette, il avait retrouvé souvent aussi des parcelles de son existence ; et toutes les odeurs errantes, celles des rues, des champs, des maisons, des meubles, les douces et les mauvaises, les odeurs chaudes des soirs d’été, les odeurs froides des soirs d’hiver, ranimaient toujours chez lui de lointaines réminiscences, comme si les senteurs gardaient en elles les choses mortes embaumées, à la façon des aromates qui conservent les momies.
[...] Était-ce à son œil qu’il devait cette alerte ? Qu’avait-il vu ? Rien. Parmi les personnes rencontrées, une d’elles peut-être ressemblait à une figure de jadis, et, sans qu’il l’eût reconnue, secouait en son cœur toutes les cloches du passé.
N’était-ce pas un son, plutôt ? Bien souvent un piano entendu par hasard, une voix inconnue, même un orgue de Barbarie jouant sur une place un air démodé, l’avaient brusquement rajeuni de vingt ans, en lui gonflant la poitrine d’attendrissements oubliés42.
Dire l’indicible, les bonheurs et les tourments indicibles de l’amour, telle est l’une des visées du roman psychologique moderne :
« [...] vous aimez en moi, comme vous le disiez fort bien avant dîner, une femme qui satisfait les besoins de votre cœur, une femme qui ne vous a jamais fait une peine et qui a mis un peu de bonheur dans votre vie. Cela, je le sais, je le sens. Oui, j’ai la conscience, j’ai la joie ardente de vous avoir été bonne, utile et secourable. Vous avez aimé, vous aimez encore tout ce que vous trouvez en moi d’agréable, mes attentions pour vous, mon admiration, mon souci de vous plaire, ma passion, le don complet que je vous ai fait de mon être intime. Mais ce n’est pas moi que vous aimez, comprenez-vous ! [...] »
Il eut un petit rire amical :
« Non, je ne comprends pas trop bien. [...] »
Elle s’écria :
« Oh, mon Dieu ! Je voudrais vous faire comprendre comment je vous aime, moi ! Voyons, je cherche, je ne trouve pas. Quand je pense à vous, et j’y pense toujours, je sens jusqu’au fond de ma chair et de mon âme une ivresse indicible de vous appartenir, et un besoin irrésistible de vous donner davantage de moi. Je voudrais me sacrifier d’une façon absolue, car il n’y a rien de meilleur, quand on aime, que de donner, de donner toujours, tout, tout, sa vie, sa pensée, son corps, tout ce qu’on a [...]. Je vous aime, jusqu’à aimer souffrir pour vous, jusqu’à aimer mes inquiétudes, mes tourments, mes jalousies [...]. J’aime en vous quelqu’un que seule j’ai découvert, un vous qui n’est pas celui du monde, celui qu’on admire, celui qu’on connaît, un vous qui est le mien, qui ne peut plus changer, qui ne peut pas vieillir, que je ne peux pas ne plus aimer [...]. Mais on ne peut pas dire ces choses. Il n’y a pas de mots pour les exprimer43. »
Trait caractéristique du roman psychologique de Maupassant, entre le psychique et le physiologique, la frontière n’est pas étanche :
Elle se sentait une âme vivace et fraîche, un cœur toujours jeune, l’ardeur d’un être qui commence à vivre, un appétit de bonheur insatiable, plus vorace même qu’autrefois, et un besoin d’aimer dévorant.
Et voilà que toutes les bonnes choses, toutes les choses douces, délicieuses, poétiques, qui embellissent et font chérir l’existence, se retiraient d’elle, parce qu’elle avait vieilli ! C’était fini ! [...] La hantise de cette décadence était attachée à elle, devenue presque une souffrance physique.
L’idée fixe avait fait naître une sensation d’épiderme, la sensation du vieillissement, continue et perceptible comme celle du froid ou de la chaleur. Elle croyait, en effet, sentir, ainsi qu’une vague démangeaison, la marche lente des rides sur son front, l’affaissement du tissu des joues et de la gorge, et la multiplication de ces innombrables petits traits qui fripent la peau fatiguée44.
NOTRE CŒUR
Roman mondain, Notre cœur est peuplé de personnages qui ne savent que dépenser de l’argent sans compter, dans le seul but de s’entourer de jolis décors. La psychologie est à l’avenant : les « satisfactions insuffisantes45 » sont au centre des préoccupations.
Autoportrait de Michèle de Burne, héroïne « insexuelle46 » :
Michèle de Burne, les mains croisées sur ses genoux, les yeux au loin, cherchait à voir dans son âme, à travers un brouillard impénétrable et pâle comme celui des sables.
[...] « Qu’est-ce que j’aime ? qu’est-ce que je désire ? qu’est-ce que j’espère ? qu’est-ce que je veux ? qu’est-ce que je suis ? »
À côté du plaisir d’être elle et du besoin profond de plaire, dont elle jouissait vraiment beaucoup, elle ne s’était jamais senti au cœur autre chose que des curiosités vite éteintes. Elle ne s’ignorait point d’ailleurs, ayant trop l’habitude de regarder et d’étudier son visage et toute sa personne pour ne pas observer aussi son âme. [...]
Et cependant, chaque fois qu’elle avait senti naître en elle le souci intime de quelqu’un, [...] elle avait trouvé à ces faux départs de l’amour une émotion bien plus ardente que le seul plaisir du succès. Mais cela ne durait jamais. Pourquoi ? Elle se fatiguait, elle se dégoûtait, elle voyait trop clair peut-être. [...]
Pourquoi cela ? Était-ce leur faute à eux, ou bien sa faute à elle ? [...] Il lui semblait par moments que le cœur de tout le monde doit avoir des bras comme le corps, des bras tendres et tendus qui attirent, étreignent et enlacent, et que le sien était manchot. Il avait seulement des yeux, son cœur47.
Michèle de Burne vue par André Mariolle, l’homme qui se défend de l’aimer :
Avec une obstination infatigable, il cherchait toujours à l’analyser, à éclairer ce fond d’obscur d’âme féminine, cet incompréhensible mélange [...], tous ces contradictoires penchants réunis et coordonnés pour former un être anormal, séducteur et déroutant.
[...] il rencontrait en celle-là quelque chose d’inattendu, une sorte de primeur de la race humaine excitante par sa nouveauté, une de ces créatures qui sont le commencement d’une génération, qui ne ressemblent pas à ce qu’on a connu, et qui répandent autour d’elles, même par leurs imperfections, l’attrait redoutable d’un éveil48.
Les souffrances de l’amant insatisfait :
Mais quelque chose souffrait en lui, dans cette espèce de caverne obscure du fond de l’âme où sont blotties les sensibilités délicates.
Il avait tort sans doute, et il avait toujours eu tort ainsi depuis qu’il se connaissait. Il passait dans le monde avec trop de prudence sentimentale. La peau de son âme était trop tendre. De là l’espèce d’isolement dans lequel il avait vécu, par crainte des contacts et des froissements. [...]
Il savait d’ailleurs fort bien que toute la vie est faite d’à-peu-près, et il s’y était jusqu’ici résigné, cachant son mécontentement des satisfactions insuffisantes sous une sauvagerie volontaire. Mais il avait pensé cette fois49 qu’il allait obtenir enfin le « tout à fait » sans cesse espéré, sans cesse attendu. Le « tout à fait » n’est point de ce monde.
[...] comme il ne laissait en lui rien d’inexploré, il chercha les moindres origines des malaises nouveaux de son cœur. Ils poussaient, s’en allaient, revenaient, comme de petits souffles de vent glacé, éveillant en son amour une souffrance encore faible, lointaine, mais inquiétante à la façon de ces vagues névralgies que fait naître un courant d’air, menaces du mal aux horribles crises50.
3
Mère et fils
Le rapport entre mère et fils constitue rarement le thème majeur d’une œuvre littéraire, probablement parce qu’il touche à la configuration incestueuse la plus sévèrement condamnée. À la fin du XIXe siècle, cette sévérité semble s’atténuer quelque peu − exemple éloquent, Freud proposera bientôt la théorie du complexe d’Œdipe, fondée en premier lieu sur l’interdit de l’inceste entre mère et fils −, ce qui pourrait expliquer la fréquence accrue de ce thème dans la littérature.
Dans Pierre et Jean, le conflit entre Pierre et Mme Roland est formulé en termes œdipiens très clairs – on l’a vu : trop clairs51 –, avant que les racines plus lointaines du malheur du fils soient découvertes. Mais Pierre et Jean est le seul récit de Maupassant où ce rapport, rare dans son œuvre, soit présenté du point de vue du fils qui en souffre. Une vie, Rencontre et Humble drame52 sont focalisés sur la souffrance de la mère : elle est abandonnée par son fils, parti très jeune pour faire ses études, puis marié, expatrié. Dans Le Testament53, les fils apprennent l’adultère de la mère après sa mort. C’est elle-même qui le révèle dans un récit émouvant, couché par écrit et déposé chez le notaire : femme mal mariée, elle a passé les seuls moments heureux de sa vie avec son amant. Ses fils légitimes sont consternés, tandis que le fils adultérin chérira le souvenir de la morte et assumera sa naissance au point de prendre le nom de son père naturel. L’Attente54 aussi est l’histoire d’une femme mal mariée. Restée veuve avec un fils, elle devient la maîtresse de l’homme, marié à présent, qu’elle avait aimé avant son mariage, mais que ses parents l’avaient empêchée d’épouser. Un soir, le fils surprend sa mère et l’amant qui s’embrassent, il se précipite hors de la pièce et disparaît à jamais. Dès lors, la vie de la mère n’est qu’une attente sans fin. C’est elle-même qui raconte son histoire sur son lit de mort, adressant à son fils cet ultime message :
Mon enfant, mon cher, cher enfant, sois moins dur pour les pauvres créatures. La vie est déjà assez brutale et féroce ! Mon cher enfant, songe à ce qu’a été l’existence de ta mère, de ta pauvre mère, à partir du jour où tu l’as quittée. Mon cher enfant, pardonne-lui, et aime-la, maintenant qu’elle est morte, car elle a subi la plus affreuse des pénitences.
Dans la littérature de l’époque, deux romans fondés sur le thème du rapport entre mère et fils, présenté sous l’optique de ce dernier, se laissent rapprocher de Pierre et Jean : André Cornélis de Paul Bourget (1887) et Un simple d’Édouard Estaunié (1891)55. Nous en proposons une rapide relecture, pour mieux éclairer le traitement du thème à la fin du XIXe siècle.
PAUL BOURGET, ANDRÉ CORNÉLIS
Dans André Cornélis, comme dans Pierre et Jean, le fils enquête sur le passé de la mère. L’objet de l’enquête est l’assassinat du père, survenu dans des circonstances mystérieuses, lorsque André avait sept ans. À cette époque, la mère cachait la vérité devant l’enfant qui apprit le meurtre de son père de ses camarades d’école. Il en fut bouleversé.
Il eût été naturel que je questionnasse ma mère, mais le fait est que je me sentis incapable de lui répéter ce que mes deux bourreaux inconscients m’avaient dit. Chose étrange ! Dès cette époque, cette femme que j’aimais pourtant de tout mon cœur exerçait sur moi une influence paralysante. Elle était si belle dans sa pâleur, si royalement belle et fière ! Non, je n’aurais jamais osé lui montrer le doute [...] sur le récit qu’elle m’avait fait56.
Deux ans plus tard, le deuil terminé, la mère épouse M. Termonde, un ami proche du défunt et d’elle-même. C’est alors que les tourments d’André commencent.
[...] je ne me sentais plus en sa présence57 le cœur ouvert [...]. Quand ce malaise avait-il commencé ? Je n’aurais pu le dire ; mais je le trouvais trop souvent entre ma mère et moi. J’en étais jaloux, pour tout avouer, de cette jalousie inconsciente des enfants, qui me faisait, quand il était dans la chambre, prodiguer les caresses à maman pour lui montrer qu’elle était ma mère et qu’elle ne lui était rien, à lui. Avait-il reconnu ce sentiment ?... Qui sait ? L’avait-il partagé ? Toujours est-il que je trouvais maintenant dans son regard, malgré sa voix toujours flatteuse et ses manières toujours polies, une antipathie pareille à la mienne58.
Bientôt, la jalousie se mue en haine :
Tout petit garçon, et une fois que je souffrais d’une rage de dents, j’avais fermé les yeux, ramené mon âme sur elle-même et forcé mon esprit à se représenter une scène heureuse dont je fusse le héros. J’avais pu ainsi aliéner ma sensation présente au point de ne plus me douter de mon mal. Maintenant, chaque fois que je souffre, je fais de même, et ce procédé me réussit presque toujours. − Je l’emploie en vain lorsqu’il s’agit de maman. Au lieu du tableau de félicité que j’évoque, l’autre tableau se présente, celui de l’intimité de l’être que j’aime le plus au monde avec l’homme que je hais le plus. Car je le hais, animalement, et sans que j’en puisse donner d’autre motif, sinon qu’il a pris la première place dans ce cœur qui fut tout à moi59.
La haine que l’enfant voue au beau-père compromet sa relation avec sa mère :
Oui, elle m’aimait et elle aimait en même temps son mari. C’était à moi de lui expliquer la sorte de peine qu’elle me causait, en unissant dans son cœur et en mélangeant ces deux tendresses. Elle m’aurait compris, elle m’aurait épargné cette suite de petits chagrins muets qui ont fini par nous rendre impossible toute explication intime. Ces matins de mes jours de sortie60, [...] elle attendait de moi un élan, une effusion, comment eût-elle su que la présence de son mari me paralysait [...] ? C’était un mystère inintelligible pour elle que cette incapacité absolue de montrer mon âme, cette atonie qui m’accablait aussitôt que nous n’étions plus seuls, elle et moi, moi et elle, – et nous ne l’étions jamais. [...] Je ne lui ai pas écrit une lettre qu’elle ne l’ait montrée à son mari [...]. En ai-je déchiré de ces billets où j’essayais de lui raconter le détail des troubles parmi lesquels je vivais ! Oui, j’aurais dû lui parler tout de même, m’expliquer un peu, confesser ma peine, ma folle jalousie, mon ombrageuse tristesse, le besoin d’avoir dans sa pensée un coin à moi seul, ne fût-ce qu’une pitié... et je n’osais pas61.
Les années passent. Le jeune homme devient indépendant, maître de sa fortune et de ses volontés. Rien ne l’empêche plus de mettre en œuvre son ancien projet de percer le mystère de la mort de son père et de le venger. Mais il ne découvre aucun indice nouveau, et, tout en se reprochant son inactivité, il est sur le point de renoncer à trouver l’assassin, lorsqu’une liasse de lettres adressées par son père à une tante le met sur la voie. Dans ces lettres, son père se plaint des assiduités de son ami Termonde auprès de son épouse et craint de devoir lui fermer bientôt sa porte. D’où ce soupçon : sa mère avait trompé son père, elle avait été la maîtresse de Termonde, là gisait le secret de l’assassinat. L’enquête s’impose sur ce passé. Pourtant, André hésite : non seulement Termonde a un alibi solide, mais accuser sa mère lui semble une action criminelle.
Concevoir cela comme seulement possible, c’était commettre un parricide moral, c’était la grande, l’inexpiable faute envers celle qui m’avait tiré de sa chair et porté dans son sein. J’avais toujours tant aimé ma mère, si tristement, si tendrement. Jamais, non, jamais, je ne l’avais jugée. [...] En définitive, et avant que ces fatales lettres n’eussent fait sur moi leur œuvre de désenchantement, de quoi était-elle coupable à mes yeux ? De s’être remariée ? D’avoir voulu, demeurée veuve à moins de trente ans, refaire sa vie ? Rien de plus légitime. De n’avoir pas compris les relations de l’enfant qui lui restait avec l’homme qu’elle avait choisi ? Rien de plus naturel. Elle était plus épouse que mère, et puis, les êtres un peu chimériques et frêles, comme elle, répugnent aux luttes quotidiennes. [...] J’avais admis, d’instinct d’abord, à la réflexion ensuite, toutes ces explications de l’attitude de ma mère à mon égard. Quelle source d’indulgence jaillit en nous, chaude, profonde, inépuisable, pour ceux qui nous tiennent vraiment à la racine du cœur, et cette source venait de tarir tout à coup, et à sa place je sentais s’épancher en moi un flot empoisonné des plus odieux, des plus abominables soupçons...62.
Mais aussitôt, André se repent :
J’étais un fou d’avoir laissé une pareille hypothèse dessiner son image monstrueuse devant mes yeux, une seule minute. J’étais un infâme [...]. Déjà et sans preuve aucune que l’expression63 d’une jalousie qui s’avouait elle-même déraisonnable, j’en étais arrivé [...] à cette extrémité d’outrage envers ma mère de croire qu’elle avait été la maîtresse de Termonde64.
André est ainsi ballotté continuellement entre le soupçon, qu’il ressent comme agression contre sa mère, et le remords qu’entraîne cette agression. Pourtant, il n’abandonne pas son enquête. Il finit par tendre un piège à l’accusée : il la fait venir dans les lieux où elle avait été heureuse avec son premier mari, et observe son comportement. Elle se révèle innocente. Il est heureux :
C’était là cette femme que je me représentais [...] comme une criminelle chargée du poids du plus lâche assassinat !... Oui, j’avais été fou, j’avais ressemblé au cheval emporté qui galope après son ombre. Mais quel apaisement de constater cette folie, quelle détente ! [...] Je tenais la main de ma mère, j’avais envie de lui demander pardon, de baiser le bas de sa robe, de lui répéter que je l’aimais, que je la vénérais. Elle voyait bien mon émotion, elle l’attribuait au malheur dont je venais d’être frappé65. Elle me plaignait. À plusieurs reprises, elle me dit : « Mon André... » C’était si rare que je la sentisse ainsi, toute à moi, et juste dans la nuance du cœur que réclamait ma sensibilité malade66 !
Oui, je peux me rendre cette justice qu’à partir de ce moment je n’ai plus traversé une seule crise de ces doutes à l’égard de ma mère. Ni pendant le reste de la nuit qui suivit cet entretien [...], ni pendant les jours qui succédèrent, et quand elle m’eut quitté, je n’entendis de nouveau la voix honteuse, celle qui m’avait parlé si fort contre celle que j’aurais dû être le dernier, que j’avais été le premier à juger coupable67.
Il n’en va pas de même pour le beau-père, dont André se promet, sans hésitation, de prouver la culpabilité. Mais il se heurte à un nouvel obstacle : si Termonde est convaincu d’assassinat, que ressentira sa mère ?
J’apercevais ma mère, maintenant, à la minute où l’on arrêtait son mari. Elle serait là, dans la chambre, auprès de lui. « Et de quel crime est-il accusé ?... », demanderait-elle et elle devrait entendre la terrible réponse. Et j’en serais la cause volontaire, moi qui avais, depuis mon enfance et pour lui épargner une tristesse, tout étouffé de mes plaintes [...]. Je ne pouvais pas te porter ce coup, Être fragile, Être si cher68 !
Cependant, d’indice en indice, l’enquêteur parvient à reconstituer les événements : Termonde avait un frère que ses mœurs dissolues ont entraîné dans la misère, puis au bord de la criminalité ; c’est par cet homme, en le payant grassement, qu’il a fait tuer le mari de celle qu’il aimait. André achète au meurtrier les preuves du crime, et le laisse courir : ce n’est pas l’instrument qu’il veut punir, mais celui qui a ourdi le forfait. Seulement, comment faire ? Comment éviter que sa mère apprenne qu’elle a été, pendant de longues années, l’épouse d’un assassin ? La seule solution est d’obtenir de Termonde, malade et se sachant condamné, qu’il se suicide.
Il se tuera... Ma mère le pleurera... Mais je saurai l’art d’essuyer ses larmes... Son cœur saignera, mais sur cette blessure je poserai le baume de ma tendresse... Toutes les heures douces que l’assassin nous a volées, nous les vivrons ensemble quand il ne sera plus là, quand je pourrai lui montrer, à elle, comment je l’aime. Les caresses que je ne lui ai pas données, lorsque j’étais enfant, parce que l’autre me glaçait de sa seule présence, je les lui donnerai. Les mots que je ne lui ai pas fait entendre, les tendres phrases qui se sont arrêtées sur le bord de mon cœur et de mes lèvres, je les prononcerai. Nous quitterons Paris et ses tristes souvenirs. Nous nous retirerons dans quelque endroit perdu, bien loin, où elle n’aura que moi, où je n’aurai qu’elle... Je me consacrerai à sa vieillesse. Qu’ai-je besoin d’autres amours, d’une autre famille69 ?...
La scène de la vengeance se passe dans le bureau de Termonde. Il refuse de se tuer, tente d’échapper à son destin. Alors André saisit le poignard que son beau-père utilise comme coupe-papier et l’enfonce dans sa poitrine. Avec ses dernières forces, Termonde atteste par écrit qu’il s’est donné la mort : il innocente son meurtrier afin d’épargner à son épouse la connaissance de la vérité. André a vengé son père et restera impuni. Mais il ne réalisera pas ses rêves de bonheur : sa mère vivra désormais enfermée dans le logis qu’elle habitait avec son second mari et entretiendra le souvenir du mort.
C’est le mort dont je retrouve l’influence invincible dans la pâleur de son teint, dans les rides de ses paupières, dans les touffes blanchies de ses cheveux. Il me la dispute du fond de sa bière, il me la reprend, heure par heure, et je ne peux rien contre cet amour. Je voudrais tout lui dire, depuis le crime hideux qu’il avait commis jusqu’à l’exécution que j’ai accomplie. C’est moi qu’elle haïrait pour l’avoir frappé, lui. Elle vieillira ainsi, et je la verrai le pleurer toujours, toujours. – À quoi bon avoir fait ce que j’ai fait, puisque je ne l’ai pas tué dans son cœur70 ?...
Pour le héros de Bourget, l’assassinat de son père n’était, dirait-on, qu’une bonne raison, sinon un prétexte, pour éliminer en bonne conscience son rival auprès de sa mère. Pourtant, son désir d’avoir celle-ci toute à lui ne sera pas assouvi. Hamlet moderne, il survit au meurtre qu’il a perpétré, mais sa vie, qui avait été une perpétuelle hésitation avant le meurtre, sera désormais le perpétuel ressassement de son malheur.
ÉDOUARD ESTAUNIÉ, UN SIMPLE
Édouard Estaunié affirme, rappelons-le, avoir traité dans Un simple, qu’il dédicacera « À Guy de Maupassant », le même sujet que celui-ci dans Pierre et Jean71. En fait, les deux ouvrages n’ont en commun que le thème de l’enquête menée par le fils sur la vie amoureuse de la mère. Encore ce thème est-il traité différemment par les deux écrivains : chez Maupassant, les amours de la mère sont cantonnés dans le passé, tandis que chez Édouard Estaunié, Mme Deschantres renoue avec un amant d’autrefois dans le présent du roman, littéralement sous les yeux de son fils. Sous ses yeux non encore dessillés : il est le héros éponyme, pourrait-on dire, d’Un simple.
Il avait alors dix-huit ans, l’âge des enthousiasmes, des chimères qui hantent, de l’éveil de l’être à l’inconnu de la vie, mais on aurait cru que rien de pareil ne l’eût encore touché du bout de l’aile [...].
[...] Point de moustaches, seulement au-dessus des lèvres un duvet blanc à peine visible, et sur tout le visage un air non fini, une apparence d’inertie faisant aussitôt penser qu’il devait être très bon mais très naïf, peut-être très tendre, peut-être aussi très malheureux72.
La mère, restée veuve, se jette dans une dévotion outrée :
[...] sa piété s’émaillait parfois de paroles crues, lancées dans l’obscurité du soir avec une expression bizarre qui donnait à penser. À certaines intonations, à des gestes imperceptibles, on devinait que cette froideur était un leurre, une comédie jouée pour dépister des curiosités ou de mauvais vouloirs.
Comédie aussi, avec son fils, passant sans rime ni raison, d’effusions ridiculement outrées, à des colères injustifiées [...].
Les jours de migraine surtout étaient féconds en orages. Ils arrivaient presque chaque semaine ! Mme Deschantres restait alors au lit, se faisant servir par lui [Stéphane] comme par un domestique. S’il apportait le thé tiède, s’il mettait moins d’empressement à accomplir ses volontés, elle avait des mots durs, des violences de langage dont il ressentait vaguement l’injustice sans oser s’en défendre73.
L’été qui suit l’obtention du baccalauréat, Stéphane Deschantres et sa mère partent pour le village où habite un cousin du père mort, Marc Ferramus, avec sa famille. À leur arrivée, Stéphane est ravi de la beauté de la campagne, et, comble du bonheur, sa mère vient lui dire bonsoir dans son lit. Le baiser maternel du soir tant chéri par le jeune Marcel dans le premier volume d’À la recherche du temps perdu n’est pas loin :
[...] ces bonsoirs de sa mère étaient une rareté, une fête délicieuse dont l’impression le ravissait encore de longues journées après qu’elle était passée.
Seulement, cette fois,
en recevant les derniers embrassements de sa mère – des embrassements hachés, multipliés, dont elle couvrait son front avec une sorte d’emportement – il leur trouvait une saveur inconnue et troublante, comme à des brûlures ou des caresses jamais encore goûtées74.
En effet, ces baisers s’adressent à un autre, et les racontars sur sa mère ne tarderont pas à arriver aux oreilles du fils. Il ne veut pas y croire.
Pas une seconde, il n’avait douté ; cette calomnie lâche ne l’avait même pas effleuré ; sa propre naïveté le gardait du soupçon... Cependant ce choc le laissait sous le coup d’une angoisse indéfinissable. [...]
Sa mère ! Elle, si parfaite en l’accomplissement du devoir, si haute en sa vertu qu’une froideur s’en répandait autour d’elle, sa mère, si au-dessus du réel et des bassesses du monde qu’elle coudoyait sans s’y salir, elle, l’expression la plus pure de la loi saintement accomplie et gardée, on osait en parler75 !...
Bientôt, pourtant, commence l’escalade du doute. D’abord, celui-ci n’entre dans l’âme de Stéphane que pour de brefs moments : près de sa mère, « tout s’effac[e] ». Les racontars et le doute lui apparaissent alors
comme une sorte de non-sens, une de ces tentations impures par lesquelles l’âme parfois est assaillie. En même temps il retrouvait pour sa mère ses adorations, il se trouvait si bas qu’il aurait dû s’enfoncer dans le sol pour lui demander pardon. [...]
« Oh ! maman, fit-il doucement, laissez-moi vous embrasser.
– Qu’as-tu donc aujourd’hui ? » demanda Mme Deschantres.
Mais sans répondre, il la couvrit de baisers. À ce pur contact, il se reprenait lui-même ; il lui semblait effacer jusqu’aux traces des visions qui l’avaient hanté [...]76.
Peu après, le doute revient, plus fort, plus tenace :
Un doute horrible, raffiné, qui n’était plus la résultante d’un nervosisme exalté, l’œuvre d’une imagination surexcitée, mais un doute conscient, raisonné [...].
C’était à cela qu’il était voué désormais : épiloguer sans but des événements futiles, des nuances, des riens, être résolu de n’en rien admettre, et cependant être pris par eux, au point d’en faire l’aliment unique de sa pensée.
Plus il avançait, plus le doute grandissait.
[...] Maintenant, il était aux prises avec ce supplice inouï : craindre de ne plus respecter sa mère !
[...] Des audaces de pensées, comme des éclairs, traversaient son imagination, lui mettant le rouge au front ; puis de brusques élans, pour se sortir de ces turpitudes, le prenaient avec des désespoirs de devenir vil au contact de ces images viles...
[...]
C’était une marche fatale, l’obligation d’une chute nouvelle après les autres : lui qui pas une seconde n’avait accepté ces infamies, arrivait à admettre leur vraisemblance [...]. Savoir, devenait pour lui une nécessité absolue, la condition nécessaire à l’apaisement de l’être77.
Suit l’enquête, la mise en acte du doute :
Alors il espionna...
Un espionnage pitoyable, qui n’avait pour prétexte ni le salut d’une patrie, ni une sauvegarde d’existence, où tout était infâme, avilissant et lâche [...] !
Et ce ne fut d’abord chez lui qu’un acte instinctif, purement inconscient : une folie animale l’y pliait irrésistiblement. On eût dit qu’un devoir impérieux l’attachait à sa mère ; il ne pouvait se résigner à la quitter [...].
Une amertume indicible l’étrangla. Sa conscience saignait. Il n’était même pas aveuglé par la colère : point de passion pour lui forger des prétextes ou une excuse. C’était une déchéance irrémédiable qui pesait sur lui [...].
Et l’horrible de la situation, c’est qu’il n’éprouvait point de remords. Il aurait voulu se frapper la poitrine, demander pardon de cette insulte à sa mère, la plus haute, la plus pure des femmes, et rien en lui ne résonnait. Il était changé en pierre, sa tête seule agissait. C’était une lutte effrayante, sa volonté criant merci et le flagellant ; son cœur restant fermé sans un mouvement de regret ni de réparation78 !
Pour le fils, il est d’autant plus difficile d’accepter l’idée de la vie sexuelle de la mère qu’il mêle ses propres désirs aux fantasmes des déportements maternels :
[...] l’idée que sa mère avait un amant était un problème auquel il ne s’accoutumait point. Chaque fois qu’il y pensait, il en revenait aux révoltes primordiales, trop humilié par cette chute possible, sentant qu’il en serait éclaboussé à n’oser plus lever la tête !
[...]
Cependant, sous l’impulsion de l’idée fixe, ses pudeurs une à une s’effaçaient. Maintenant, des images infâmes le poursuivaient. Il s’y accoutumait, perdant sa chasteté d’esprit si étrangement gardée, et c’était une chose inouïe, ces premières révélations de l’amour à un cœur d’homme vierge, allant des hontes de l’adultère pressenti à l’évocation de brutalités sensuelles. Même comme les ignorants, il en exagérait les bassesses humiliantes, mêlant au peu qu’il en savait les sourdes excitations de sa chair et, à travers ses dégoûts, il arrivait à être mordu, lui aussi, par un vague désir de choses défendues...79.
Enfin, l’espion touche au but : une nuit, Stéphane entend des bruits, voit de la lumière chez sa mère, va écouter à sa porte, et acquiert la certitude qu’elle a pour amant le cousin Marc Ferramus, avec qui elle avait autrefois une liaison adultère.
Donc sa mère était tombée là !
Son cœur se brisait. Il souffrait autant que s’il l’eût perdue à la suite de quelque catastrophe inouïe. Elle qui avait rempli sa vie, était sa lumière, son maître, sa pensée unique, elle, si adorée ! mise si haut qu’elle lui semblait d’essence supérieure et qu’il n’osait point l’embrasser, elle était perdue... morte !
Mon Dieu, si elle n’avait été que morte, mais abaissée là, croulée dans une pareille ordure80 !...
Stéphane voudrait convaincre sa mère de partir, de quitter l’amant en quittant le village. Elle refuse, et, devant l’obstination de son fils, elle se met à l’accuser d’avoir pour maîtresse la femme de Ferramus, de son amant à elle.
« Misérable ! J’ai deviné ! c’est pour elle que tu découches ! »
Il s’était reculé, anéanti, ne comprenant pas :
« Moi ! Moi ! »
[...]
Et elle lui jetait des injures, à la pelletée, ne retrouvant même plus les mots :
« Dégoûtation ! Saloperie ! avoue, puisque je sais maintenant : avoue que c’est ça le résultat de mes exemples ! »
Lui, portant, s’était ressaisi :
« Vos exemples ! »
Il n’y voyait plus, ne savait plus ce qu’il disait, semblait emporté par un délire, et, comme elle continuait, lui criant :
« Sale coureur ! »
Il eut enfin un éclat de voix terrible, lâchant son secret :
« Quand vous allez avec le mari, vous croyez donc que j’irais prendre la femme ! »
[...]
Il y eut une seconde de silence effrayant [...] : ils avaient les yeux dans les yeux, la face figée, les traits tendus comme s’il se fût agi entre eux d’un duel à mort...
Et tout à coup Mme Deschantres, la première, avança vers lui, les bras levés : sa figure venait de se contracter dans une colère effroyable. [...] Stéphane sentait que c’était fini : elle allait le tuer, ou il fallait qu’il la tue81.
Il parvient à sortir de la pièce et se met à courir...
Une course inconsciente, désordonnée, [...] vers l’eau qui là-bas l’attendait pour le bercer...
Mourir, quelle joie !
[...]
Ni doutes ! ni espionnages ! ni certitude infâme, ni mépris filial, ce supplice sans nom ! La mort allait culbuter tout dans son fossé, jetant son voile de sommeil derrière lequel on ne voit plus rien82.
Dans Un simple, dans André Cornélis, comme dans Pierre et Jean, si la mère est convaincue d’adultère, son image idéalisée devra s’effondrer. Notons que la sexualité maternelle n’est culpabilisée et considérée comme souillure que dans les relations extraconjugales, les rapports sexuels avec l’époux, le père du fils légitime qui mène l’enquête sur sa mère, étant conçus comme chastes, c’est-à-dire comme désérotisés – mieux : inexistants. Ce clivage entre la sexualité conjugale et l’extraconjugale, entre le mariage et l’amour, est monnaie courante à l’époque83. Par là s’explique que dans André Cornélis, l’image idéalisée de la mère sera préservée : bien qu’elle soit amoureuse de son second époux, elle ne s’est pas donnée à lui avant le mariage. André, qui n’a pas détruit cette image, survit. Le héros d’Un simple, en revanche, ayant perdu la sécurité morale et psychique que garantit la pureté de la mère, se précipite dans le néant. Rappelons Pierre Roland : après la découverte de l’adultère maternel, il passera sa vie en état de déréliction.
La mise en jeu de l’idéalisation de la mère au centre de ces trois romans ne correspond qu’à un aspect du rapport entre mère et fils. D’autres, liés également à la désidéalisation de la figure maternelle – à la transgression de la norme qui veut qu’une mère soit pure et bonne –, apparaissent aussi dans la littérature de la fin du siècle. Qu’il suffise d’évoquer un seul exemple, iconoclaste entre tous : Poil de Carotte, de Jules Renard (1894).
1- Cf. Présentation, p. 10.
2- « “Roland furieux” and “Le roman d’analyse pure” », French Studies Bulletin, 1983, no 7, p. 11.
3- Albert Lumbroso a publié le dossier de cette « affaire » dans Souvenirs sur Maupassant. Sa dernière maladie. Sa mort, Rome, Bocca, 1895 ; Genève/Paris, Slatkine, 1981, p. 421-432.
4- Cf. une lettre de Maupassant à Octave Mirbeau [janvier 1888], Corr., t. III, p. 24, et cette note d’Edmond de Goncourt dans son journal, le 8 janvier 1888 : « La causerie du Grenier est aujourd’hui sur le Supplément littéraire du Figaro, tripoté par Bonnetain et Geffroy, sous la direction occulte de Daudet » (Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire, éd. Robert Ricatte [1956], Robert Laffont, « Bouquins », 1989, t. III, p. 87).
5- Cf. lettre de Maupassant à Émile Straus, 15 janvier 1888, Corr., t. III, p. 12.
6- Lettre à Maupassant [janvier 1888], citée par Jacques Suffel, dans Corr., t. III, p. 8.
7- « M. Guy de Maupassant critique et romancier (Pierre et Jean) », Le Temps, 15 janvier 1888.
8- Cf. lettre à Émile Straus, 15 janvier 1888, Corr., t. III, p. 12.
9- Cf. « Le roman », p. 211, variante des lignes 281-282.
10- Cf. Présentation, p. 8 sq.
11- Cf. « Le roman », p. 54-55.
12- Cf. « Le roman », p. 215, variante des lignes 543-544.
13- « Guy de Maupassant. Souvenirs personnels » [1893], Études et portraits, t. III, Sociologie et littérature, Plon-Nourrit, 1906, p. 308.
14- « Gustave Flaubert », L’Écho de Paris, 24 novembre 1890. On ne tient pas compte de cet article, consacré expressément à l’homme, et non à l’écrivain.
15- « Gustave Flaubert », La République des Lettres, 22 octobre 1876, cité d’après Guy de Maupassant, Chroniques, éd. Hubert Juin, UGE, « 10/18 », 1980, t. I, p. 19.
16- Cf. « Gustave Flaubert » dans Gustave Flaubert, Lettres à George Sand, précédées d’une étude de Guy de Maupassant, Charpentier, 1884, p. LXIV-LXV.
17- « Souvenirs d’un an. Un après-midi chez Gustave Flaubert », Le Gaulois, 23 août 1880.
18- « Gustave Flaubert d’après ses lettres », Le Gaulois, 6 septembre 1880.
19- « Romans », Gil Blas, 26 avril 1882.
20- « Chronique », Le Gaulois, 9 juillet 1882.
21- « Romanciers contemporains. − M. Émile Zola », Revue politique et littéraire, 10 mars 1883, p. 291-292.
22- « Les subtils », Gil Blas, 3 juin 1884.
23- « Gustave Flaubert », dans Gustave Flaubert, Lettres à George Sand, op. cit., p. XV-XVII.
24- Ibid., p. LXVI-LXVII.
25- « L’évolution du roman au XIXe siècle », Revue de l’Exposition universelle de 1889, Ludovic Baschet, 1889, t. II, p. 245-248.
26- Cf. Présentation, p. 9-10.
27- Une vie, éd. Antonia Fonyi, GF-Flammarion, 1995, p. 74-75.
28- Ibid., p. 106.
29- Ibid., p. 121.
30- Ibid., p. 213-214.
31- Le manoir familial.
32- Une vie, op. cit., p. 258.
33- Bel-Ami, éd. Adeline Wrona, GF-Flammarion, 1999, p. 75 et 76-77.
34- Ibid., p. 116.
35- Ibid., p. 351.
36- Ibid., p. 355-356.
37- Mont-Oriol, éd. Daniel Leuwers, GF-Flammarion, 1990, p. 74-75.
38- Ibid., p. 195-196.
39- Ibid., p. 198-199.
40- Lieu d’un grand bonheur amoureux, un an auparavant.
41- Mont-Oriol, op. cit., p. 237-238.
42- Fort comme la mort, éd. Gérard Delaisement, Gallimard, « Folio », 1983, p. 116-117.
43- Ibid., p. 174-175.
44- Ibid., p. 249-250.
45- Notre cœur, éd. Nadine Satiat, GF-Flammarion, 1991, p. 167.
46- Ibid., p. 107.
47- Ibid., p. 126-127.
48- Ibid., p. 104.
49- Lorsque Michèle de Burne est devenue sa maîtresse.
50- Notre cœur, op. cit., p. 167-168.
51- Cf. Présentation, p. 30.
52- Nouvelles parues respectivement dans Le Gaulois, le 26 mai 1882, et dans Gil Blas, le 2 octobre 1883. Comme le sujet dont elles traitent est développé dans Une vie, Maupassant ne les recueille pas en volume.
53- Gil Blas, 7 novembre 1882 ; nouvelle recueillie dans Contes du jour et de la nuit.
54- Le Gaulois, 11 novembre 1883 ; nouvelle non recueillie par Maupassant.
55- Cf. Présentation, p. 22.
56- André Cornélis, Lemerre, 1887, p. 17.
57- En la présence de M. Termonde.
58- André Cornélis, op. cit., p. 37-38.
59- Ibid., p. 58-59.
60- De sortie du collège.
61- André Cornélis, op. cit., p. 70-71.
62- Ibid., p. 145-146.
63- Dans les lettres du père.
64- André Cornélis, op. cit., p. 147.
65- La mort de la tante très aimée.
66- André Cornélis, op. cit., p. 155-156.
67- Ibid., p. 166-167.
68- Ibid., p. 208-209.
69- Ibid., p. 326.
70- Ibid., p. 348.
71- Cf. Présentation, p. 22.
72- Un simple, Perrin, 1891, p. 3-4.
73- Ibid., p. 6-7.
74- Ibid., p. 86.
75- Ibid., p. 143-144.
76- Ibid., p. 155-157.
77- Ibid., p. 165 et 168-170.
78- Ibid., p. 177 et 191-192.
79- Ibid., p. 196-198.
80- Ibid., p. 234.
81- Ibid., p. 273-274.
82- Ibid., p. 275.
83- Cf. Présentation, p. 16.