CHAPITRE IX

LA FRANCE A-T-ELLE
UNE RESPONSABILITÉ DANS LE GÉNOCIDE ?
RWANDA : UN GÉNOCIDE EN QUESTIONS

En près de vingt années d’existence du TPIR, au terme de milliers d’heures de témoignages et de la production de plusieurs tonnes d’archives, aucune des parties n’a produit le moindre document pouvant, ne serait-ce que laisser entendre, une implication française dans le génocide. Et pourtant, régulièrement, le régime de Kigali et ses relais dans la presse française1 et belge accusent la France, parfois même à travers des montages livrés « clés en main » à des journalistes peu scrupuleux, stipendiés, naïfs ou tout simplement paresseux.

Là encore, quelle est la réalité du dossier ? Le 6 avril 1994, jour de l’assassinat du président Habyarimana, en dehors de 24 coopérants militaires, il n’y avait plus de troupes françaises au Rwanda puisque les dernières unités d’intervention avaient quitté le pays le 15 décembre 1993, à la demande expresse du FPR qui en avait fait un préalable non négociable à sa participation à la phase finale du processus de paix. Par définition donc, l’armée française ne pouvait être mêlée à un génocide qui, plus est, fut essentiellement commis à la machette.

I. Les montages

Comme il serait fastidieux de faire ici l’inventaire des articles concernés, seuls deux exemples seront choisis2.

Premier exemple

Dans son numéro du 12 août 2008, l’hebdomadaire Jeune Afrique donna une grande publicité à un rapport rwandais de 331 pages, dit « rapport Mucyo » qui accuse plusieurs dizaines d’hommes politiques et d’officiers français de complicité dans le génocide de 1994.

Ce texte ne contient qu’une seule « preuve » de la prétendue « culpabilité » française. Il s’agit d’une lettre que le colonel Gilles Bonsang « chef de corps du 7e RIMA » aurait signée « Place de Caylus » en date du 2 juin 1998, soit 4 ans après le génocide, pour ordre du général « Yves » Germanos « chef d’état-major des Forces spéciales » et adressée aux miliciens hutu réfugiés au Congo pour leur annoncer de prochaines livraisons d’armes françaises, ce qui démontrait que la France était bien complice des anciens génocidaires.

Or, la lettre attribuée au colonel Bonsang est un faux grossier élaboré par les services de Kigali. En effet :

1. le 7e RIMA avait été dissous le 30 juin 1977, soit 21 ans plus tôt !

2. le lieutenant-colonel Gilles Bonsang n’était pas colonel,

3. il ne commanda pas ce régiment,

4. le 2 juin 1998, il était affecté depuis un an à Marseille et non à Caylus,

5. le général Germanos ne se prénomme pas Yves, mais Raymond,

6. le 2 juin 1998, il n’exerçait pas les fonctions qui lui sont prêtées puisque, du 1er septembre 1995 au 17 juillet 1998, il fut chef du cabinet militaire du ministre de la Défense.

7. Le tampon utilisé n’est pas un tampon militaire, mais un cachet civil, etc.

Jeune Afrique, qui avait publié ce faux grossier sous un titre percutant : « Le document qui accuse la France », ne fit pas le moindre rectificatif en dépit de très nombreux courriers qui lui furent envoyés.

Deuxième exemple

Le numéro 10 (mars 2010) de la revue XXI, éditée par Les Arènes avec le soutien de France-Info et publié à l’occasion du seizième anniversaire du génocide du Rwanda, semble n’avoir été imprimé que dans le seul but d’attribuer une responsabilité à la France et à l’armée française. À aucun moment ne sont ainsi cités les nombreux travaux qui contredisent la thèse accusatrice ; quant à la jurisprudence du TPIR elle est tout simplement ignorée. Plus insolite encore, les journalistes qui collaborèrent à ce numéro ne prirent même pas la peine de vérifier ce qu’ils avançaient, certains allant jusqu’à prêter des propos à des gens qu’ils n’avaient jamais rencontrés.

Ainsi :

– Page 61 de son article intitulé Barril, l’affreux, Jean-Pierre Perrin fait parler le capitaine Paul Barril auquel il fait dire que tous les protagonistes d’une sombre affaire de trafic d’armes s’étant déroulée au Rwanda dans les années 1990-1994 sont morts et en particulier « un attaché de défense corrompu ». Comme Barril n’aurait pas précisé qui était exactement ce militaire, la revue XXI ajoute entre parenthèses une note indiquant que cet « attaché de défense » décédé et corrompu était l’attaché français auprès de l’ambassade « de France à Kigali ».

Cette accusation à la fois grave, sans nuance et gravement attentatoire à la réputation et à l’honneur exigeait un minimum de vérification, ce qui n’a pas été fait ; or, une telle démarche, pourtant élémentaire, aurait permis à Jean-Pierre Perrin de constater que l’accusation portée était fausse.

En effet, les deux attachés de défense français présents à Kigali de 1990 à 1994 – à savoir le colonel René Galinié, de 1988 à 1991 et le colonel Bernard Cussac, de 1991 à 1994 – étaient bien vivants à la date de rédaction de l’article. Pour autant qu’il se fût exprimé, Barril ne parlait donc manifestement pas d’un attaché de défense français.

Encore plus insolite, la revue XXI n’ignorait rien de la bonne santé du colonel Cussac puisque, le vendredi 22 janvier 2010, Maria Malagardis, qui signe l’article intitulé Quinze jours dans la vie de Madame dans le même numéro, téléphona chez ce dernier pour l’interroger…

– Page 56 du même article, Jean-Pierre Perrin parle de « l’épouse d’un haut fonctionnaire français » qui aurait croisé Barril à l’aéroport de Kigali quarante-huit heures avant l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, ce qui tendrait donc à prouver que le « sulfureux » capitaine était bien au Rwanda dans ces moments cruciaux.

Qui était donc cette mystérieuse épouse dont le nom n’est pas précisé ? Il eût été essentiel de le connaître étant donné qu’en dehors de l’ambassadeur, du premier conseiller d’ambassade, du chef de la mission civile et de l’attaché de défense, aucun autre haut fonctionnaire français n’était présent à Kigali à cette date et que :

– l’épouse de l’ambassadeur ne connaissait pas Barril,

– l’épouse du premier conseiller d’ambassade était en voyage au Kenya,

– celle du chef de la mission civile ne connaissait pas davantage Barril,

– l’épouse de l’attaché de défense n’est pas allée à l’aéro-port dans ce créneau et surtout n’a pas été interviewée par J.-P. Perrin…

– Jean-François Dupaquier publie dans la même revue XXI un article dont le titre est Là-haut, sur la colline de Bisesero qu’il consacre à l’adjudant-chef Thierry Prungnaud qui a longuement et brillamment servi au sein du GIGN.

Détaché au Rwanda pendant quatre mois en 1992 pour y mettre à niveau le Groupe d’Intervention et de Sécurité de la garde présidentielle (GISGP), Thierry Prungnaud y retourna en juillet 1994, dans le cadre de l’opération Turquoise. Ayant quitté le service actif, il fut interviewé le 22 avril 2005 sur France Culture par Laure de Vulpian, et durant l’émission, il porta de graves accusations contre l’armée française. Depuis, il est constamment présent dans les médias lorsqu’il s’agit de conforter la thèse selon laquelle la France serait complice du génocide.

Selon Dupaquier, Prungnaud aurait désobéi pour se porter, contre la volonté de ses chefs, au secours des Tutsi de Bisesero. Le général Lafourcade, chef de l’opération Turquoise, a pourtant clairement démenti cette affirmation et à maintes reprises et cela depuis plusieurs années, déclarant qu’il s’agissait d’une totale invention puisque Prungnaud :

1. n’avait pas désobéi,

2. était resté au sein de son détachement,

3. et que ce fut une autre patrouille que la sienne qui découvrit le massacre de Bisesero.

Dupaquier n’a tenu aucun compte de ces démentis. Toujours selon Dupaquier, durant les quatre mois qu’il passa au Rwanda en 1992, Prungnaud se serait aperçu qu’une partie des attentats qui ensanglantaient le pays depuis 1990 « était commis par des Hutu ». Outre le fait que Dupaquier reconnaît implicitement que l’autre « partie des attentats » fut donc commise par le FPR, comment Prungnaud aurait-il pu « s’apercevoir » de cela alors qu’il ne fut jamais associé aux recherches menées par ses confrères gendarmes du Centre de Recherches Criminelle et de Documentation – seule unité spécialisée en police judiciaire en service au Rwanda – créée en 1992 par les assistants techniques français et qui, au contraire, établit clairement que ces attentats avaient été commis par le FPR3 (voir l’annexe 7) ?

Nous avons en effet vu plus haut que pendant plusieurs mois le CRCD enquêta sur les attentats commis au Rwanda de 1990 à 1993 et que le résultat de ses recherches incrimine directement le FPR tutsi et non les Hutu4.

Or, et à aucun moment de cela, Prungnaud ne fut, ni de près, ni de loin, associé aux travaux du CRCD.

Page 32 de la revue, afin de donner du poids aux propos réels ou inventés de Prungnaud, Dupaquier promeut ce sous-officier de gendarmerie mobile, en « Officier de Police Judiciaire » ; puis, page 39, il en fait un « enquêteur émérite spécialisé dans la police judiciaire ». Or, Prungnaud ne peut, et cela en aucune manière, se prévaloir de la qualité d’officier de police judiciaire (OPJ). L’article 16 du code de procédure pénale est formel à ce sujet :

« Les fonctionnaires mentionnés aux 2° à 4° ci-dessus (NDA : dont les gradés de la gendarmerie) ne peuvent exercer effectivement les attributions attachées à leur qualité d’officier de police judiciaire ni se prévaloir de cette qualité que s’ils sont affectés à un emploi comportant cet exercice et en vertu d’une décision du procureur général près la cour d’appel les y habilitant personnellement ».

Prungnaud n’a jamais été « habilité » lors de sa longue affectation au GIGN où il était tireur d’élite et non enquêteur. Dupaquier sait fort bien que Prungnaud ne peut pas davantage revendiquer la qualité d’officier de police judicaire que lui-même celle d’expert devant le TPIR et pourtant, il persiste à mentir.

Nous ne sommes plus dans le journalisme d’investigation, mais dans le journalisme militant.

II.Les accusations récurrentes

Bien d’autres accusations sont périodiquement portées contre la France et son armée. Toutes ont été démenties mais elles continuent cependant à être périodiquement republiées. Nous n’allons ici faire le point que des principales d’entre ces dernières.

– La France a formé les milices génocidaires

Cette accusation repose sur l’imagination de J.-P. Gouteux qui, dans son livre pamphlet (2002 : 61), écrit que des militaires français ont formé des miliciens Interahamwe au camp de Gabiro, dans le parc de l’Akagera.

Dans le camp de Gabiro, situé dans la partie nord du parc de l’Akagera, les coopérants militaires français n’ont recyclé que les appuis des bataillons concernés (mitrailleuses, mortiers, canons SR sans recul) ainsi que les spécialistes génie car c’était le seul endroit au Rwanda où on pouvait bénéficier de champs de tir illimités et vides de population.

Les militaires français ont donc exclusivement, non pas formé, mais remis à niveau des soldats des FAR. Tous les Rwandais qui passèrent dans ce camp étaient donc des soldats déjà formés, pour ne pas dire des spécialistes, et en aucun cas des recrues parmi lesquelles auraient pu être « discrètement » glissés des miliciens.

– La France a formé la garde présidentielle rwandaise qui participa ensuite au génocide

La réalité est que l’assistance « gendarmerie » mise en place au mois d’août 1992 et qui eut pour chef le commandant Roux, détacha trois hommes auprès de la garde présidentielle dont un membre du GIGN pour une mission qui dura d’août à novembre 1992, soit quatre mois.

Au début du mois de novembre 1992, le colonel Capodanno, chef d’état-major de la MMC (Mission militaire de coopération), rédigea un rapport final dans lequel il écrit :

« La garde présidentielle est un groupement d’environ 500 hommes articulé en 3 compagnies de marche et 1 compagnie motocycliste. Notre action a consisté, jusqu’à présent à travers un conseiller AMT (Assistant militaire technique) et un DAMI de 2 sous-officiers à remettre à niveau l’unité motocycliste (échec), à poursuivre l’entraînement des compagnies (en cours) et à créer un groupe de sécurité et d’intervention – GSIGP - dont la mise sur pied est maintenant effective (…) Nous avons prévu (…) de cesser toutes nos activités au profit de la garde présidentielle ». (Capodanno, 3-6 novembre 1992, ETR, II : 183).

La France suspendit donc sa modeste participation à la formation de la garde présidentielle et cela dès le mois de novembre 1992, soit quatre mois à peine après le début de la mission. Écrire qu’elle forma cette unité est donc inexact.

– Desmilitairesfrançaisontparticipéàdesinterrogatoires « musclés »

Les accusations de participation aux interrogatoires de prisonniers sont régulièrement portées contre l’armée française depuis la citation de Me Éric Gillet du barreau de Bruxelles dans le quotidien communiste L’Humanité du 22 novembre 1991). Elles furent « étayées » par Jean Carbonare qui parle de participation française aux interrogatoires et tortures au camp de Bigogwe auxquels il prétend avoir assisté au mois de janvier 1993 :

« En janvier 1993, j’ai vu dans le fameux camp de Bigogwe, entre Gisenyi et Ruhengeri, des “paras commandos” français qui formaient les soldats, responsables des massacres dans la région. Par camion entiers, les civils étaient amenés, torturés et exécutés, et c’est aussi par camions entiers que les corps étaient enterrés dans une fosse près du cimetière ». (L’Humanité Dimanche du 26 mai 1994 cité par Gouteux, 2002 : 148).

Or, le camp de Bigogwe ne fut jamais une emprise française puisqu’il s’agissait du centre de formation des commandos placé sous l’unique responsabilité de militaires belges. Ce n’étaient donc pas des Français, mais des Belges qui formaient les commandos rwandais. Les commandos de Bigogwe ne pouvaient donc, et par définition, être des « élèves » de l’armée française. Enfin, dans l’armée française on ne parle pas de « paras-commandos », terme employé dans l’armée belge5.

Au sujet des interrogatoires, la principale accusation fut portée par Mme A. Des Forges (ETR, TIII/2 : 70-83) qui a parlé d’interrogatoires musclés de prisonniers du FPR, auxquels les militaires français auraient assisté à Kigali, au Centre de documentation, lieu qui aurait été un centre de torture de la gendarmerie et de la police rwandaise.

Mme Alison Des Forges s’est depuis rétractée, reconnaissant dans un courrier alambiqué qu’elle s’était trompée et qu’au contraire, la présence de Français aurait empêché les tortures :

« (…) Donc, ilyaeudelatorture au Centre et ilyaeudes experts français au Centre, mais pas en même temps et, en plus, c’est possible que c’est la présence française qui a contribué à faire cesser l’emploi de la torture (…) (ETR, III/2 : 84).

Ignorant cette rétractation, certains journalistes continuent régulièrement de citer A. Des Forges pour écrire que des Français ont participé à des « interrogatoires musclés » aux côtés des FAR…

– La France est intervenue secrètement après son retrait militaire du mois de novembre 1993 ?

Quand l’année 1994 débuta, il n’y avait, comme nous l’avons vu, plus de troupes françaises au Rwanda où, seuls demeuraient vingt-quatre coopérants militaires. Et pourtant, la journaliste belge Colette Braeckman écrit que la France renvoya « secrètement » des soldats pour continuer à aider les FAR :

« (…) une douzaine de membres du Dami, qui avaient quitté le pays en décembre, avaient été reconnus, à Kigali et à Butare notamment, dès février. » (Braeckman, Rwanda, histoire d’un génocide. Paris 1994, p. 195).

Ultérieurement, J.-P. Gouteux (2002) qui se réfère à plusieurs reprises, et sans l’avoir lue à : « (…) l’audition à huis clos des lieutenants-colonels Jean-Claude Maurin et Gilles Chollet le 3 juin 1998, à la mission d’information » (Gouteux, 2002 : 24) reprit la même accusation, affirmant que des militaires français du Dami étaient revenus au mois de février 1994 comme « touristes » et appuyant ses dires sur les déclarations du colonel Maurin qui aurait « confirmé » ce fait devant la Commission parlementaire française le 3 juin 1998.

Il s’agit là d’une autre affabulation car le 3 juin 1998, interrogé à huis clos par les enquêteurs parlementaires français pour répondre précisément aux accusations de Colette Braeckman, le colonel Maurin déclara qu’à la fin du mois de février 1994 alors que, rappelons-le, il était adjoint opérationnel de l’attaché de Défense français et conseiller du chef d’État-Major des FAR -, il croisa deux militaires français en civil à l’hôtel de la Kagera, dans le parc national de l’Akagera. Ces deux hommes étaient en poste au Burundi où ils servaient au titre de l’assistance militaire technique et ils étaient tout simplement venus visiter la partie sud du parc de l’Akagera encore ouverte au tourisme. Or, il se trouvait que colonel Maurin connaissait personnellement le capitaine Lallemand, l’un des deux officiers, puisqu’ils avaient servi tous deux au 3e RPIMa de Carcassonne en 1990-1992. (Entretien avec le colonel Maurin).

Quant à l’« erreur » commise par Colette Braeckman, elle vient probablement du fait que quelques hommes qui avaient auparavant servi dans les DAMI Panda sont ultérieurement revenus à Kigali pour l’opération Amaryllis avec le détachement spécialisé du COS entre le 8 avril et le 14 avril 1994.

– Après le 6 avril, la France procéda à des évacuations sélectives

Sur le site Internet de « Survie », il était possible de lire, en date du 15 octobre 2004, les « informations » suivantes :

« Tandis que l’on abandonnait aux massacreurs des centaines de familles accrochées au portail de l’ambassade (de France), auxquelles on refusait l’entrée, se retrouvaient à l’intérieur tous6 les dignitaires du régime et leur famille (…) À tout moment ces dignitaires sortaient avec leurs escortes de militaires pour circuler dans les quartiers en ?ammes et à leur retour tenaient des réunions à l’ambassade pour parler de l’évolution de la situation, dresser le bilan des victimes ou regretter que telle ou telle personne n’ait pas encore été tuée ou tel quartier nettoyé ».

La France et son ambassadeur sont ainsi accusés tout à la fois de non-assistance à personne à danger, de forfaiture et de complicité active avec les tueurs. Devant la tranquille assurance avec laquelle ces accusations sont portées, il est légitime de se demander sur quels éléments « Survie » fonde ses dires. Une note infrapaginale référencée sous le n° « 37 » répond à cette question :

« Selon un témoin rwandais amené par les Suisses à l’ambassade de France de Kigali. Colette Braeckman cite son témoignage devant la Commission des droits de l’homme de l’ONU (L’enfer du Rwanda et les bonnes intentions de la France, in Le Soir du 20/06/94).

L’unique « source » d’une aussi grave mise en cause repose donc sur les « dires » invérifiables d’un anonyme témoin rwandais cité par une journaliste belge connue pour ses « approximations » et ses revirements dans son traitement de la question du génocide rwandais !

– La France aida jusqu’au bout les « extrémistes hutu

Dans le Monde diplomatique daté du 30 mars 1995 nous pouvons lire que dans les locaux de l’ambassade de France les responsables hutu réfugiés tinrent :

« (…) une sorte d’assemblée générale extraordinaire du Hutu Power, des partisans de l’épuration ethnique et du massacre des Tutsis ». (F.-X.Verschave, in le Monde diplomatique, 30 mars 1995).

Cette accusation est une fois encore inexacte et l’ambassadeur de France a clairement expliqué ce qui, en réalité, s’était passé. Les ministres du GTBE déjà désignés par consensus et les responsables politiques réfugiés à l’ambassade de France décidèrent de tenir :

« (…) une réunion au cours de laquelle ils ont fixé trois orientations : remplacer les ministres ou les responsables morts ou disparus, tenter de reprendre en main la garde présidentielle en vue d’arrêter les massacres et, enfin, réaffirmer leur attachement aux accords d’Arusha.» (Marlaud, ETR, III /1 : 296).

Dans la relation de cette réunion informelle faite par l’ambassadeur Marlaud, on chercherait en vain la trace des trois accusations portées par F.-X.Verschave dans le Monde diploma-tique : au lieu de « Hutu power », d’« épuration ethnique » ou de « massacre des Tutsi », les participants cherchent au contraire à stopper les massacres et relancer le processus de paix d’Arusha.

– L’armée française a évacué des génocidaires et non le personnel tutsi de l’ambassade

Selon M. J.-F. Bayart :

« La première mission humanitaire de l’armée française en direction du Rwanda a consisté à évacuer les responsables des réseaux Zéro7 et madame Habyarimana ». (La Croix 21 mai 1994).

Plus généralement, la France est accusée d’avoir procédé à l’évacuation exclusive de dignitaires du régime hutu et d’avoir appliqué un traitement différent aux personnels français ou rwandais de l’ambassade. Ces accusations sont-elles fondées ?

Le 9 avril et cela par le premier avion, furent effectivement évacués la veuve du président Habyarimana et onze membres de sa famille dont deux de ses filles, un de ses fils, deux de ses petits-enfants8. Cet avion évacuait également quarante-trois coopérants français.

S’agissant des personnels de l’ambassade, y aurait-il eu refus d’évacuation ? Les ordres donnés par Paris n’allaient pas dans ce sens comme le montre un télégramme daté du 11 avril 1994 adressé à l’ambassadeur de France :

« (…) le département vous confirme qu’il convient d’offrir aux ressortissants rwandais faisant partie du personnel de l’ambassade (recrutés locaux), pouvant être joints (nous soulignons), la possibilité de quitter Kigali avec les forces françaises ». (ETR, I : 266).

Il est en effet essentiel de noter que les malheureux employés tutsi de l’ambassade de France et de ses services annexes furent le plus souvent massacrés chez eux, à leur domicile, ou en ville, à des barrages, alors qu’ils tentaient de gagner l’ambassade et cela dans les 48 heures qui suivirent la mort du président Habyarimana c’est-à-dire les 7 et 8 avril. Or, jusqu’au 9 avril dans la soirée, date de l’arrivée des premiers hommes de l’opération de secours Amaryllis, comment et avec quels moyens l’ambassade de France aurait-elle pu les extraire et les regrouper ? Avec ses 24 coopérants militaires quand, avec ses 2 539 hommes, la MINUAR fut incapable de protéger ceux qui étaient menacés ?

L’Ordre de conduite n° 3 en date du 11 avril – 20 heures 12 précisait que l’évacuation des Français étant terminée, il s’agissait maintenant :

« (…) d’accélérer l’évacuation des ressortissants étrangers et des personnels de l’ambassade et de préparer le retrait progressif des unités ».

Non seulement il n’y eut donc pas d’ordre d’évacuation sélectif, mais au contraire, des ordres nets et incontestables furent donnés concernant l’évacuation des personnels de l’ambassade.

Quand ils ne sont pas de mauvaise foi, ceux qui écrivent le contraire sont dans l’erreur. Le départ définitif étant prévu pour le 12 avril, les ordres des militaires ne s’opposaient donc ni à une extraction des personnels rwandais de l’ambassade qui se seraient manifestés, ni à plus forte raison à leur évacuation.

1. En pointe dans cette question par ses articles dans Le Figaro, Patrick de Saint-Exupéry eut une grande influence sur nombre de ses confrères qui, à sa suite, donnèrent largement écho à tout ce qui va dans le sens de cette thèse, écartant ou passant sous silence tout ce qui la contredit.

2. Pour l’exhaustivité des accusations portées contre la France et son armée, il sera nécessaire de se reporter à Lugan (2007).

3. Entretien avec le colonel Robardey, responsable de la coopération gendarmerie au Rwanda et supérieur de Prungnaud.

4. Dupaquier ne pouvait ignorer l’existence de ce rapport remis au TPIR et à la justice française et que je cite intégralement pages 279 à 291 de mon livre Rwanda. Contre-enquête sur le génocide (2007) et qu’il a pourtant lu avec attention…

5. Les DAMI qui recyclaient les unités régulières des FAR venaient ponctuellement à Bigogwe, non pour y former des commandos, mais pour en utiliser le champ de tir ou le parcours d’audace et ils ne faisaient qu’y passer.

6. Si « Survie » veut dire par « tous » que la totalité des dignitaires du régime suivis de leurs familles, soit plusieurs milliers de personnes, se réfugièrent dans les locaux de l’ambassade de France, cela est matériellement impossible. Si « Survie » veut dire que tous les Rwandais qui se réfugièrent dans les locaux de l’ambassade de France étaient des « dignitaires du régime », cela est faux. Voir en annexe X, la liste des réfugiés à l’ambassade de France.

7. Réseaux qui n’ont jamais existé, voir chapitre II, les développements consacrés à l’Alkazu.

8. À 7 heures, la fille du président Habyarimana avait demandé par téléphone la protection de la France pour elle et pour sa mère. L’ambassadeur Marlaud lui conseilla de s’adresser à la MINUAR car il ne disposait pas de moyens militaires lui permettant d’assurer sa sécurité. Son interlocutrice refusa car elle croyait alors que c’étaient les Belges qui avaient tué son père ; or, comme des Casques bleus belges avaient en charge la ville de Kigali elle ne voulait pas faire appel à l’ONU (Marlaud, ETR,1998, op.cité, III/1 : 295).