Assise dans le canapé du salon, ses jambes repliées sous elle, Beth feuilletait une revue sur l’aménagement paysager. Elle s’arrêta de lire pour prendre quelques notes sur la taille des rhododendrons. Une jungle pourpre étouffait un côté de la maison. Une douleur sourde se mit à palpiter derrière ses yeux et elle referma le magazine. Elle les avait assez sollicités pour le moment. Couchés par terre devant le canapé, Ben et Katie s’attelaient à reconstituer un puzzle qu’ils avaient trouvé dans un placard à l’étage. Henry ronflait près d’eux. La lumière grise de fin de matinée filtrait par les persiennes, couvrant de rayures l’épais kilim.
C’était le genre de journée calme qu’elle aurait trouvée banale il y a quelques années. Mais aujourd’hui, elle en appréciait la tranquillité. Après un mois passé sur la propriété, elle se sentait ici comme chez elle.
Ses yeux ne tardèrent pas à se fermer. Elle regretta d’avoir pris un second comprimé avant de se mettre au lit. Le médicament de Quinn avait fait des merveilles contre ses nausées la nuit passée, mais lui avait laissé le cerveau brumeux au réveil. Bientôt, les voix des enfants s’estompèrent et elle s’assoupit.
Un crissement de chaussures de sport sur le plancher la réveilla en sursaut et elle ouvrit les paupières d’un coup.
— Oh, zut. Je vous ai réveillée. Désolé. (L’air confus, Jack entra dans le salon, son corps mince moulé dans un short de sport et un tee-shirt.) Je pars chez le kiné.
— D’accord.
Malgré l’action du médicament, ou peut-être justement en raison de son effet relaxant, Beth détailla d’un regard avide les biceps, le torse musclé, la poitrine ferme à laquelle elle s’était accrochée cette fameuse nuit. Ses doigts la démangeaient de toucher sa peau nue. Le désir s’alluma dans son ventre. Elle déglutit et détourna le regard.
Les sourcils de Jack se rejoignirent comme il scrutait l’expression de son visage, cherchant sans doute à deviner la source de son trouble.
Cours toujours.
— Vous êtes sûre ? Sinon je peux annuler. J’ai des scrupules à vous laisser toute seule ici.
— Ça ira. Mme Harris sera là d’ici une heure ou deux.
Un peu de temps seule, c’était exactement ce dont elle avait besoin, avec une douche froide et une bonne dose de réalité pour détourner son esprit du physique avantageux de Jack. Le fait que sa personnalité soit tout aussi engageante n’arrangeait pas les choses.
— Tout de même…, insista-t-il.
— Allez-y, dit-elle. Vous faites d’énormes progrès. Ne faites surtout rien qui pourrait retarder votre guérison. Je ne vois pas comment je pourrais me blesser en restant assise sur ce canapé.
— Bon. D’accord. J’ai mon portable en cas de besoin. Le centre de rééducation n’est qu’à un quart d’heure. (Jack adressa un signe de tête à Ben.) Tu as mon numéro, hein, Ben ?
— Oui.
Apparemment satisfait, Jack s’éclipsa de la pièce. Ses pas intermittents disparurent au fond du couloir. La porte d’entrée s’ouvrit puis se referma.
Beth se dirigea vers la fenêtre pour le regarder boitiller jusqu’à son 4x4 et se hisser au volant. Sa démarche montrait encore une gêne prononcée, mais sa foulée avait gagné en force. Il ne réintégrerait peut-être pas la police, mais en tout cas sa vie était bien loin d’être finie.
Aussitôt que la Jeep de Jack disparut dans l’allée bordée d’arbres, Beth quitta la fenêtre et se tourna vers Ben.
— Je sors un moment, dit-elle avec un regard éloquent. Vous deux, restez à l’intérieur, d’accord ? (Elle attrapa la télécommande et alluma la télé pour couvrir le son de ses paroles. Une redif de Hannah Montana apparut sur l’écran.) Et ne laissez pas sortir Henry.
Katie leva la tête et sourit.
— D’accord, maman.
L’attention de la fillette passait tour à tour du puzzle à l’écran.
Ben fronça les sourcils. Il savait exactement ce qu’elle comptait faire.
— T’as dit à Jack que t’allais rester assise à rien faire.
— Je sais, chéri. Mais il arrive que les adultes soient obligés de faire des choses qu’ils n’ont pas envie de faire.
Et c’était franchement moche.
En dépit du regard désapprobateur de son fils, Beth partit récupérer son arme, ses munitions et ses protections auditives dans sa chambre et descendit derrière le garage. Depuis l’incident avec Will Martin dans le supermarché, elle gardait le Sig-Sauer attaché à sa cheville chaque fois qu’elle sortait. Elle ne quittait pas ses jeans larges extralongs, mais vivait dans la hantise que Jack remarque l’étui si elle le portait à l’intérieur de la maison. Rien ne semblait lui échapper.
Le poids de l’arme lui rappelait en permanence qu’elle était vulnérable et, qu’en dépit des apparences, elle n’avait pas une vie normale. Elle prit une minute pour se calmer, se positionner et se concentrer. Elle enfouit en elle les émotions qui l’agitaient. Comme disait James, pour tirer juste, il fallait une tête froide.
Elle inspira l’air vivifiant de la campagne.
Un oiseau gazouillait dans l’arbre à sa gauche. Un léger vent décrocha quelques aiguilles de pin sèches qui tombèrent au sol. Les branches d’arbres oscillaient au-dessus de sa tête. Un petit animal fit bruire un buisson sur sa droite.
Elle souffla lentement.
Tenant l’arme à deux mains, elle leva les bras à l’horizontale et écarta les jambes de la largeur des épaules. Son bras blessé tremblait. Serrant les dents, elle stabilisa son bras et s’imagina le visage de Richard, déformé par un plaisir pervers tandis qu’il levait son poing devant elle. Elle visa et fit feu sur la balle de foin. Le pistolet tressauta entre ses mains en lui envoyant des éclairs de douleur dans le coude.
Mais elle avait atteint la cible en plein cœur.
Elle se remit en position pour un second tir.
* * *
Jack stationna près du garage et marcha jusqu’au GMC Yukon de Sean.
— Merci de t’être déplacé.
— Pas de quoi, répondit Sean en descendant. De toute façon, mon intervention de ce matin m’a pris moins de temps que prévu.
— Ah ouais ? Bon, eh bien, vu que mon kiné a annulé ma séance, je me suis dit qu’on pourrait commencer par tester l’alarme actuelle. (Jack se gratta le menton.) Je voudrais ajouter quelques accessoires.
Même s’il continuait à penser que le bois vieux et pourri était la cause de l’accident de Beth dans l’écurie, la possibilité que quelqu’un ait pu s’introduire sur le domaine pour lui faire du mal continuait de le travailler.
— Va savoir, répondit Sean. Danny s’y est jamais intéressé. Il a jamais voulu me laisser toucher le moindre fil. Si ça se trouve, on aurait plus vite fait de tout arracher et de recommencer à zéro.
Sean jeta ses clés sur le siège de son 4x4.
— Peut-être, mais je veux pas me retrouver sans rien en ce moment… ne serait-ce que pour quelques jours.
Sean haussa un sourcil.
— Je vais voir ce que je peux faire.
L’écho d’un coup de feu retentit du côté de la forêt. Jack et Sean se baissèrent derrière la portière du Yukon.
— C’était dans le coin ! dit Jack en coulant un regard par la vitre latérale.
— Je suis quasiment sûr que ça venait de par là, ajouta Sean en montrant le garage. Sûrement un gosse. Ou quelqu’un qui tire sur une cible.
Jack sortit son portable.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— J’appelle Mike.
— Tu vas pas déranger le chef de la police pour un gosse et son vieux qui tirent sur un opossum ou un coyote ? C’est pas la ville ici, Jack. Quand les gens tirent dans le coin, c’est pour une raison légitime. Tu sais, à Westbury, tout le monde possède au moins une arme à feu.
Sean n’avait pas tort. Jack referma son téléphone.
— Et puis, ici, on se défend nous-mêmes, ajouta Sean en se penchant dans le véhicule pour en sortir un Glock 9 mm.
Sans doute au cas où les raisons du tireur ne seraient pas si légitimes, supposa Jack.
— Viens. On va jeter un œil, dit Sean avant de partir en courant.
Jack contourna le garage clopin-clopant. Sean s’arrêta au coin et scruta la lisière de la forêt. Il siffla tout bas.
— Oh, la vache.
Un nouveau coup de feu retentit. Cette fois-ci tout près. Jack donna une tape sur l’épaule de son cousin et murmura :
— Quoi ?
Sean s’accroupit afin que Jack puisse voir par-dessus sa tête.
Beth, dos à eux, pointait un pistolet sur une cible faite de balles de foin placée à huit ou dix mètres de distance. Elle fit feu. La paille trembla et de petits morceaux voletèrent.
— Super sexy !
Le commentaire de Sean surprit Jack. Beth ne risquait cependant pas de les entendre : de gros bouchons dépassaient de ses oreilles.
— Qu’est-ce qui va pas chez toi ? répliqua Jack en dévisageant son cousin.
— Je sais pas. Je suis un homme marié, heureux en ménage et tout, mais une belle femme qui manie un flingue comme ça, ça me file toujours la trique. (Il soupira.) C’est qu’elle tire vachement bien.
La remarque de son cousin sur la dextérité de Beth était fondée. Elle tira une série d’autres coups, rassemblant les impacts dans la cible. Mais trouer une balle de foin n’avait rien à voir avec faire feu sur une cible vivante en mouvement.
Il avait beau applaudir son adresse, ça ne signifiait pas pour autant qu’elle pourrait réellement tirer sur quelqu’un si le besoin s’en faisait sentir. Devait-il lui dire qu’il l’avait vue s’exercer au tir ? Au risque de la faire stresser, comme pour tout le reste.
Jack tira Sean à l’abri derrière l’angle du bâtiment.
— Je regardais c’est tout, protesta-t-il.
— Je veux pas qu’elle sache que je suis au courant pour l’arme, expliqua Jack tandis qu’ils regagnaient leurs voitures. Bon Dieu, c’est complètement débile.
— Non, je comprends. Elle pourrait mal le prendre, dit Sean en soufflant. N’empêche que ça me plaît pas.
Ils firent le tour du bâtiment et arrivèrent à leurs véhicules.
— Elle n’a pas confiance en moi.
Et c’était bien le comble. N’ayant plus rien à offrir à une femme côté prouesses physiques, il n’avait plus qu’un lien émotionnel à proposer… et il foirait également sur ce tableau. Pas de pot, encore une fois. On ne pouvait pas dire qu’il avait beaucoup d’expérience en matière de relations. Jack avait toujours recherché des femmes qui n’étaient pas intéressées par un engagement à long terme. Sa dernière relation en date, une substitut du procureur, tenait plus d’une sex-friend.
À l’époque, avoir les avantages du sexe sans les inconvénients du couple semblait une bonne idée. Compte tenu de ses horaires de travail particuliers, trouver du temps pour les rendez-vous romantiques s’avérait tout bonnement difficile. Et plus il prenait des années, moins il essayait. Sans compter que le boulot de flic s’accordait mal avec le mariage. La plupart de ses collègues traînaient au moins un divorce difficile derrière eux.
— Elle a de bonnes raisons d’être méfiante, déclara Sean en s’arrêtant devant son 4x4. Tu vas faire quoi ?
Jack vérifia l’heure sur son téléphone. Sa séance de rééducation, si elle avait eu lieu comme prévu, aurait pris fin dans une trentaine de minutes.
— Aller manger un morceau au snack et rentrer en faisant mine d’avoir rien vu. Tu as faim ?
— C’est n’importe quoi, rétorqua Sean en levant les yeux au ciel. Cela dit, si c’est toi qui invites, je suis partant.
Un quart d’heure plus tard, Jack refermait son menu et le rangeait derrière le distributeur de serviettes dans un box du snack-bar de Westbury.
— Je vais prendre un club-sandwich et un café. Merci.
La jolie brune se tourna vers Sean, qui n’avait pas eu besoin de carte pour choisir. En dehors d’un séjour dans l’armée, Sean avait vécu le plus clair de sa vie à Westbury, contrairement à Jack, qui venait seulement passer ses étés chez son oncle Danny.
— Je vais prendre une salade grecque et un thé glacé. Merci, Mary Ann. Comment va Robert ?
Elle nota la commande sur sa tablette.
— Il va bien.
— Passe-lui mon bonjour.
— OK.
Mary Ann fila transmettre la commande aux cuisines. La gargote n’était pas pleine, et elle semblait être la seule serveuse pour l’heure. Rien d’inhabituel. Le patron, Carl Johnson, était connu pour surmener ses employés.
Jack balaya la salle du regard. À la table voisine, Ray Gallagher, le gérant du supermarché, était assis avec sa femme et leurs trois petits garçons qui se disputaient un crayon. Au comptoir, Jeff Stevens lisait le journal en piochant dans une portion de frites. Avec une pointe d’agacement, Jack aperçut Will Martin dans un box de l’autre côté du snack, en compagnie d’un grand type aux muscles épais.
Jack capta le regard de Sean et hocha la tête en direction des deux costauds.
— Qui c’est le type avec Will Martin ?
Sean regarda sans bouger la tête.
— C’est son père, Frank. C’est lui le proprio du magasin d’alimentation animale.
Mary Ann accourut avec le thé glacé de Sean et la cafetière. Elle pivota pour remplir la tasse de Jack avant de filer à la table des Gallagher.
— Frank est un mec bien. Il sait parfaitement que son fils est un connard. Il s’en veut, expliqua Sean en vidant un sachet d’édulcorant dans son verre avant de le remuer.
Jack ajouta une minuscule dosette de crème à son café.
— Pourquoi ça ?
— Sa femme a fichu le camp quand Will était gosse. Frank a passé les dix années qui ont suivi à tirer une gueule de six pieds de long.
— La mère est jamais revenue ? demanda Jack en jetant un regard vers la table des Martin.
Leurs assiettes vides semblaient indiquer qu’ils avaient terminé leur repas et le père tournait la tête, probablement pour demander l’addition.
— Non. Je sais même pas si Frank a jamais eu de ses nouvelles.
Jack eut presque de la peine pour Will. Presque.
Se tenant à l’écart de Will, Mary Ann s’arrêta devant Frank et arracha un feuillet vert de son bloc avant de poser brusquement la fiche sur la table. Il y avait peu de risques que Will ennuie Mary Ann. Son mari était un ancien joueur de hockey professionnel bâti comme une armoire à glace.
Will se leva, laissant son père ramasser l’addition. Rien là d’inhabituel. Le vieil homme se dirigea vers la caisse à l’entrée du snack, suivi de son fils, qui reluqua Mary Ann comme elle passait près de lui dans l’allée étroite.
Au lieu de reculer, la serveuse, tenant la cafetière fumante entre eux, laissa entendre un petit hoquet dégoûté. Elle regarda Will et haussa les sourcils.
— Dois-je dire à Robert que tu lui passes le bonjour ?
Will se retourna, la mine amère, et rejoignit son père dans l’entrée.
Jack et Sean échangèrent un sourire complice.
Quelques minutes plus tard, Mary Ann apportait leurs commandes, qu’ils attaquèrent aussitôt. Jack plongea une frite dans le ketchup.
— Tu as eu l’occasion de te pencher sur le truc dont je t’ai parlé ?
Sean hocha la tête et s’arrêta, une fourchetée de salade à mi-chemin de sa bouche.
— J’ai mis quelqu’un dessus. Ça ne devrait pas prendre longtemps, c’est loin d’être des infos top secret.
— Ton gars gardera ça pour lui ?
— Te bile pas pour ça. Il y a pas plus discret, assura Sean.
Leur repas terminé, Jack ramassa l’addition et partit payer à la caisse avant de suivre Sean vers la sortie.
— Jack, vous avez une seconde ? appela Jeff Stevens qui s’était précipité après eux ; il adressa un signe de tête à Sean. Salut !
— Salut, répondit Sean en lui serrant la main. Merci d’avoir pris soin des chevaux de notre oncle pour nous.
— Y’a pas de quoi.
Jeff se tourna pour s’adresser à Jack.
— Je voulais vous parler d’une scène à laquelle j’ai assisté il y a une semaine ou deux. (Jeff baissa la voix pour leur décrire l’incident qui s’était produit dans le supermarché entre Beth et Will Martin.) J’ignore ce qu’il lui a fait. Je ne pouvais pas entendre, mais il la collait de très près. Elle ne pouvait pas bouger, et elle avait l’air dans tous ses états. J’ai pensé que vous voudriez le savoir.
Les mâchoires de Jack se crispèrent.
— Merci, Jeff. C’est gentil à vous de m’avoir averti.
Jeff hocha la tête et déverrouilla les portières d’une berline bleu foncé. Jack sentit la colère gonfler sa poitrine tandis que Jeff démarrait.
— Ce coup-ci, je suis bel et bien fumasse.
— On pourrait le tuer, dit Sean. Et garder ça pour nous.
Jack était sûr que son cousin plaisantait.
Sean fit un signe de tête en direction du parking et leva la main.
— Tiens, voilà Mike. Demandons-lui des détails sur le pervers du coin.
Le chef Mike O’Connell gara son véhicule de patrouille à côté du 4x4 de Jack et descendit de voiture.
— Quoi de neuf ? dit-il en ôtant son chapeau pour le jeter sur le siège passager.
Ses cheveux roux vif flamboyaient sous les rayons du soleil. Bien que déboutonné au col, l’uniforme marine de l’ancien lutteur universitaire se tendait sur sa poitrine massive.
— La première chose à faire, mec, c’est d’arrêter les haltères, s’exclama Sean en lui serrant la main. Ton cou est porté disparu.
— Toi par contre, grogna le policier, t’es toujours aussi gringalet.
Jack sourit. Du haut de son mètre quatre-vingt-treize, Sean dépassait son ancien camarade de classe d’une petite dizaine de centimètres, mais Mike avait quinze bons kilos de pur muscle de plus que lui.
— Si ces demoiselles ont fini de comparer leurs mensurations, je souhaiterais poser à Mike une question importante. Que sais-tu au sujet de Will Martin, du magasin d’alimentation pour animaux ?
Mike s’essuya le front du revers de la main.
— Oh, bon Dieu. Qu’est-ce qu’il a encore fait ce connard ?
— Intimidé mon intendante. Il lui fait du rentre-dedans. Il essaie de parvenir à ses fins par tous les moyens si tu vois ce que je veux dire.
— Martin est une brute, ça fait aucun doute. (La radio de la police se mit à grésiller dans sa voiture et Mike se tut quelques secondes pour écouter le message du central, avant de reprendre.) Je l’ai plusieurs fois rappelé à l’ordre au sujet de son comportement avec les femmes : pelotage dans la foule, allusions obscènes. Ce genre de choses. On a eu quelques plaintes verbales, mais jusqu’à présent personne n’a porté plainte contre lui. Il choisit bien ses victimes. (Mike soupira et se pinça l’arrête du nez.) Je vais lui remonter les bretelles. Histoire qu’il sache que je suis au courant de l’incident. Si elle accepte de porter plainte, appelle-moi. J’aimerais beaucoup mettre le grappin sur ce petit malin.
— Merci, Mike. Compte sur moi, répondit Jack en sachant déjà qu’elle refuserait.
Mike regagna sa voiture. Les deux cousins rentrèrent à la propriété où tout était calme. Laissant Sean à ses fils électriques et à ses jurons, Jack se mit en quête de Beth.
Il la trouva dans la cuisine, la cafetière à la main. Rangeant sa canne derrière la porte, il boitilla dans la pièce.
Les traits marqués par la fatigue, elle se versait un peu du breuvage fumant dans une tasse.
— C’est à peine si j’arrive à garder les yeux ouverts. Vous en voulez une tasse ?
Comme il acquiesçait, elle remplit une seconde tasse et la lui tendit. Il fit un geste en direction de la table en bois.
— Prenez une chaise. Je voudrais vous parler de quelque chose.
Beth s’assit à la table et Jack s’installa en face d’elle, afin qu’elle ne puisse éviter son regard. La cuillère qu’elle tenait pour ajouter du sucre à son café se mit à trembler.
Une pointe de culpabilité le saisit. Malgré cela, il se lança :
— Jeff Stevens m’a rapporté un incident intéressant aujourd’hui. Will Martin vous aurait ennuyée au supermarché il y a de ça quelque temps. Pourquoi ne pas m’en avoir parlé ? demanda-t-il en l’observant par-dessus sa tasse.
Beth avala une gorgée et fixa le fond de son mug.
— C’est juste qu’il n’a pas réellement fait quoi que ce soit, voilà tout.
— À en croire Jeff, Martin vous aurait coincée contre le frigo et vous aurait dit quelque chose qui vous aurait retournée. (Jack insista.) Que vous a-t-il dit, Beth ?
— Il a fait quelques commentaires vulgaires, répondit-elle vaguement.
— Lesquels ?
Ses mains se mirent à trembler de plus belle. Elle posa son café.
— Jack, je n’ai vraiment pas envie de les répéter.
— Est-ce qu’il vous a menacée ? (Tenant son silence pour un oui, Jack se contint pour ne pas hausser la voix.) Martin vous coince contre un mur et profère des menaces obscènes, et vous ne me dites rien ? Vraiment, Beth, c’est pas malin. J’en ai touché un mot au chef de la police, et il m’a dit que Martin avait déjà eu ce genre de comportement avec d’autres femmes. (Il lui attrapa la main à travers la table et la serra.) Vous pouvez porter plainte.
Jack ne fut pas surpris quand elle secoua la tête. Il soupira.
— S’il s’approche à moins de trente mètres de vous, je veux le savoir.
Elle hocha la tête, mais le doute et la déception se glissèrent dans la poitrine de Jack lorsqu’elle reprit sa main. Une fois de plus, elle le repoussait, lui et son aide.