Dans la salle de rédaction du San Francisco Star, Reed rédigeait la conclusion de son court article sur l’assassinat d’Iris Wood, article devant paraître dans la première édition.
Il disposait de photos couleurs du propriétaire de l’appartement de la victime. Quelle sorte de monstre ferait une chose pareille à quelqu’un d’aussi gentil ? L’homme était un pharmacien à la retraite. Le Star avait pris une belle photo extérieure de lui, avec dans ses bras Jack, le chat d’Iris.
Reed disposait également de quelques citations extraites de la conférence de presse à l’American Eagle Federated Insurance, là où la victime avait travaillé et où personne ne la connaissait vraiment. Mais Tim Fairfield, le patron qui avait répondu aux questions, avait refusé de voir les choses sous cet angle. Nous respections sa vie privée, tout comme nous espérons que vous respecterez la nôtre. Il avait demandé à la presse de ne pas importuner les employés d’American Eagle pour obtenir plus de renseignements. Ils prennent la chose aussi bien qu’on aurait pu l’espérer.
Ouais, c’était la vérité. À en juger par les appels que Reed avait passés à la compagnie d’assurances, la plus grande partie des employés ignoraient jusqu’à l’existence d’Iris Wood. Iris qui ? Quoi ? La femme retrouvée assassinée dans la boutique de mariées travaillait chez nous ? Au standard, on continuait à transmettre les communications au poste téléphonique de la défunte employée.
Comme Reed avait passé l’heure du midi à travailler, il venait d’acheter un sac de croustilles au distributeur automatique. Son estomac gargouillait quand il regagna son cubicule. Reed ouvrit le sac et ses doigts atteignaient la première grosse croustille quand le téléphone sonna.
— Reed, j’écoute.
— Je viens juste de lire ton article, l’informa Brader. Je n’y ai rien appris que je ne connaissais déjà.
Reed fit pivoter son fauteuil et entraperçut Brader dans son bureau vitré, face à son ordinateur, le téléphone à l’oreille.
— Tu savais que son chat s’appelait Jack ? Tu savais qu’elle était recherchiste et rédigeait des manuels à l’usage des gens en deuil ? Tu savais tout ça et tu n’en avais parlé à personne ? La police t’a-t-elle contacté ? Parce que tu me fais peur, Clyde, se moqua Reed en choisissant une autre croustille. Tu fais quoi de ton temps libre quand t’es pas à mettre tous les moyens en œuvre pour arriver au sommet de l’échelle ?
— Je te préviens, Reed, je veux un portrait fouillé de la victime et en exclusivité pour la fin de semaine.
— J’y travaille, se justifia Reed en continuant à grignoter ses croustilles jusqu’à ce que Brader raccroche.
Reed déboucha une boisson gazeuse, content de ne pas avoir informé Brader, ou qui que ce soit d’autre, du tuyau que Slim lui avait donné. Il était trop tôt. Il devait le développer, le vérifier, en discuter. Il avait essayé. Il avait vraiment essayé. Auprès de ses informateurs au sein de la police de la route, de celle des autoroutes de Californie, des policiers du comté, des fédéraux du FBI et de la DEA, des flics municipaux, de toutes les agences représentantes de la loi où il disposait de quelqu’un de confiance. Partout, avec tact et prudence, il avait demandé ce qu’on racontait au sujet de la scène de crime de Stern Grove, si quelqu’un n’avait pas entendu parler d’une quelconque piste expliquant comment la voiture d’Iris Wood s’était retrouvée là. Il n’avait pas une seule fois échappé son renseignement, reniflant à la périphérie pour voir si quelque chose venait étayer la version de Slim. Bien entendu, Sydowski demeurait en tête de liste de ses informateurs et la clé de ses sources. Toute la journée Reed avait tenté de joindre l’inspecteur. En vain. Il lui avait laissé des messages sur sa boîte au commissariat, sur son cellulaire. Aucun appel du policier. Comme fait exprès, son téléphone sonna. C’était peut-être Sydowski. Allez, Walt.
— Tom Reed, répondit-il comme quelqu’un qui attend la confirmation qu’il vient de gagner à la loterie.
— C’est moi, dit sa femme.
— Ah, salut.
— Je te réveille, Tom ?
— Non, Ann. Bonjour. Non. J’attendais un appel de quelqu’un d’autre.
— Quand vas-tu te décider à me poser la question ?
— Quoi ? Je suis désolé, mais de quelle question veux-tu parler ?
— À propos de Zach. Je suis allée voir le spécialiste aujourd’hui, qui nous a envoyés en voir un autre.
— Justement, j’allais t’appeler. Comment ça s’est passé ?
Son cellulaire sonna. Merde. C’était peut-être Sydowski.
— Ann, attends une seconde, j’ai un autre appel.
Pourquoi fallait-il que ça arrive toujours quand il était en train de parler avec Ann ? Il répondit à l’appel :
— Thomas ?
Reed identifia la voix d’un de ses informateurs qui travaillait dans le domaine judiciaire et l’appelait toujours Thomas.
— Salut, qu’as-tu trouvé ?
— Le Slim que tu m’as décrit, avec tatouages et piercing, existe bel et bien. On le connaît. C’est un minable, qui vole pour se payer sa poudre.
— Merci.
L’informateur livra à Reed le prénom et le nom de Slim.
— Vas-tu te décider à me dire ce qui se trame, Reed ? Slim s’est mis dans le pétrin, c’est ça ? Tu ne m’en as pas dit davantage.
— Non. À l’heure où on se parle, il se pourrait qu’il soit un héros.
— Parfait.
— Fous-lui la paix pour le moment.
— J’ai d’autres chats à fouetter.
— Et encore merci.
Reed reprit la communication avec Ann.
— Alors, qu’a dit le docteur ?
— Que Zach fait une réaction à l’environnement.
— C’est grave ? Faut qu’il soit hospitalisé ?
— Non, mais…
L’autre ligne de Reed sonna.
— Ne quitte pas, Ann.
C’était une secrétaire de la rédaction qui avait une question au sujet de son article.
— Tom, le nom du chat, c’est « Jack Jack » ou c’est une erreur de typo ?
Reed fit apparaître l’article sur son écran.
— C’est Jack tout court.
— Le chat s’appelle « Jack tout court » ?
— Non, seulement Jack. Le chat s’appelle Jack.
Reed reprit sa femme en ligne.
— Tom, c’est ridicule de se parler ainsi.
— Ann, c’est l’heure de tombée, tu sais ce que c’est.
— On discutera à la maison. Vas-tu rentrer tard ce soir ?
— Eh bien…
Son cellulaire sonna.
— Fuck ! Attends une seconde.
Reed décrocha.
— Reed, c’est Sydowski.
— Walt ! Je sais que vous êtes débordé, mais faut qu’on se voie immédiatement. Je suis tombé sur un truc.
— Pas le temps.
— C’est au sujet de Wood.
— Vas-y, Tom, je t’écoute.
— Un témoin m’a appelé.
— Un témoin de quoi ?
— Faudrait qu’on se voie.
— Pas envie de jouer à ce petit jeu avec toi, Reed.
— Walter, c’est vous qui m’avez dit de me cramponner à cette enquête. Croyez-moi, il faudrait qu’on se voie.
— C’est à quel propos ?
— Stern Grove.
Sydowski soupira et lâcha :
— Dans une heure. À mon restaurant habituel à North Beach.
— Merci.
Reed reprit la ligne de sa femme qui avait écouté la fin de la conversation de son mari.
— Essaie de ne pas rentrer trop tard, Tom.