Au terme de cet examen de la guerre romaine, nous pouvons à présent la définir avec ses spécificités et réunir toutes les raisons qui expliquent les succès de celle qui fut, à cette époque, la meilleure armée du monde. Et, pour éviter tout excès d’enthousiasme, il faudra aussi rappeler qu’elle a fini pas sombrer, comme toutes les choses de ce monde. Pourquoi ?
Avant de répondre à cette question, il convient de synthétiser notre tableau de la guerre romaine. Ses caractéristiques sont nombreuses, et il est tentant de dire, pour commencer, qu’elle eut autant d’importance pour l’empire que la paix du même nom.
Quand les Romains étaient contraints à la guerre, ou quand ils s’y contraignaient, ils savaient mettre en œuvre des moyens extraordinairement complexes qui préparaient les succès tactiques. Ils avaient développé à un point jusqu’alors jamais atteint les services, la logistique, le génie, le renseignement, les transmissions et le train ; à toutes les époques, il leur fallait des prêtres, leurs aumôniers ; sous le Principat, ils ont créé et développé un service de santé. Ces moyens leur permettaient de s’engager dans des conflits avec un maximum de chances de succès. C’est ainsi que les légionnaires savaient tracer des routes, bâtir des ponts, construire des camps très bien défendus et manier l’artillerie qui était mise à leur disposition. Ce savoir, allié à un matériel de très bonne qualité, leur permettait d’aborder le combat dans les meilleures conditions possibles ; ils achetaient en effet des armes excellentes.
Au niveau tactique, ils déployaient des talents exceptionnels. Et ils connaissaient à peu près toutes les formes de combats actuellement pratiquées. S’ils préféraient la bataille en rase campagne, plus conforme à leur sens de l’honneur, ils ne négligeaient pas le siège, peut-être moins prestigieux, mais assurément plus avantageux, car il économisait le sang romain. Ils savaient pratiquer la gesticulation, le combat en milieu urbain, en montagne, la bataille de nuit, des formes primitives de guerre biologique et chimique, la contre-guérilla et le combat naval. Leur efficacité se constate dans le domaine de la contre-insurrection : ils ont toujours vaincu les peuples révoltés. Ils réprimaient avec la dernière férocité les insurrections des provinciaux. Mais ils savaient aussi que la violence ne règle pas tous les conflits à long terme ; et, s’ils ont massacré sans pitié les hommes qui se dressaient contre eux, ils ont réussi ensuite à séduire les civils en leur offrant les charmes de la paix romaine, de la romanité, du confort et de leur civilisation.
Ces aspects de la tactique étaient au service d’une stratégie sans doute empirique dans une large mesure, mais qui n’en existait pas moins, bien que ce point ait été contesté. Quoi qu’on en ait dit, elle servait un impérialisme plus ou moins bien assumé, assurément, hypocritement présenté comme une aide et une assistance aux petits peuples, et aidé par des formes élémentaires de géostratégie. Ce n’était pas une « grande stratégie », mais une « petite stratégie », car les moyens de la connaissance étaient limités ; mais ils existaient. Elle visait à pratiquer de préférence la grande guerre (guerre conventionnelle ou de haute intensité), qu’ils aimaient mieux sous la forme du Blitzkrieg, et ils n’ont même jamais pensé aux guerres illimitées ou totales, trop cruelles à leurs yeux. Ajoutons qu’ils n’ont pas envisagé, non plus, d’imposer par la force ni leur religion ni leur culture.
Le plus difficile pour eux, surtout, c’était de combiner les guerres offensives avec la morale. En effet, puisque les mentalités collectives considéraient la guerre comme un mal et la paix comme un bien, ils n’auraient dû faire que des guerres défensives. Le droit et la religion leur imposaient des garde-fous, et leur ont évité bien des conflits ; en revanche, même s’ils se sont occupés de ce genre d’entreprises, les philosophes ont peu apporté et peu intéressé le public (leur pensée est résumée dans les écrits de Cicéron). Tous condamnaient surtout la guerre civile, abominable à leurs yeux, ce qui ne les a pas empêchés de s’y adonner. Évidemment, ils sont parfois passés à l’offensive : quand il le fallait, ils s’arrangeaient avec les dieux. Ils y étaient poussés par les circonstances, car pour eux « la guerre n’était que la poursuite de la politique par d’autres moyens ». Il fallait parfois exercer des représailles et un conflit préventif ne pouvait pas être exclu, de même qu’une guerre de précaution, qui les amenait à prendre un territoire avant qu’un voisin ne s’en empare.
La stratégie de Rome, ne l’oublions pas, s’appuyait sur des actions politiques et diplomatiques et sur une économie prospère. Elle leur a permis de mettre en place sous le Principat une organisation largement défensive, à base de forteresses reliées par des routes, appuyées parfois (parfois seulement) par des défenses linéaires, naturelles (Rhin, Danube, etc.) ou artificielles (murs d’Hadrien et d’Antonin en Bretagne, mur du Diable en Germanie, etc.). C’est ce que les modernes ont appelé à tort, car le mot latin n’a pas ce sens, le « limes ». Petit à petit, ils ont entouré leur empire non pas d’une barrière continue comme on l’a écrit, mais d’un ensemble complexe de défenses ponctuelles, reliées par des routes et parfois appuyées par des défenses linéaires.
Pour remporter le succès, quelles qu’aient été les circonstances, il leur fallait une bonne armée. Celle qu’ils avaient était assurément exceptionnelle, mais elle avait aussi ses défauts.
L’armée romaine possédait beaucoup d’avantages.
En premier lieu, les Romains disposaient d’un instrument de guerre excellent. La valeur de l’armée a été renforcée grâce à trois moyens : la division en unités, la hiérarchie et le recrutement. Les anciens, notamment Frontin et Végèce, admiraient cette répartition en trois sortes de corps : la garnison de Rome, l’armée des frontières composée surtout de légions et secondairement d’auxiliaires, et la marine1. Les mêmes auteurs jugeaient excellent le fait que les cadres aient été nombreux (et compétents), car les hommes étaient tous surveillés de près au combat. Enfin, le recrutement de qualité donnait des soldats de qualité, comme l’a bien relevé notamment Flavius Josèphe.
En second lieu, le soldat était très bien préparé à la guerre. La pratique de l’exercice, conçu comme une formation à la fois initiale et continue, comme une discipline (sens premier du mot), une science indispensable pour l’obéissance au combat, pour la discipline (deuxième sens du mot), a retenu l’attention des anciens et des modernes. Même si tous les peuples de l’Antiquité pratiquaient au moins un peu l’exercice, aucun n’a atteint le degré de perfection des Romains dans ce domaine.
Le principal se trouve peut-être ailleurs. L’explication des succès de l’armée romaine tient, à notre avis, à une question de mentalité collective, une étonnante adaptabilité. Nous avons vu plus haut combien les Romains étaient respectueux des coutumes. C’est que les hommes de l’Antiquité étaient, comme tous leurs semblables jusqu’à la Renaissance, fondamentalement conservateurs. Un exemple illustrera ce propos. Pline l’Ancien, envoyé comme procurateur en Gaule pour y administrer les finances impériales, découvrit que les habitants de cette région avaient inventé une moissonneuse extraordinairement efficace. Il la décrivit avec admiration. Pourtant, rentré à Côme, il ne songea même pas à introduire sur ses domaines cette machine qui lui aurait permis d’obtenir de meilleurs rendements. Cette attitude, qui surprend les hommes du XXIe siècle, trouve sa justification dans une des bases de la vie antique : la tradition. D’une part, son père n’avait pas utilisé cette machine ; d’autre part, elle était propre aux Gaulois.
Dans tous les domaines, les Romains se sont conduits comme tous leurs contemporains. Mais ils ont fait une exception pour les affaires militaires. Aucun historien ne l’a relevé, et pourtant c’est dommage, car ce fut véritablement révolutionnaire et c’est peut-être la meilleure clef pour comprendre la supériorité de leur armée : l’adaptabilité. Ainsi, dans le domaine de la tactique ils ont d’abord adopté la phalange hoplitique ; puis ils ont eu recours à la tactique manipulaire (qui impliquait l’institution d’une petite unité, la centurie) ; puis à la tactique en cohortes ; puis à une nouvelle forme de phalange, celle-ci disposée sur trois lignes, la triplex acies. Prenons un nouvel exemple, qui est encore plus probant, l’équipement. Ils ont en effet emprunté des armes à des peuples différents, ennemis et vaincus : le casque était grec, le bouclier gaulois, le javelot samnite et le glaive espagnol. C’est du moins ce qu’ils disaient. Nous avons vu que dans plusieurs domaines, notamment la poliorcétique et la construction navale, ils ont beaucoup emprunté à la civilisation hellénistique. Nous sommes là aux antipodes de Pline l’Ancien et de son conservatisme. Et l’on pourrait trouver mille autres illustrations de cette incompréhensible souplesse. Il est d’ailleurs étonnant que personne, au XXe ou au XXIe siècle, ne l’ait vu.
Pourtant, la question de la supériorité des armes romaines et surtout celle qui consiste à chercher l’explication de ce phénomène extraordinaire s’est posée dès l’Antiquité, puis elle a été oubliée par les modernes, encore qu’elle ait inspiré un petit livre de P. Streit2. Son point de vue est conforté par quatre auteurs, Flavius Josèphe, Tacite, Aelius Aristide et Végèce ; voyons-les de manière succincte.
Général juif vaincu par les Romains, devenu l’ami de Vespasien et de Titus, Flavius Josèphe, comme Polybe quelques siècles plus tôt, éprouva le besoin de justifier son échec : l’ennemi était invincible. Il est revenu à plusieurs reprises sur le thème de la supériorité des Romains3. Pour lui, tout se résume à un mot : la force ; les Romains l’emportaient sur tous les autres dans ce domaine. Cette force venait de plusieurs sources, à son avis, et au premier chef de l’exercice alors conçu comme une science et de la discipline qu’il engendrait. Ce personnage était rempli d’admiration devant un peuple tellement exigeant : « Chez les Romains, même la victoire déshonore quand elle est remportée sans obéissance aux ordres. » Il ajoutait à ces facteurs de succès le maniement d’armes qui découlait aussi de cette pratique. Il y rattachait d’autres motifs tout aussi convaincants : la qualité du commandement et le nombre des cadres, la professionnalisation des soldats, leur équipement de haut niveau et l’invincibilité de l’infanterie lourde. Ce monothéiste ne manquait pas de citer l’appui des dieux parmi les facteurs de succès des polythéistes qui l’avaient vaincu4.
Appartenant au même milieu social, la noblesse, mais né dans le bon camp, celui des vainqueurs, les Romains, Tacite a parfois été pris pour un esprit critique, soutien des barbares et de la paix. Il n’en est rien. Il concevait certainement la guerre comme un mal, à l’instar d’ailleurs de tous ses compatriotes. Mais elle était un mal nécessaire et les propos qu’il a prêtés aux barbares étaient des propos… de barbares. En fait, Tacite, Romain et noble, conscient et fier de ses origines, a uniquement condamné la guerre civile, et il l’a fait avec la dernière énergie. C’est pourquoi il disait que la principale qualité de l’armée romaine était l’ordre, fondé sur la discipline ; il ajoutait que la victoire venait du commandement (des nobles donc), de l’armement et de la technique de construction des camps5. Les hommes d’armes de l’Antiquité reconnaissaient d’ailleurs les peuples civilisés à ce qu’ils savaient bâtir des camps, alors que les barbares ignoraient tout de cet art.
Avec Aelius Aristide, nous retrouvons un peu le point de vue de Polybe et de Flavius Josèphe. Ce Grec d’Asie a nourri une grande admiration pour les Romains en général et pour leur armée en particulier, car ils protégeaient les aristocrates et les riches. Il a laissé un discours célèbre, L’Éloge de Rome, dans lequel il introduit un jeu de mots qui lui permet de retrouver, sans qu’il l’ait su, le point de vue de Flavius Josèphe : il admirait Rome (Rhomè en grec) parce que sa civilisation reposait sur la force (rhomè) : « Tout ici [à Rome] n’est que force » (§ 8). Cette puissance s’expliquait à la fois par le recrutement de qualité et par la pratique de l’exercice, qui donnait à chaque légionnaire la supériorité physique sur n’importe quel ennemi6.
C’est une tout autre motivation qui animait Végèce (I, 1). Écrivant dans la deuxième moitié du IVe siècle, à une époque où la situation militaire de l’empire était dramatique, quoi qu’en disent les modernes, il cherchait une solution aux malheurs de l’armée et il se conduisit en réactionnaire, au sens précis du terme : puisque l’armée du IVe siècle ne remplissait pas sa mission, il fallait reconstituer l’armée du IIe siècle, l’antiqua legio, qui, elle, l’emportait sans difficulté sur tous les barbares. Comme Flavius Josèphe, il privilégiait l’exercice conçu comme une science qui assurait la discipline et l’excellence dans le maniement des armes. Il souhaitait aussi le retour à un recrutement de qualité, ce qui était loin d’être le cas à son époque.
Si ces auteurs ont bien cerné plusieurs explications essentielles, ils en ont oublié d’autres ou ils les ont mal perçues ; nous les avons vues plus haut. Il faut aussi prendre en considération une condition souvent oubliée et cachée par quelques désastres retentissants : la faiblesse des ennemis. Au temps du Principat, les Germains étaient un agglomérat de petits peuples courageux et mal armés, à la tactique rudimentaire et sans aucune stratégie. À la même époque, l’Iran vivait avec quelques siècles de retard, sans infanterie ni armée permanente, ce qui explique aussi en partie les victoires de Rome7.
L’armée romaine fut-elle aussi parfaite qu’on l’a dit ? Dans un petit livre récent et tout à fait novateur, Catherine Wolff, prenant à contre-pied la critique, s’est posée cette question8. Et elle a apporté de solides arguments pour mettre en valeur des faiblesses qui avaient échappé à ses prédécesseurs. Elle a fait le compte des désertions, des passages à l’ennemi et des mutineries ; et il y en a eu. En outre, les légionnaires se laissaient parfois aller à la licence, ils manifestaient un goût regrettable pour le pillage et le désordre. Tacite le leur reprocha avec le dédain propre au milieu aristocratique9. Vespasien licencia des soldats par trop indisciplinés10. À ces horreurs, on peut ajouter des défaites parfois sanglantes, se comptant en dizaines de milliers de morts : Trasimène en 217 avant J.-C., Cannes en 216 avant J.-C., Orange en 105 avant J.-C. et le Teutoburg en 9 après J.-C., pour ne rien dire des désastres du IIIe siècle.
Ces mouvements de désobéissance peuvent s’expliquer de diverses manières. La peur explique la multiplication des désertions ; il faut aussi lui ajouter une totale absence de sens patriotique pour comprendre les transfuges, ceux qui en plus de fuir passent à l’ennemi. Quant aux mutineries, elles ont eu plusieurs origines possibles. Des soldats pouvaient se mettre en grève parce qu’ils n’étaient pas payés, ou parce qu’ils n’avaient pas reçu les récompenses qu’ils estimaient avoir méritées, ou encore parce que les cadres montraient trop de sévérité, une rigueur jugée inutile et offensante pour des professionnels. Et s’ils participaient à des coups d’État, c’était soit pour plaire à leur commandant, soit parce qu’ils considéraient que leur devoir était de renverser un prince inférieur à sa tâche. Dans tous les cas, il ne faut pas oublier ce qu’était un légionnaire : il n’était pas un esclave, ni même un étranger (pérégrin), mais un homme libre et, bien plus, un citoyen romain ; il n’avait pas oublié que les cadres, à l’époque républicaine, étaient élus par lui et ses semblables. Et il se connaissait des obligations à l’égard de Rome et de l’État. Il est peut-être injuste de toujours réduire les légionnaires au rang de vulgaires putschistes.
Mais l’armée romaine était comme toutes les institutions de ce monde : elle était mortelle. Et elle a fini par mourir. Les causes de ce désastre ont été étudiées ailleurs11, mais il faut en premier lieu rappeler celles qui se sont mises en place dès le IIIe siècle12. Et tout d’abord le rappel d’un principe méthodologique : on ne doit pas chercher une explication unique, mais multiple. Les auteurs du XXe siècle se sont partagés entre ceux qui assuraient que l’empire était mort de sa belle mort, et ceux qui pensaient qu’il avait été assassiné (par les barbares, surtout par les Germains). Les premiers comme les seconds n’ont qu’à moitié raison.
Au cours du IIIe siècle, les ennemis sont devenus plus nombreux, plus agressifs et mieux organisés. Les Germains qui vivaient derrière le Rhin se sont constitués en ligues, Francs sur le cours inférieur et Alamans sur le cours supérieur ; ils ont été renforcés par des nouveaux venus, bien pires qu’eux, les Goths, également constitués en une ligue. De plus, tous ces barbares ont adopté une tactique propre à repousser les Romains. Les Iraniens, eux aussi, se sont adaptés à leurs ennemis, et ils se sont dotés d’une armée permanente avec une infanterie ; ils ont appris la bataille en rase campagne et le siège.
Quant aux soldats romains, ils se sont affaiblis eux-mêmes sans le savoir. En exigeant des salaires que l’État ne pouvait pas leur payer, ils ont provoqué une inflation catastrophique ; mais ils ignoraient ce qu’était l’inflation, tout comme leurs supérieurs ; elle fut l’ennemi invisible. Ne pouvant payer les soldats, le pouvoir dut se contenter d’enrôler de médiocres recrues, réellement indisciplinées, elles, et de plus inefficaces.
Au cours du IVe siècle, la situation évolua et empira. À une renaissance, sans doute moins brillante dans le domaine militaire que ne le disent les historiens, succéda une nouvelle crise, dont l’ampleur et même la réalité sont souvent niées, à tort. En 406, la frontière fut percée : Vandales, Alains et Suèves franchirent le Rhin et ne purent pas être chassés. En 410, la capitale fut prise deux fois par les Goths ; Rome fut livrée au pillage.
C’est que l’Occident ne possédait pas l’armée qui lui aurait permis d’être sauvé. Les sénateurs, les plus cultivés des hommes du temps, en avaient été chassés et l’encadrement souffrit de cet affaiblissement. Les unités furent toutes mises sur le même plan et réduites en effectifs. Le recrutement, à la suite des décisions de Dioclétien, privilégia la quantité au détriment de la qualité. La présence de barbares et une certaine privatisation affaiblirent encore plus un corps qui était déjà en mauvaise santé. À ces malheurs s’ajoutait un clivage religieux. Les chrétiens, favorables au nouveau pouvoir, également chrétien, étaient malgré tout embarrassés par le commandement « Tu ne tueras point ». En outre, ils se sentaient gênés devant cet empire qui avait été bâti par et pour les polythéistes, ce dont Orose s’est fait l’écho au début du Ve siècle. Cet homme pieux assurait que Dieu, par longanimité, avait longtemps toléré l’essor de Rome et même qu’il avait pu le favoriser. Mais les persécutions du IIIe siècle et du début du IVe, dues à Dèce, Valérien et Dioclétien, avaient dressé Dieu contre Rome13.
Si la thèse de la mort naturelle est bien argumentée, la thèse de l’assassinat ne manque pas d’arguments non plus. Quand on relit les textes, on constate une grande agressivité de la part des ennemis et on voit apparaître sans cesse de nouveaux peuples, surtout les Burgondes et les Huns, violents, belliqueux et prêts à défier le pouvoir impérial, ou du moins ce qui en tenait lieu.
Les Romains des IVe et Ve siècles avaient oublié une partie des recettes qui avaient permis à leurs ancêtres de faire des guerres avec succès : l’organisation, la hiérarchie, le recrutement, la discipline, l’exercice, la tactique et la stratégie. Et surtout l’adaptabilité et plus encore la qualité.
Il faut encore apporter une autre nuance à ce sombre tableau : l’Occident et l’Orient ne suivirent pas le même chemin. C’est l’empereur de Constantinople qui avait envoyé les Goths vers l’ouest, parce qu’il ne parvenait pas à les chasser vers le nord. C’est ainsi que l’Occident romain devint l’Occident barbare et que l’Orient romain devint l’Orient byzantin. Mais, à notre avis du moins, l’Orient byzantin, qui était grec, n’était plus un Orient romain, car il eût été latin.