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Il faut être bien conscient qu’une génération se régénère toujours ; ainsi, à notre tour, on va se faire rentrer dedans et rejeter à l’arrière-plan. Les boomers ont su se maintenir au-delà de dix ans, pourquoi pas nous ? Je ferais mieux d’élargir ma génération si je veux être un Dieu durable. En affirmant que tout ce qui vient après 1971 fait partie de la génération de l’an 2000, implique tout simplement que ceux qui sont nés après 1981 ne seront pas rejetés et entraînés dans des mécanismes infernaux, ou des dédales comme les institutions scolaires, et ce jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ainsi ils seront une partie intégrante de nos sociétés, on saura bien voir à leur éducation avec des méthodes plus adaptées. Ceux nés durant les années 70, supposés trop jeunes pour prendre part aux années 70, ont été en plein développement durant les années 80, et ont découvert tout leur potentiel créatif durant les années 90. Cela, pour enfin éclater au grand jour au tournant du deuxième millénaire. Ce qui signifie qu’autour des années 2010, nous devrions être en contrôle de tout. Un tout qui aura été repensé graduellement de A jusqu’à Z. Même si nous voulions que ça se passe autrement, la seule chose que l’on réussirait à faire, c’est de retarder l’avènement de ce qui doit venir.
Bienvenue tout le monde ! Pas de discrimination dans notre génération, on vous accepte tels que vous êtes ! Drogué, alcoolique, cancéreux, travesti, prostitué, vieux ! On vous légalise et on vous aidera à vous en sortir, si vous le désirez. Si vous vous complaisez à continuer à vivre comme vous le voulez, on vous aidera encore si cela devait causer du tort à vous ou aux autres. Je souhaite la bienvenue même à ceux qui sont tout à fait conformes à la majorité des gens qui vivent sur cette planète. Mais attention, on ne voit pas votre cœur, mais on sait que vous n’êtes pas plus parfaits que tout le reste. Alors, avant de condamner, on va s’aérer l’esprit. On ne condamne que si ça cause du tort à autrui d’une manière directe. Cela peut déjà s’interpréter de mille et une façons, et déjà je pressens les débats insupportables. Il est difficile d’arriver quelque part, cela exige-t-il nécessairement un paquet de règlements et de lois ? Liberté ! Allez en ce sens au moins. Et ne pas discréditer trop vite. Il est parfois nécessaire de revenir sur ses opinions. On aurait tendance à croire que dans nos sociétés changer d’opinion est impossible. Tu as tellement parlé pour telle ou telle chose que reculer n’est plus possible. Ce qui serait dangereux. La honte et l’orgueil sont causés par la critique et les jugements. La flexibilité des idées et des décisions, cela est un bon point à approfondir. Les institutions coulées dans le ciment pour 100 ans, cela n’existe plus. Des mentalités sociales complètement fermées, centrées sur elles-mêmes, c’est un génocide pour l’humanité. Des limites, des barrières, des règlements, des lois, des catégories, autant de bornes à faire sauter si on veut aller quelque part. Et voilà la vraie question, où va-t-on ? Quel est le but de notre existence ?
Ça fait je ne sais plus combien de millénaires que l’on se perd à tenter de répondre à cette question. Pour ma part, pour avoir longtemps voulu mourir, je crois que la motivation à vivre serait déjà une bonne chose. La motivation implique que nous soyons heureux, et puis il y a l’expérience à acquérir. Tout devient relatif, je serais tenté de dire qu’il suffit d’avoir l’impression d’évoluer ou d’avancer. L’intuition donc. Ne plus sentir la stagnation nous ronger, attendre des années avant d’agir, de confronter les problèmes, de construire. Motivation et expérience, qui conduisent à l’évolution et la plénitude.
Tout ceci peut être contredit et faux pour une majorité de gens. Il le faut ! Parce qu’il ne faudrait jamais que quelqu’un puisse se lever et affirmer : « Voici le but de votre existence, voici ce que vous devez faire de votre vie. » Combien de critiques ou de juges biaisés ont détruit quantité de vies ? Ayons conscience que l’analyste ne détient aucune vérité, pas plus que le curé qui réussit à faire jeter sur le pavé une génération de gens différents, en pompant une autre génération sur ce qui est bien ou mal, acceptable ou non. Il appartient à chaque humain de croire en ce qu’il veut et de faire ce qui lui plaît. En aucun cas il ne faudrait les rejeter de la communauté, car alors on crée des points de non-retour, et il devient surhumain de se retrouver là-dedans. Me voilà en train de réécrire la Bible, ce livre de lois qui a été, Dieu merci, quelque peu oublié. Tout est toujours à remettre en question.
Je suis assis à l’heure actuelle sur une poubelle de Harrow Road dans le W9 de Londres. Voici d’où provient cette morale soudaine du dimanche matin. Ce quartier pauvre, à majorité composée d’immigrants, des Noirs, des Arabes et des Indiens, je m’y sens chez moi. Je mets au défi quiconque qui aurait fait des études universitaires de marcher dans cette rue tous les jours en se sentant à l’aise, sans avoir l’impression que la fin du monde lui tomberait sur la tête si quelqu’un l’accostait pour lui parler. Il est tellement bien de pouvoir marcher sur une rue sans se sentir jugé. J’ai mes souliers et mes jeans troués, personne ne me dévisage ; au contraire, je suis partie intégrante de leur univers. Dieu sait comment au début je me sentais bizarre, que je regrettais d’habiter dans un bâtiment où il n’y avait que des étrangers, la peur de ces étrangers. Cette peur qui fait qu’il existe un paquet de lois pour les empêcher de venir jusqu’ici, et les empêcher de respirer une fois qu’ils sont ici. Je ne suis pas européen, alors je n’ai aucun droit en Europe, voué à mourir pauvre. Encore chanceux que je sois un immigrant du Canada et que j’aie eu la chance d’étudier. Éventuellement peut-être, je rencontrerai cette personne qui n’a pas trop de préjugés ou qui sera désespérée, et qui aura besoin d’une personne qui connaît bien le français. En autant que je pourrai lui prouver que je parle bien l’anglais, ce qui n’est pas certain du tout. On en a encore du chemin à parcourir. J’habite un bloc construit pour ceux qui sont sur l’aide sociale, mais qui a été vendu en partie à des particuliers, qui à leur tour nous louent les appartements pour trois fois le prix que ça devrait coûter. Néanmoins, il n’y a pas de honte à être pauvre et je suis heureux.
Le premier sens de Génération, selon Le Petit Robert, c’est : Action d’engendrer. Production d’un nouvel individu ; fonction par laquelle les êtres se reproduisent. Le deuxième sens : Espace de temps correspondant à l’intervalle qui sépare chacun des degrés d’une filiation (évalué à une trentaine d’années). Le troisième et dernier sens est celui qui nous concerne : Ensemble des individus ayant à peu près le même âge. Ainsi une génération pourrait bien se calculer à deux ou trois années près, et offrir à l’humanité une multitude de générations. Sans compter que les jeunes en Amérique sont très différents des jeunes en France ou en Angleterre. Sont-ils de la même génération, alors ? Tout bien compté, une génération, c’est bien relatif. But who cares ? On ne fait pas de la philosophie ici, on doit parler pour voir si quelque chose peut en ressortir. Ainsi, situons notre génération de ceux qui sont nés entre 1971 et 1981, mais ce serait encore se limiter. Ceux qui sont nés après 1971, jusqu’à ce qu’un autre Dieu se rende compte que ça ne fonctionne plus et qu’ils n’ont plus rien à voir avec nous. C’est leur droit. Si nous n’avons qu’un seul devoir, c’est de faciliter l’avènement de la génération suivante, comme nous mettons au monde un enfant en tentant de l’élever du mieux que nous pouvons. Je parlais avec William à Paris, il y avait trois enfants chez lui. Ils avaient des parents tellement stricts et conservateurs, que l’explosion a été inévitable. La première s’est rangée, après une vie de prostitution et de drogue. Le deuxième est en prison. Et William, lui, me semble bizarre, mais comme il était le troisième, les parents ont fini par comprendre que, plus tu veux tenir une génération en laisse, plus l’explosion est forte, et plus vite tu te ramasses aux vidanges. La génération X en a mis du temps, la génération qui nous suivra sera probablement plus rapide à agir. J’ai bien envie d’être le Dieu de la génération suivante, en la nommant tout de suite. Voyons voir, il faudrait l’appeler la génération Z. Oui, ce me semble très bien et c’est inoffensif. Mais je ne m’inquiète point avec eux, ils trouveront eux-mêmes le nom qui les caractérisera. Il était facile de nommer la génération X, tout était déjà accompli et il suffisait d’y accrocher l’étiquette qui la caractérisait déjà. Le problème avec ma génération, c’est que rien ne la caractérise encore, puisque tout est à construire. Son nom sera sans doute changé plus tard. Tout ce que je sais pour l’instant, c’est qu’elle ne se caractérisera pas par un titre qui signifie à peu près Génération perdue ou sacrifiée. Car si je comprends bien, la génération X est à la remorque des boomers. C’est-à-dire que les boomers se sont donnés un idéal à atteindre, que plus ou moins tout le monde a essayé d’atteindre, et que plusieurs ont atteint. Le problème des Xers, c’est qu’au lieu de tout remettre en question, ils ont voulu atteindre le même idéal. Quelle erreur, c’est bien évident que si une dizaine d’années suffit à changer bien des choses et faire profiter une nouvelle génération, cela prend plus qu’une dizaine d’années pour déloger une génération qui a eu le temps de voir longuement à l’avance ce qu’elle voulait faire de sa peau. C’est pourquoi la nouvelle génération devrait voir à se construire un nouvel idéal à atteindre, quitte à ce qu’il soit insensé et impossible à atteindre. Ce genre de paradoxe est à la base de chaque religion, on assure ainsi l’impossibilité de s’asseoir un jour et de dire que tout est accompli et que l’on peut enfin être heureux. N’est-ce pas aberrant d’être obligé d’attendre d’être riche pour être heureux ? Encore plus aberrant, j’ai rencontré un gars l’autre jour, ex-coiffeur, il disait qu’il avait accompli ses deux rêves et que maintenant il prenait la vie relax et attendait la mort. Ainsi il s’est payé une vieille voiture en décomposition et a organisé une journée charité où il a cuisiné un gâteau gigantesque digne du Guinness. Après cela, il a quitté son emploi, a été décrété incapable de travailler par un ami médecin, et passe le clair de son temps à travailler bénévolement pour une petite communauté d’Ottawa. C’est très charitable, mais ça fait pitié. Mais qui suis-je, moi, pour le juger ? D’un autre point de vue, la société le paie pour qu’il fasse du bénévolat. C’est encore mieux que d’autres qui écoutent la télé à la place. Encore qu’écouter la télévision génère énormément de profits à divers niveaux, pour ceux qui s’activent de l’autre côté de l’écran. Ce que je veux dire, c’est : pourquoi faut-il avoir un idéal à atteindre ? Cela devient complexe. Sans finalité, la vie devient inutile et ennuyante. Car il n’y a plus de motivation à l’existence. Et puis, être propriétaire d’une grosse industrie ou être une personne d’affaires ou être riche, le rêve américain, je ne suis pas convaincu que ce soit une chose nécessaire à la prochaine génération. Aucun doute, c’était noble et louable, ça a fait ses preuves et ce sera difficile de se débarrasser de ces idéaux. Mais ils appartiennent à une autre catégorie de personnes, et ne nous sont certes pas destinés. Je suis bien trop jeune pour trouver un emploi à l’heure actuelle. Les exemples se multiplient : si quelqu’un a 35 ans, il est considéré comme jeune. Tim Burton vient de nous produire une série de succès dont Batman et The Nightmare Before Christmas. On applaudit d’autant plus fort qu’il n’a que 35 ans ! Même chose pour Cyril Collard. Un film culte, un prodige du cinéma français par un des plus jeunes producteurs. Il a enfin réussi à produire sa première œuvre, quatre Césars trois jours après sa mort. Bon Dieu ! Il avait déjà 35 ans, il était à la fin de sa vie, ça lui a pris tout ce temps parce qu’il lui était impossible d’arriver quelque part en étant « aussi jeune ». Ma surprise, c’est d’entendre qu’ils sont si jeunes, et d’apprendre ensuite qu’ils ont 35 ans. Regardez les statistiques, ils sont très nombreux ceux qui n’atteindront pas les 40 ans. Ce n’est pas normal de n’avoir aucun producteur de cinéma en bas de 25 ans. Ce n’est pas normal de considérer comme des arriérés qui ne connaissent rien des étudiants aux études supérieures qui sont dans la vingtaine. Réveillez-vous, eh ! Il ne faut pas faire l’erreur des Xers, se laisser convaincre que l’on est impotent avant d’avoir atteint 40 ans. J’aurais plutôt tendance à dire qu’au-dessus de 40 ans, ça commence à être inquiétant. On devient coincé, borné, on ne voit plus clair, on s’englue dans les traditions et la routine du quotidien. Tout ce qui existe autour devient menaçant ou on l’ignore tout simplement. Un changement quel qu’il soit, même si c’est pour améliorer bien des choses qui auraient dû être améliorées depuis longtemps ? No way, ça risque de se retourner contre nous. Il faut rester en contrôle de notre petit univers, et un changement quel qu’il soit risque de tout débalancer, si l’on s’appuie sur la théorie du chaos. Je ne suis pas trop jeune, je ne suis pas un crétin, je ne suis pas sous-évolué, et même si j’en sais moins que vous dans bien des domaines, je suis peut-être mieux que vous à bien des niveaux. Je peux apprendre n’importe quoi, du vendeur de cochonneries à l’administrateur qui accomplit de multiples tâches. Vous seriez peut-être surpris de voir comment la jeune génération est d’autant plus performante qu’elle s’adapte beaucoup plus rapidement que la vieille, tout en étant très versatile (versatile dans un sens positif). Les grandes écoles et les universités, qui n’en finissent plus d’exiger des travaux inutiles que les professeurs reprennent à leur compte, c’est l’idée la plus diabolique des boomers. Ça nous garde dans l’ombre pendant trente ans, pour constater ensuite que tu n’es rien et que tu es incapable de faire quoi que ce soit. Et cette idée aussi de devoir prendre des notes que le prof pourrait nous donner. Écouter en classe serait mieux que la panique de tenter de tout écrire sans réussir, et sans écouter. Ils réussissent après tout ce temps à te convaincre que tu seras toujours en bas de la hiérarchie, et sous les ordres de quelqu’un d’autre de plus expérimenté, connaisseur et intelligemment supérieur. Comment se convaincre du contraire, après s’être fait marcher dessus pendant 25 ans par des professeurs et des directeurs de maîtrise et tout, te laissant piétiner, détruire toute nouvelle idée constructive et créatrice, tout cela parce que tu voulais de bons résultats pour continuer à aller plus loin, pour avoir le diplôme supposé t’ouvrir toutes les portes ? Un esti de bout de papier qui ne sert pas à grand-chose, croyez-moi. C’est bien certain qu’il faille revoir a cela, ces institutions. Sursaturation des marchés, et que fera donc ma génération si ce qui reste va aller à la génération X ? Pensez-vous qu’ils ne vont pas se battre eux aussi pour nous écraser, nous les plus jeunes qui n’avons jamais encore respiré l’air libre ? Ils ont créé une discrimination implicite, tout ce qui est jeune est con et imbécile. Ne venez pas me dire le contraire. Il faudrait donc aussi se tenir les coudes et faire notre propre discrimination. Ainsi, dites-le-vous bien, tous ceux qui sont vieux (ceux qui ne sont pas de notre génération) sont les pires hypocrites qui existent, de grands menteurs, de grands parleurs, de petits faiseurs, des bornés qui n’ont pour seuls intérêts que les leurs. N’ayant vu que ce à quoi ils ont été habitués, ils sont donc incompétents pour bâtir les nouvelles institutions que la planète aura besoin de se construire pour affronter le nouveau millénaire. On peut faire confiance à la génération X, il sera impossible de ne pas travailler avec elle, et eux-mêmes ont encore l’impression que nous faisons partie de leur génération. Mais attention, ils ont bien l’intention de recréer le même fossé entre eux et nous. C’est comme ça que l’on construit une génération. Ça semble immoral une fois écrit, mais ces choses sont partout présentes implicitement dans la société qui nous entoure. La guerre est ouverte.
carole cadotte <138194788@archambault.ca>