12

Ils crevèrent un pneu sur le trajet. Sans un mot, Matt alla fouiller le coffre de la voiture de location à la recherche de la roue de secours et du cric. Même s’ils avaient perdu la chaleur de La Nouvelle-Orléans — la température devait être tombée en dessous de dix degrés — il retira sa veste pour être plus à l’aise. Sienna sortit de la voiture pour le regarder faire.

Les muscles de ses bras se bandaient à chacun de ses mouvements. Sienna se laissa fasciner par le spectacle et sentit son cœur papilloter étrangement…

… un peu de la même manière qu’au moment où il lui avait annoncé qu’ils allaient chez elle.

Elle s’éclaircit la voix.

— Nous ne sommes plus qu’à quelques kilomètres de ma cabane, lui dit-elle. Je pourrais essayer de faire apparaître une autre voiture… ou de voler. Les fées avaient des ailes, autrefois… Mais je ne dois avoir que des demi-ailes, puisque je suis une hybride.

Il se redressa en essuyant ses mains sur son jean.

— Parle-moi, Matt ! le supplia-t-elle en lui prenant la main dès qu’il eut remis sa veste. Tu n’as pas dit un mot depuis que Sam nous a déposés à l’aéroport. Que se passe-t-il ?

Il prit son visage entre ses mains, mais son regard resta distant.

— Tu seras plus en sécurité dans ton clan, répondit-il avant d’aller ranger la roue crevée et le cric dans le coffre.

Mais elle ne voulait pas être en sécurité ! songea-t-elle en remontant dans la voiture. Elle voulait des réponses. Elle voulait s’abandonner aux sentiments que lui inspirait ce loup qui ne disait plus rien. Il allait se passer quelque chose de grave et elle ne voulait pas être tenue à l’écart.

— Comment ça, en sécurité ? Explique-moi ce qui se passe, Matt ! Je ne sais pas lire dans les pensées.

Il lui jeta un regard amusé en s’installant au volant.

— Peut-être devrais-je t’offrir une compagnie plus agréable, poursuivit-elle en se changeant en un soldat massif armé et casqué.

— Arrête tout de suite, Sienna, grogna Matt alors qu’il allait démarrer.

— Tu n’aimes pas ma nouvelle apparence ? Alors parle-moi !

Elle voulut se transformer en fée pour puiser des forces dans ses racines, mais ne parvint qu’à reprendre l’apparence humaine de sa part draïcone. Luttant contre la panique, elle se tourna pour faire face à Matt.

Eclairé par un rayon de soleil, il l’observait. Il était armé jusqu’aux dents. Même sa ceinture n’en était pas vraiment une : il avait glissé un long filin métallique dans les passants de son jean — sans doute une arme qu’elle ne connaissait pas.

Il semblait détendu, mais son regard attentif avait perdu toute sa chaleur.

— Parle-moi de ton clan. Avez-vous un grand territoire ?

Un peu surprise, elle embrassa le paysage d’un geste.

— Nous y avons pénétré il y a dix minutes. Mon clan veille sur toutes les montagnes avoisinantes.

Il regardait en permanence dans le rétroviseur.

— Il n’y a pas grand monde, sur cette route, lui fit-il remarquer.

— Le clan a acheté toute la région il y a deux siècles. Aujourd’hui, nous nous faisons passer pour une communauté hippie qui veut vivre en communion avec la nature. Ça a été une bonne couverture jusqu’ici.

— Et vous n’avez pas l’eau courante, l’électricité, des égouts, des pompiers, une police ?

Elle secoua la tête.

— Non, rien de tout ça. Ma cabane a été modernisée. Il arrive que le clan la loue à des touristes qui veulent jouer les amoureux de la nature… Mais elle est si isolée qu’il ne vient pas grand monde. Les gens préfèrent les endroits où ils trouvent des boutiques et des restaurants.

Son expression se durcit.

— Pas de pompiers…, répéta-t-elle.

Subitement, la forêt dans laquelle ils roulaient prit un air menaçant.

— Sommes-nous vraiment en sécurité, ici ? lui demanda-t-elle.

— Plus qu’à La Nouvelle-Orléans. Ton clan te protégera.

— Parce que tu ne te crois pas capable de me protéger, ou parce que tu as l’intention de m’abandonner là pour aller affronter les démons tout seul ?

Son air buté la fit soupirer.

— Dis-moi ce qui va se passer, s’il te plaît. Je mérite de le savoir.

— A quoi les fées sont-elles prêtes pour protéger ce qui leur appartient ?

Des images se succédèrent dans l’esprit de Sienna : des crocs acérés, des flaques de sang…

… les broussailles qui s’embrasaient alors qu’elle enfonçait son poing dans sa bouche pour ne pas crier…

Sienna inspira profondément et le regarda droit dans les yeux.

— Elles sont capables de générer des illusions et des tempêtes, ce qui n’est pas très efficace contre les griffes et les crocs… Mais elles sont courageuses et prêtes à se battre jusqu’à la mort.

Il s’engagea sur un chemin de terre qui serpentait entre les arbres.

— Comment connais-tu la route ? s’étonna-t-elle.

— Je me contente de suivre ton odeur, répondit-il en lui jetant un regard d’un intensité troublante.

La route était bordée de sapins et de hêtres. Matt ignora un chemin qui bifurquait sur la droite et continua à rouler jusqu’à un portail de bois. Sur un écriteau artisanal accroché à un arbre, on pouvait lire :

« Le Paradis rustique.

Défense d’entrer. »

Matt coupa le moteur, sortit de la voiture et s’approcha du portail. Alors il se mit à agiter sa main devant son nez en grimaçant de dégoût.

— Quelle odeur ignoble ! s’écria-t-il en secouant la tête, comme pour s’en débarrasser.

— Elle est générée par magie et sert à repousser les humains, expliqua Sienna en ouvrant le portail. Puisque tu es un draïcon et que nos deux races ne sont pas en guerre, tu ne devrais bientôt plus la sentir.

Ils remontèrent en voiture et atteignirent la cabane quelques minutes plus tard. Celle-ci était située en bordure d’une clairière.

— Reste ici ! lui ordonna Matt en sortant de la voiture.

Il allait s’assurer qu’il n’y avait pas d’intrus… Sienna serra les poings. Autrefois, elle était capable de sentir par magie toutes les présences environnantes ; à présent, elle ne savait même plus retrouver son vrai visage. Quelque chose lui faisait progressivement perdre ses pouvoirs.

Matt se transforma en loup, renifla le sol autour de la cabane, puis s’élança à travers bois.

Quelques minutes plus tard, il réapparut et bondit sur le rocher qui se trouvait près de sa cabane. C’était une créature sauvage qui avait sa place dans ces bois… Malgré elle, Sienna éprouva un vif sentiment de fierté. C’était son loup.

Non. Ce n’était pas vraiment son loup… Il n’allait pas tarder à l’abandonner après lui avoir effacé la mémoire.

Matt, qui lui tournait le dos, reprit forme humaine sans se donner la peine de se rhabiller. Sienna en resta bouche bée. Sur son épaule gauche, un petit tatouage représentait un loup en train de courir avec un éclair dans la gueule.

Il y avait une vilaine cicatrice rose sur son autre épaule. Sans doute un coup de couteau…

Le regard avide de Sienna glissa sur son dos musclé jusqu’à des hanches étroites. Elle admira ses fesses bien fermes et se prit à sourire en découvrant deux petits creux en bas de ses reins.

Alors Matt se retourna, tendit ses bras vers le ciel et entonna une sorte de chant. Fascinée, elle le regarda faire lentement le tour de la cabane en laissant une traînée de paillettes lumineuses dans son sillage.

Lorsqu’il cessa de chanter, il était pâle, visiblement épuisé. Sienna jaillit de la voiture et voulut courir vers lui, mais il l’arrêta d’un geste.

— J’ai créé un bouclier d’énergie, lui expliqua-t-il. Je le crois assez puissant pour tenir en respect une armée de démons.

Matt se retourna et parut voir sa cabane pour la première fois.

— C’est chez toi ?

Sienna ne put s’empêcher d’avoir honte.

— Je sais qu’elle est petite et assez délabrée… Tu devais t’attendre à mieux…

— Non. Elle est exactement telle que je l’imaginais, répondit-il avec un air rêveur.

— J’ai essayé de la rendre confortable, ajouta-t-elle. Tu as dû dormir dans des endroits bien pires quand tu étais en mission…

Matt se gratta la mâchoire.

— Ce sera parfait.

*  *  *

Elle ne pouvait même pas imaginer dans quels genres d’endroits il avait pu dormir… mais aucun ne ressemblait à sa cabane. Celle-ci était coquette et accueillante. Un chemin en galets menait à un porche qui faisait toute la longueur de la maison. Des pots de géraniums étaient suspendus aux poutres.

Sa gorge se serra. C’était la cabane dont il avait tant rêvé quand il était au combat. Dans le désert, il lui arrivait souvent de lever les yeux vers les étoiles et de souhaiter avoir quelqu’un auprès de qui rentrer.

D’après son air désolé, elle semblait croire qu’il détestait sa cabane.

— Je sais que c’est petit, répéta-t-elle. Mais il y a un canapé-lit dans le salon. Je l’avais acheté au cas où… Comme si j’avais des amis ! Je suis une lépreuse parmi les fées.

Sienna s’efforçait de rester digne, mais il sentait qu’elle souffrait terriblement.

— Entrons, lui proposa-t-il.

Elle ouvrit la porte. Dans la pièce principale, une baie vitrée offrait une vue époustouflante. Le canapé et les fauteuils en velours vert semblaient confortables. Il y avait une bûche accueillante dans la cheminée et une jarre remplie de fleurs séchées sur son manteau.

Sienna commença par enfermer le sac dans un petit coffre-fort dissimulé dans un placard.

Matt s’effondra sur le canapé. Le sortilège qu’il avait jeté sur la cabane l’avait vidé. Il ferma les yeux.

— Ça ira mieux dans quelques minutes, murmura-t-il.

— Menteur. Tu as besoin de manger. Ne bouge pas…

— Oui, chef ! lui lança-t-il en ouvrant un œil.

Matt l’observa à la dérobée fouiller dans leurs bagages pour en sortir les provisions qu’ils avaient achetées dans une épicerie, quelques kilomètres avant d’arriver.

Quelques minutes plus tard, un feu brûlait dans la cheminée et deux steaks grillaient sur le barbecue du porche. Sienna le rejoignit dans le salon. Lorsqu’il voulut se redresser, elle le força à rester allongé.

— C’est ton tour de te reposer, lui dit-elle.

— Juste une petite sieste, alors…

Il ferma les yeux.

Des images lui apparurent. Son cœur se gonfla de joie lorsqu’il vit Adam adossé à une Jeep.

— Sacré Chat sauvage ! On te croyait mort ! J’aurais dû savoir que tu étais increvable.

— Tu es aussi solide que cette Jeep, lui dit Adam en donnant un coup de poing dans la portière. Mais même une Jeep peut exploser… Tu dois passer à autre chose, Matt. Tu ne peux pas t’accrocher à mon souvenir pour toujours. C’était mon destin…

Son ami esquissa un sourire mélancolique.

— Je suis mort et je ne reviendrai jamais. D’ailleurs, tu avais compris que mon heure était venue. Je l’ai lu dans ton regard…

Son image commença à devenir floue.

— Attends ! s’écria Matt d’une voix rauque. Il faut que je te dise…

Mais Adam disparut.

Matt se réveilla en sursaut, trempé de sueur et le cœur tambourinant dans la poitrine.

Il ne reviendrait jamais…

Une délicieuse odeur de viande grillée fit frémir ses narines. Il tourna la tête vers la cuisine. Après avoir mis la table en fredonnant discrètement, Sienna alla chercher les deux steaks sur le barbecue.

— C’est prêt ! lui lança-t-elle.

Elle était si belle et si souriante… La chaleur du barbecue lui avait donné des couleurs, et elle s’était changée pendant qu’il dormait. Elle portait un pull turquoise et ses pieds nus dépassaient de sa longue jupe à fleurs. Elle s’était verni les ongles des orteils en turquoise, ce qui le fit sourire.

C’était original… Tout à fait elle.

— Les deux steaks sont pour toi, lui annonça-t-elle. Je ne vais manger que de la salade.

La viande était juste saisie — exactement comme il l’aimait. Il s’y attaqua de bon cœur et remarqua que Sienna touchait à peine à sa salade. C’était étrange… Elle avait toujours bon appétit depuis qu’ils étaient ensemble.

— Les fées réprouvent le fait de manger de la viande, finit-elle par dire, comme pour se justifier.

Son estomac gargouilla à cet instant précis.

— Mais tu as faim, constata-t-il en coupant un morceau de steak pour le poser dans son assiette. Mange ! Tu as besoin de reprendre des forces.

Sienna engloutit le morceau de viande, puis essuya son assiette avec un mouchoir en papier. Voulait-elle faire disparaître les preuves ?

Matt eut la délicatesse de ne pas l’interroger et entreprit de faire la vaisselle.

— Tu as prononcé le nom d’Adam pendant ton sommeil, lui dit-elle en essuyant les assiettes qu’il lui tendait.

Un verre explosa entre ses doigts. Sienna poussa un cri et lui saisit le poignet. Sa paume saignait abondamment.

Sienna retira les morceaux de verre qui s’étaient plantés dans sa peau et lui banda la main, mais celle-ci était déjà en train de guérir.

Contrairement à son cœur.

Sienna l’observa avec un air songeur.

— Tu n’as pas pu lui dire au revoir… C’est ça qui te tourmente, n’est-ce pas ?

— En partie.

— Aimerais-tu lui parler ?

Il éclata d’un rire amer.

— A moins que tu ne saches ressusciter les morts, je crois que c’est impossible !

— Je peux seulement prendre son apparence pour que tu aies l’impression de lui parler.

Cela l’aiderait-il à se délivrer de la culpabilité qui le hantait depuis la mort d’Adam ?

— Je le lis dans ton regard, Matt… Tu n’arrives pas à lâcher prise. Laisse-moi faire ça pour toi…

Il ne s’était jamais senti aussi vulnérable, mais la sincérité et la tendresse de l’expression de Sienna le décidèrent. Elle voulait vraiment l’aider.

Matt savait que la culpabilité pouvait nuire à sa concentration, or il avait besoin de consacrer toute son attention à la mission.

— J’ai besoin de prendre l’air, annonça-t-il en s’essuyant les mains. Ce ne sera pas long.

La voyant rougir, il prit son visage entre ses mains.

— Je te remercie pour ta proposition.

Il fit coulisser la porte-fenêtre de la terrasse. Deux mangeoires pour oiseaux étaient suspendues aux poutres, ainsi qu’un écriteau sur lequel était peint :

« Que la paix accompagne ceux qui entrent ici. »

La paix… C’était une belle idée — mais comment y croire avec des démons aux trousses ?

Serrant les poings, Matt descendit l’escalier étroit de la terrasse et emprunta le chemin qui montait vers les hauteurs.

Il n’entendait que le bruit du vent dans les branches et le crissement de l’herbe jaunie sous ses bottes. Les battements réguliers de son cœur et l’effort musculaire, qui lui était si familiers, finirent par l’apaiser.

Sauf qu’il ne pouvait chasser Sienna de ses pensées. Elle éveillait son instinct protecteur, et Matt serra les dents en songeant aux forces maléfiques qui la menaçaient. Alors il se souvint de la manière dont elle s’était défendue dans le métro et ne put s’empêcher de sourire.

Sa fragilité n’était qu’apparente ; elle avait une âme de guerrier.

Après deux kilomètres, il décida de faire demi-tour pour ne pas la laisser seule trop longtemps. Alors qu’il s’apprêtait à redescendre vers la cabane, une odeur étrange le frappa. Matt s’arrêta net.

Il scruta la montagne, puis s’accroupit pour flairer l’herbe. C’était l’odeur d’un loup — d’un puissant alpha, plus précisément. Mais il ne s’agissait ni d’un draïcon ni d’un loup ordinaire… On aurait dit une sorte… d’hybride.

L’instinct lui dicta de délimiter au plus vite ce territoire. C’était le sien.

Le message qu’il laissait était clair : Elle est à moi. Ne t’en approche pas.

A vrai dire, l’intensité de ses sentiments le perturbait davantage que cette vieille odeur.

Lorsqu’il rentra dans la cabane, Sienna contemplait le feu de cheminée. Les flammes donnaient des reflets roux à ses cheveux et dessinaient des ombres sur son visage. Elle tourna la tête vers lui et son regard triste lui fendit le cœur. C’était comme s’il avait creusé un gouffre entre eux en la rejetant tout à l’heure…

Elle avait raison. Il ne voulait pas se laisser ronger par la culpabilité et elle lui avait proposé un moyen de s’apaiser.

— Très bien, dit-il. Je suis d’accord.

Elle poussa un profond soupir.

— J’ai besoin d’une photo d’Adam.

Ils s’installèrent sur le canapé et Matt tira une vieille photo de son portefeuille. Adam et lui avaient posé ensemble, en uniforme et le sourire aux lèvres… Il la tendit à Sienna.

— Toutes les traces de l’existence d’Adam en tant que soldat auraient dû être détruites, mais on m’a autorisé à conserver cette photo, lui expliqua-t-il.

Sienna lui prit la main pour lui offrir un soutien dont il avait grand besoin. Il n’était pas certain d’y arriver. Il avait la poitrine oppressée et envie de hurler.

La main qui tenait la sienne devint plus grande, plus forte et plus rugueuse. Matt leva les yeux et tressaillit.

Adam était en face de lui, vêtu de l’uniforme qu’il portait sur la photo. Matt lui arracha vivement sa main.

— Tu n’as jamais été très tactile, Dakota…, commenta Adam.

C’était bien sa voix, et même son léger accent. Abasourdi par la perfection de l’illusion, Matt se frotta les yeux.

Il ne savait plus quoi faire. Que disait-on à un ami qui s’était sacrifié pour vous sauver la vie ? A un homme qui avait laissé derrière lui une veuve éplorée, à qui il n’était même pas permis de connaître les véritables conditions de sa mort ?

Les camarades et moi sommes les seuls à nous souvenir vraiment de lui…

— Le Chat sauvage… Tu as l’air en pleine forme pour un mort !

Adam inclina la tête sur le côté comme sur la photo.

Trouvant trop difficile de le regarder, Matt baissa les yeux. Alors il sentit vibrer la magie de Sienna. Elle n’allait pas pouvoir maintenir l’illusion très longtemps… Il rassembla son courage.

— Tu me manques, mon pote. Tu me manques terriblement. J’aimais tes blagues stupides et la manière dont tu te moquais de mon sérieux…

Il déglutit péniblement.

— Et tu veillais sur mes arrières… J’avais confiance en toi plus qu’en personne, plus qu’en ma propre meute. Pourquoi ne m’as-tu pas averti de ce qui allait se produire ? Tu l’avais deviné ! C’était une mission suicide… Tu savais que l’un de nous allait mourir et tu ne m’as rien dit. J’y ai beaucoup réfléchi… Je ne comprenais pas pourquoi tu tenais absolument à être dans la tourelle… C’est parce que tu avais pressenti que les choses tourneraient mal ! Tu ne m’as pas laissé libre de choisir…

Il abattit son poing sur sa cuisse.

— Depuis ta mort, il ne s’est pas passé un jour sans que je me demande pourquoi tu y étais resté et pas moi. Je m’en veux tellement… Pourquoi t’es-tu sacrifié alors que tu avais Tatiana, et moi personne ? Je dois accepter l’idée que tu avais tes raisons, j’imagine… Et que je ne les connaîtrai jamais.

Son chagrin rendait sa voix plus rauque, et les mots sortaient de sa bouche sans plus aucun contrôle de sa part.

— Merci, Chat sauvage ! Merci pour tout ce que tu as fait pour moi, pour le pays, pour les innocents que tu as protégés… Tu auras toujours ta place ici, dit-il en se frappant le torse. Je ne t’oublierai jamais. Un jour, nous nous retrouverons dans l’au-delà.

Voyant la forme d’Adam se troubler, Matt s’empressa de dire tout ce qui lui restait sur le cœur.

— Il y a encore une chose que je voudrais te dire, le Chat sauvage… Tu te moquais toujours de moi parce que rien ne comptait plus que notre équipe à mes yeux. Tu avais raison. Mais il faut que tu saches que j’ai rencontré quelqu’un… Maintenant, je comprends pourquoi tu as couru le risque d’épouser Tatiana. Moi aussi, je suis tombé dans le piège. J’ai un peu l’impression de sauter d’un avion sans parachute mais… je n’ai même pas peur.

Des larmes se mirent à briller dans les yeux d’Adam, mais Matt se força à ne pas baisser la tête.

— Sienna est spéciale. Je ferais n’importe quoi pour elle. Elle me rend heureux autant qu’elle me rend fou. J’adore son sourire quand elle se réveille… Pour elle, je décrocherais la lune !

Sa gorge se serra.

— Je donnerais ma vie pour elle, s’il le fallait.

L’image d’Adam trembla, puis disparut. Les larmes aux yeux, Sienna prit son visage entre ses mains.

— Tu es fascinant, lieutenant Matthew Parker, lui dit-elle d’une voix tremblante. Tu as l’âme d’un héros… Merci pour tout ce que tu as fait pour moi, et pour tout ce que tu viens de dire… Je ressens la même chose.

Il pressa ses lèvres contre les siennes, à la fois par gratitude et parce qu’il mourait d’envie de sentir leur douceur. Il l’embrassa avec tendresse, pour ne pas la brusquer et triompher de ses appréhensions naturelles.

Elle entrouvrit les lèvres en gémissant et se pressa contre lui.

Alors il plongea sa langue dans sa bouche en s’émerveillant de sa sensualité. Cette fée qui l’avait délivré de la culpabilité était extraordinaire et follement désirable… Elle lui inspirait une passion dévorante.

Lorsqu’elle glissa timidement ses doigts dans ses cheveux, il redoubla d’ardeur. Impatient de lui faire connaître les plaisirs qu’il avait à lui offrir, il l’embrassa avec autorité en laissant ses mains glisser le long de sa cage thoracique. Il trouva ses seins, qui tenaient parfaitement dans ses mains, et sentit leurs pointes durcir. Les gémissements qu’elle poussait l’encourageaient à se montrer et son parfum le rendait fou d’excitation.

Il n’allait pas l’épargner…

Son loup chercha à faire surface. Comment aurait-il pu le contrôler alors qu’il tremblait d’excitation ?

Un grognement sourd lui échappa.

Sienna s’écarta aussitôt. Pendant un moment, on n’entendit que leurs respirations haletantes et les craquements du feu.

Ses lèvres étaient gonflées et son regard encore troublé par la passion, mais ses yeux étaient écarquillés. Elle avait peur…

— C’est naturel, chérie, s’empressa-t-il de la rassurer. C’est une expression du désir que tu m’inspires…

— C’est… ton loup, Matt.

— Il y a une louve en toi aussi. Ne lui résiste pas. Laisse parler ta nature…

— Je ne sais pas si j’en suis capable, murmura-t-elle.