60
Ils ont commencé à me faire chier, bien que la nouvelle femme de mon père était déjà en action bien avant que je n’arrive. Elle est maître chez elle et dictatrice de la maison. Il me faut gratter la neige dans la cour, faire mon lit dès mon lever, faire ma vaisselle dans les cinq minutes qui suivent l’absorption de la bouffe. Là, je dois juste aller porter ma demande d’admission à l’Université du Québec à Chicoutimi, elle m’a fait tout un sermon sur le fait que je veuille prendre la voiture. Je n’ai qu’à prendre l’autobus, comme sa fille. Elle, sa fille, prend la voiture tous les jours pour aller au travail. Pour qui se prend-elle ? J’ignore le système d’autobus ici, je viens d’arriver. Ce n’est pas comme si je devais aller à l’université tous les jours, d’accord pour prendre l’autobus dans ces cas. Mais là je ne sais pas comment m’y rendre et j’y vais juste aller-retour. En plus ce n’est pas ma seule destination, vais-je me payer une journée dans les autobus de la ville dont je ne connais rien, alors que pour cette première journée je n’ai qu’à déposer mon père au bureau ? D’autant plus qu’ils viennent de payer 328 $ pour l’assurance automobile pour un an pour moi, et là ils veulent que je me sente coupable parce que sa fille, elle, ça coûte juste 68 $ d’assurance. Je me bute à tout dans cette maison parce qu’il y a toujours ce petit oisillon pur qui fait tout comme il faudrait. Ma nouvelle demi-sœur, la pure, l’innocente, la Vierge Marie. Elle ne boit ni café, ni bière. Elle ne sort jamais, elle étudie sans cesse. Elle fait la vaisselle de tout le monde comme si rien n’était, même si elle ne mange pas. En plus, elle a gratté la neige tout l’an passé alors qu’elle prend rarement la voiture. Elle a la chance d’avoir un copain, Valois, qui a une voiture. Alors ça me bloque complètement. Moi je n’ai droit à rien car madame n’y a pas droit. Eh bien, ça me fait chier, car je perds des droits que j’ai toujours eus avec mon père. Comme prendre la voiture de temps en temps, bon Dieu ! Et l’autre, la despote, j’ignore comment elle a pu avoir une fille aussi merveilleuse, mais si elle veut régner dans la maison, moi, il va falloir que je christ le camp. Ce qu’elle ignore, c’est que si j’achète une voiture ou si je déménage, comme je suis toujours aux études, c’est mon père qui paye si je n’arrive plus dans mes comptes. Elle devrait réfléchir. Je ne suis pas sa petite fille qui habite sous le giron maternel depuis des lustres. S’il me faut sacrer le camp, je vais le faire. Je ne tolérerai pas toutes ses petites manigances et ses commentaires. Je n’ai pas 19 ans, fraîchement débarqué à l’université comme sa fille. J’ai 23 ans, et mon père à cet âge avait un enfant et habitait la ville de Québec. Ma sœur à cet âge construisait sa maison. C’est terrible comment des gens qui paient leur maison en profitent pour faire de nous des esclaves, sous prétexte que l’on ne paie pas. Je n’ai pas que cela à faire, leur vaisselle, leur ménage, gratter la cour et les dorloter. C’est chacun notre tour à faire à souper. Or, je suis végétarien. Je ne vais pas commencer à leur faire leur repas, il faut déjà que je fasse le mien et il diffère du leur. Ce qui me fâche, c’est son hypocrisie. Ces petits commentaires toujours porteurs d’un message. Et ses paroles dans notre dos après, pour laver le cerveau de mon père contre ma volonté. Il est impensable que je reste ici trop longtemps, je fais peut-être une erreur en m’inscrivant à Chicoutimi. Je crois que je devrais tenter ma chance ailleurs, comme à Montréal. Elle est devenue fatigante, elle exige que je mange lorsqu’ils mangent. Elle est prête à faire sa crise à tout moment. Comment m’en sortir ? Chaque problème a une solution, mais le problème, c’est que ce problème est bien délicat. J’ai peur que déménager chez ma sœur m’apportera les mêmes problèmes, et que prendre un appartement m’amène au bord du gouffre financier. Bref, j’ai peur que la seule solution soit de plier et de devenir l’esclave du tyran. Elle a déjà dompté ses deux autres brebis, mon père et sa fille. J’espère qu’elle n’ambitionne pas trop dans mon cas, car j’ai bien l’intention de me rebeller.
carole cadotte <138194788@archambault.ca>