EN OUVRANT LES YEUX, Nuage de Feuille aperçut les frondes des fougères qui se découpaient sur un ciel pâlissant. Elle se souvint aussitôt que ce soir-là, la lune serait à son premier quartier ; tous les guérisseurs et leurs apprentis se rendraient aux Hautes Pierres pour rencontrer le Clan des Étoiles. Un frisson d’excitation parcourut sa fourrure. Elle n’y était allée qu’une seule fois, lorsque le Clan des Étoiles l’avait acceptée en tant qu’apprentie guérisseuse, et le souvenir de cette expérience l’accompagnerait jusqu’à la fin de ses jours.
Quittant son nid de mousse, elle s’étira en bâillant et cligna des yeux pour chasser les dernières traces de sommeil. Dans son repaire, Museau Cendré s’occupait des préparatifs ; peu après, elle sortit la tête de son antre pour humer l’air.
« Pas d’odeur de pluie, miaula-t-elle. Le voyage sera agréable. »
Sans plus attendre, elle la conduisit hors du camp. Nuage de Feuille lança un regard plein d’envie vers la réserve de gibier – les chats qui voulaient communiquer avec le Clan des Étoiles devaient jeûner.
Pelage de Granit, qui montait la garde près du tunnel d’ajoncs, les salua. Nuage de Feuille se sentit un peu gênée. Elle n’était encore qu’une apprentie, peu habituée à la déférence que montraient les autres guerriers envers les guérisseurs.
L’obscurité régnait toujours dans le ravin et les sous-bois tandis que les deux chattes se dirigeaient vers les Quatre Chênes, d’où elles rejoindraient le territoire du Clan du Vent. De légers bruissements dans les broussailles trahissaient la présence de gibier, mais les petits animaux n’avaient rien à craindre d’elles, pour le moment. De temps en temps, un oiseau émettait un cri d’alarme au passage des chattes qui se faufilaient telles deux ombres dans la lumière grisâtre.
« Entraîne ton odorat, lui dit Museau Cendré. Si tu repères des herbes utiles, nous les ramasserons au retour. »
L’apprentie se concentra alors de toutes ses forces pour repérer des odeurs de plantes connues. Les deux chattes firent halte au ruisseau pour se désaltérer. Puis elles remontèrent la rive jusqu’au rocher pour franchir le cours d’eau en quelques bonds. Nuage de Feuille surveilla son mentor, craignant que sa jambe blessée ne la gêne, mais Museau Cendré sauta avec l’assurance d’un félin expérimenté.
En grimpant le coteau menant aux Quatre Chênes, l’apprentie huma les premiers effluves des autres chats.
« Le Clan de l’Ombre, chuchota-t-elle. Ce doit être Petit Orage.
— Il a pris l’habitude de m’attendre », confirma Museau Cendré.
Le mentor avait sauvé la vie de Petit Orage lorsque le Clan de l’Ombre avait été ravagé par la maladie. Cela l’avait encouragé à suivre la voie de la médecine et à développer envers Museau Cendré une amitié plus forte encore que celle qui unissait tous les guérisseurs.
Du sommet du coteau, Nuage de Feuille aperçut la silhouette, petite mais noble, du guérisseur assis au pied du Grand Rocher. Le félin était venu seul car il n’avait pas d’apprenti. Il se leva dès qu’il les vit, les saluant de loin. Au même instant, les buissons frémirent de l’autre côté de la clairière, et Patte de Pierre, du Clan de la Rivière, en sortit accompagné de son apprentie, Papillon.
Nuage de Feuille se réjouit de retrouver la novice. Elle dévala le coteau pour la rejoindre, tandis que Museau Cendré et les autres guérisseurs se réunissaient au centre de la clairière pour échanger les dernières nouvelles.
« Papillon ! la salua-t-elle. Quelle joie de te revoir ! »
Le soleil s’élevait maintenant bien au-dessus des arbres, et la robe de Papillon brillait d’un éclat ambré. Sa beauté frappa une nouvelle fois Nuage de Feuille, qui fut déconcertée de voir son salut rester sans réponse.
Au contraire, Papillon la gratifia d’un signe de tête formel.
« Salutations. Je me demandais si Museau Cendré viendrait avec son apprentie. »
Cet accueil glaça Nuage de Feuille. Elle eut l’impression que Papillon avait voulu la remettre à sa place. Bien sûr, la chatte au pelage doré était déjà une guerrière : elle n’attendait peut-être d’elle que du respect, et non de l’amitié. Désappointée, Nuage de Feuille inclina la tête et se plaça à quelques pas derrière les autres félins qui s’apprêtaient à quitter la clairière pour entrer sur le territoire du Clan du Vent.
Dans la lande, elle retrouva sa bonne humeur. La lumière du soleil, la brise caressant les hautes herbes, les parfums d’ajoncs et de bruyère, tout était différent de la forêt luxuriante et ombragée du Clan du Tonnerre. Constatant que Papillon suivait son mentor sans se joindre à la conversation des guérisseurs, elle s’approcha.
« Je ne pensais pas te voir, déclara-t-elle. Je pensais que Patte de Pierre t’avait déjà emmenée jusqu’à la Grotte de la Vie. »
La chatte se tourna vivement pour la regarder en face, ses yeux ambrés jetaient des flammes comme si Nuage de Feuille l’avait offensée.
« Je suis désolée », s’excusa la jeune apprentie, en reculant.
Papillon sembla se détendre et la lueur hostile mourut dans ses yeux.
« Non, c’est moi qui suis désolée. Ce n’est pas ta faute. Tu as entendu la déclaration de mon mentor lors de la dernière Assemblée : il attendait un signe du Clan des Étoiles… »
Nuage de Feuille s’en souvenait parfaitement.
« Le signe a tardé à venir, expliqua-t-elle, griffant l’herbe épaisse de la lande. Il n’y avait rien ! Je pensais que le Clan des Étoiles m’avait rejetée… et les autres chats ont pensé de même ! Juste parce que ma mère est une chatte errante et que je ne suis pas née dans un Clan. »
La lueur farouche se raviva un instant dans son regard, avant de disparaître à nouveau.
« Oh, non ! C’est terrible ! s’exclama Nuage de Feuille.
— Patte de Pierre me répétait sans cesse d’être patiente. » Ses babines se retroussèrent en un sourire désabusé. « Il est peut-être doué pour ça, mais pas moi. J’ai essayé d’attendre, mais le signe ne venait toujours pas. J’étais prête à quitter le Clan, mais Plume de Faucon – mon frère, tu te rappelles ? – m’a conseillée de ne pas les écouter. Il m’a assuré que je n’avais pas à prouver ma loyauté à des guerriers jaloux, seulement au Clan des Étoiles. Il était certain que le signe viendrait.
— Et il ne se trompait pas, ou alors tu ne serais pas là aujourd’hui.
— Effectivement, confirma Papillon, le regard apaisé. Le signe est venu il y a deux aubes. En sortant de sa tanière, Patte de Pierre a trouvé une aile de papillon devant l’entrée. Il l’a montrée à Étoile du Léopard et à tous les membres du Clan. Il a déclaré qu’on ne pouvait imaginer signe plus clair.
— Est-ce qu’Étoile du Léopard… »
Nuage de Feuille fut interrompue par un appel lointain. Les trois guérisseurs avaient fait halte au sommet d’une colline et les observaient.
« Vous venez avec nous ou quoi ? »
La voix de Patte de Pierre leur parvint faiblement, portée par le vent.
Nuage de Feuille et Papillon échangèrent un regard étonné avant d’éclater de rire. Le signe venait du Clan des Étoiles, alors Papillon n’avait pas à s’inquiéter. La Pierre de Lune les attendait toutes deux, prête à leur faire partager les mystères des guerriers de jadis. À cet instant, Nuage de Feuille ne pouvait concevoir meilleur destin que celui d’un apprenti guérisseur.
« Viens, lança-t-elle tout excitée à sa camarade. On s’est laissé distancer ! »
À midi, ils retrouvèrent Écorce de Chêne, le guérisseur du Clan du Vent, près de la source de l’un des ruisseaux qui traversaient la lande. Nuage de Feuille observa le nouveau venu et Patte de Pierre se saluer chaleureusement malgré les dissensions entre leurs Clans. Les rivalités n’existaient pas entre les guérisseurs : ils étaient avant tout loyaux envers le Clan des Étoiles, qui ignorait les frontières.
Peu après, Nuage de Feuille remarqua que la claudication de Museau Cendré s’était accentuée et en conclut que sa vieille blessure commençait à la gêner. Comme la guérisseuse du Clan de la Rivière n’admettrait jamais sa faiblesse, Nuage de Feuille décida de ralentir l’allure de son propre chef.
« Pourrait-on faire une pause ? gémit-elle en s’affalant sur un carré de bruyère. Je n’en peux plus ! »
Son mentor lui lança un regard pénétrant, comme si elle lisait dans ses pensées, puis hocha la tête.
« Ah, les apprentis, marmonna Écorce de Chêne. Ils n’ont vraiment aucune endurance.
— Il n’a pas marché autant que nous ! murmura Papillon en s’installant près de Nuage de Feuille. Et il n’a même pas d’apprenti, alors de quel droit se permet-il de dire ça ?
— Il n’est pas aussi méchant qu’il en a l’air. À mon avis, il aime bien râler, c’est tout. »
À ces mots, Nuage de Feuille se coucha sur le côté et entreprit de faire une toilette complète avant de rencontrer le Clan des Étoiles.
Papillon l’imita, puis s’interrompit pour l’interroger :
« Nuage de Feuille, tu veux bien tester mes connaissances ?
— Quelles connaissances ?
— Les propriétés des herbes, répondit-elle, l’œil inquiet. Au cas où Patte de Pierre me testerait. Je ne veux pas le décevoir. On utilise le souci pour désinfecter et la millefeuille comme contrepoison, mais quel est le plus efficace pour soigner les maux de ventre ? Je n’arrive jamais à m’en souvenir.
— Les baies de genièvre, ou les racines de cerfeuil, répondit-elle, perplexe. Mais pourquoi t’inquiéter ? Tu peux toujours demander à ton mentor. Il n’attend pas de toi que tu saches déjà tout.
— Je ne lui demanderai rien lorsque je serai devant le Clan des Étoiles. Je dois montrer que je suis digne d’être guérisseuse. Il pourrait me rejeter s’il estime que j’ai des lacunes.
— Ce n’est pas comme cela que ça se passe, répondit Nuage de Feuille, réprimant un rire. Le Clan des Étoiles ne te posera aucune question. Il… Enfin, c’est difficile à expliquer, mais je suis sûre que tu n’as pas à t’en faire.
— Pour toi, tout est simple, rétorqua l’apprentie du Clan de la Rivière, une pointe d’amertume dans la voix. Tu es née au sein d’un Clan. Moi, je dois faire mes preuves, être encore meilleure que les autres, simplement pour être acceptée dans le Clan. »
Ses grands yeux reflétaient autant de colère que de détermination. Nuage de Feuille eut pitié d’elle. Elle posa le bout de sa queue sur l’épaule de Papillon.
« C’est peut-être vrai pour le Clan de la Rivière, déclara-t-elle, mais pas pour le Clan des Étoiles. Tu n’as pas à gagner le soutien des guerriers de jadis… Ils nous l’offrent.
— Peut-être qu’ils refuseront de me l’offrir, à moi… »
Nuage de Feuille observa son amie, ébahie. Elle était si belle et si forte, elle avait tous les talents d’une guerrière en plus d’avoir la chance d’être une apprentie guérisseuse, et pourtant, elle redoutait encore de ne jamais trouver sa place dans la forêt.
Elle se rapprocha de Papillon pour presser son museau contre son flanc.
« Ne t’en fais pas, ça va aller, chuchota-t-elle. Regarde Étoile de Feu. Il n’est pas né dans la forêt et pourtant il est devenu le chef du Clan du Tonnerre. » Comme sa camarade n’avait toujours pas l’air convaincue, elle ajouta : « Fais-moi confiance. Lorsque tu verras la Pierre de Lune, tout deviendra clair. »
Le soleil déclinait déjà lorsque les guérisseurs approchèrent des Hautes Pierres. L’herbe éparse de la lande laissait place à des coteaux parsemés ici et là de touffes de bruyère et d’affleurements rocheux couverts de lichen.
Écorce de Chêne, qui menait le groupe, fit halte sur un rocher plat pour inspecter les alentours. Près du sommet, un trou noir s’ouvrait comme une bouche sous une arche grise.
« C’est la Grotte de la Vie, expliqua Nuage de Feuille à Papillon, avant de se rappeler que son amie l’avait forcément vue lorsqu’elle était apprentie guerrière. Excuse-moi, ajouta-t-elle. J’avais oublié que tu étais déjà venue. »
Papillon leva les yeux vers l’entrée béante de la caverne.
« Je n’ai pas été plus loin, répondit-elle. Je n’avais pas été choisie pour pénétrer à l’intérieur.
— C’est assez effrayant… mais c’est aussi merveilleux, la rassura Nuage de Feuille.
— Je n’ai pas peur, rétorqua son amie. Je suis une guerrière. Rien ne m’effraie. »
Même pas l’idée que le Clan des Étoiles te rejette ? Nuage de Feuille n’osa pas le lui demander à voix haute. Néanmoins, tandis que les deux chattes s’installaient pour attendre la nuit, elle ne put que remarquer les tremblements de l’apprentie.
Enfin, la lune à son premier quartier s’éleva au-dessus du pic, et Patte de Pierre se leva.
« Il est temps », déclara-t-il d’une voix rocailleuse.
L’estomac noué, Nuage de Feuille suivit son mentor le long du versant puis sous l’arche de pierre. Une brise froide et humide leur parvenait depuis la caverne, comme si une rivière de ténèbres y prenait sa source. Nuage de Feuille se plaça en dernier dans la file de chats, juste derrière Papillon.
Le tunnel s’enfonçait en changeant de direction constamment si bien que l’apprentie du Clan du Tonnerre perdit son sens de l’orientation. L’atmosphère semblait palpable, comme s’ils marchaient non seulement sous terre, mais aussi sous l’eau. Elle ne voyait rien, pas même son amie devant elle, mais elle entendait sa respiration haletante et sentait l’odeur de sa peur.
Nuage de Feuille perçut enfin un courant d’air froid. L’excitation était à son comble lorsqu’elle comprit qu’ils atteignaient le cœur de la montagne. Des odeurs fraîches du monde extérieur lui parvinrent faiblement tandis qu’elle passait dans une vaste antichambre. Le scintillement des étoiles qui pénétrait par un trou dans la voûte dévoilait de hauts murs de pierre et un sol lisse. Au centre trônait un roc haut de trois longueurs de queue. Nuage de Feuille le contemplait, émerveillée.
Papillon vint se placer près d’elle.
« Où sommes-nous ? Que se passe-t-il ?
— Papillon, approche de la Pierre de Lune, lui ordonna Écorce de Chêne. Nous devons tous attendre que le temps soit venu de partager les rêves du Clan des Étoiles. »
Il s’assit au pied du rocher, imité par les autres guérisseurs.
Papillon poussa un soupir craintif. Son amie se pressa contre elle pour la rassurer.
« Nous aussi, nous pouvons nous asseoir », chuchota-t-elle à l’oreille de la novice.
Tandis qu’elle-même s’installait derrière Museau Cendré, elle sentit Papillon se coucher timidement près d’elle.
Dans l’obscurité, Nuage de Feuille crut attendre une éternité. Soudain, une lumière blanche aveuglante inonda la caverne lorsque la lune apparut dans l’ouverture. Papillon eut un hoquet. Sous leurs yeux, la Pierre de Lune s’éveilla à la vie, étincelant sous le clair de lune comme si la Toison Argentée avait pénétré sa surface cristalline.
Une fois ses yeux habitués à la luminosité, Nuage de Feuille aperçut Patte de Pierre qui se levait et se dirigeait lentement vers son apprentie. Sous la lumière de la pierre, la fourrure du guérisseur semblait recouverte de givre.
« Papillon, miaula-t-il solennellement, souhaites-tu devenir guérisseuse et partager les mystères du Clan des Étoiles ? »
L’apprentie hésita. Elle déglutit avant de répondre.
« Oui.
— Alors avance. »
La novice obéit, suivant son mentor jusqu’au pied de la pierre. Nimbée de son éclat, Papillon semblait irréelle, son pelage doré aussi pâle que de la cendre, ses yeux illuminés d’une lueur argentée, comme si elle avait déjà rejoint le Clan des Étoiles. Nuage de Feuille frissonna. Cette pensée lui déplaisait ; elle la repoussa donc de son esprit, refusant de croire qu’il pouvait s’agir d’un signe.
« Guerriers du Clan des Étoiles, poursuivit Patte de Pierre, je vous présente cette apprentie. Elle a suivi la voie des guérisseurs. Accordez-lui sagesse et clairvoyance afin qu’elle comprenne vos choix et soigne son Clan selon votre volonté. »
Il fit onduler sa queue et poursuivit à l’intention de Papillon :
« Couche-toi ici, et presse ton museau contre la pierre. »
Elle obtempéra, comme dans un rêve. Les autres l’imitèrent et prirent place autour du roc. Museau Cendré fit signe à son apprentie de s’avancer. Elle avait hâte d’y être car elle savait ce qui allait se passer.
« Il est temps de partager les rêves du Clan des Étoiles, murmura Écorce de Chêne.
— Parlez-nous, guerriers de jadis, chuchota Petit Orage. Montrez-nous le destin de nos Clans. »
Nuage de Feuille ferma les yeux, le museau collé à la pierre. Aussitôt, le froid lui saisit le corps telles les serres d’un faucon, comme si elle était tombée la tête la première dans une rivière. Elle ne voyait ni n’entendait plus rien, ne sentait plus le sol pierreux de la caverne. Elle flottait dans une nuit sans fin que même la lumière de la Toison Argentée ne parvenait pas à déchirer.
Puis une série de scènes rapides défilèrent devant ses yeux. Elle reconnut les Quatre Chênes, mais les grands arbres étaient dénudés, seules quelques feuilles mortes s’accrochaient encore à leurs branches. L’un des arbres ployait d’avant en arrière, comme malmené par un orage extraordinaire, tandis que les trois autres restaient immobiles. La scène fut aussitôt remplacée par une vue du Chemin du Tonnerre, où des monstres filaient à toute vitesse, puis par une longue file de chats avançant dans la neige, telle une ligne noire sur le paysage blanc uni. Aucun arbre en vue, aucun signe ne laissait penser que cet endroit se trouvait près de la forêt.
La dernière scène lui montra Nuage d’Écureuil. Sachant qu’il lui était interdit de parler, Nuage de Feuille réprima avec peine un cri de soulagement et de joie. Sa sœur trottait dans un immense champ vert. Juste avant que la vision disparaisse, elle eut l’impression que plusieurs chats l’accompagnaient. Puis, de nouveau, elle se retrouva plongée dans les ténèbres.
Peu à peu, la sensation de la pierre froide sous ses pattes lui revint et le temps infini où flottaient les rêves du Clan des Étoiles redevint une nuit fraîche et ordinaire de la saison des feuilles mortes. Nuage de Feuille ouvrit les yeux et s’écarta de la Pierre de Lune avant de se dresser sur des pattes tremblantes. Elle se sentait étrangement rassurée, comme un chaton protégé par sa mère pendant son sommeil. Le Clan des Étoiles avait préservé le lien qui l’unissait à sa sœur, malgré la distance qui les séparait.
Les autres guérisseurs se levèrent les uns après les autres, prêts à regagner la surface. Papillon les imita, les yeux illuminés d’un éclat d’émerveillement. Nuage de Feuille fut soulagée de voir que leurs ancêtres l’avaient acceptée. Quels que soient ses sentiments pour ses camarades de Clan, l’apprentie ne douterait plus de l’approbation du Clan des Étoiles.
Patte de Pierre plaça le bout de sa queue sur les babines de la novice, lui intimant le silence, puis les mena hors de la caverne. De nouveau, Nuage de Feuille se plaça en dernier et trotta le long du tunnel tortueux jusqu’au monde ordinaire.
Dès qu’ils atteignirent la sortie, Papillon bondit au sommet d’un pic rocheux. Rejetant la tête en arrière, elle poussa un cri de triomphe retentissant.
Patte de Pierre l’observa, secouant la tête avec indulgence.
« Tu vois, ça n’était pas si terrible, déclara-t-il. Eh bien, ça y est, tu es une véritable apprentie guérisseuse, maintenant. Comment te sens-tu ?
— Merveilleusement bien ! J’ai vu Plume de Faucon menant une patrouille, et… »
Elle s’interrompit en voyant Nuage de Feuille froncer les sourcils, pour lui rappeler que les guérisseurs ne partageaient pas leurs rêves tant qu’ils ignoraient leur signification.
L’apprentie du Clan du Tonnerre rejoignit son amie pour presser son museau contre le sien.
« Félicitations ! miaula-t-elle. Je t’avais dit que tout se passerait sans problème.
— C’est vrai, admit Papillon, les yeux brillants. Dorénavant, tout ira bien. Le Clan de la Rivière saura que le Clan des Étoiles m’a acceptée et ils devront s’incliner ! »
Elle dévala la pente, laissant les autres derrière elle. Nuage de Feuille l’observa, l’esprit encombré de questions. Qu’avait vu Papillon ? Et Museau Cendré ? Son mentor semblait pensif, mais son regard restait impénétrable.
Réprimant un frisson, elle se souvint de ses propres visions. Existait-il une chose si puissante qu’elle pouvait ébranler l’un des Quatre Chênes ? Et pourquoi ces chats voyageaient-ils au milieu du froid mordant de la mauvaise saison ? Si le Clan des Étoiles lui avait envoyé des signes concernant l’avenir du Clan, comment devait-elle les interpréter ?
Malgré ses incertitudes, Nuage de Feuille était pleine d’espoir. Même si Nuage d’Écureuil se trouvait bien loin de la forêt, le Clan des Étoiles lui avait montré qu’elle était saine et sauve.
Ramenez-la bientôt, pria l’apprentie en suivant les autres félins dans la descente. Où que les mène leur voyage, s’il vous plaît, faites en sorte qu’ils reviennent tous sains et saufs.