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— Ça n’avait rien à voir. Tu ne te rends pas vraiment compte, mais la Première Guerre mondiale a été un traumatisme bien plus grand encore. Dix millions de morts ! Et puis, ne t’imagine pas que l’opération Arc de triomphe s’est faite sans controverse à l’époque ! Toute l’histoire du soldat inconnu a été un sacré pataquès. Soixante-dix millions d’hommes avaient porté l’uniforme. Un million et demi de Français étaient morts et trois cent cinquante mille avaient disparu. En fait, ces « absences » se sont révélées un traumatisme encore plus grand pour les familles que la mort des victimes. À l’époque, on était encore très religieux et l’on considérait ces disparitions comme la condamnation à un néant au-delà de la mort. Et puis, c’était toute une nation sur plusieurs générations qui avait été ainsi rayés de la surface de la Terre. Ça allait du fils d’Edward Kipling à Louis Pergaud, en passant par l’aviateur Roland Garros ou des écrivains comme Péguy et Appolinaire. Alors, fallait faire quelque chose. D’après mes documents, le premier à en avoir eu l’idée fut un imprimeur responsable du Souvenir français, Aremis Francis Simon. C’était en 1916, la guerre n’était même pas finie. Le député de Chartres, Maurice quelque chose, avait peu après repris l’idée en y ajoutant le concept de soldat ordinaire. Il ne fallait pas prendre un gradé, mais quelqu’un qui symboliserait le paysan arraché à son champ pour défendre sa patrie. Je vous passe les détails mais, un an après l’Armistice, la Chambre des députés a adopté la proposition d’inhumer un « déshérité de la mort ».