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LA PILULE QUI INTERROMPT LA
GROSSESSE : LE RU-486

« L’homme : une histoire de singe qui a mal tourné. »

Cioran

Il s’agit de l’IVG médicamenteuse qui utilise le RU-486 ou Mifépristone. Un produit accusé d’entraîner un risque accru d’attaques cardiaque et cérébrale.

Quand, par qui et comment ?

Plus d’une IVG sur deux est aujourd’hui médicamenteuse. Les praticiens font appel au RU-486 qui a été mis au point par Étienne-Émile Baulieu dans les années 1980 et commercialisée par le laboratoire Nordic Pharma.

Cette intervention par médicament interposé est légalement possible en France depuis 2004 dans les 7 semaines sans règles (on parle d’aménorrhée) et peut être réalisée par un gynécologue en privé ou un médecin généraliste sous certaines conditions1.

La procédure

Normalement cinq consultations médicales sont nécessaires : la première pour affirmer la grossesse par échographie, la seconde, au moins 7 jours après, pour prescrire l’antihormone puissante destinée à arrêter le grossesse, en stimulant l’expulsion de l’embryon. Un consentement écrit et un dépistage d’infection sexuellement transmissible est proposé : cancer du col par frottis, Sida par test sanguin.

Le groupe sanguin ABO rhésus est systématique pour une transfusion en cas d’hémorragie. En cas de rhésus négatif chez la mère et positif chez le père, la prévention de l’incompatibilité rhésus est nécessaire. Une injection d’immunoglobulines doit être faite avant les 72 heures qui suivent les saignements. Si l’IVG a lieu au cabinet médical, on conseille l’injection lors de la prise de RU-486.

Entre la 7e et la 9e semaine, soit juste avant le 3e mois de la grossesse, cette IVG médicamenteuse ne peut être pratiquée qu’en établissement de soins. Au-delà et jusqu’à 14 semaines, la technique est obligatoirement chirurgicale.

Le mode d’action de deux médicaments associés

Le RU-486 est une antiprogestérone, donc une antihormone puissante qui agit surtout en ouvrant le col utérin et en permettant après contraction du muscle utérin l’expulsion de l’embryon.

La femme doit prendre à 36 ou 48 heures d’intervalle deux médicaments : le premier est l’antihormone, l’antiprogestérone nommée Mifépristone ou RU-486 qui prépare le col utérin à l’ouverture, et le deuxième est une prostaglandine, le Misoprostol (400 µg = 2 comprimés), qui permet l’expulsion de l’embryon par contraction utérine dans les 4 heures suivantes dans 60 % des cas.

Parfois l’expulsion a lieu sur le chemin du retour de chez le médecin.

Quand le misoprostol est pris à domicile, la patiente ne doit pas être seule chez elle et doit être à moins d’une heure d’un centre médical de référence.

C’est à la troisième consultation que la Mifépristone est prise par la patiente (par voie orale de 600 mg soit 3 comprimés) au cabinet en présence du médecin. La femme repart avec une fiche de liaison à utiliser si nécessaire pour un centre de soins référent, une liste de conseils sur les suites normales de l’IVG et un numéro de téléphone à appeler en cas d’urgence, sans oublier une ordonnance d’antalgiques de « palier 2 » en cas de besoin. L’expulsion donne des douleurs semblables à celles de règles, nommées « coliques utérines ».

De plus, une contraception est prescrite et doit commencer 36 à 48 heures plus tard, à la quatrième consultation. Mais cette quatrième consultation est loin d’être systématique.

Le résultat vérifiable

La cinquième consultation a lieu pour contrôle entre le 14e et le 21e jour. « La description de l’expulsion de l’œuf est un bon indicateur de réussite », disent les officiels. Nous faisons remarquer qu’il ne s’agit pas de l’œuf (nous ne sommes œuf humain qu’une semaine après la fécondation de l’ovule par le spermatozoïde dans la trompe utérine), mais de l’embryon ou du fœtus, puisque la vie fœtale commence au-delà du 2e mois.

Une vérification biologique peut confirmer la fin de la grossesse, grâce à l’indicateur du taux sanguin de bêta-HCG, plus fidèle que le contrôle échographique.

Une déclaration de fin de procédure est alors envoyée au centre de référence.

Officiellement, si la procédure est bien respectée, le succès de la méthode atteint entre 95 et 98 %. En cas d’échec visible à l’échographie, l’IVG sera obligatoirement chirurgicale.

L’interruption des grossesses non désirées reste un problème de société majeur. Et la pilule, on le répète, ne change rien. En effet on estime qu’« environ 40 % des femmes en âge de procréer y auront recours dans leur vie. Le chiffre est d’autant plus étonnant que l’absence de contraception n’est à l’origine que de 28 % des avortements.2 »

Une des solutions pour les réduire serait d’ouvrir davantage l’adoption des enfants nés sous X et de savoir en faire la promotion. Avant la loi Veil, le nombre d’accouchements sous X était, en France, de 10 000 par an, il ne dépasse pas actuellement 700.

La société, bien plus généreuse qu’autrefois, est capable de comprendre et accepter qu’une femme qui ne désire pas son enfant puisse non pas l’« abandonner » comme c’est le cas aujourd’hui, mais de le « donner » ou le « confier à l’adoption ». Évidemment, cela demande que les juristes encadrent suffisamment la loi afin que la dérive ne se fasse pas vers les grossesses pour autrui (GPA)3.

Les bonnes affaires d’un inventeur malin

Le Pr Étienne-Émile Baulieu appartient à cette nomenklatura de pontes « référentiels » pour les médias, dans lequel il ne rate jamais une occasion de se dorer la pilule. C’est aujourd’hui le grand expert des effets du vieillissement. C’est ainsi qu’en avril 2013, le magazine Causette (« le magazine plus féminin du cerveau que du capiton ») – belle référence de la nouvelle génération de presse féminine – lui a consacré un joli papier intitulé Étienne-Émile Baulieu, la pilule en bandoulière. D’emblée le ton est donné : il a mis au point la pilule abortive, « cette invention qui a révolutionné la condition féminine ». Un peu plus loin on peut lire ce que ce professeur répète à l’envi :

À 86 ans, l’inventeur de la pilule abortive n’a pas levé le pied. La longévité de sa carrière est d’autant plus surprenante qu’elle ne peut pas être motivée par le confort de sa position. Retraité de son état, Étienne-Émile Baulieu ne perçoit plus de salaire. Mais, voilà, il ne se sent pas vieux et compare l’exaltation que lui procure le métier de chercheur à celle que « devaient ressentir les découvreurs de nouveaux pays ». Le professeur n’est pas tout à fait aux femmes ce que Christophe Colomb est à l’Amérique (fût-il au demeurant souhaitable ?), mais il est, sans conteste, l’un de ceux qui ont considérablement élargi l’univers des possibles. Et ce, un peu par hasard.

Ce même mois d’avril 2013, Étienne-Émile Baulieu publie une ode à la liberté scientifique avec son nouveau livre Libre Chercheur (Flammarion), et fait comme il se doit sa tournée promotionnelle des médias. Le 18 avril, il passe en invité vedette dans l’émission Les Grosses Têtes de Philippe Bouvard sur RTL. Les chroniqueurs de l’émission, habituellement goguenards, sont là en adoration : ils louent sa jeunesse (il avoue prendre de la DHEA tous les matins bien sûr), sa grande créativité (il affirme être sur le point de mettre au point LE médicament miracle qui surpassera tous les antidépresseurs pour en finir une bonne fois pour toutes avec la dépression), il annonce la fin prochaine des grandes maladies dégénératives grâce aux progrès de la science, il réaffirme sa grande indépendance de chercheur. Pourtant, ce faisant, il explique que l’argent public ne représente que 10 % de son budget. D’où vient le reste, des dons privés, des grands laboratoires ? mystère !

Ce professeur, au demeurant émérite (et bien que communiste notoire), a toujours été très lié aux laboratoires et aux grands industriels, qui ont fait sa carrière. Tout a commencé dans les années soixante aux États-Unis. À cette époque, Étienne-Émile Baulieu présente à Gregory Pincus, le père de la pilule, sa « découverte », la DHEA. Celui-ci lui demande alors de donner un coup de pouce à la pilule en France, ce à quoi il rechigne. En revanche, il accepte volontiers une bourse de la fondation Ford pour travailler sur les antiprogestatifs. C’est ainsi qu’en 1981, il réalisera la synthèse de la RU-486… à la suite des travaux déterminants de trois chercheurs américains4.

En 1979, R. Deraedt, D. Philibert et G. Teutsch, chercheurs aux laboratoires Roussel-Uclaf, travaillent sur un projet d’antiglucocorticoïdes destinés à antagoniser les effets néfastes des glucocorticoïdes. Ils aboutissent à une série de puissants anti-glucocorticoïdes brevetés à leurs noms par Roussel-Uclaf. L’un des plus intéressants est le RU-38486 (selon les initiales du laboratoire et la numérotation chronologique des synthèses) ou RU-486. Mais ces produits sont aussi des antiprogestérones et à un moindre degré des anti-androgènes.

Étienne-Émile Baulieu, en tant que conseiller de Roussel-Uclaf, est, lui, séduit par l’activité antiprogestérone du produit et va le faire expérimenter rapidement sur onze femmes enceintes à Genève : les résultats sont prometteurs. Celui-ci la présente le 19 avril 1982 à l’Académie des sciences, comme une alternative à l’avortement par aspiration (seule technique abortive alors connue). Le monde scientifique est très intéressé par la découverte, et Roussel-Uclaf signe un accord avec l’OMS en 1983, puis avec l’ONG américaine Population Council.

Initialement couplé à la prostaglandine, le RU-486 est associé à partir de 1991, à la suite d’un décès par crise cardiaque d’une patiente, au Cytotec. Mais la molécule provoque une levée de boucliers des milieux hostiles à l’avortement en France et aux États-Unis. La Mifépristone est cependant mise sur le marché en France le 23 septembre 1988, en Grande-Bretagne en 1991 et en Suède en 1992. Face au refus de Roussel-Uclaf de la commercialiser en Chine, la pilule est copiée par les autorités de Pékin. Aux États-Unis, la molécule est listée le 6 juin 1989 par la FDA parmi les produits interdits d’importation. Mais ses droits ayant été cédés gracieusement à Population Council pour le marché américain par Roussel-Uclaf, le 16 mai 1994, la pilule abortive est commercialisée outre-Atlantique.

Quant à l’invention de la DHEA, pilule de jouvence très controversée, il faut savoir que cette molécule était connue depuis les années trente mais elle était à l’époque inexploitable. Baulieu ne l’a donc pas franchement inventée, il en a simplement conçu la forme actuelle avec l’aide du biochimiste Max-Fernand Jayle en réussissant à établir sa structure en 1963.

Et cette « pilule-miracle » n’est pas sans danger. Les principaux risques ont été rappelés dans le rapport de l’Afssaps du 3 juillet 2001 :

– La prise de DHEA peut stimuler la croissance de cancers hormono-dépendants (prostate, sein, utérus). Nous en avons plusieurs cas chez l’homme au niveau prostatique, et chez la femme au niveau mammaire. J’ai personnellement opéré de tels cancers « gentiment » provoqués par la DHEA.

– Il existe un risque cardiovasculaire potentiel, lié à une baisse de l’HDL cholestérol, observé dans plusieurs études, qui doit être pris en considération notamment en cas de prise au long cours de DHEA.

Dans la foulée de ce rapport, le ministre de la Santé d’alors, Bernard Kouchner mettait en garde nos concitoyens sur les dangers de la DHEA en soulignant que les conclusions de l’Agence étaient critiques sur les études réalisées, dont celle d’Étienne-Émile Baulieu et Françoise Forette de l’Inserm. « Aucun des bénéfices allégués de la DHEA n’est démontré au vu des données disponibles à ce jour », concluait-il.

Bref, encore une histoire de pilule parmi d’autres qui nous montre l’envers du décor d’une certaine recherche scientifique faite d’esbroufe, de savantes imprécisions, de subtiles omissions, de guerre financière et, last but not least, de « batailles d’ego ».

1. À savoir : une journée de formation adaptée, et après signature d’une convention avec un centre de référence établie pour une année, renouvelée par tacite reconduction, dénonçable par lettre recommandée à tout moment, en accord avec le Conseil de l’ordre des médecins et l’Agence régionale de santé.

2. Source : Pratiques de santé (mai 2009).

3. Voir l’article des jeunes intellectuelles sur le sujet dans la rubrique « Controverses » de l’hebdomadaire Marianne, n° 833, p.54 « La GPA ou la traite des mères ».

4. Comme le rappelle très bien Wikipédia, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Mifépristone