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À la Maison des étudiants canadiens, Louise la réceptionniste me dit à peine bonjour. Madame Teissier m’évite et la directrice m’ignore. J’espère qu’il s’agit de paranoïa, et que c’est la lourdeur du mois d’avril qui leur fait remonter leur sentiment tendant vers la mort. Les cours à la Sorbonne reprennent la semaine prochaine, tout le monde semble s’accorder sur le fait que je vais retourner en classe après une absence de plus de trois mois. Aurai-je le moral nécessaire ? Affronter Renaud, j’ose à peine y penser, plutôt mourir. I wouldn’t mind going to London, I wouldn’t mind at all.

Ce sentiment de culpabilité me suit partout aussitôt que je m’étends sur mon lit. À l’état de veille, pourtant, je suis assez fort pour le repousser, mais le demi-sommeil ne m’épargne rien de cette douleur. Culpabilité de quoi au juste ? D’être capable de dire que l’université, j’en peux plus et que je ne veux plus jamais y mettre les pieds ? Peut-on me dire ce qui me pousse encore, dans mon esprit, à me dire qu’il me faille absolument y mourir ? Peut-être est-ce des parents, à qui je demande encore 150 $ toute les deux semaines, argent que mon père n’a même pas. Mentir, leur dire que je vais avoir une maîtrise très bientôt, alors que je ne fous absolument rien. Quelle déception ce sera, quel enfer ce sera pour moi. Cette culpabilité, suis-je donc obligé d’être autant éduqué ? Pourtant, cela ne me permettrait que d’être prof ; or, si tous les étudiants qui vont recevoir un diplôme de doctorat en littérature vont devenir prof, ils n’ont certes pas besoin de moi. En plus, je n’en peux plus de la MEC. Ici, le monde ne semble pas travailler trop fort non plus. J’ai même l’impression de ne pas être le seul à ne pas écrire mon papier de 100 pages. À moins que ce soit ça le secret. On a deux ans pour écrire 100 pages, une vraie risée. Ça te permet d’écouter la télé tous les soirs, de courir les chambres des filles de la MEC, de te vanter de tes exploits sexuels devant les gars, de t’impliquer dans le comité des résidants, en devenir le président (je parle de Lionel, le gros hétéro macho qui se vante chaque soir au salon Ostiguy que les filles sont à ses pieds et qu’il rentre très facilement sa bite dans leur plotte. Le comble, ça a été lorsqu’il disait que la fille d’hier, c’était incroyable, qu’il lui avait roté dans le vagin). Bref, ça s’appelle perdre son temps en grand. Au moins je peux me rabaisser sur le fait que plus la culpabilité est forte, plus je travaille sur mes écrits. Rien à voir avec l’université, toutefois. Ainsi la culpabilité ne m’a jamais été vaine. J’ose à peine imaginer ce que deviendrait ce sentiment de culpabilité si je n’avais pas au moins l’impression de ne point perdre mon temps en travaillant sur mes écrits. Suicide, alcool, drogue, quel enfer cela pourrait devenir. On arrive à comprendre tous les névrosés de la planète, des gens comme vous et moi, en vérité. Je lisais dernièrement que, derrière chaque artiste (Freud disait ça), il y a quelqu’un de malade dans la tête. Pas d’art sans névrose. Je ne peux certes pas dire que ce n’est pas vrai. J’ai vraiment cette impression de devenir fou, je ne suis certes pas stable mentalement. Sébastien m’aide beaucoup à retrouver le nord ; sans lui, je boirais chaque soir comme avant, atteignant le sommet de ma motivation à la deuxième bière, commençant à déprimer à la quatrième, devenant malade et déprimé pour mourir ensuite. Ainsi, après avoir voulu reconstruire le monde, il suffirait de s’étendre et mourir. Je suppose que c’est ça la grandeur de l’homme.

carole cadotte <138194788@archambault.ca>