NOTE SUR L’ÉDITION

NOTRE TEXTE

Nous reproduisons, en modernisant l’orthographe, le texte de Pierre et Jean, Paris, Ollendorff, 1888.

Pour « Le roman », notre édition étant la première à tenir compte du manuscrit1, nous en apportons toutes les variantes. De l’édition préoriginale dans le Supplément littéraire du Figaro du 7 janvier 1888, qui a failli provoquer un procès, nous avons retenu les variantes importantes.

Le manuscrit de Pierre et Jean est conservé au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, sous la cote N.a.Fr. 23282. Comme plusieurs éditions en ont tenu compte, nous apportons seulement un choix de variantes significatives. Nous ne tenons pas compte de la préoriginale, parue dans La Nouvelle Revue, numéros des 1er et 15 décembre 1887 et du 1er janvier 1888, ni de l’édition illustrée publiée par Boussod, Valadon et Cie, en 1888.

Du vivant de Maupassant, « Le roman » et Pierre et Jean ont paru encore dans La Vie populaire, 18 mars-19 avril 1888, puis Pierre et Jean dans la Revue des journaux et des livres, 24 mai 1891-10 janvier 1892. Nous ne tenons pas compte du texte de ces éditions.

Nous avons repris dans ce volume quelques-unes des gravures sur bois de G. Lemoine (d’après des dessins de Géo-Dupuis) qui accompagnaient le texte de Pierre et Jean dans les Œuvres complètes illustrées de Maupassant (Ollendorff, 1903).

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Les variantes sont données à la suite du roman. Pour éviter de surcharger la mise en page, nous avons numéroté les variantes du « Roman » par lignes ; celles de Pierre et Jean, moins nombreuses, sont appelées par des lettres en exposant.

Dans les variantes, nous mettons les suppressions entre [ ] et les ajouts entre < >. Nos propres commentaires sont en italiques. Nous utilisons les abréviations Ms pour désigner les manuscrits, et FSL pour le Supplément littéraire du Figaro.

La plupart des écrivains du XIXe siècle se souciaient peu de l’accentuation des voyelles et de la ponctuation des phrases dans leurs manuscrits, laissant à l’imprimeur le soin de corriger leurs textes sur ce point. Maupassant ne fait pas exception à cette règle. Dans l’ensemble des variantes que nous apportons, nous reproduisons le texte manuscrit, sans y introduire les accents ou la ponctuation manquants.

« LE ROMAN » : DU MANUSCRIT AU TEXTE IMPRIMÉ

Notre édition est la première à prendre en compte le manuscrit du « Roman » et à faire connaître les différences que les versions imprimées, l’édition préoriginale (Supplément littéraire du Figaro, 7 janvier 1888) et l’édition originale (Paris, Ollendorff, 1888) montrent par rapport au manuscrit.

Les éditeurs scientifiques qui ont tenu compte du manuscrit de Pierre et Jean (Pierre Cogny2, Bernard Pingaud3, Louis Forestier4) considéraient jusqu’à présent le manuscrit du « Roman » comme inaccessible, détenu par un collectionneur dont on ignorait l’identité. En fait, il a été acquis en 1964, avec d’autres pièces de la collection d’Artine Artinian, par le Harry Ransom Center de l’université d’Austin (Texas).

Le manuscrit comporte 23 feuillets, chacune avec une importante marge de gauche où Maupassant inscrivait des corrections. Il est propre, clair ; seuls quelques mots raturés sont illisibles.

Il a servi pour l’impression : sur le premier feuillet, en haut, à gauche, en biais, une main qui n’est pas celle de Maupassant a écrit « Préface Pierre + Jean », et les noms des imprimeurs successifs figurent sur la marge gauche : folio 1 : « Dénue [?] 120 lig. » ; folio 5 : « Henry 129 lignes » ; folio 9 : « Fauvel 106 lignes » ; folio 13 : « Carpentier » ; folio 17 : « Dénue [?] 161 lig. » ; folio 22 : « Fauvel B 44 lignes ».

Toutefois, le texte du manuscrit n’est pas exactement reproduit dans les versions imprimées. Les différences semblent correspondre à des corrections qui ne figurent pas sur le manuscrit parce qu’elles sont intervenues après la remise de celui-ci à l’éditeur. Reste à savoir sous quelle forme et à quel moment.

Reprenons les événements. Le 19 septembre 1887, Maupassant écrit à l’éditeur Victor Havard, chez qui il a fait paraître plusieurs livres : « Je viens de donner à Ollendorff un petit roman [...]5. » Il s’agit, de toute évidence, de Pierre et Jean. Selon le témoignage de François Tassart, « Le roman » est écrit à cette même époque6, et il est daté, en effet, de « septembre 1887 » (p. 57). La note « Préface Pierre + Jean », de la main de l’éditeur ou de l’imprimeur, qu’on lit sur le manuscrit, prouve qu’il a servi pour l’impression du volume chez Ollendorff, puisque au Figaro, où seul « Le roman » est publié, une telle notation n’était pas nécessaire. Vers la même époque (« trois mois » avant début janvier), Maupassant convient avec le Supplément littéraire du Figaro d’y publier l’étude sur le roman, et « trois semaines » avant la publication (à la mi-décembre), il « livr[e] [s]on manuscrit7 ». Le même manuscrit, doit-on supposer, qu’il a donné auparavant à Ollendorff, qui n’en a plus besoin, l’impression étant terminée. Le 7 janvier 1888, « Le roman » paraît dans le journal, et le 9 le volume sort en librairie. À quel moment de ce processus les corrections ont-elles pu intervenir ?

Périvier, le directeur du Supplément littéraire du Figaro, justifie les coupures pratiquées sans la permission de l’auteur en affirmant que celui-ci n’a « pas demandé à revoir les épreuves8 », et Maupassant renchérit : « M. Périvier sait que je n’ai jamais corrigé d’épreuves ni au Figaro ni à aucun journal. Qu’on s’informe au Gil Blas ou au Gaulois, où on ne m’a pas vu une seule fois depuis 1880 venir relire un article9. » Donc, pas de corrections sur épreuves, dirait-on. Conclusion hâtive, parce que Maupassant ne traite pas de la même façon ses textes publiés dans la presse périodique et en librairie. Ses volumes, il les corrige, le témoignage le plus explicite en est cette dépêche adressée à Mme Brun-Chabas : « Il y a trop d’erreurs dans L’Héritage. [...] Voudrez-vous me faire envoyer une seconde épreuve10 ? » Dans ces conditions, nous sommes autorisée à former l’hypothèse suivante : ce n’est pas le manuscrit du « Roman » qui a été remis au Figaro, mais les placards imprimés par Ollendorff et corrigés par Maupassant. On constate fréquemment, en effet, que pour les reprises de ses textes dans la presse périodique (il arrive qu’une même nouvelle soit reprise jusqu’à neuf fois, dans neuf journaux, revues, recueils différents), Maupassant les communique en faisant remettre à un journal les placards d’une publication antérieure : les coquilles reproduites d’une publication à l’autre prouvent à l’évidence le recours à ce procédé. Que Maupassant emploie le terme de « manuscrit » − il a livré le « manuscrit » du « Roman » au Supplément du Figaro − pour désigner des placards n’a rien d’étonnant puisque ces derniers font office, dans ce cas, de manuscrit. Cette hypothèse est d’autant plus plausible qu’elle explique le fait que, pour leur grande majorité, les leçons du Supplément littéraire du Figaro et de l’édition Ollendorff sont identiques. Les exceptions résultent, fort probablement, d’erreurs de lecture commises par l’imprimeur.

Concluons. Le manuscrit ne semble pas être le dernier état, proposé par l’auteur, du texte du « Roman ». Tout porte à croire que Maupassant a introduit encore des corrections sur épreuves, et que ce sont ces épreuves qui se trouvent reproduites aussi bien par Ollendorff, dans le livre imprimé, que par le Supplément littéraire du Figaro, ce dernier les ayant déformées ou, pour employer le mot de Maupassant, « tripatouillées11 ».

On notera bien, toutefois, que les épreuves corrigées ayant disparu, l’histoire du texte que nous venons de reconstituer reste une pure hypothèse.

REMERCIEMENTS

Je tiens à exprimer ma reconnaissance à Josette Pacaly pour sa relecture sagace de la présentation et des notes, à Charlotte von Essen pour avoir suivi mon travail avec une attention de tous les instants, ainsi qu’au Harry Ransom Center (University of Texas, Austin), et tout particulièrement à Elizabeth L. Garver, pour m’avoir donné accès au manuscrit du « Roman ».

1- Voir ci-après, « “Le roman” : du manuscrit au texte imprimé ».

2- Pierre et Jean, Garnier Frères, « Classiques Garnier », 1959, rééd. 1966, p. 212.

3- Pierre et Jean, Gallimard, « Folio classique », 1982, p. 250.

4- Romans, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1987, p. 1505.

5- Corr., t. II, p. 260.

6- Souvenirs sur Maupassant, op. cit., p. 94.

7- Lettre à Arthur Meyer, 8 janvier 1888, Corr., t. III, p. 9.

8- Supplément littéraire du Figaro, 14 janvier 1888.

9- Lettre à Émile Straus, 15 janvier 1888, Corr., t. III, p. 13.

10- 3 avril 1884, Corr., t. II, p. 124.

11- Cf. les lettres à Arthur Meyer du 8 janvier 1888, Corr., t. III, p. 9, et à Octave Mirbeau [janvier 1888], Corr., t. III, p. 24.