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LE SCANDALE DE LA PILULE DIANE 35

« Tu ne peux pas faire la même erreur deux fois, car la deuxième fois, ce n’est pas une erreur ; c’est un choix. »

Proverbe arabe

L’affaire de la pilule Diane 35 en rappelle étrangement une autre : celle du Médiator. Rappel des faits…

« Il faut arrêter de l’utiliser comme contraceptif. Cette situation a assez duré. »

Voilà la décision tranchante de Dominique Maraninchi, patron de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) à propos de Diane 35. Ce jugement émis début 2013 par l’ancien directeur du Centre régional de lutte contre le cancer de Marseille est pour le moins ferme et définitif.

« La pilule qui tue »

Cette pilule et ses génériques ont été consommés par 315 000 femmes en 2012 selon l’Agence du médicament, prescrite pour 60 % par des généralistes, 37 % par des gynécologues (dans 7 % des cas pour acné) et seulement par 3 % par des dermatologues. Or, cette pilule était justement destinée à soigner l’acné ! Pourtant, tout, de son nom à son packaging, évoque la pilule. Vous savez, ces noms de marques affublés de qualificatifs mignons comme tout (« mini, » « macro », « normodosée », « super-mini », « bio-identique », « semi-naturelle » et tutti quanti), des noms de marques séduisants comme des noms de sites de rencontre, de muses ou de fées clochettes, et ces plaquettes sexy et colorées…

N’allez pas nous dire que Bayer – quoi que ce groupe prétende aujourd’hui – n’a pas entretenu la confusion !

N’allez pas nous faire croire que les médecins aussi se sont laissé abuser par ce diabolique marketing ! Non, Diane 35 a bien été la pilule star dans les années quatre-vingt, la pilule à tout faire (au moins d’une pierre deux coups). Une pilule star comme l’est à son tour, dans un autre domaine (celui des merveilleux progestatifs !) Cérazette, la plus prescrite aujourd’hui. En attendant qu’elle aussi devienne obsolète, pour d’autres obscures raisons que la science finira bien par élucider.

Au Canada, Diane 35 est appelée depuis l’an 2000 « la pilule qui tue ! » Pierre Markarian, président de l’Association des victimes d’embolies pulmonaires, et père d’une fille décédée après la prise d’une de ces pilules, se bat sans relâche contre ce médicament en exhortant les pouvoirs publics à le retirer du marché. En attendant ce probable retrait au Canada, le laboratoire accuse les médecins de l’avoir utilisé hors de son Autorisation de mise sur le marché (AMM) et les médecins accusent le laboratoire de ne pas les avoir avertis, car elle présente six fois plus de risques de provoquer un accident vasculaire que la pilule classique.

En France, Diane 35 est désormais bannie, car dépassée (trop dosée, vous ne saviez pas, vous auriez pu au moins le deviner ?…)

De l’acné à la contraception : un pas vite franchi sans responsabilité

Une AMM (Autorisation de mise sur le marché) de 1987 a été donnée au laboratoire Bayer en France pour le traitement de l’acné féminin. Comme ce produit inhibe aussi l’ovulation, il était logique qu’on le retrouve comme contraceptif et comme anti-acnéique. Son activité contre l’acné était considérée comme « modérée », par contre son activité contraceptive était certaine.

Le problème est que Diane 35 est responsable d’accidents vasculaires (officiellement 125 cas de thrombose depuis 1987) exactement comme les pilules de 3e et 4e génération, soit au minimum 3 à 4 cas de thromboses sur 10 000 consommatrices.

Sur les 25 dernières années, 4 décès (toujours officiellement, donc à vérifier sur la durée) sont imputables à Diane 35. Beaucoup d’effets secondaires sont sous-déclarés au système de pharmacovigilance, alors qu’elle était prescrite illégalement. Curieusement nombre de spécialistes pensaient que les bénéfices étaient supérieurs aux risques !

Pour se protéger, des gynécologues médiatisé(e)s n’hésitent pas à écrire ou dire aux médias :

Certaines femmes très ennuyées par leur acné étaient prêtes à me signer un document dégageant ma responsabilité pour continuer à prendre ce médicament.

Voilà bien une étrange manière de concevoir son métier et de se dégager de ses responsabilités de médecin. On donne le choix à la patiente et s’il y a une complication – dont elle n’a jamais été avertie – elle en est totalement responsable. C’est la médecine qui responsabilise, nous disent fièrement certains collègues, c’est la modernité ! Nous ne partageons absolument pas ce point de vue qui trompe les patientes.

Les pilules concernées par le scandale actuel sont presque toutes fabriquées par le laboratoire allemand Bayer. Ce dernier est-il particulièrement négligent ou bien n’est-ce là que la conséquence d’une situation de quasi-monopole ?

Certains, on l’a vu, au regard des nouveaux cas qui se présentent chaque jour, affirment que les pilules de 3e et 4e génération pourraient faire autant de victimes que le Médiator.

Ce qui est certain en revanche, c’est que ce détournement de prescription est un sport médical encore très pratiqué1. Mais comment concevoir que ce type de pratique à risques puisse encore exister dans un domaine aussi délicat et vital pour les femmes et pour la société ?

Les abus d’autorisation, les non-contrôles, le laxisme des prescriptions2

Permettez-nous une fois de plus de reproduire ici ces quelques extraits du livre (publié à compte d’auteur) de notre courageux collègue le Dr Marc Girard. Car il connaît bien le terrain médical et les groupes de pression médico-pharmaceutiques, et n’hésite pas à lever quelques lièvres.

Les responsables des Agences sanitaires disent de plus en plus souvent tout et son contraire, quitte à inscrire au titre de leurs urgences (et par égards pour « la sécurité des patientes » !) la suspension d’AMM d’une spécialité dont la fortune a tenu durant près de 30 ans à une prescription notoirement hors AMM sans jamais susciter la moindre sanction des autorités de contrôle.

Quelques « experts » sur-sollicités par les médias, toujours les mêmes, liés directement ou indirectement aux laboratoires pharmaceutiques sont prêts à soutenir l’inconcevable pour maintenir le statu quo et justifier leurs compromissions : ainsi de l’incontournable spécialiste ès contraceptions qui ne craint pas d’affirmer : « On est les seuls au monde à avoir cette espèce de panique sur la contraception », oubliant que ces mêmes données ont, comme on l’a rappelé, déclenché à l’étranger une « pill scare » (une panique autour de la pilule) dès 1995 – et que l’intégralité des investigations épidémiologiques sérieuses qui sous-tendent « cette espèce de panique » sont, et depuis 1995, d’origine étrangère.

De même le syndicat des gynécologues (sponsorisé par les laboratoires organisateurs de ses colloques nationaux et internationaux) affecte une noble indignation de voir cinq collègues cloués au pilori pour l’opacité de leurs liens financiers, quand il est notoire – et depuis des décennies – qu’avec la cancérologie et la psychiatrie3, la gynécologie est l’une des spécialités médicales le plus maquées avec « Big Pharma ».

Journalistes des mêmes médias que l’on appâte avec des scoop, trop prompts à promouvoir une cause dont ils n’ont pas pris le temps de mesurer les tenants et les aboutissants, trop sensibles au spectaculaire pour s’interroger sur la signification profonde des choses et toujours trop obnubilés par « l’actualité » pour appréhender les scandales du moment dans leur réalité historique.

La pilule n’est pas une fraise « Tagada » mais un médicament puissant

La base Martindale – The complete drug reference - est, d’après ce journaliste, la plus synthétique et la plus concise des sources raisonnablement fiables sur les médicaments en général. Or, cette base fonctionne sur un principe de concision maximale – elle consacre pas moins d’une cinquantaine de pages aux effets indésirables de la contraception orale : c’est dire que la question des thromboses sous pilule de 3e ou de 4e génération est loin de résumer à elle seule le préoccupant chapitre des nombreuses toxicités ou intolérances imputables à cette classe thérapeutique…

Or, depuis quand les utilisatrices, et, plus largement, les bénéficiaires de cette contraception ont-elles été clairement informées quant à cette tolérance à tout le moins problématique ? Outre les effrontés menteurs dont on vient de rappeler les tristes exploits, faut-il re-citer les gynécologues féministes soutenant sans un frémissement de pudeur que « les pilules n’ont pas d’effet secondaire » ? Faut-il citer tous ces médecins-amis-des-femmes proclamant qu’avec la pilule, il y a « plus de peur que de mal » sur la base de raisonnements aussi convaincants que celui opposant les risques de la contraception orale à ceux… d’un accouchement « en Afrique rurale » ! ! !

Ce que les femmes découvrent aujourd’hui, c’est que cette contraception qu’on leur a présentée comme un mémorable acquis de leur « émancipation » n’est rien d’autre qu’un médicament.

Faut-il rappeler que c’est pour permettre l’introduction de cette classe qu’il a fallu, dans les années 1960, modifier la législation pharmaceutique via la notion de « médicament par fonction » tant, jusqu’alors, il n’avait jamais traversé l’idée de quiconque qu’une personne en parfaite santé puisse ingérer un médicament sans la moindre intention ni de guérir, ni de prévenir une quelconque maladie ? D’où, forcément, la question : elle était où, « l’émancipation », d’exposer – unilatéralement – son corps aux effets indésirables pourtant conséquents de ces « médicaments » ?

Il est certain que les laboratoires ont compris depuis longtemps qu’il y avait plus de bien-portants que de malades. Ainsi les meilleures affaires peuvent-elles se réaliser avec les bien-portants en leur faisant croire qu’avec telle ou telle pilule on peut prévenir des maladies imaginaires, c’est le cas de la ménopause (transformée en « maladie » au milieu du XXe siècle), de l’andro-pause, de l’ostéoporose, de nombre de déprimes ou troubles du comportement… De l’art de médicaliser des processus physiologiques et, finalement, de transformer toute la société en un vaste hôpital au profit des laboratoires. Comme le dit si bien le Dr Boukris en paraphrasant le Dr Knock, « tout bien-portant est un malade qui n’a pas encore été dépisté » !

1. C’est le cas en psychiatrie où les malades se plaignent forcément moins des effets secondaires de ces prescriptions hasardeuses ou ne sont pas entendus (bien sûr, ils sont malades psychiquement, c’est dans leur tête !).

2. Trop de médicaments sont détournés de leur mission première : le Médiator qui était autorisé comme antidiabétique, prescrit massivement comme amaigrissant – La Ritaline, antiépileptique, largement prescrite chez les enfants hyperactifs avec les 3/4 de prescriptions abusives – Le Prozac prescrit à tort et à travers pour des personnes réellement déprimées et pour la moindre petite dépression. – Tous les psychotropes prescrits dans les maisons de retraite dès que la personne âgée se plaint de solitude…

3. Voir l’excellent livre de feu notre collègue le Pr Zarifian : Les jardiniers de la folie. Éd. Odile Jacob 1988.