Au terme de ce parcours, il apparaît que la couleur a rempli différentes fonctions au cours de l’histoire. Ornementale et spectaculaire, elle participe des effets sensoriels de l’image. Narrative et symbolique, elle collabore aux enjeux diégétiques du film. Sensible et critique, elle sert un discours sur le réel et sa représentation.
Du point de vue de la technique et de la pratique, la couleur au cinéma s’est rapidement envisagée en rapport au réalisme. D’abord employée pour sa vertu spectaculaire, elle s’est progressivement vue adjoindre un code motivé dont le but est de créer des effets de réel. Par la suite, la course aux procédés s’est inscrite dans une optique de vraisemblance chromatique visant un rendu naturel des couleurs. Mais, n’étant pas encore suffisamment fidèle à la réalité, la couleur s’est établie dans le champ de la fantaisie et du fantastique, dont elle ne se départira jamais. Une fois naturalisée, elle se fond dans la représentation et tend à ne plus être remarquée pour elle-même. Néanmoins, elle perdure sous une forme manifeste et expressive, et devient un instrument analytique et critique de représentation du réel dans sa complexité et sa densité. Avec les nouveaux effets spéciaux, et particulièrement les images de synthèse, elle réacquiert le pouvoir de fascination qu’elle exerçait lors de ses premières apparitions.
Quels que soient la période, le procédé, le pays, ou la conception chromatique adoptée, la couleur oscille toujours, finalement, entre naturalisme et fantasmagorie, entre une présence insensible car naturelle et, au contraire, une ostentation expressionniste, et, dans ses excès, sensationnaliste. Dès lors, l’histoire des pratiques de la couleur est inévitablement tendue entre deux pôles, celui de la vraisemblance et celui de l’attraction.
Il ressort que l’entreprise Technicolor n’a pas seulement marqué l’histoire pour son procédé trichrome qui a longtemps dominé la production cinématographique. Elle est aussi à l’origine de conceptions formelles et fonctionnelles qui s’appliquent encore aujourd’hui. Pensons à la manière dont les films créent un environnement chromatique neutre d’où saillent des éléments de couleurs, ou à la façon dont les couleurs des costumes contribuent à définir les enjeux narratifs.
L’histoire des pratiques esthétiques de la couleur est faite de réappropriations et de détournements, qui ont collaboré à étendre son champ d’action au sein de la représentation cinématographique, son récit et son discours.
Nous aurons fait l’impasse sur bon nombre de sujets passionnants comme la restauration des films en couleur, la colorisation des films noir et blanc ou encore les pratiques singulières du cinéma expérimental, vidéo, et d’animation : L. Lye, O. Fischinger, N. McLaren, S. Brakhage, M. Le Grice, C. Lebrat, etc.
Beaucoup de choses restent encore à écrire et nous ne pouvons que nous réjouir du regain d’intérêt pour la couleur que suscitent les travaux de restauration des films engagés par les cinémathèques. Puissent les manques de cet ouvrage susciter des vocations parmi les jeunes chercheurs.