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Dans les environs de Manhattan (Kansas)
Non loin de l’Interstate 70

Noah n’avait aucune idée du temps qu’il avait passé recroquevillé sous ce pin. Il n’avait pas non plus remarqué qu’il se trouvait tout près du petit bâtiment en brique. Il entendit, au loin, le bruit d’une machine électrique couvrir celui du trafic. Tous ces sons lui parvenaient étouffés, comme s’il avait du coton dans les oreilles. Sa respiration était rauque et malaisée. Il avait mal à la poitrine, comme s’il venait de piquer un sprint. Ses battements de cœur étaient toujours aussi rapides et saccadés, refusant de reprendre un rythme normal.

— Eleanor, il y a un jeune homme, là !

Noah entendit la voix mais resta en position fœtale, n’essayant même pas de voir si la personne qui venait de crier était proche et parlait bien de lui.

Je vous en supplie, passez votre chemin… Ne vous occupez pas de moi…

— On dirait qu’il saigne.

Oh ! non ! C’est bien de moi qu’il parle…

Mais il n’avait pas la force de ramper pour se cacher. Il ne pouvait d’ailleurs pas effectuer le moindre mouvement. Ses muscles étaient hors service, totalement engourdis. Il se souvint que, la dernière fois qu’il avait tenté de se redresser, la douleur avait été trop vive. Alors il s’était pelotonné, pour se faire tout petit. Pour tenter de disparaître. Le jour avait succédé à la nuit, la douceur matinale au froid nocturne. Mais son esprit était éteint. Il fallait qu’il reste éteint.

— Non, reste où tu es, Eleanor.

L’homme n’était pas loin, mais il gardait prudemment ses distances.

— Il est tout nu.

Il a pris mes vêtements. Il m’a tout pris.

— Mon Dieu, tout ce sang ! Je crois qu’il est grièvement blessé !

Noah n’avait pas l’énergie de dire à cet homme que ce n’était pas son sang. C’était le sang d’Ethan. Ou de ce qu’il restait d’Ethan.

N’y pense pas. Il ne faut pas y penser. Respire et fais le vide dans ta tête.

— Appelle Police secours, Eleanor.

Non, non ! Laissez-moi là !

Noah aurait voulu se boucher les oreilles. Au-dessus de lui, un faucon poussa un cri perçant. Une brise faisait doucement gémir les branches des arbres. D’autres oiseaux gazouillaient et pépiaient dans la forêt — il n’aurait pas su dire lesquels. Poussées par le vent, des feuilles mortes voletaient en crissant. Noah aurait voulu se remplir la tête de tous les bruits de la nature pour en chasser les hurlements d’Ethan.