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Sébastien est encore sorti dans un bar tapette d’Ottawa hier. Il a été au restaurant Mother Tucker, a dû manger un gros steak, il a reçu des roses aujourd’hui de ses amis, ils lui ont payé un danseur nu hier. Ça m’a mis en christ. Tu vas dans une salle en arrière avec le gars et il te fait un strip-tease. J’ai une certaine misère à croire que ce strip-teaseur ne te touche pas, j’ai longtemps entendu parler que c’était du sexe, que tu pouvais les toucher et les sucer. Sébastien me dit tout ça et il s’imagine que je vais rire. Ça me donne juste envie de coucher avec le premier du bord. Quel est donc le problème de ses amis ? Il part pour quatre mois, c’est pas la mer à boire ! Un strip-teaseur, pourquoi pas un prostitué ? Quel genre d’amis a-t-il ? Ils veulent accélérer notre rupture ? Ça va marcher, parce que moi les sacrifices inutiles j’en ai plein mon casque. Je ne sors pas au Queen parce que mon Sébastien paniquerait, il sort deux fois en deux semaines, il se fait même payer un strip-teaseur. Le sacrifice est inutile, j’aurais mieux fait de coucher à droite et à gauche, profiter de la vie. Come on Antonin et Franklin, Maurice, Renaud, André et Cie. Je me demande pourquoi Sébastien vient en France, il devrait rester là-bas, je serais enfin libre de faire ce que je veux. Considérerais-je de le laisser ? Je suis peut-être juste un peu trop sur le coup de ce téléphone. Il ne voulait pas me le dire, qu’il dit, foutaise, il sait très bien que je l’aurais su. Il me fait dégueuler, il ne me dit que ce qui n’est pas dangereux que je sache. Pensez-vous qu’il n’a rien à se reprocher depuis trois ans et demi ? Ça vaut la peine que je ne m’arrête pas de vivre, parce que je sais bien qu’il n’est pas un tronc d’arbre et que le sacrifice est inutile, il conduit à la jalousie et à la destruction. Sébastien avait bien honte en sortant de la petite salle avec l’autre qui devait être d’une beauté effrayante. J’espère que c’est effectivement le cas, moi je suis loin et je n’existe plus. Ce soir j’ai envie de sortir, destination Champs-Élysées, le Queen.
J’ai bien envie de raconter ma rencontre d’hier avec Anne Hébert, mais je suis trop en maudit et je détruirais tout le monde, les méprisant à tort pour ce qu’ils ne sont pas. Une petite journaliste téteuse de Radio-Canada entre autres, un autre con d’un journal quelconque. Le délégué aux Affaires culturelles de la Délégation du Québec, un esti de snob qui ne voulait même pas s’abaisser à me serrer la main quand le mari de la directrice nous a présentés. Heureusement que tout s’est bien déroulé avec Anne, elle va effectivement devenir ma grande amie, ainsi que son petit ami de 22 ans, André. Il s’est précipité sur moi après la conférence pour me demander d’où me venait ma passion pour Anne Hébert. J’ai eu l’air de connaître son œuvre en long et en large, trois misérables questions qui ont impressionné tout le monde et qui m’ont ouvert toutes les portes. L’éditrice du Seuil, section auteurs québécois, me regardait lumineusement et m’a donné le nom et le numéro de téléphone de la femme à qui je dois téléphoner au Seuil pour faire déboucher mon idée de scénario. Elle m’a dit qu’elle croyait que je n’aurais pas de problème, je connais tellement l’œuvre d’Anne. La pauvre Anne m’a fait pitié. Elle a le goût de vivre, un intarissable sourire, elle m’a semblée bien seule. Elle voulait mon numéro de téléphone et mon adresse, elle veut me rencontrer, moi qui espérais pouvoir au moins lui parler. J’ai été la vedette de la soirée, j’ai volé la vedette à Anne ! Sans trop vouloir m’imposer pourtant, on m’a emmené directement au milieu. J’avais ma future éditrice en face de moi (sic), Anne de l’autre, mon futur copain André (sic), sa vieille tante (sic) libraire qui a reçu Anne la première année qu’elle est arrivée à Paris. Et tout ce beau monde, je vais les revoir. Si c’est vrai qu’il faut être pistonné pour arriver quelque part, voilà ma chance.
carole cadotte <138194788@archambault.ca>