— On va bien s’amuser.
Jack se leva de table et traversa la cuisine ensoleillée pour verser le reste de la cafetière dans son mug. C’était seulement sa deuxième tasse de la matinée : Beth avait dû vider les trois quarts de la cafetière à elle seule. Il jeta un coup d’œil au cadran de l’horloge électronique du micro-ondes : 7 heures du matin. Elle avait sans doute déjà nourri les chevaux. Le regard de Jack se déplaça vers l’évier. Elle, en revanche, ne s’était pas nourrie apparemment. Il n’était pas surpris.
Beth appuya ses doigts sur son front et se massa en cercle. Une nouvelle fois.
— Je ne dis pas qu’on ne s’amusera pas, répondit-elle. Mais il s’agit de votre famille. Je ne veux pas m’immiscer.
— Mal à la tête ?
Beth s’arrêta de se masser.
— Juste un peu. Rien de grave.
Jack se garda de tout commentaire. Beth était la plus mauvaise menteuse qu’il eût jamais vue. Si sa peau pâlissait davantage ou que ses cernes s’assombrissent encore, elle pourrait passer pour un vampire. Elle travaillait chaque soir à la comptabilité jusque très tard et se levait de bonne heure pour s’occuper des chevaux. Le surmenage commençait à se ressentir, d’autant qu’il n’y avait que cinq jours qu’elle était tombée. La douleur creusait ses traits, et bien qu’elle n’eût déjà pas une once de graisse, elle avait perdu du poids.
Jack lui avait présenté l’invitation chez Quinn comme une petite fête en famille, mais il tenait en vérité à ce que son cousin s’assure de sa guérison. Il ne leur faudrait rien moins que du ruban adhésif et du chloroforme pour la remmener à l’hôpital, mais elle avait besoin qu’un médecin vérifie son état, ne serait-ce que pour sa tranquillité d’esprit à lui. Elle refusait de lever le pied et de se reposer comme il l’y incitait.
— C’est juste un barbecue. Ça ferait du bien à Ben et Katie de voir d’autres enfants.
— Je ne sais pas, Jack, répondit-elle en se mordillant la lèvre inférieure, un geste qu’il s’échina à ne pas trouver sexy — c’était peine perdue, malgré son physique amoché.
— Allez, Beth, insista-t-il en tablant sur le fait qu’elle était trop lasse pour argumenter. Ils ne mordent pas. Enfin, plus maintenant. Mark a eu sa période « je mords » quand il était petit, mais il s’en prenait surtout à Steven, qui le cherchait bien, donc je ne sais pas si ça compte. Et puis les enfants méritent de s’amuser un peu, non ?
Après ce que Ben lui avait révélé à l’hôpital, Jack comprenait la réticence de Beth à les amener dans des endroits publics, mais ils n’auraient rien à craindre chez son cousin. Évidemment, il ne pouvait pas se servir de cet argument. Il n’était pas censé savoir qu’ils étaient en danger.
Toutes ces cachotteries et les tracas qu’elles entraînaient commençaient à lui foutre un mal de crâne à lui.
Comme prévu, elle finit par céder. Une pointe de culpabilité le titilla, qu’il chassa aussitôt. Il avait fait le bon choix. Alors pourquoi se faisait-il l’effet d’être une enflure ?
Cet après-midi-là, Jack engagea sa Jeep Explorer dans la longue allée de la maison de campagne jaune et blanche de Quinn. Des senteurs de trèfle, de gazon et de mauvaises herbes entraient par les vitres baissées. Jack se gara derrière le monospace de Quinn puis ouvrit le hayon de son 4x4 pour laisser sortir Henry tandis que Beth et les enfants descendaient. Ben lui tendit la canne qu’il avait rangée sur le siège arrière. Des fleurs aux couleurs vives pendaient dans des paniers et des pots sur la véranda. Deux vélos traînaient au pied des larges marches, et une paire de petites chaussures à crampons boueuses séchaient sous l’auvent.
Jack lança un regard furtif vers Beth tandis qu’elle refermait la portière. Au lieu des jeans qu’elle portait en permanence, son corps mince était moulé dans un polo et une jupe kaki. Maintenant qu’il y pensait, il ne l’avait jamais vue porter autre chose que des jeans, ce qui semblait bizarre étant donné la chaleur. Il ne s’en plaignait pas, cela dit. La plupart de ses jeans étaient si vieux et si usés qu’ils moulaient ses fesses comme une seconde peau. Mais aujourd’hui, cette jupe serrée lui permettait d’apprécier ses jambes nues et toniques.
Jack poussa la porte-moustiquaire grinçante, Beth et les enfants sur ses talons, et traversa la maison jusqu’à la cuisine. Henry fonça dans le couloir et Jack entendit bientôt quelque chose tomber avec un bruit métallique.
— Aïe ! Ici, Henry ! cria-t-il. Sois gentil. Sors dehors voir les enfants.
En entrant dans la cuisine ensoleillée, il trouva les femmes de ses cousins occupées à chasser le gros chien de la pièce. Campé sur son arrière-train, Henry refusait de bouger, comme une mule. Il entendit alors les fils de Quinn crier dans le jardin et partit comme une flèche dans le couloir en aboyant joyeusement.
— Si tu apprenais à ton chien à ne pas chiper la nourriture sur la table, je n’aurais pas à le flanquer dehors, lança Claire, la femme de Quinn, à Jack, avant de le saluer d’une bise en dégageant sa frange blonde de son visage.
Jack présenta Beth et les enfants à Claire et à Amanda, la femme de Sean.
— Salut, Beth. Enchantée de faire votre connaissance. Ben, les garçons s’amusent derrière la maison. Katie, Sam et Ally sont en train de jouer dans le salon. Je t’y emmène si tu veux.
Soit Claire avait un charisme maternel universel, soit Katie commençait à sortir de sa coquille. Toujours est-il qu’elle prit la main de Claire et la suivit sans hésiter dans le couloir.
— Asseyez-vous, proposa Amanda.
Elle ne quittait pas des yeux le visage de Beth ; Jack grimaça. Le sien avait sa place en couverture d’un magazine, comme tout le reste de sa personne d’ailleurs, ce qui contrastait d’autant plus avec l’apparence de Beth. Elle semblait tout droit sortie d’un ring.
Beth secoua rapidement la tête.
— Non, ça va. C’est moins douloureux que ça en a l’air.
Seigneur Dieu. Il l’espérait bien.
Sean entra par la porte de derrière, salua Jack d’une tape sur l’épaule et accueillit Beth d’un : « La vache, ça doit faire un mal de chien ! Une bière ? » On pouvait faire confiance à Sean non seulement pour mettre les pieds dans le plat, mais aussi pour s’essuyer les grolles sur la nappe ensuite. La subtilité n’était pas le fort de son cousin.
— Pas de bière pour la dame, idiot, s’exclama Quinn en arrivant derrière lui pour lui coller une claque derrière la tête. Elle sort d’une commotion cérébrale. (Malgré sa carrure impressionnante et son air assassin, Sean restait son petit frère.) Thé glacé, limonade ou soda, mais pas d’alcool, décréta Quinn en secouant la tête. Salut, Beth. Comment va la tête ?
— Ça va, merci.
Chaque fois qu’elle disait cela, sa voix faiblissait. Elle leva le menton et plissa les yeux sous le soleil d’après-midi qui entrait à l’oblique par les fenêtres.
Appuyé sur sa canne, Jack la prit par le bras et l’emmena sur la terrasse.
— Venez dehors. Les garçons jouent au base-ball.
Il la laissa sur un fauteuil de jardin rembourré et retourna dans la cuisine chercher deux verres de limonade. À son retour, Beth regardait Ben et les deux garçons échanger des lancers de balle dans le pré.
Jack lui tendit une limonade puis s’éloigna en voyant Quinn sortir pour allumer le gril à gaz et s’approcher de Beth.
— Vous avez pris quelque chose pour les maux de tête aujourd’hui ?
— Non.
Quinn soupira.
— Vous êtes passée chez le pharmacien ?
— Non. Je n’aime pas prendre de médicaments.
— Des nausées ?
Quinn s’assit dans le fauteuil à côté d’elle. Elle se décala de quelques millimètres.
— Parfois.
— Vous dormez bien ? demanda-t-il en sortant de sa poche une lampe-stylo afin de lui examiner les yeux.
— Non, elle ne dort pas beaucoup, répondit Jack de l’autre côté de la terrasse, où il comblait à l’aide de sa canne un petit trou que Henry avait creusé dans un parterre couvert de compost.
Beth lui décocha un regard furieux.
Quinn rentra dans la maison et ressortit une minute plus tard. Il lui tendit un petit comprimé.
— C’est pour les nausées. À vous de voir. (Devant l’air suspicieux de Beth, il ajouta sèchement :) Ce n’est ni du crack ni de l’héroïne, juré.
Elle leva la tête vers lui quelques secondes en plissant les yeux, puis prit la pilule et la fit descendre avec de la limonade.
— Je vais vous donner un flacon de comprimés pour chez vous. Inutile de souffrir si vous pouvez l’éviter. Et rappelez-moi de vous retirer ces fils avant de partir. (Quinn se tourna vers les garçons dans le pré.) Steven travaille son jeu de batte. Steven ! cria-t-il. Je mets les steaks sur le gril et je viens te lancer quelques balles !
— Je peux lui en lancer, docteur Wilson ! proposa Ben en courant jusqu’au monticule de fortune ; Steven attrapa une batte et Mark recula d’une dizaine de mètres derrière Ben.
Sean sortit de la maison et tendit un plat de nourriture à Quinn.
— Je réceptionne, dit-il en attrapant un gant avant de rejoindre Steven et de s’accroupir à bonne distance derrière lui.
Ben envoya une première balle au-dessus du marbre. Steven frappa mais rata la balle qui partit frapper le gant de Sean en plein centre avec un bruit sourd.
Sean souleva un sourcil étonné et relança la balle à Ben. Un deuxième lancer impeccable passa au-dessus du marbre. Tap ! Sean jeta un regard à Jack, qui haussa les épaules. Il corrigea la posture de Steven, lui releva le coude de quelques centimètres, puis renvoya la balle à Ben, qui continua de lancer jusqu’à ce que Steven envoie la balle dans la terre.
— Tu veux pas essayer de lancer une balle rapide, Ben ? demanda Sean avec une fausse désinvolture.
Devant le barbecue, Quinn tourna brusquement la tête vers les garçons comme un faucon venant de repérer un mulot.
— OK.
Ben mit un peu plus de force dans son geste et envoya la balle. Elle fila droit au-dessus du marbre pour aller frapper le gant de Sean avec un tap ! sonore.
Quinn resta bouche bée.
— Purée.
Jack regarda Beth, mais elle ne semblait pas avoir entendu. Ses paupières se fermaient d’elles-mêmes et sa tête retombait lentement contre le haut dossier. Il fut une fois de plus troublé par son air épuisé et ses traits tirés, et content de la voir enfin se reposer un peu. Il se retourna vers les garçons et traversa le jardin pour mieux voir.
— Ben ! Je vais te lancer quelques balles, dit Quinn en fermant le gril. Mark, toi et Steven, vous tenez le champ.
Quinn remplaça Ben sur le monticule et lança. Le garçon pivota et frappa la balle avec force pour l’envoyer dans les airs au-dessus du pré.
— Désolé, docteur Wilson. Je vais la chercher.
Ben partit en courant dans le pâturage, suivi par Steven, Mark… et Henry, qui fonçait en avant des garçons pour leur voler la balle. Quinn et Sean repartirent vers la terrasse.
— Rends la balle, Henry ! cria Steven comme Henry l’esquivait pour l’empêcher de reprendre la balle.
Jack jeta un regard vers Beth. Elle dormait à poings fermés. Il s’inquiéta en voyant son cou tordu.
— La Terre à Jack, dit Quinn en lui tapant sur l’épaule. Tu savais qu’il jouait aussi bien ?
Steven attira Henry jusqu’à la porte et le fit entrer dans la maison.
— J’en avais aucune idée, répondit Jack avant de hocher la tête vers Beth. Qu’est-ce que tu lui as donné ? Elle est H.S.
— Juste un comprimé contre les nausées, répondit le médecin. Elle avait l’air en piteux état ; la somnolence est un effet secondaire.
Jack secoua la tête.
— T’aurais peut-être dû lui préciser.
— Te bile pas. Elle se sentira beaucoup mieux à son réveil. (Quinn balaya le sujet d’un haussement d’épaules.) Maintenant, revenons-en à Ben : je le verrais bien rejoindre mon équipe pour le championnat des minimes au printemps. C’est quand son anniversaire ? Tu m’as dit qu’il avait douze ans. S’il te plaît, dis-moi qu’il ne fait pas ses treize ans avant le 1er janvier.
Sean sortit une bière de la glacière et rejoignit ses cousins.
— Aucune idée, répondit Jack en secouant la tête.
Il lança un coup d’œil vers Beth, toujours endormie, puis tourna la tête vers le pré où les trois garçons s’étaient remis à échanger des lancers. Baissant la voix pour qu’ils soient les seuls à l’entendre, il résuma à ses cousins ses soupçons et sa conversation avec Ben.
— Si t’as besoin d’un coup de main, je suis là, dit aussitôt Sean, une lueur déterminée brillant dans ses yeux bleus.
Jack savait déjà qu’il pouvait compter sur l’aide de son cousin. Non seulement sa société de sécurité installait des systèmes d’alarme dernier cri chez les particuliers, mais Sean comptait en outre dans ses relations quelques individus peu recommandables capables d’accéder à des documents qui n’étaient pas disponibles au public.
— Pour commencer, il va falloir penser à moderniser l’alarme archaïque de la propriété. (Jack se pencha vers Sean et continua en baissant encore la voix :) Ensuite, je voudrais que tu fasses quelques recherches pour moi. Discrétion totale.
Son cousin hocha la tête.
— Dis-moi ce que tu veux.
— Pas ici. (Le regard de Jack obliqua vers Beth, qui émergeait lentement du sommeil dans son fauteuil.) Je t’appelle demain.
* * *
Beth se redressa et se frotta les yeux. Elle avait l’impression d’avoir la tête remplie de mastic. Que lui avait filé Quinn, bon sang ?
— Ah. Vous êtes réveillée. Le dîner est presque prêt.
À quelques mètres d’elle, Amanda déposa un large plateau de condiments sur la table de pique-nique. Claire arriva derrière elle portant un saladier et un grand verre.
— Désolée. Je ne voulais pas m’endormir.
Seules ses terminaisons nerveuses à demi comateuses l’empêchèrent de rougir.
— Ça n’est pas votre faute. Mon mari vous a droguée, dit Claire avec un sourire en lui tendant un thé glacé. C’est lui qui devrait vous faire des excuses. Quinn est parfois imbu de lui-même. Il est persuadé de savoir mieux que les autres. Malheureusement pour son ego démesuré, c’est souvent vrai. Un peu de théine devrait vous requinquer. Vous avez encore quelques minutes avant que les steaks soient cuits.
Claire et Amanda retournèrent à l’intérieur chercher le reste de la nourriture.
Jack, debout avec ses cousins de l’autre côté du jardin, regardait les garçons se lancer la balle dans le pré. Croisant le regard de Beth, il vint s’asseoir à côté d’elle. Il posa sa canne et étendit sa jambe blessée. Leurs genoux se touchèrent. Beth, encore assommée, avait les yeux fixés sur la longue cuisse musclée de Jack.
— Tout va bien ? demanda-t-il, et, la croyant sans doute dans sa bulle, il posa la main sur son avant-bras ; Beth sentit aussitôt une sensation molle et chaude l’envahir.
Le médicament supprimant son anxiété et ses inhibitions, elle n’eut soudain plus à l’esprit que le corps de Jack, si près du sien. Assez près pour qu’elle puisse le toucher. Il fallait qu’elle remette en laisse ses hormones. L’odeur familière et tentante de l’après-rasage de Jack flotta jusqu’à son nez, et Beth sentit une langueur caractéristique lui réchauffer le ventre. Aïe.
Elle éloigna son genou du sien et hocha la tête.
— Oui, mais je n’aime pas les sédatifs.
— Ben joue vraiment bien au base-ball. Il a une sacrée frappe, dit-il pour parler d’autre chose, contrarié de la voir dégager son bras.
Déstabilisée, Beth but une gorgée de thé glacé dans l’espoir que la théine tire ses neurones de leur torpeur.
— Je sais, oui. C’est génétique. Il faisait partie d’une équipe. Son père, lui, jouait en ligue mineure.
Elle se mordit la lèvre devant ce détail personnel qui venait de lui échapper. Fort heureusement, Jack ne creusa pas le sujet. Voilà qui donna cependant une raison supplémentaire à Beth de ne pas boire d’alcool. Pas même un verre de vin. Elle ne pouvait pas se permettre de baisser sa garde.
— N’en parlez pas à Quinn. Il le voit déjà dans son équipe.
— Le dîner est prêt, cria Claire de l’intérieur de la maison, puis une seconde fois à la fenêtre.
La porte-moustiquaire s’ouvrit et Katie en surgit en compagnie de deux petites blondinettes, Henry sur leurs talons. Le grand chien était coiffé d’un bonnet jaune noué d’une grosse boucle sous son menton.
— Oncle Jack ! Regarde, on lui a mis du vernis.
L’une des petites blondes attira le chien d’un demi-quintal par le collier jusqu’à Jack. Les ongles du berger allemand brillaient d’un rose vif.
Jack pencha la tête vers sa nièce.
— Sam, Sam, Sam… Tu me tues !
La fillette de sept ans sourit. Henry remua la queue et lui lécha le visage.
— Seigneur Dieu ! Attendez que je sorte mon appareil photo, dit Quinn en essuyant ses larmes avant de courir à l’intérieur. Il faut immortaliser ça, Jack !
Sean rit si fort qu’il faillit tomber de sa chaise. Sam lâcha Henry et grimpa sur les genoux de son père. Sa cadette, Ally, monta sur l’autre genou.
— Pourquoi tu rigoles comme ça, papa ? demanda-t-elle.
Beth avait beau en vouloir à Quinn, elle ne put retenir un petit rire.
Pendant que Henry lorgnait avec espoir le plateau de steaks posé sur la table, Katie se faufila entre sa mère et Jack. À la surprise de Beth, la fillette se pencha contre l’épaule de Jack.
— Tu veux t’asseoir sur mes genoux ? lui demanda-t-il à voix basse.
Comme elle hochait la tête, il la souleva sur ses genoux et passa les bras autour de la fillette, tandis qu’elle posait la tête sur sa poitrine.
Sur le fauteuil d’à côté, Beth avait le cœur gros. Katie ne se souvenait pas de son père, et n’avait jamais eu personne pour combler ce vide dans sa vie.
Ils rentrèrent à la nuit tombée. Dans le 4x4 de Jack, Katie dormait sur le siège arrière, Ben bâillait, et Henry ronflait. Au lieu de contourner la maison pour ranger sa voiture dans le garage, Jack parqua son 4x4 en haut du virage. Beth descendit de la voiture et, tandis qu’elle ouvrait la portière arrière pour sortir Katie, Jack la devança.
— Je la prends, dit-il en la soulevant contre son épaule pour l’emporter à l’intérieur.
— Mais votre jambe…
— Elle ne pèse rien, Beth.
Maintenant Katie d’une main, il laissa sa canne derrière la porte d’entrée et agrippa la rampe.
Beth les rejoignit à l’étage. Cramponnée ainsi au grand corps de Jack, Katie semblait petite et sans défense. Arrivé dans la chambre de l’enfant, il la déposa sur le lit et commença à lui retirer ses baskets roses.
Beth sentit sa gorge se crisper en voyant Jack s’atteler à une tâche parentale aussi intime.
— Je vais m’occuper du reste, dit-elle.
Ravalant le malaise suscité par sa remarque, Jack recula pour laisser Beth le remplacer auprès de Katie.
— OK. Alors bonne nuit.
Alors qu’il pivotait pour partir, Henry passa le long de sa jambe et vint se coucher sur le tapis, sa truffe noire posée sur ses énormes pattes aux extrémités roses.
— Jack ? dit Beth sans se retourner tandis qu’elle bordait Katie dans son lit. Merci. Ils ont passé une bonne journée.
Les enfants avaient poursuivi des lucioles, mangé des glaces à n’en plus finir, et fait tout ce que des enfants normaux faisaient par une chaude nuit d’été. Beth avait elle aussi survécu à l’épreuve. Sa somnolence passée, sa tête avait cessé de lui faire mal. Elle avait même mangé un hamburger.
— Je suis content, répondit-il en s’arrêtant sur le seuil. Je sais que vous êtes fâchée contre Quinn, mais avant de partir, il m’a donné quelques-uns de ces comprimés pour vous. Si vous changiez d’avis et que vous vouliez en prendre un avant d’aller vous coucher, je les range dans le placard du haut de la cuisine, avec l’aspirine.
Avant qu’elle ait pu répondre, il s’était retourné et avait quitté la pièce.
La solitude lui écrasa alors la poitrine. Un autre soupir et il lui semblait qu’elle s’ouvrirait en deux. Elle ferma les yeux et souffla. Mais la tension ne retombait pas.
Ce qu’elle voulait faire en vérité, c’était le suivre et grimper sur ses genoux comme Katie l’avait fait plus tôt. Mais cette pensée même la terrifiait tout autant.
Beth écarta les cheveux du front de sa fille. Jack avait réussi à s’immiscer dans leurs défenses. Comment ses enfants pourraient-ils supporter une autre séparation si elle devenait… non ! quand elle deviendrait nécessaire ? Tôt ou tard, ils seraient forcés de le quitter. Tout cela ne prendrait fin qu’une fois Richard mort. Il avait probablement déjà envoyé ses sbires pour la tuer. Elle et Richard ne se retrouveraient jamais face à face. Et jamais elle ne pourrait se lancer elle-même à sa poursuite. Tuer quelqu’un en état de légitime défense était une chose. Le meurtre avec préméditation en était une tout autre.