Boum ! Son chargement roula avec un bruit sourd dans le coffre de la voiture comme il roulait sur un gros nid de poule.
— Désolé, chérie, lança-t-il à haute voix dans le véhicule vide, comme si de quelconques excuses étaient encore de mise à ce stade.
Baissant la vitre, il s’emplit les poumons de l’air humide de la nuit. Quelle nuit magnifique ! Bien sûr, sa petite amie s’était bien moins amusée que lui, mais après tout, il n’avait jamais été dans ses intentions de la divertir, elle. Il ricana en lui-même tandis qu’il ralentissait à l’approche du petit chemin de gravier menant à son lieu de dépôt de prédilection.
Un kilomètre après le panneau vert annonçant l’entrée de South Bend, Pennsylvanie, il freina et bifurqua.
Un hibou hulula dans les profondeurs de la forêt sombre tandis qu’il stationnait sa berline dans la clairière. Personne n’habitait plus dans l’ancienne maison à un étage en bordure du fleuve : construite trop près de l’eau dans une zone sujette aux inondations, elle était abandonnée depuis des années. Le vent et la pluie avaient écaillé la peinture jadis blanche de la véranda et les fenêtres qui n’avaient pas été placardées avaient été brisées. Des mauvaises herbes grimpantes envahissaient la base et le premier mètre de bardeaux jaune délavé.
Derrière la maison, un ponton décrépit s’avançait au-dessus des eaux sombres tel un doigt arthritique.
Il descendit de voiture et attendit que ses yeux s’habituent à l’obscurité, puis ouvrit le coffre et en sortit le gros paquet enveloppé d’une bâche avant de le balancer sur son épaule. Par chance, il avait une préférence pour les petits gabarits.
Des nuages d’orage voilant le clair de lune, il sortit une lampe de sa poche et orienta aussitôt l’étroit faisceau vers le ponton devant lui. Arrivé à l’extrémité, il laissa tomber son paquet sur la structure instable, écartant les jambes pour garder l’équilibre.
Soulagé de son fardeau, il ne lui fallut pas plus d’une minute pour retourner à sa voiture chercher trois blocs de parpaing. Il n’en utilisait auparavant que deux, mais quelques semaines plus tôt, un de ses paquets s’était délesté et avait dérivé en aval jusqu’à une rampe d’accès public, où on l’avait découvert quelques jours plus tard. Qu’elles refassent surface, ça ne le dérangeait pas, mais plus tard elles le faisaient, mieux c’était.
Déballant sans tarder le paquet, il fixa les parpaings à l’aide d’une corde en nylon et fit rouler le corps dans l’eau, troublant temporairement l’épaisse couche d’écume brunâtre à la surface. La tête coula la première. De longs cheveux noirs tournoyèrent dans le faisceau de sa lampe, puis deux pieds nus graciles pointèrent un instant hors de l’eau, avant de sombrer dans un tourbillon.
Ça oui… il savait pertinemment que sa petite amie de ce soir n’avait pas apprécié sa soirée.
Chassant distraitement une mouche sur son bras, il replia la bâche et regagna rapidement sa voiture. Le tonnerre gronda. La tempête qui s’annonçait laverait toute trace de son passage, mais il inspecta rapidement le sol pour plus de sécurité.
Un air gai sur les lèvres, il reprit alors l’autoroute en direction de Westbury avec la satisfaction du travail bien fait. Le trajet ne lui prendrait pas plus d’une heure et demie, rien à voir avec les longues distances qu’il avait coutume de parcourir. En dépit du fait qu’il avait réduit son périmètre de chasse et celui sur lequel il se débarrassait des corps, la police n’était guère plus avancée sur son identification : elle nageait dans le flou. Que lui fallait-il donc faire pour pimenter la traque ?
Il ferait relâche quelques semaines : un repos bien mérité. Le temps viendrait alors de choisir une autre beauté. Histoire de rendre les choses intéressantes, il ne la choisirait plus au hasard. Il avait déjà dressé une liste de candidates potentielles.
Il ne lui restait plus qu’à sélectionner l’heureuse gagnante.
L’une d’elles avait d’ores et déjà retenu son attention : la nouvelle résidente de Westbury, une belle brune munie d’une dose égale de cran et de timidité. Rien de tel pour pimenter les choses. Elle habitait toutefois très près de chez lui, ce qui augmentait considérablement les risques… tout comme le fait qu’elle vive avec un ancien flic.
Était-il prêt à monter les enjeux ?