Paris, jeudi 5 décembre
À 22 h 10, Margot débarqua à Roissy.
Elle s’était jurée de ne pas regarder dans la foule.
Espérer qu’Amédée se soit déplacé était ridicule. D’ailleurs, tout était ridicule, dans cette histoire. Un gros ours de commissaire mal léché, vivant avec une fiancée et un fils morts. Et elle, Margot Murât, belle et talentueuse journaliste, qui n’avait rien trouvé de mieux que de s’enticher de cette espèce de vieux bonhomme, doux dingue et dépressif. Belle mais conne, s’insulta-t-elle ! Et belle, tout était relatif. Au réveil, le temps de remettre en place tout ce qui était parti en couille durant la nuit, de reprendre l’ascendant sur ses cheveux et le contrôle de ses paupières, il ne s’écoulait pas moins d’un bon quart d’heure.
Bien plus de temps qu’il ne lui en avait fallu pour s’amouracher de son commissaire.
C’était trois ans plus tôt, presque au premier regard, genre coup de foudre. Bien entendu, elle le connaissait déjà, notamment à travers les médias, mais là, c’était leur premier tête-à-tête pour une interview. Il y avait eu son apparence, entre le simiesque
d’un King Kong et l’élégance d’un Kipling, et puis son intelligence, comme une sorte de trésor, d’asile inespéré. Oui, asile convenait parfaitement, car il y avait de la folie chez Mallock. Son côté iconoclaste et « ivre penseur » pouvait décontenancer les âmes sensibles.
Depuis, elle souffrait en silence, attendant la moindre occasion de voir son ours, de parler avec lui. À bien y réfléchir, ce n’était pas à lui qu’elle en voulait. Lui, il avait été correct, même un peu trop. Non, c’était elle, l’andouille, la nunuche de service encombrée par les élans insoumis de son cœur et les comportements ombrageux de son orgueil.
Pauvre petite Margot, se plaint-elle silencieusement en changeant son sac d’épaule. Appareils photos, ordinateur, batteries, ça pèse lourd pour une petite puce de reporter. Elle avance dans la salle des arrivées.
Malgré la promesse qu’elle s’est faite, elle lève un peu les yeux, tout en gardant la tête baissée, juste assez pour parcourir la foule des gens venus chercher leurs parents et amis, mais pas trop, qu’on ne voie pas qu’elle regarde, qu’elle espère.
Il n’est pas là, elle le sait.
Et elle en connaît toutes les raisons, même si ça ne la console pas pour autant. Son commissaire l’aime-t-il vraiment ? C’est ça, en fait, la seule question. Cette certitude lui manque cruellement. Parce qu’elle, elle connaît bien ce sentiment qui la force à relever la tête en espérant.
Elle fronce les sourcils, se mord les lèvres et accélère le pas vers la sortie la plus proche. Les portes automatiques s’ouvrent violemment, giflant son visage de neige et de vent.
Un homme se retourne, fasciné.
Margot Murât est vraiment très belle.