Richard Baker traversa l’herbe épaisse et s’approcha de son père. Appuyé sur la clôture, l’ancien sénateur Stafford Baker contemplait une jument et son poulain dans le crépuscule précoce. Les lignes élégantes de la poulinière témoignaient d’années de croisements précis. Quant à son petit, son pedigree se devinait déjà dans l’inclinaison de ses épaules et sa manière de se pavaner. Ce foal serait un bel ajout à leur écurie de chevaux de course.
Stafford coula un regard de côté.
— Johnson a une piste en ce qui concerne Elizabeth.
Richard s’accouda à la barrière en se mordant la langue pour dissimuler son excitation à l’annonce de la nouvelle.
— Je suis désolé de t’avoir poussé à l’épouser, continua-t-il en lui posant une main sur l’épaule. (Richard fut surpris par ces excuses : son père admettait rarement ses erreurs.) Mais tu avais besoin d’une femme pour te faire élire. Les gens commençaient à parler, ton nom se retrouvait mêlé à celui de célébrités, de putains… et pire.
Richard hocha la tête. S’il savait… Quelques scandales avec des célébrités n’étaient rien, comparés à la vérité.
Stafford retira sa main et la posa fermement sur la traverse supérieure.
— Je pensais qu’Elizabeth serait facile à contrôler, mais je me suis trompé sur son compte.
— On s’est tous les deux trompés, déclara Richard.
C’était son cher vieux papa qui lui avait appris à garder les femmes à leur place. Elizabeth avait semblé si vulnérable. Une jeune veuve, sans famille, dont les enfants en bas âge fourniraient un excellent moyen de pression si nécessaire. Il s’était dit qu’elle serait malléable. Sa détermination l’avait désagréablement surpris.
La jument baie s’approcha, et Richard lui flatta l’encolure, avant de gratter le poulain derrière les oreilles quand il passa sa tête osseuse à travers la clôture pour lui mordiller le pantalon.
— Où est-elle ? demanda-t-il sans quitter des yeux le cheval, peinant à contenir le bouillonnement dans son sang.
Le désir de faire du mal à sa femme grandissait à chaque battement de cœur, courant dans ses veines, alimentant ses sombres pulsions comme l’essence alimente un moteur. Il ne pensait qu’à cela depuis qu’il avait décidé de s’en occuper lui-même.
— Westbury, en Pennsylvanie. Ça se trouve juste après les Poconos. Mes hommes ciblaient déjà ce patelin ou une autre de ces villes de ploucs, mais un appel passé vers le numéro de Dieter à partir d’un téléphone public de Westbury a confirmé nos soupçons. Nous avons des photos à l’appui. (Son père se tourna vers lui.) Laisse Johnson se charger de ça. C’est son travail. Ce n’est pas pour rien qu’on emploie des gens comme lui.
Richard croisa le regard dur de son père. Les yeux du vieil homme étaient du même gris-bleu que ceux d’un requin, et tout aussi froids.
— Je m’occupe d’Elizabeth. Tes hommes ont déjà échoué à plusieurs reprises. Par contre, j’ai un autre problème qui nécessite les talents de Johnson.
La veine sur la tempe de son père battit une seule fois avant qu’il réponde :
— Je demanderai à Johnson de te contacter. Quel que soit ton problème, il s’en chargera.
Stafford se retourna vers les chevaux.
Son père soupçonnait-il quelque chose ? Richard s’était souvent posé la question. Son bon vieux papa ne demandait jamais à son fils unique le détail de ses transgressions. Les Baker descendaient d’une longue lignée d’hommes de pouvoir. Leur fortune et leur sphère d’influence politique s’agrandissaient à chaque nouvelle génération et leurs appétits étaient insatiables, leur besoin de contrôle absolu. Dans une telle atmosphère, il était tout aussi facile d’être entaché de l’intérieur que de l’extérieur. Garder les mains propres pouvait s’avérer très délicat.
Les mâchoires de Stafford se crispèrent.
— Je te garantis que Johnson est plus que capable de s’occuper de plusieurs situations à la fois. Ce coup-ci, je m’assurerai qu’il fera le travail lui-même au lieu de sous-traiter. Le caractère tragiquement accidentel de sa mort ne doit faire aucun doute. Les choses sont déjà amorcées. Toi, tu restes à Washington, loin d’Elizabeth.
D’ordinaire, Richard suivait presque toujours les conseils de son père. Mais pas cette fois. Il avait d’abord besoin que l’homme de main de son père le débarrasse de son maître chanteur. Richard insisterait bien sur ce point. Il saurait convaincre Johnson de lui laisser Elizabeth. Pour l’instant, son père était peut-être encore le chef de famille, mais Richard prendrait un jour sa relève. Aussi Johnson transférerait-il son allégeance. Aucun doute là-dessus.
Son calendrier des prochains jours était rempli d’apparitions publiques qu’il ne pouvait annuler sans attirer l’attention, mais après quoi, Richard se ménagerait quelques jours de relâche dans sa demeure de Philadelphie — qui se trouvait être située à seulement une heure et demie des Poconos… et de sa charmante épouse.