Présentation
Au début de l’été de 1887, Maupassant apprend l’étrange histoire d’héritage dont il fera la donnée centrale de Pierre et Jean. Il aurait été mis sur la piste de l’anecdote par Hermine Lecomte Du Noüy1, sa belle voisine d’Étretat, auteur et héroïne de cette Amitié amoureuse dont lui-même est le héros2, et, fin juin, c’est avec elle qu’il visite Le Havre où il placera l’action3. Il compose le récit en deux mois et demi − « temps relativement très court », note François, son valet de chambre −, tout en se promenant dans l’allée des jeunes frênes de son jardin, dont l’ombre, dira-t-il, lui aura été « propice4 ». Des frênes pas bien hauts, puisque le romancier René Maizeroy laisse un jour dans leurs branches son beau chapeau mou gris perle, et l’anatomiste Georges Pouchet son béret bleu marine...5. Tout ce que nous savons des circonstances de la création de Pierre et Jean est plaisant, vif, sain : à l’ombre des jeunes arbres espiègles, l’œuvre de Maupassant se renouvelle, elle est en pleine mutation.
Pierre et Jean presque terminé, Maupassant confie à François : « Il me reste encore à faire une sorte de préface [...] où je vais dire un peu ce que je pense de la critique, et aussi ma manière de comprendre le roman6. » Aussitôt fait : « Le roman » est daté de septembre 1887. Par la suite, Maupassant dira que cette étude est « si peu une préface » à Pierre et Jean qu’il a empêché l’éditeur d’employer ce mot. S’il a fait paraître les deux écrits ensemble, c’est que Pierre et Jean à lui seul aurait formé un volume trop mince, mais ils n’ont « aucun rapport » entre eux, pire, ils sont « contradictoires7 », l’étude sur le roman impliquant la « critique » (p. 41)8 et même la « condamnation9 » du roman qui la suit. D’évidence, cette contradiction importe à Maupassant. Il revendique l’inconséquence de publier sous la même couverture deux écrits présumés incompatibles parce qu’elle manifeste un changement en cours dans sa création : le passage du roman de mœurs réaliste au roman psychologique, ou, dans les termes que lui-même utilise, du « roman objectif » au « roman d’analyse10 ».
Contradictoires, les deux écrits qui composent le livre le sont dans le sens où « Le roman », malgré son apparente neutralité, plaide pour le roman réaliste11, tandis que dans Pierre et Jean la part de l’analyse psychologique prend une importance accrue. Accrue, mais non disproportionnée : Pierre et Jean est un moment d’équilibre, une synthèse où se concilient les deux types de roman. De là cet air de santé qui se communique à l’image de l’auteur lui-même, pourtant gravement atteint déjà par la syphilis12. Moment d’équilibre : moment de grâce. Après, la santé physique et mentale de Maupassant déclinera rapidement ; le 1er janvier 1892, il sombrera dans la folie, et en 1893, il mourra.
C’est sous son double aspect qu’on présentera ici Pierre et Jean, comme roman de mœurs réaliste où le conflit entre être et avoir joue un rôle déterminant, et comme roman psychologique fin de siècle, où l’auto-analyse du héros nous facilite l’accès aux racines inconscientes de son histoire. D’entrée de jeu, notons que deux facteurs principaux infléchissent l’écriture de Maupassant vers la psychologie. L’un relève de l’évolution littéraire de l’époque et de la biographie de l’écrivain, de faits connus que nous évoquerons dès le début de notre étude. L’autre, d’ordre psychique, lié à un problème d’identité, ne se laissera expliciter qu’à l’issue d’une analyse de Pierre et Jean. Toutefois, une parabole profane nous permet de l’annoncer dès maintenant. Décapotés par les jeunes frênes du jardin de Maupassant, René Maizeroy et Georges Pouchet, personnages réels, ont dû bientôt reprendre qui son beau chapeau mou gris perle, qui son béret bleu marine. Personnages de Pierre et Jean, Léon Maréchal et Gérôme Roland, père naturel et père putatif de Jean, assistent à la naissance de l’enfant. Le premier court chercher le médecin et, dans sa hâte, prend le chapeau, de couleur et de forme non déterminées – dépourvu de tout signe identificatoire −, du second. Benêt, celui-ci rappellera l’incident dans l’oraison funèbre du géniteur de son fils : « Il est même probable qu’il s’est souvenu de ce détail au moment de mourir » (p. 80)... L’idée serait loufoque, n’était l’importance du chapeau pour l’identité d’un homme.
PIERRE ET JEAN, ENTRE ROMAN DE MŒURS ET ROMAN PSYCHOLOGIQUE
Quelques faits, pour mémoire. Pendant sa brève carrière, entre 1880 et 1891, Maupassant publie un volume de vers, six romans, plus de trois cents nouvelles et plus de deux cents chroniques et essais. Bien qu’il ait fait son entrée sur la scène littéraire avec la publication de Boule de suif dans Les Soirées de Médan, recueil considéré comme « le manifeste naturaliste »13, il a toujours refusé d’adhérer à une école : « Je ne crois pas plus au naturalisme et au réalisme qu’au romantisme », déclara-t-il dès 187714. Ses premiers romans, Une vie (1883) et Bel-Ami (1885), se laissent pourtant définir comme des romans de mœurs réalistes et objectifs, au sens que leur auteur donne à ce dernier terme dans « Le roman » : la motivation psychologique des personnages, vus de l’extérieur, n’est pas exposée, mais s’exprime à travers leurs actes. De la part de Maupassant, cette méthode implique une attitude impassible que nombre de ses lecteurs qualifieront d’indifférence morale. Mont-Oriol (composé en 1886, publié en 1887), en revanche, est un roman de mœurs où le récit d’une crise amoureuse donne lieu à des analyses détaillées de processus psychologiques. Pierre et Jean, on l’a dit, est le moment de conciliation des deux types de roman. Fort comme la mort (1889) et Notre cœur (1890) seront des romans d’analyse15.
Ce changement d’orientation s’accompagne d’un renouvellement spectaculaire de la thématique sociale : l’accroissement de la part psychologique va de pair avec le choix des protagonistes dans les classes supérieures. En 1882, Taine écrit à Maupassant : « Vous peignez des paysans, des petits bourgeois, des ouvriers, des étudiants et des filles. Vous peindrez sans doute un jour la classe cultivée [...]. Un homme né dans l’aisance, héritier de trois ou quatre générations honnêtes, laborieuses et rangées, a plus de chances d’être probe, délicat et instruit16. » Délicat et instruit : personnalité riche en nuances psychologiques. Réponse de Maupassant : le romancier moderne cherche à « surprendre l’humanité sur le fait », à dégager « les impulsions instinctives » ; or, les gens du monde ne diffèrent des gens simples que par « un badigeonnage d’hypocrisie compliquée » dont la représentation irait au détriment de la « vérité17 ». Deux ans plus tard, Maupassant est sommé par son ami Paul Bourget, chef de file de la jeune littérature psychologique, d’abandonner les personnages issus des classes inférieures pour étudier des « espèces sociales » situées au sommet de la « hiérarchie » des âmes18. Il répond apparemment à côté : après l’éloge de la délicatesse de cet « effarouché devant les brutalités de la vie » qu’est Bourget, il lui reproche de laisser apparaître ses propres pensées dans son récit et d’empêcher ainsi le lecteur de conclure comme il l’entend19. Autrement dit, trop de finesse − trop de psychologie − est incompatible avec l’objectivité et, partant, avec la vérité.
Deux ans se passent encore, et Maupassant fléchit. Dans Mont-Oriol, il analyse des personnages issus de l’élite sociale. Les analyses s’égrènent, il est vrai, sur fond de Bourse et de marché immobilier : le roman de mœurs se développe parallèlement au roman psychologique. Ferdinand Brunetière salue en Mont-Oriol une œuvre enfin « convenable », avec des personnages pris « dans un monde où nous les pouvons suivre [...] sans répugnance20 ». Maupassant remercie : « j’attache à votre jugement un très grand prix21 ». Ce n’est pas une formule de politesse. Par la suite, il formera le souhait de publier dans la Revue des Deux Mondes, périodique conservateur dont Brunetière est le secrétaire et sera bientôt le directeur.
Le 18 août 1887 se termine la publication en feuilleton de La Terre de Zola, dans le Gil Blas. Le même jour, Le Figaro fait paraître une attaque virulente contre Zola et le naturalisme. Signée par cinq jeunes écrivains, Paul Bonnetain, J.-H. Rosny, Lucien Descaves, Paul Margueritte, Gustave Guiches − on l’appellera le « Manifeste des Cinq22 » −, elle est une protestation de la génération montante contre toute « assimilation possible » de ses œuvres « aux aberrations du Maître », descendu « au fond de l’immondice ». C’est le signal de l’offensive générale. Le 1er septembre, Brunetière publie dans la Revue des Deux Mondes « La banqueroute du naturalisme ». L’auteur de Pierre et Jean, dirait-on, suit le mouvement, il s’éloigne de la tendance décriée en s’orientant vers le roman d’analyse. Seulement, lui, dès le succès éclatant de Boule de suif, s’est distingué du groupe de « Messieurs Zola23 ». Mais aussi le « Manifeste des Cinq » ne l’empêchera-t-il pas de considérer La Terre comme une œuvre « belle et haute24 ». Le changement de son projet créateur, en harmonie, certes, avec l’évolution littéraire, tient à des raisons profondes, personnelles, il s’inscrit dans un projet existentiel.
Sous la pression d’ennuis de santé qui vont en s’aggravant, mais conduit aussi par le désir de se consacrer au nouveau type de roman qu’il cherche à élaborer, Maupassant veut changer de mode de travail. En septembre 1887, il pense essayer de gagner sa vie avec ce « trafic pseudo-littéraire » qu’est le théâtre, « afin d’écrire [s]es livres absolument à [s]a guise sans [s]e préoccuper le moins du monde de ce qu’ils deviendront25 ». Des livres longuement travaillés, faits « de nuances, de choses suggérées et non dites26 ». De là aussi l’intention de « ne plus faire de contes ni de nouvelles27 » − en effet, la production du conteur diminue sensiblement −, afin de ne plus se laisser distraire de ses romans. S’il souhaite une collaboration régulière à la Revue des Deux Mondes, c’est qu’elle lui permettrait « d’écrire très peu, [...] très lentement et de gagner autant avec ce travail concentré qu’avec toute la besogne hâtive du journal28 ». Quitte à se plier à la discipline conservatrice de la revue.
Autre changement d’ordre existentiel : même dans la vie privée de Maupassant, des personnages issus de l’élite sociale occupent désormais le devant de la scène. Hermine Lecomte Du Noüy, la muse de Pierre et Jean, s’y trouve déjà depuis plusieurs années. De 1886 datent les premières lettres de Maupassant à Geneviève Bizet, la veuve du compositeur, qui épousera bientôt Émile Straus29, brillant et riche avocat, et ouvrira un salon destiné à devenir un des hauts lieux de la vie culturelle de Paris. Elle servira de modèle à la duchesse de Guermantes. Autres amies du même milieu : la comtesse Potocka, l’un des modèles de Michèle de Burne, l’héroïne de Notre cœur, Marie Kann et sa sœur, Mme Cahen d’Anvers, cultivées, élégantes, riches, célèbres. Ce sont elles, les destinataires des romans d’analyse. Elles valent la messe, semble-t-il, où le romancier mondain abjure ses affections pour les prostituées et les filles de ferme.
Pierre et Jean, toutefois, diffère sensiblement des romans psychologiques qui suivront. Sur le plan thématique, par le statut social des personnages : certes, ils n’appartiennent pas au peuple, mais à l’élite non plus – bijoutier, médecin, avocat, capitaine de navire, ils représentent la classe moyenne ; sur le plan de la méthode, par la nature des analyses, qu’André Vial a cernée de près30. Cédons-lui la parole. À la différence d’un Paul Bourget, d’un Edmond de Goncourt vieillissant, écrit-il, chez Maupassant, dans ce roman, « l’analyste n’est point l’auteur, mais le personnage lui-même », et l’analyse, employée comme moteur de l’action, est à l’opposé des analyses explicatives de Bourget dont la fonction principale est d’offrir « une satisfaction gratuite pour l’intelligence ou la subtilité chercheuse du lecteur ». Dans Mont-Oriol, le recours aux généralités psychologiques en guise d’explication − « détestable méthode » − va de pair avec l’« analyse directe » et le « lyrisme déclamatoire ». Pierre et Jean, au contraire, roman de mœurs qui se mue tout naturellement en roman psychologique, est d’une sobriété classique.
Accueil très favorable, par conséquent. Même pour J.-H. Rosny, l’un des signataires du « Manifeste des Cinq », Maupassant, « tourmenté de psychologie, [...] aura évolué dans Pierre et Jean vers des analyses plus abstraites, des caractéristiques plus immatérielles que dans ses premières œuvres31 ». De plus, grâce à l’accroissement de la part psychologique, l’impassibilité de l’auteur, qui heurtait souvent ses lecteurs, paraît atténuée. Selon Jules Lemaitre, dans ce roman de crise, le cœur de Maupassant « s’est amolli », « la source des larmes a commencé d’y jaillir32 ». Psychologie, crise, émotion : l’œuvre se renouvelle.
ÊTRE ET AVOIR : PIERRE ET JEAN, ROMAN DE MŒURS RÉALISTE
Selon Hermine Lecomte Du Noüy, la source de Pierre et Jean est l’anecdote suivante :
[Un jeune homme] vient de faire un héritage de huit millions. Cet héritage lui a été laissé par un commensal de la famille. Il paraît que le père du jeune homme était vieux, la mère, jeune et jolie33.
Si Maupassant donne un frère à l’heureux héritier, c’est que celui-ci, de toute évidence, n’aurait pas enquêté sur l’origine de son héritage, au risque d’apprendre que lui-même est un enfant adultérin. De plus, l’introduction d’un second protagoniste en conflit avec l’héritier permet de développer une importante thématique économique.
Pierre, qui avait trois ans en 1858 (p. 115), a trente ans à présent : nous sommes en 1885. Cela se passe au Havre, en pleine expansion à cette époque : le nombre d’habitants a triplé en trente ans, de nouveaux quartiers s’élèvent, et, grâce au port et aux dépôts de marchandises, la ville fait à elle seule le sixième du chiffre d’affaires de la France entière34. Cette effervescence économique est l’avenir qui s’ouvre devant les protagonistes, deux jeunes hommes au seuil de la vie, fraîchement diplômés, Pierre de médecine, Jean de droit. Leur père, un ancien bijoutier parisien retiré au Havre, est un spectateur enthousiaste du dynamisme extraordinaire du port. Toutefois, ses ressources modestes ne lui permettent pas de loger sa famille dans la ville moderne, mais seulement dans une maison étroite d’un vieux quartier. Les fils, eux, veulent de la place.
Pierre et Jean : le brun et le blond, le nerveux et le placide, le dur et le tendre. Radicalement opposés, ils vivent sous la tension d’« une de ces jalousies dormantes » prêtes à se réveiller à l’occasion d’« un bonheur tombant sur l’un » (p. 62). Ce bonheur sera l’héritage, « la fortune tombée sur [Jean] » (p. 111). Auparavant, ils étaient à égalité, aucun n’ayant un sou devant lui, chacun comptant pour s’établir sur l’aide, nécessairement maigre, de ses parents.
Le bonheur, la fortune tombent sur Jean − serait-ce pur hasard, comme le suggèrent ces tournures, si c’est lui qui hérite ? le sort aurait-il pu tomber aussi bien sur Pierre ? les deux frères seraient-ils interchangeables ? La suite de l’histoire nous apprendra le contraire : Pierre et Jean sont différents au point d’être prédestinés chacun à son rôle, par son caractère, par le projet existentiel que chacun tient de son père.
Pour définir ces projets, j’aurai recours à deux catégories, être et avoir, dont l’opposition est une source inépuisable de conflits dans la littérature française du XIXe siècle, sinon dans toute la littérature. Vouloir être et vouloir avoir sont deux projets tellement importants qu’ils semblent innés aux personnages, impliqués par leur caractère. Vouloir être, c’est vouloir s’affirmer, affirmer son identité, et c’est vouloir s’épanouir, devenir plus fort, plus beau, plus estimé, plus aimé. À moins qu’on ne veuille simplement préserver une situation satisfaisante où l’on se trouve beau, fort, aimé. Vouloir avoir, c’est soit vouloir conserver ses possessions, soit vouloir posséder plus et encore plus. Ces deux projets ne sont aucunement incompatibles. Ceux qui veulent être ne s’interdisent pas d’avoir, ils disposent des ressources pour vivre, souvent même de richesses, propriétés, châteaux, trésors, mais, au lieu de tirer une satisfaction immédiate de la possession de leurs biens, ils en usent pour devenir plus forts, plus beaux, plus aimés : pour être. Face à eux, ceux qui se définissent par leur projet de posséder veulent souvent devenir, eux aussi, plus forts, plus beaux, plus aimés, mais leur désir d’avoir prime sur leur désir d’être. En somme, les deux désirs coexistent chez les personnages, mais l’un des deux s’impose comme prioritaire. Emma Bovary veut de l’argent, elle vole son mari, incite son amant à détourner des fonds dans l’étude de notaire où il est employé, mais elle use de son avoir pour se rendre plus belle, plus intéressante, pour se faire aimer plus et encore plus : pour être. De même Renée, dans La Curée de Zola, dépense des fortunes pour tromper sa soif d’amour par un luxe effréné : elle jouit de sa richesse pour être. Face à elle, Saccard, son mari, est talonné par un immense désir d’avoir, non sans ressentir, toutefois, la tentation d’employer l’argent comme un levier de pouvoir : pour devenir plus puissant, plus admiré, peut-être même plus aimé.
Encore le désir prioritaire pèse-t-il souvent à peine plus lourd que l’autre, ce qui produit des apparences trompeuses. Jean, avec ses pensées qui ne s’arrêtent qu’« aux choses ayant pour lui un intérêt direct » (p. 146), et le père Roland, « dont l’esprit n’avait jamais franchi l’horizon de sa boutique » (p. 123), semblent tous deux situés du côté de l’avoir, d’où l’impression que Jean serait plus proche de son père légal que de son père naturel. Pierre, au contraire, intelligent, cultivé, rêveur, est proche de l’amant de sa mère, homme instruit et fin avec qui il lui arrive de parler poésie. Pourtant, chacun d’eux est bien le fils de son père.
Jean tient de ses géniteurs chez qui le désir d’avoir prime sur des désirs d’être apparemment très forts. Parmi ces désirs, l’attirance du rêve, de la poésie. Mme Roland, « une économe bourgeoise un peu sentimentale, douée d’une âme tendre de caissière » (p. 62), aime les romans et la poésie pour « ces émotions légères qui troubl[ent] un peu son âme bien tenue comme un livre de comptes » (p. 66). Qui la troublent « un peu, si peu », insiste le manuscrit...35. Quant à Maréchal, son amant, chef de bureau au ministère des Finances, cet homme doux et charmant apprécie la poésie en « bourgeois » et non pas en « artiste » (p. 121).
Autre et fondamental désir d’être : l’amour. Si l’on accole le prénom de Mme Roland, Louise, au patronyme de son amant, on obtient Louise Maréchal, nom porté par la mère adultère dans Henriette Maréchal des Goncourt (1863), un drame qui se termine dans le sang. Seulement, les amours de Mme Roland n’ont rien de dramatique, on dirait même rien de transgressif. C’est l’adultère toléré par une société hypocrite dont la morale courante tacite − en contradiction avec la morale idéale qu’elle prêche36 − admet que « [le] mariage et l’amour n’ont rien à voir ensemble37 » parce que la fonction du mariage est de produire des héritiers afin d’assurer la transmission du nom et des biens à l’intérieur d’une communauté. L’amour, par conséquent, n’existe que dans l’adultère qui, de ce fait, passe pour le complément du mariage. La liaison de Mme Roland et de Maréchal relève de ce type d’adultère, que Maupassant appelle aussi « trois têtes sur le même oreiller38 », le mari étant d’habitude le meilleur ami de l’amant. Ce n’en est pas moins un amour profond, authentique. Se plaçant, le temps de s’aimer, en dehors des rapports socio-économiques – en dehors de l’avoir −, les amants satisfont leur désir d’être, ils s’aiment l’un l’autre pour ce qu’ils sont, chacun découvre l’autre et se découvre dans le regard de l’autre comme unique. Mme Roland, évoquant Maréchal : « je n’ai aimé que lui, [...] il a été toute ma vie, toute ma joie, tout mon espoir, toute ma consolation, tout, tout, tout pour moi, pendant si longtemps ! » (p. 173). C’est un amour exclusif, unique, fondateur d’identité. Seulement, à l’instar de ces émotions suscitées par la poésie qui ne doivent troubler qu’« un peu » le livre de comptes qu’est l’âme de Mme Roland, l’amour, le désir d’être, ne doit pas mettre en cause son mariage solidement ancré dans l’avoir. Donc pas de vagues, pas de drame, pas de conflit.
Pour Mme Roland, c’est évident, l’avoir l’emporte sur l’être. Lorsque, après l’annonce de l’héritage de Jean, la famille discute du genre de vie qu’il devrait mener désormais, sa mère lui recommande de travailler pour « ne pas perdre le fruit de [s]es études » (p. 94). Ne pas perdre, garder ce qu’on a, c’est la grande affaire de Mme Roland. Dans le nouvel appartement de Jean, on la verra souffler les bougies après le départ des invités et serrer le sucre et les gâteaux dans un meuble qui ferme à clé (p. 163). Mieux, un long passage du manuscrit – il ne figurera pas dans la version imprimée – la montre en « femme d’ordre et de chiffres », qui, dans la crainte que Jean refuse l’héritage de son père naturel, s’ingénie à régler cette « question d’intérêt commercial39 ».
Mais Maréchal, objectera-t-on, le galant qui se ruine en fleurs, doit se situer du côté de l’être. Rappelons ici le fait étrange qu’il institue Jean son unique héritier au risque de compromettre la réputation de Mme Roland – la morale idéale pourrait la juger sévèrement − et au mépris de son amitié pour Pierre. Une seule explication à ce comportement : à l’heure de la mort – l’heure de la vérité –, l’avoir l’emporte chez lui aussi sur l’être, lui inspirant le vœu ultime de transmettre sa fortune à son descendant.
Jean est la digne progéniture de ce couple. Il aime l’ordre, la sagesse, la régularité. Enrichi, il loue un bel appartement choisi par sa mère et le meuble avec cet amour de l’ordre qu’il a en commun avec elle40. Il aime parler des « planches posées dans le placard de sa chambre pour serrer le linge » (p. 147), sa mère se plaît à « vérifier les piles de linge, le nombre des mouchoirs et des chaussettes », à « align[er] les serviettes, les caleçons et les chemises », plaisir d’autant plus vif qu’elle le partage avec son fils : « Jean, viens donc voir comme c’est joli » (p. 189).
D’un côté, donc, Mme Roland, Maréchal et Jean : chez tous les trois, l’avoir prime sur l’être. De l’autre côté, M. Roland et Pierre.
Au premier abord, on dirait que chez le père Roland, un commerçant « pour qui le mot “poésie” signifi[e] sottise » (p. 121), l’avoir l’emporte sur l’être. Déduction hâtive, puisque Roland, ayant amassé une fortune modeste, ferme sa boutique pour s’adonner à sa passion du bateau. Sa femme voudrait continuer le commerce, mais lui, refusant de s’« esquinter » plus longtemps au travail, veut se « refaire [une] santé » au bord de la mer (p. 81). Vouloir préserver sa santé, sa personne, et vouloir s’adonner à une passion quitte à renoncer à augmenter ses possessions, c’est opter pour l’être, au détriment de l’avoir.
Pour confirmer cette thèse, il convient de rappeler les sources des revenus. Mieux, la source, parce que aussi bien les Roland que l’héritier de Maréchal vivent de leurs rentes, c’est-à-dire des intérêts de capitaux investis en obligations à trois pour cent (p. 76). À l’époque, la grande majorité des Français qui possédaient des valeurs monétaires choisissaient ce type d’investissement puisqu’il garantissait, dans ces temps où l’inflation était inexistante, que le capital serait sauvegardé et resterait éternellement égal à lui-même. En somme, tous, le père Roland, Mme Roland, Maréchal, Jean, tiennent à garder leur avoir. Seulement, Jean disposera de vingt mille francs par an, tandis que ses parents n’ont que huit mille francs41. Dans ces conditions, quand il refuse d’augmenter son capital afin de vivre sa « manie nautique » (p. 103), le père Roland opte, avec intransigeance, pour l’être.
Pierre ne ressemble guère à son père. Il est « exalté, intelligent, [...] plein d’utopies et d’idées philosophiques » (p. 61). Il a « des désirs fous de partir », d’aller voir « des pays aux grandes fleurs et aux belles filles pâles ou cuivrées, des pays aux oiseaux-mouches, aux éléphants, aux lions libres, aux rois nègres » – « mais voilà, il faudrait de l’argent, beaucoup... » (p. 86-87). Lui, s’il avait de l’argent, il le dépenserait pour le plaisir de ses yeux, de ses sens, de son esprit, pour élargir ses connaissances et se procurer des jouissances nouvelles : contrairement au principe maternel qui commande de tout garder, il ferait des investissements à fonds perdu. S’il rêve d’avoir de l’argent, calculant même au franc près la somme qu’il gagnerait dans l’année avec tant de patients par jour, ce n’est là qu’une rêverie à la Perrette, sans prise aucune sur la réalité.
La différence entre Pierre et son père provoque même une vive altercation lorsque la famille discute de l’avenir de Jean. Selon Pierre, maintenant qu’il est à l’abri du besoin, Jean devrait s’efforcer de devenir « un jurisconsulte éminent, une lumière du droit » ; selon le père Roland, il devrait « se la couler douce », éviter tout effort, pour ne pas « s’esquinter le tempérament ». Pierre répond à son père, avec hauteur : « Nos tendances ne sont pas les mêmes ! » (p. 95). Seulement, le père Roland ajoute que lui, s’il était Jean, il s’achèterait un joli bateau et irait « jusqu’au Sénégal » (p. 94)... jusqu’au pays des rois nègres où Pierre, lui aussi, rêve d’aller. Dans le manuscrit, le père, Gérôme Roland, s’appelle d’abord Simon42, premier nom de celui qui fut l’apôtre Pierre : le père et le fils sont moins loin l’un de l’autre qu’ils le paraissent. Le père Roland tient à garder son capital investi en obligations pour subvenir au nécessaire ; s’il était riche, il dépenserait, tout comme Pierre, à fonds perdu. Jean, au contraire, au lieu de désirer partir pour les lointains exotiques, fait venir dans son appartement magots, potiches et autres japoneries, il thésaurise et préserve ses possessions au moyen de sonneries électriques installées « pour prévenir toute pénétration clandestine » (p. 147).
Une différence générale entre les représentants de l’être et ceux de l’avoir qu’il convient de relever chez Maupassant a trait à la consommation. Claudine Giacchetti a analysé les déficiences métaboliques de Pierre, éternel assoiffé43. Les autres buveurs du roman sont le père Roland et le capitaine Beausire, lui aussi amoureux des lointains. Au dîner où la famille célèbre l’héritage de Jean, on voit défiler les plats, mais on ne voit personne y toucher. Il nous est dit que Mme Rosémilly refuse le deuxième verre et que Mme Roland n’a pas vidé le premier : ceux qui veulent avoir ne consomment pas. Pierre, en revanche, boit à tout instant, et le père Roland boit trop. De Jean il espère, avant tout, qu’il lui payera des « dîners extra » (p. 139). Chez Maupassant, consommer, boire, manger et métaboliser la nourriture, l’assimiler, relève de l’être. Paroles d’un gourmet : « Dans l’œuf, comme dans la chair du poulet, du bœuf ou du mouton, dans le lait, dans tout, on retrouve [...] la quintessence des nourritures antérieures de la bête44 » − on est ce qu’on mange. On mange et on boit pour être.
Pierre est le fils de Roland, Jean est le fils de Maréchal. La suite de l’histoire découle de ces prémisses. Jean, qui descend des tenants de l’avoir et se trouve lui-même du côté de l’avoir, hérite. Désormais « tout est pour Jean » (p. 104), l’espace, le plaisir, l’amour. Il prendra l’appartement que Pierre aussi a convoité et épousera la femme à qui Pierre aussi a cherché à plaire. Il est vrai que cette femme, Mme Rosémilly, ordonnée, propre, pratique, avec « un esprit sain, étroit et bienveillant » (p. 63), a été faite pour Jean et apporte dans le mariage autant que lui. Mais Jean trouve en elle plus forte que lui pour l’ancrage dans l’avoir. À peine sa déclaration prononcée dans la poésie d’un paysage marin, Mme Rosémilly, au lieu d’y répondre par des « gentillesses galantes », se met à « parler d’affaires », et c’est vite réglé, Jean est « lié, marié, en vingt paroles » (p. 155-156). Mme Roland, on l’a vu, aime les émotions qui troublent « un peu » son âme. Jean et sa fiancée, pour parler d’amour, grimpent sur le roc « un peu haut », Mme Rosémilly se dit « un peu troublée », tous les deux sont « un peu embarrassés », « un peu confus », (p. 155-156), et, plus tard, lorsque Jean montre à sa fiancée la chambre à coucher de son nouvel appartement, elle devient « un peu sérieuse », puis « gênée un peu » et « un peu confuse » (p. 161-162). « Un peu » : jamais trop, jamais le désir amoureux, un désir d’être, ne prendra le pas sur le désir d’avoir.
Tout ce qui est à avoir autour de lui, Jean l’aura. Pierre, au contraire, non seulement n’aura rien, mais il perdra le peu dont il comptait disposer, l’aide de ses parents pour s’établir, sa chambre dans la maison familiale. La faute n’en est pas à Jean. Seulement, l’idée ne lui vient à aucun moment de donner ou de prêter à son frère. Il garde ce qu’il a et y ajoute.
Différence inébranlable, lignes de conduite tracées d’avance : tels pères, tels fils. Mais qu’en est-il alors du chapeau, appartenant à Roland, que Maréchal a pris pour le sien, le jour de la naissance de Jean ?
PIERRE ET JEAN, ROMAN D’ANALYSE ET DE PSYCHANALYSE
Quelques jours après la publication de Pierre et Jean, Édouard Estaunié45 annonce à Maupassant qu’il traite d’un sujet semblable dans son premier roman, en chantier. Maupassant le rassure : il arrive souvent que deux auteurs « enfantent deux livres tellement pareils qu’ils semblent s’être communiqué leurs pensées et leurs sujets46 ». Les commentateurs notent que Maupassant indique dans cette lettre un « fait divers de journal » comme source de son roman, alors qu’Hermine Lecomte Du Noüy et François Tassart parlent d’une conversation en société, à Étretat. La discrétion veut peut-être que l’écrivain masque sa source. Il est plus intéressant d’observer que dans le roman d’Édouard Estaunié, Un simple, qui paraîtra en 1891, il n’y a ni héritage, ni deux frères, mais un fils unique et sa mère veuve. L’auteur n’a certainement pas envoyé à Maupassant le manuscrit de son roman, mais a dû en indiquer le sujet dans une lettre. Celle-ci ne nous étant pas parvenue, nous en resterons à une hypothèse : pour Édouard Estaunié, son roman ressemblait tellement à Pierre et Jean qu’une accusation de plagiat n’était pas à exclure. Or le seul thème commun aux deux œuvres est l’enquête du fils sur la vie amoureuse de sa mère. Si aux yeux d’Édouard Estaunié ce thème est si important qu’il occulte le reste, c’est qu’il est, en effet, le centre névralgique de son roman : la sexualité de la mère devrait rester taboue pour le fils. Pour avoir transgressé cet interdit, le jeune héros d’Un simple se condamne au suicide. Dans André Cornélis de Paul Bourget (1887), duquel la critique contemporaine rapproche Pierre et Jean, on retrouve le même thème : le fils, un Hamlet moderne, enquête avec hésitations et remords sur le passé de sa mère ; s’il reste impuni, c’est qu’il a pour excuse de la savoir innocente et d’agir pour découvrir l’assassin de son père. Le châtiment de Pierre Roland sera l’exil, pire, la déréliction, « l’affolement d’une bête sans abri, une angoisse matérielle d’être errant » (p. 192). L’amour adultère de la mère, « une chose abominable » (p. 102), « horrible » (p. 130), « monstrueuse » (p. 117), est la source dont procède le malheur du fils47.
Remonter à cette source est le but de l’enquête de Pierre, des analyses qu’il pratique sur lui-même et son entourage. Le terme « analyse » se laisse utiliser ici non seulement dans son sens classique d’examen des processus psychologiques, mais aussi dans le sens que lui donnera la psychanalyse : tenter d’accéder à des idées qui, n’étant pas tolérées par la conscience, sont refoulées dans l’inconscient. De là le discours intérieur répétitif, « ressassant » de Pierre, qu’a observé Jean-Louis Cabanès48 : la démarche psychanalytique ne progresse qu’à coups de répétitions. Pierre Bayard évoque Pierre et Jean pour illustrer le processus de prise de conscience qu’il nomme « idéation », composante d’une psychanalyse dont Maupassant aurait pu être l’inventeur49. Ajoutons qu’une telle invention était déjà en cours : De l’intelligence de Taine, où il est question de mémoire inconsciente, date de 1870 ; La Philosophie de l’inconscient d’Eduard von Hartmann, parue en allemand en 1869, a été traduite en français en 1877 ; Zola pensait d’abord intituler L’Inconscient le roman qui allait porter le titre La Bête humaine (1890) ; enfin, tout près de Maupassant, son ami Paul Bourget, en 1883, crée un personnage auquel il attribue un ouvrage intitulé De la dissociation des idées, sous-tendu par cette théorie :
Par-dessous l’existence intellectuelle et sentimentale dont nous avons conscience, et dont nous endossons la responsabilité, peut-être illusoire, tout un domaine s’étend, obscur et changeant, qui est celui de notre vie inconsciente. Il se cache en nous une créature que nous ne connaissons pas, et dont nous ne savons jamais si elle n’est pas précisément le contraire de la créature que nous croyons être50.
Maupassant relève ce passage dans « Les subtils », article consacré au roman psychologique51. Chez lui, déjà dans le manuscrit d’En canot, nouvelle publiée en 1876, la personnalité apparaît comme divisée en deux « moi », deux sphères, « les sens et la volonté, la nature et la raison52 ». Cette division se retrouvera à plusieurs reprises dans son œuvre, notamment dans Le Horla dont elle est un élément moteur. Dans Pierre et Jean, elle est chargée d’une fonction précise : de la sphère qu’on appellerait aujourd’hui l’inconscient, une idée s’efforce de se faire jour à travers les obstacles qui lui barrent le chemin du conscient. Autrement dit, Pierre tente une auto-analyse. Tentative pionnière, qui mérite qu’on en rappelle les moments cruciaux.
Cela commence « quelque part » entre âme et corps : Pierre ressent « une de ces presque insensibles meurtrissures dont on ne trouve pas la place », « quelque chose comme une graine de chagrin » (p. 82). Chez lui, « l’homme sensitif domin[e] [...] l’homme intelligent », « l’être instinctif » conçoit des idées contraires à celles « que juge bonnes et saines l’être pensant » (p. 83). C’est en écoutant ses réactions instinctives que Pierre – son être pensant – découvre qu’il est jaloux de la fortune de son frère. Cette découverte le soulage, il est « content d’avoir compris, de s’être surpris lui-même, d’avoir dévoilé l’autre qui est en nous » (p. 84). Pourtant, il ressent toujours « une piqûre de guêpe » (p. 98), alors que le malaise devrait se dissiper avec la prise de conscience de sa cause. La jalousie, doit-on conclure, n’en est pas la cause véritable, il faut chercher ailleurs. Pierre cherche, sans même le vouloir : il parle de l’héritage de Jean à son ami le pharmacien Marowsko « presque malgré lui » (p. 91), puis à une fille de brasserie, poussé « tout à coup » par « un étrange besoin » (p. 100). Les deux répondent par le même soupçon concernant sa mère, mieux, ils lui répercutent un soupçon que son « être instinctif » a depuis longtemps conçu, mais que son « être pensant » s’obstinait à ignorer. À présent, il ne peut plus éviter de sonder son inconscient, cet « autre qui est en nous », que Maupassant présente avec une étonnante clarté :
Il se pouvait que son imagination seule, cette imagination qu’il ne gouvernait point, qui échappait sans cesse à sa volonté, s’en allait libre, hardie, aventureuse et sournoise dans l’univers infini des idées, et en rapportait parfois d’inavouables, de honteuses, qu’elle cachait en lui, au fond de son âme, dans les replis insondables, comme des choses volées ; il se pouvait que cette imagination seule eût créé, inventé cet affreux doute. Son cœur, assurément, son propre cœur avait des secrets pour lui [...]. Il se suspectait lui-même, à présent, interrogeant, comme les dévots leur conscience, tous les mystères de sa pensée (p. 110-111).
Le résultat est la découverte du « germe secret d’un nouveau mal » (p. 116) qui n’est plus « la jalousie [...], mais la terreur d’une chose épouvantable, la terreur de croire lui-même que Jean, que son frère était le fils de cet homme » (p. 117-118). Alors Pierre engage une enquête minutieuse dans ses souvenirs. Il répète le nom de Maréchal, comme pour « évoquer et provoquer son ombre » − son « fantôme », écrit d’abord Maupassant, puis il raye ce terme appartenant à Hamlet53. « Et dans le noir de ses paupières baissées, il le vit tout à coup tel qu’il l’avait connu » (p. 119). « [Il] se mit à rechercher les paroles, les gestes, les intonations, les regards de cet homme disparu de la terre. Il le retrouvait peu à peu, tout entier » (p. 119-120). « Et soudain l’intonation de sa mère »... « Et soudain un souvenir précis, terrible » (p. 121 et 122)...
Ici s’arrête l’auto-analyse du docteur Pierre Roland. La suite est de l’instruction judiciaire ; le fils établit, sur preuves, la culpabilité de la mère adultère. À nous de continuer l’analyse : pourquoi la faute de la mère a-t-elle une résonance si terrible ? Le jeune héros d’Édouard Estaunié vient de découvrir la sexualité, la sienne propre en même temps que celle de sa mère qu’il surprend dans les bras d’un amant – le dénouement sera un suicide d’adolescent. Pierre Roland est adulte. Aussi sa réaction étonne-t-elle, en 1888, le critique perspicace qu’est Paul Hervieu : « beaucoup de fils de la bonne bourgeoisie ne sont pas rués hors d’eux-mêmes par la présomption que leur mère aurait pu, longtemps auparavant et sans scandale, vivre dans quelque reproche54 ». Telle sera, en effet, l’attitude de Jean. Pierre, au contraire, est rué hors de tout, il « arrach[e] de son cœur les racines de toutes ses tendresses », se voit condamné à la déréliction « parce que sa mère s’était livrée aux caresses d’un homme » (p. 192).
Dans une étude qui fait date dans la réception critique de Pierre et Jean, Bernard Pingaud55 dégage une thématique œdipienne importante : l’amour de Pierre pour sa mère expliquerait aussi bien sa jalousie à l’égard de Jean que sa souffrance de « fils trompé » (p. 138). Seulement, dans Pierre et Jean, comme dans le reste de l’œuvre de Maupassant, il manque un personnage sans lequel il n’y a pas de complexe d’Œdipe : le père qui interdit l’inceste sous peine de castration56. Les situations triangulaires abondent, il est vrai, chez Maupassant, mais elles ne font qu’occulter l’absence du complexe d’Œdipe et l’angoisse qui s’ensuit. Ainsi, dans L’Héritage (1884), le mari, la femme et l’amant sont inséparables ; pas de jalousie, bien au contraire, c’est le mari stérile qui invite l’amant à féconder sa femme, la naissance d’un enfant étant la condition pour le couple d’hériter le million d’une tante. Dans Un sage (1883) aussi, c’est le mari qui introduit l’amant au domicile conjugal pour préserver sa santé compromise par le désir insatiable de sa femme. Dans Hautot père et fils (1889), après la mort du père, le fils prend sa place au lit de sa maîtresse tout naturellement, sans un soupçon de sentiment de culpabilité. Pas de père castrateur : pas de complexe d’Œdipe. Son absence s’explique par l’arrêt de l’évolution psychique de l’enfant à un moment où l’œdipe est déjà entrevu – d’où les situations triangulaires −, mais n’est pas encore engagé. Faute de cet engagement, la personnalité reste fragile : l’affrontement avec le père castrateur l’aurait consolidée, et la différence des sexes, telle qu’elle se stabilise dans les rapports avec le couple parental œdipien, aurait pu servir de base à sa propre différence, à son identité. Cette fragilité suscite une angoisse permanente de l’effondrement psychique, de perte d’identité par régression dans un état de la petite enfance où le moi n’existe pas encore.
Cette angoisse inconsciente est un moteur de la création de Maupassant, c’est elle que véhicule le schéma narratif qu’il répète à son insu, d’œuvre en œuvre. Voici ce schéma, tel qu’il sert de fondement à Pierre et Jean.
On vit dans un espace clos, tolérable, auquel on est habitué : Pierre et Jean vivent dans un espace familial étroit, en état de dépendance. On désire en sortir. C’est autorisé : Pierre et Jean sont sur le point de commencer leur vie professionnelle, une vie indépendante. Dans l’espace ouvert survient un incident qui change la situation : l’héritage bouleverse les rapports dans la famille Roland. À la fin de l’histoire, on se retrouve dans la clôture, celle du début ou une autre, plus serrée qu’auparavant, souvent définitive, même mortelle : Pierre, enfermé dans sa cabine de bateau, ne dispose en propre que de l’espace de « son petit lit marin, étroit et long comme un cercueil » (p. 198). Plus rares sont les clôtures heureuses : Jean finit dans celle du mariage, pris dans le filet de cette pêcheuse « adroite et rusée » qu’est Mme Rosémilly (p. 154).
Histoire de piège – Micheline Besnard-Coursodon a montré l’omniprésence du piège dans l’œuvre de Maupassant57 –, ce schéma représente le fantasme inconscient d’un corps maternel maléfique. Dans un premier temps, il est « normal », supportable, d’y être enfermé. Puis l’enfant veut en sortir : naître, se séparer de la mère, vivre dehors. C’est autorisé : tout un chacun est autorisé à naître. Mais l’autorisation a été trompeuse : dans l’espace ouvert, une, plusieurs, beaucoup de brèves aventures surviennent, et, à la fin, on sera repris dans le clos – dans le piège maternel −, pour toujours, pour mourir. Ce fantasme archaïque, lié aux tout premiers temps de la vie, est irreprésentable tel qu’en lui-même parce que pour l’embryon le corps maternel n’est qu’un milieu biologique, sans limites, sans structures, sans identité, qu’une matière qui l’entoure, avec laquelle il se confond. Mais ce corps-milieu se laisse représenter aisément comme Mère Nature : dans Pierre et Jean, comme océan – eaux maternelles infinies –, cieux, brumes, rivages, ports...
L’homophonie de mer et de mère aidant, de nombreux critiques ont rapproché les paysages marins et la figure de la mère dans Pierre et Jean. Mais il y a plus. Dès le début du récit, l’environnement maritime est évoqué comme un composé de ventres. Les bateaux glissent sur « le ventre plat de l’Océan » (p. 70), ils sont alignés dans le port « ventre à ventre » (p. 72). À la fin du récit, la sortie du transatlantique du port du Havre est comparée à un « enfantement » (p. 203), et le bâtiment lui-même, mieux, elle-même parce qu’il s’appelle la Lorraine et sera désigné ensuite par le pronom Elle, avec majuscule, a un « ventre énorme » (p. 201) et court sur l’eau comme un « énorme monstre » (p. 203). Énorme, comme le corps maternel gigantesque, disproportionné par rapport au corps de l’enfant. Pierre, désormais, est logé dans le ventre d’un monstre.
Et il y a d’autres ventres maléfiques dans Pierre et Jean. Le port du Havre est représenté comme un « ogre dévorant » qui « avalait » les bateaux comme une « bouche », puis, lorsqu’il était « repu », les « rejetait » (p. 69), ou, mot raturé dans le manuscrit, les « vomissait58 ». Autour du port, « toutes les mauvaises odeurs semblaient sortir du ventre des maisons, puanteurs des caves, des fosses, des égouts, des cuisines pauvres », pour se mêler à la brume « nauséabonde » et « pestilentielle » sous laquelle les rues étaient « ensevelies » (p. 116). L’ogre qui avale, dévore, puis rejette, vomit, pour dévorer et vomir encore de petites choses mouvantes, c’est l’image d’une mère orale géante qui, par la bouche, expulse l’enfant de son ventre pour l’y reprendre encore. L’autre ventre, celui des égouts, des intestins, d’où émanent des puanteurs excrémentielles, est l’image anale de la mère : un ventre qui tantôt expulse, tantôt retient, enclot.
Réabsorption du corps du sujet par le corps maternel, effacement des frontières de soi, perte d’identité, c’est cette angoisse, omniprésente dans l’œuvre de Maupassant, que les paysages véhiculent dans Pierre et Jean. Certes, il y a aussi des paysages heureux : Mme Roland « s’abandonnait tout entière, tout son esprit et toute sa chair, à ce doux glissement sur l’eau » (p. 67) ; Pierre, « calme et content », vagabonde sur l’eau avec son bateau qui le porte comme « une bête ailée », il y rêvasse comme « sur le dos d’un cheval » (p. 113). C’est le bonheur d’être dehors, libre de ses mouvements dans l’espace ouvert infini, et d’être porté en même temps, par l’eau, par un bateau, par un cheval : l’enfant est sorti du corps maternel, mais celui-ci est encore tout proche, il le soutient, le porte, le berce. Bonheur trop court : le temps se gâte, il faut rentrer au clos.
Ces images, qui datent d’une époque où la mère n’est pas encore vue comme une personne ayant ses contours et son visage, semblent sans lien aucun avec Mme Roland, pourvue d’une solide identité sexuelle, familiale, sociale. La figure maternelle qu’elle représente se trouve, en effet, au centre d’un fantasme plus tardif qui tient déjà compte des différences identificatoires. Pierre « n’aimait que sa mère au monde » (p. 118) : elle est unique pour lui, il l’aime d’un amour unique et attend en retour d’être aimé comme unique. C’est pourquoi, lorsqu’il découvre l’adultère de Mme Roland, il est emporté par une violente colère : « S’il avait été le mari de cette femme, lui, son enfant, il l’aurait saisie par les poignets, par les épaules ou par les cheveux, et jetée à terre, frappée, meurtrie, écrasée ! » (p. 138). Fantasme sexuel œdipien – trop évidemment œdipien : selon le manuscrit, Pierre est soulevé par une colère d’« époux trompé59 », expression que Maupassant supprime pour y substituer « fils trompé » (p. 138). En effet, le fils jaloux ne trouve pas devant lui un adversaire défini : Pierre éprouve une envie de tuer − « Qui ? tout le monde, son père, son frère, le mort, sa mère ! » (p. 124). La faute de la mère n’est pas d’avoir préféré un autre homme à son fils, mais d’avoir substitué « tout le monde » à l’unique. Pierre se promène à Trouville :
Cette vaste plage n’était [...] qu’une halle d’amour où les unes se vendaient, les autres se donnaient, celles-ci marchandaient leurs caresses et celles-là se promettaient seulement. Toutes ces femmes ne pensaient qu’à la même chose, offrir et faire désirer leur chair déjà donnée, déjà vendue, déjà promise à d’autres hommes. [...]
Sa mère avait fait comme les autres, voilà tout ! (p. 134-135).
Aussitôt après, Pierre voudrait se raviser : il existe des exceptions, se dit-il, à l’opposé de la galanterie il y a les « honnêtes femmes enfermées dans la maison close » (p. 135). « Maison close » signifie dans ce contexte la clôture puritaine de la vie familiale, mais l’acception courante du terme contredit cette signification : il s’agit bien d’un lapsus par lequel l’inconscient – de Pierre, de Maupassant, cela revient ici au même − refuse l’existence des femmes honnêtes. Mme Roland est comme les autres : elle n’est pas unique. Par conséquent, le fils qui n’aime qu’elle au monde et qui se voyait unique dans le miroir de l’amour maternel cesse, lui aussi, d’être unique : du moment que la mère est privée de sa différence, de son identité, c’est l’identité de Pierre lui-même qui s’effondre.
La « chose abominable » (p. 102) est cet effondrement, provoqué par la découverte de l’adultère maternel. Dans une importante étude sur Pierre et Jean, Marie-Claire Ropars insiste sur la « perte de différence » qui travaille ce texte et sur la menace, que cette perte implique, du « retour à l’indifférenciation originelle60 ». Éviter ce danger est impossible. Pierre a beau vouloir fuir l’espace maternel, renoncer à sa place dans la maison familiale, sur la terre ferme − sur la terre tout court ? −, il se retrouvera « forçat vagabond » (p. 192) : prisonnier de la déréliction, enclos dans un « cloaque de misère », enveloppé de brumes portant « dans leur épaisseur insaisissable quelque chose de mystérieux et d’impur comme le souffle pestilentiel de terres malfaisantes et lointaines » (p. 191). D’aucuns ont voulu voir une fin libératrice dans l’image de la sortie de la Lorraine, avec Pierre à son bord, du port du Havre, « enfantement d’une grande ville maritime qui donn[e] à la mer sa plus belle fille », laquelle, ayant « franchi l’étroit passage enfermé entre deux murs de granit, se sen[t] libre enfin » sur l’océan (p. 203). On rappellera toutefois que cette « belle fille » est « un énorme monstre » (p. 203). L’histoire se termine par la disparition de Pierre : Mme Roland « se retourna [...] pour jeter un dernier regard sur la haute mer ; mais elle ne vit plus rien qu’une petite fumée grise, si lointaine, si légère qu’elle avait l’air d’un peu de brume » (p. 205). Maupassant a écrit d’abord : « qu’elle semblait un nuage61 ». Mais un nuage a ses couleurs, ses limites, sa forme. Or celui qui a chu de son identité d’unique se dissoudra dans la brume, sera absorbé par l’immensité inconsistante.
C’est ce danger que les faux fantasmes œdipiens seraient censés annuler ou, tout au moins, occulter par l’affirmation de la différence sexuelle et individuelle. Vains efforts, puisque les différences sont instables, à commencer par celle du père : « Il avait un gros ventre de boutiquier, rien qu’un ventre où semblait réfugié le reste de son corps, un de ces ventres mous d’hommes toujours assis, qui n’ont plus ni cuisses, ni poitrine, ni bras, ni cou » (p. 103) − le corps du père est réduit à la composante majeure du corps maternel. Rien d’étonnant à ce que la loi, étant de ressort œdipien – elle prend son origine dans l’interdit de l’inceste signifié par le père −, soit sans valeur dans cette histoire : le fils légitime est exilé, le fils illégitime reste dans la famille. Philippe Bonnefis conclut : « Est débouté, qui peut tenir son rang. Est à sa place, qui ne peut se prévaloir d’aucun droit. Telle est l’inversion qui est la butée du livre, sa fin62. »
Resterait alors cette autre différence que Maupassant met au premier plan, celle qui s’établit entre être et avoir. Différence moins nette, moins structurante, parce que désirs d’être et désirs d’avoir se mêlent chez le même personnage au point que Pierre ressemble à première vue plutôt à Maréchal et Jean plutôt à Roland, de sorte que les deux frères eux-mêmes risquent de se confondre : « Pierre e(s)t Jean ». Une seule certitude : l’avoir triomphe nécessairement, fatalement, de l’être. Fatalement, parce que posséder, c’est tenir, retenir, enclore. Mme Roland perd son statut d’unique lorsqu’elle devient marchandise dans une halle d’amour : lorsqu’elle bascule, aux yeux de Pierre, de la sphère de l’être dans la sphère de l’avoir. Cette mère marchande, qui vend du déjà vendu, sa chair, son corps, sa personne déjà donnés à son mari, à son fils, cette caissière avec un livre de comptes à la place du cœur, ordonnée, propre, économe, cupide, rusée, malhonnête, c’est la mère telle qu’elle a été perçue par l’enfant à l’époque où il apprenait à devenir propre, à se retenir, attribuant à la mère la volonté de rétention comme trait dominant. On prend les choses dans son ventre et on les y retient... Jean, heureux, restera sous l’emprise de cette mère. Celle qu’il épousera est la propreté faite femme, les « rideaux blancs, immaculés » de ses fenêtres ont des plis « réguliers », et « jamais un grain de poussière » ne ternit le globe de la pendule dans son salon (p. 187). La demande en mariage faite, la mère et la fiancée « se prirent les mains, et restèrent ainsi, se regardant et se souriant, tandis que Jean semblait presque oublié d’elles » (p. 188).
L’histoire est terminée. À l’issue de notre parcours, le facteur occulte, d’ordre psychique, qui infléchit l’écriture de Maupassant vers la méthode analytique, apparaît clairement. Dans ses récits réalistes, les personnages sont des types, individualisés seulement le temps d’un événement, des éléments sortis d’une série pour un instant – c’était une de ces petites femmes, un de ces vieux paysans –, pour rentrer aussitôt dans le rang : leur identité est instable, éphémère. Cependant, la peur de la perte d’identité, on l’a vu, va en croissant chez Maupassant, et c’est pour s’en protéger, dans son écriture tout au moins, qu’il a recours à l’analyse psychologique, destinée à renforcer l’identité individuelle des personnages. Mais la peur est plus forte que les défenses qu’elle mobilise. Insigne d’identité virile, le chapeau, celui de Roland que Maréchal prend pour le sien et dont la seule fonction est de cacher les cornes de son propriétaire, n’a ni couleur, ni forme, ni texture précises : c’est le chapeau de n’importe qui, il ne signifie aucune différence. Heureusement, une telle image relève du fantasme, de la littérature. Dans la réalité, pas de confusion possible entre le beau chapeau mou gris perle de René Maizeroy et le béret bleu marine de Georges Pouchet. Une réalité que l’état de santé de Maupassant permettra de distinguer du fantasme pendant quatre brèves années encore.
Antonia FONYI.
1- François Tassart, Nouveaux souvenirs intimes sur Guy de Maupassant (inédits), éd. Pierre Cogny, Nizet, 1962, p. 180.
2- Calmann Lévy, 1897.
3- En regardant passer la vie, par l’auteur d’Amitié amoureuse [Hermine Lecomte Du Noüy] et Henri Amic, Ollendorff, 1903, note du 22 juin 1887, p. 46.
4- [François Tassart,] Souvenirs sur Maupassant, par François son valet de chambre (1883-1893), Plon, 1911, p. 94.
5- François Tassart, Nouveaux souvenirs intimes sur Guy de Maupassant (inédits), op. cit., p. 180.
6- [François Tassart,] Souvenirs sur Maupassant, op. cit., p. 94.
7- Lettre à Émile Straus [janvier 1888], Correspondance, éd. Jacques Suffel, Évreux, Le Cercle du Bibliophile, 1973 (édition désormais désignée par l’abréviation Corr.), t. III, p. 14 et 15.
8- Les numéros de pages entre parenthèses renvoient à la présente édition.
9- Dans le manuscrit du « Roman », Maupassant écrit d’abord que les idées qu’il exposera pourront entraîner la « condamnation du genre d’étude » entreprise dans Pierre et Jean, puis il biffe ces mots et leur substitue « critique du genre d’étude psychologique » (cf. p. 207, variante des lignes 3-5). Selon certains commentateurs il n’y a pas de contradiction entre les deux écrits ; cf. en particulier Robert Lethbridge, Maupassant, Pierre et Jean, Londres, Grant & Cutler, « Critical Guides to French Texts », 1984.
10- Cf. « Le roman », passim. Dans « Une préface », article paru le 22 janvier 1888 dans L’Art moderne (Bruxelles) et attribué à Émile Verhaeren par Robert Willard Artinian (Maupassant Criticism. A Centennial Bibliography 1880-1979, Jefferson et Londres, Mac Farland, 1982), on lit cette remarque au sujet du « Roman » : « Somme toute, préface inutile à bien des titres et peu neuve d’idées. / À moins que M. Guy de Maupassant, qui nous semble quitter le roman documentaire et objectif, ne veuille expliquer sa bonne volonté vers le roman analytique et subjectif. Pierre et Jean est un effort dans cette voie » (p. 26).
11- Le double discours, neutre et engagé, du « Roman » est analysé dans le Dossier qui figure en fin de volume, p. 223 sq.
12- Durant la création de Pierre et Jean, même les plaintes, habituelles dans la correspondance de Maupassant, de migraines, maux d’estomac, ophtalmies, semblent absentes, mais ce n’est qu’apparence, due au fait que nous ne connaissons pas de lettres intimes de cette époque.
13- Sur le rapport de Maupassant au groupe de Médan, voir notre introduction à Boule de suif et autres histoires de guerre, GF-Flammarion, 1991.
14- Lettre adressée probablement à Paul Alexis, 17 janvier 1877, Corr., t. I, p. 112.
15- Cette ligne évolutive des romans de Maupassant est illustrée par des extraits dans le Dossier, « 2. Du roman de mœurs au roman psychologique », p. 237 sq.
16- Lettre citée par Maupassant dans « Chronique », Le Gaulois, 9 juillet 1882.
17- « Chronique », ibid.
18- « Guy de Maupassant, I. Premières œuvres » (Le Temps, 2 mai 1884), dans Études et portraits. Sociologie et littérature, Plon, 1905, p. 303.
19- « Les subtils », Gil Blas, 3 juin 1884.
20- « Trois romans », Revue des Deux Mondes, 1er mars 1887, p. 210 et 212.
21- Lettre à Ferdinand Brunetière [mars 1887], Corr., t. III, p. 250.
22- Le titre original est « La Terre. À Émile Zola ».
23- Titre d’un article consacré aux jeunes naturalistes par Montjoyeux dans Le Gaulois du 27 décembre 1878.
24- Lettre à Zola [janvier 1888], Corr., t. III, p. 7. Les rapports de Maupassant avec Zola resteront toujours bons. En 1888, c’est Maupassant qui est chargé par le ministre de l’Instruction publique de s’informer des éventuelles réactions de Zola à l’offre de la Légion d’honneur (cf. deux lettres à Zola [juillet 1888], Corr., t. III, p. 46-49), et en 1889, lorsque son confrère prépare La Bête humaine, il s’entremet pour lui obtenir l’autorisation de « violer les règlements » en visitant les lieux fermés au public des chemins de fer (cf. lettre à Zola [printemps 1889], Corr., t. III, p. 74).
25- Lettre à sa mère, fin septembre 1887, Corr., t. II, p. 261.
26- Lettre à sa mère [janvier 1888], Corr., t. III, p. 21.
27- Lettre à un directeur de revue (?) [octobre 1891], Corr., t. III, p. 249.
28- Lettre à Ferdinand Brunetière [août 1889], Corr., t. III, p. 94.
29- Maupassant lui confiera ses intérêts lors du procès contre Le Figaro, au sujet des coupures pratiquées dans « Le roman » (voir le Dossier, « 1. Maupassant : écrits sur le roman », p. 223-224).
30- Guy de Maupassant et l’art du roman, Nizet, 1954, p. 405-406, 434 et 566.
31- « Ceux de Médan. – III. Guy de Maupassant », Supplément littéraire du Figaro, 12 mai 1888.
32- « Guy de Maupassant », Revue bleue, 29 juin 1889, p. 802-803.
33- En regardant passer la vie, op. cit., p. 46.
34- Cf. Pierre Aubéry, « Images du Havre dans Pierre et Jean de Guy de Maupassant », Le Bel-Ami. Bulletin de l’Association des amis de Guy de Maupassant, juin 1958, no 7, p. 14, et le lieutenant-colonel Blanchot, Le Havre, son origine, son présent, son avenir, Société de géographie de Tours, 1888, p. 4.
35- Cf. p. 215, chapitre I, note f.
36- J’emprunte ces termes à André Vial, qui considère l’opposition entre la morale courante et la morale idéale comme une structure de base des nouvelles de Maupassant (Guy de Maupassant et l’art du roman, op. cit., passim).
37- Maupassant, Jadis, dans Les Sœurs Rondoli et autres contes sensuels, GF-Flammarion, 1995, p. 33.
38- Préface à L’Amour à trois de Paul Ginisty, L. Baillière et H. Messager, 1884, p. I.
39- Cf. p. 218, chapitre VII, note h.
40- Sur l’importance de l’amour de l’ordre dans Pierre et Jean, cf. la préface de Mireille Sacotte à son édition de ce roman (Pocket, « Pocket Classiques », 1989, rééd. 1998).
41- Revenu relativement modeste : dans Les Bijoux de Maupassant, un employé de ministère ne peut pas vivre confortablement avec ses 3 500 francs d’appointements.
42- Cf. p. 215, chapitre I, note a.
43- « Déficits métaboliques. Sommeil et nutrition dans Pierre et Jean de Maupassant », French Review, avril 1994, p. 767-775.
44- Le Rosier de Madame Husson, dans Le Rosier de Madame Husson, Quantin, 1888, p. 10.
45- Édouard Estaunié (1862-1942), polytechnicien, a été ingénieur, puis inspecteur général aux Postes et Télégraphes. Auteur d’ouvrages scientifiques sur l’électricité, il était aussi un romancier fécond. En 1923, il fut élu à l’Académie française, et en 1926 à la présidence de la Société des gens de lettres.
46- Lettre du 2 février 1888, Corr., t. III, p. 26. Le roman paraîtra en 1891, portant la dédicace « À Guy de Maupassant ».
47- Voir le Dossier, « 3. Mère et fils », p. 250.
48- « Ressassement et progression narrative dans Pierre et Jean », dans Maupassant et l’écriture, Nathan, 1993, p. 187-196.
49- Maupassant, juste avant Freud, Minuit, 1994, chapitre VIII.
50- L’Irréparable [1883], Plon-Nourrit et Cie, 1900, p. 4.
51- Gil Blas, 3 juin 1884.
52- Le Horla et autres contes d’angoisse, GF-Flammarion, 1984, rééd. 2006, p. 216.
53- Cf. p. 216, chapitre IV, note c.
54- « Héros littéraires. − Le docteur Pierre Roland », Supplément littéraire du Figaro, 28 janvier 1888.
55- « Pierre e(s)t Jean », dans Maupassant, Pierre et Jean, Gallimard, « Folio », 1982.
56- Pour une présentation plus détaillée de la problématique psychique au cœur de l’œuvre de Maupassant, cf. Antonia Fonyi, Maupassant 1993, Kimé, 1993, ainsi que les introductions aux volumes Le Horla et autres contes d’angoisse et Apparition et autres contes d’angoisse dans la collection GF-Flammarion.
57- Étude thématique et structurale de l’œuvre de Maupassant : le piège, Nizet, 1973.
58- Cf. p. 215, chapitre I, note g.
59- Cf. p. 216, chapitre V, note b.
60- « Lire l’écriture », Esprit, décembre 1974, p. 827.
61- Cf. p. 220, chapitre IX, note f.
62- Comme Maupassant, Presses universitaires de Lille, 1981, p. 29.