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On vit ou on se fait enfermer comme Nelligan. On est Rimbaud ou on est Nelligan. Et moi je suis Rimbaud. Moi, je vais aller le plus loin possible de mon passé, le plus loin possible de mes problèmes, le plus loin possible de ma misère. Paris en dernière position, il est rendu bien bas dans mon estime, mais il est encore sur la liste. Plus que quatre jours pour prendre une décision. Je crois que je vais compter les minutes. Si je pars, je crois que je ferai mes bagages à l’insu de tout le monde et je leur annoncerai à la dernière minute. Ma décision sera prise sur un coup de tête. Combien de temps pourrai-je survivre avec 2,000 $ ? Juste le temps de me trouver un emploi qui me permettra de payer la chambre où je serai. New York me semble être le plus sécuritaire, je peux habiter chez Ed pendant trois semaines sans problèmes. Ça me laissera le temps de chercher quelque chose, rencontrer du monde, insister pour que l’on m’aide. Il me faut encore aller manger chez ma mère, c’est le jour du nouvel an. Encore un repas demain matin chez les grands-parents, un autre demain soir chez mon père. J’en ai ma claque ! Les études, j’en ai ma claque !
Dans deux heures ce sera le nouvel an. Je suis seul, comme un ver de terre au milieu d’une autoroute. Thomas, mon nouvel intérêt, fête avec ses amis et je ne suis pas invité. Je peux comprendre pourquoi, je ne les connais pas suffisamment. Et Maurice, son copain, ne comprendrait pas la motivation de Tom à m’inviter. Mais Tom n’a sûrement pas l’intention de m’inviter de toute manière, parce qu’il me juge comme une menace, surtout quand Maurice est là. J’ai téléphoné le Sébastien cependant. Son histoire est qu’il a couché chez Gordon, car ils sont sortis hier et le colocataire de Gordon avait trop bu pour le reconduire. Je suis cave de croire une telle histoire. Que voulez-vous ? Il a tellement été négatif, je n’ai plus grand-chose à espérer de lui. Il ne montre aucun désir de me voir revenir avec lui. Il dit qu’il veut d’abord la stabilité. Ensuite, qu’il faudra que des choses changent. Si je repars d’ici, je ne reviens plus jamais. Il semble si difficile de se décider à partir, alors qu’ici rien n’arrivera. Comment ai-je pu devenir aussi négatif ? Pourquoi je crache tant sur la région ? Je ne comprends pas. Demain je penserai peut-être autrement. On dirait que j’hésite à entrer dans le moule, hésite à me dire que ce ne sera pas si mal. Mais lorsque chaque matin tu te réveilles et que le mal de la région te prend aux tripes, je me demande si ça se guérit.
carole cadotte <138194788@archambault.ca>