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CHAPITRE 17
GRIFFE DE RONCE SE RÉVEILLA EN SURSAUT, sentant qu’on lui donnait de petits coups dans les côtes.
« Debout, Griffe de Ronce, murmura Nuage d’Écureuil d’un ton pressant. Jolie Plume et Nuage Noir ont disparu ! »
Le guerrier s’assit, les yeux tout ensommeillés. Pelage d’Or était elle aussi sur ses pattes, et Pelage d’Orage sortait tout juste du nid qu’il s’était fabriqué sous un bouquet de fougères. La novice avait raison : aucun signe des deux autres.
L’esprit encore confus, il s’efforça de se lever. Le soleil était déjà au-dessus de l’horizon, dans un ciel clair piqué de petits nuages moutonneux. Le vent qui soufflait sur le champ faisait onduler l’herbe mais ne diffusait aucune odeur de chat. Griffe de Ronce se demanda tout d’abord si Jolie Plume et Nuage Noir étaient retournés chez eux. S’étaient-ils sentis découragés, rejetés, parce qu’ils n’avaient pas reçu le signe de l’eau salée ? Et s’ils avaient fait demi-tour, Pelage d’Or et lui pourraient-ils accomplir la mission seuls ?
Il se raisonna. Si Nuage Noir pouvait penser ainsi, Jolie Plume, elle, ne renoncerait jamais. Or, où qu’ils soient, les deux félins étaient sûrement ensemble. Il était peu probable qu’un prédateur les ait attrapés car l’endroit ne présentait aucun danger et, de toute façon, le bruit les aurait alertés.
« Va voir au point d’eau, ils sont peut-être partis boire, suggéra-t-il à Nuage d’Écureuil, qui le regardait toujours d’un air paniqué.
— J’y suis déjà allée. Je ne suis pas une cervelle de souris.
— Tu as bien fait… Alors, euh… »
Griffe de Ronce balaya le champ des yeux, désespérant de trouver un plan. Soudain, il aperçut deux petites silhouettes, l’une gris perle, l’autre noire, qui venaient vers eux. Le vent, qui soufflait vers le mur en ruine, avait effacé leur odeur.
« Ils sont là ! » s’exclama-t-il.
Jolie Plume et Nuage Noir les rejoignirent d’un pas vif. Ils portaient tous deux dans la gueule plusieurs proies et leurs yeux brillaient de satisfaction.
« Où étiez-vous passés ? s’enquit Griffe de Ronce. On s’inquiétait pour vous.
— Tu ne devrais pas partir sans prévenir, ajouta Pelage d’Orage à sa sœur.
— À votre avis, on faisait quoi ? rétorqua Nuage Noir, après avoir posé au sol deux souris. Vous ronfliez tous comme des hérissons en plein hiver, alors on a décidé d’aller chasser.
— Le gibier ne manque pas, là-bas, annonça Jolie Plume, indiquant des fourrés au milieu du champ. Nous avons attrapé des tas de rongeurs, il faudra qu’on retourne chercher le reste.
— C’est au tour de ces feignasses d’y aller, grommela Nuage Noir.
— Bien sûr, nous allons vous aider, répondit Griffe de Ronce, qui salivait déjà à l’odeur des souris. Je vous félicite. Restez là pour manger, nous nous occupons du reste. »
Nuage Noir s’était déjà installé et s’apprêtait à mordre dans une souris lorsqu’il répondit :
« Arrête de nous parler comme si tu étais notre mentor. »
Il semblait décidé à être désagréable, mais Griffe de Ronce ignora sa remarque. Malgré le mauvais caractère de l’apprenti, il se sentait plein d’espoir. Ils avaient survécu aux difficultés rencontrées dans les jardins des Bipèdes, le signe reçu par Pelage d’Or indiquait qu’ils suivaient la volonté du Clan des Étoiles, et maintenant, ils allaient profiter d’un bon repas. Tandis qu’il entraînait les autres vers les fourrés, il se dit que la situation aurait pu être pire.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » demanda Griffe de Ronce.
Pendant trois jours, les félins voyageurs avaient traversé les champs, évitant les nids de Bipèdes disséminés ici et là. Ils n’avaient rien croisé de plus dangereux que des moutons. Mais ce matin-là, ils atteignirent un fossé qui longeait une haie partageant deux champs. Tous fixaient du regard les deux créatures qui couraient, renâclant et secouant leur crinière. Griffe de Ronce n’avait jamais vu de bêtes aussi grosses. L’impact de leurs pieds gigantesques faisait trembler le sol.
« Des chevaux, répondit Nuage Noir avec un petit air de supériorité. Parfois, ils traversent notre territoire en portant des Bipèdes sur leur dos. »
Quelle idée farfelue, pensa le guerrier tacheté.
« J’imagine que même les Bipèdes ont besoin de quatre pattes de temps en temps », plaisanta-t-il.
L’apprenti haussa les épaules.
« On peut continuer, s’il vous plaît ? s’impatienta Nuage d’Écureuil. Ce fossé est plein d’eau et ma queue est trempée.
— Bien, allons-y, marmonna Griffe de Ronce. Mais je n’ai pas trop envie de me faire piétiner.
— Les chevaux ne sont pas dangereux, le rassura Pelage d’Orage. Ceux de la ferme à la frontière de notre territoire nous laissent toujours tranquilles.
— Et s’il leur arrivait de nous marcher dessus, ce serait par accident », ajouta Jolie Plume.
Maigre consolation, pensa Griffe de Ronce. Un seul coup de ces drôles de pieds, qui ressemblaient à des morceaux de pierre polie, pouvait briser l’échine d’un chat.
« On n’a qu’à traverser le champ à toute vitesse pendant qu’ils sont de l’autre côté, suggéra Pelage d’Or. Je doute qu’ils nous suivent. Ils doivent être très bêtes, ou alors ils ne laisseraient pas des Bipèdes leur monter sur le dos.
— D’accord. » Ce raisonnement convainquit Griffe de Ronce. « On file tout droit et on se retrouve de l’autre côté de la haie. Et pour l’amour du Clan des Étoiles, on essaye de rester groupés, cette fois-ci. »
Ils attendirent que les chevaux aient trotté jusqu’au fond du champ.
« Maintenant ! » lança Griffe de Ronce.
Il se jeta à découvert, le vent ébouriffant son pelage, suivi de près par ses compagnons. Il crut entendre le martèlement des énormes pieds, mais il n’osa pas ralentir pour regarder derrière lui. L’instant d’après, il franchit d’un bond le fossé qui longeait la haie du fond et plongea dans les buissons.
Un coup d’œil prudent lui apprit que les autres étaient sains et saufs, près de lui.
« Super ! fit-il. On commence à prendre le coup.
— Il serait temps », maugréa Nuage Noir.
Dans le champ suivant se trouvaient d’autres bêtes énormes, groupées à l’ombre de rares arbres. Elles agitaient la queue tout en mâchonnant de l’herbe. Des vaches, se dit Griffe de Ronce. Il en avait déjà vu près de la grange de Nuage de Jais, lors de son voyage aux Hautes Pierres, pendant son apprentissage. Leur pelage noir et blanc était lisse et leurs yeux, immenses, évoquaient de grandes flaques tourbeuses.
Comme les vaches ne prêtaient guère attention à eux, les félins purent traverser le champ plus lentement, fendant l’herbe haute en gardant un œil sur les animaux. Le soleil était presque au zénith. Griffe de Ronce aurait volontiers fait une sieste, mais ils devaient poursuivre. Sachant que le soleil devait sombrer dans l’eau au bout de l’horizon, il vérifiait sans arrêt sa position, guettant son déclin pour s’assurer qu’ils suivaient toujours la bonne direction. Si les nuages venaient à assombrir le ciel, pensa le guerrier, ils n’auraient plus de point de repère.
Laissant les vaches derrière eux, ils arrivèrent à un champ tellement grand qu’ils n’en voyaient pas la fin. Il était recouvert non pas d’herbe mais de tiges plus épaisses, jaunes et rigides comme la paille aperçue dans la grange de Nuage de Jais. Coupées très court, ces tiges leur piquaient les coussinets. Dans le lointain résonnait un terrible rugissement.
« Il est là-bas ! lança Nuage d’Écureuil qui avait grimpé au sommet d’un vieil arbre bordant la haie. Un monstre énorme, dans le champ ! Si loin du Chemin du Tonnerre !
— Quoi ? Mais c’est impossible ! »
Griffe de Ronce bondit près d’elle. Stupéfait, il constata qu’elle avait raison. Un monstre bien plus gros que ceux qui empruntaient le Chemin du Tonnerre traversait lentement le champ en vrombissant. Une espèce de nuage jaune l’enveloppait, emplissant l’air de poussière.
« Tu disais ? lui demanda Nuage d’Écureuil, sarcastique.
— Désolé, répondit-il avant de descendre de l’arbre. Nuage d’Écureuil dit vrai. Il y a un monstre dans le champ.
— Alors on ferait mieux de filer d’ici le plus vite possible, avant qu’il ne nous voie, déclara Pelage d’Orage.
— D’habitude, ils restent sur le Chemin du Tonnerre, gémit Jolie Plume. C’est injuste ! »
Nuage Noir tapota les courtes tiges du bout de la patte.
« Impossible de passer par là, lâcha-t-il. On finirait tous les coussinets en sang. On va devoir contourner la haie. »
Il fixait durement les autres, comme s’il s’attendait à être contredit. Personne ne répondit, sauf Jolie Plume qui murmura son assentiment. Nuage Noir avait de bonnes idées, se dit Griffe de Ronce. Si seulement il se montrait moins agressif en les exposant…
L’apprenti du Clan du Vent ouvrit la voie, suivi de près par les autres. Ils longeaient la haie, de façon à pouvoir s’y cacher si le monstre les pourchassait. Entre la haie et les tiges jaunes se trouvait une bande d’herbe tout juste assez large pour permettre aux chats de s’y faufiler.
« Regardez ça ! » s’exclama Pelage d’Or.
Elle inclina ses oreilles vers une souris tapie entre les tiges, en train de grignoter une des graines répandues sur le sol. Avant que quiconque ait eu le temps de bouger, Nuage d’Écureuil bondit, roula parmi les tiges et se releva tant bien que mal, la souris dans la gueule.
« Tiens, fit-elle en posant le rongeur devant Pelage d’Or. C’est toi qui l’as vue en premier.
— Je peux attraper mes propres proies, merci », rétorqua sèchement la guerrière.
Griffe de Ronce se rendit compte que la souris n’était pas seule : d’autres se gavaient de graines un peu partout dans le champ. À croire que le Clan des Étoiles leur offrait la possibilité de chasser pour bien se nourrir. Une fois que Nuage d’Écureuil eut mangé, il l’envoya monter la garde dans un autre arbre pour surveiller le monstre, au cas où il changerait de direction.
Mais la créature garda ses distances. Lorsqu’ils reprirent leur périple, le guerrier du Clan du Tonnerre se sentit ragaillardi par la nourriture et plus optimiste : maintenant que le soleil déclinait, il pouvait être sûr de leur itinéraire. Une fois le champ de tiges derrière eux, leur progression devint plus aisée. La chaleur de la journée pesait encore dans l’air ; des abeilles bourdonnaient. Un papillon voleta devant eux. Nuage d’Écureuil leva mollement une patte, trop engourdie pour le chasser.
Lorsqu’ils approchèrent du bord de la prairie, Pelage d’Or avait pris la tête du groupe, suivie de Pelage d’Orage et de Nuage d’Écureuil. Nuage Noir et Jolie Plume venaient ensuite, et Griffe de Ronce fermait la marche, à l’affût du moindre danger.
Cette fois-ci, ils ne tombèrent pas sur une haie mais sur une clôture de Bipèdes fabriquée dans un matériau fin et brillant. Elle ressemblait à un treillage de brindilles entrelacées, mais les espaces entre chacune étaient réguliers. Ils ne pouvaient l’escalader. En revanche, le jour entre le bas de la clôture et le sol était suffisamment grand pour qu’un chat s’y faufile.
Griffe de Ronce s’aplatit, plantant ses griffes dans la terre pour s’aider, mais il sentait la clôture lui labourer le dos. Près de lui, Pelage d’Orage l’imita. Tandis que le jeune guerrier se redressait, il entendit un cri de rage.
« Je suis coincée ! »
C’était la voix de Nuage d’Écureuil. Le guerrier tacheté revint vers elle en soupirant, Pelage d’Orage sur les talons. Nuage Noir et Jolie Plume se tenaient déjà près de la jeune apprentie, et Pelage d’Or les rejoignit peu après.
« Restez pas plantés là ! miaula la rouquine. Sortez-moi de là ! »
Elle avait plaqué son ventre au sol pour passer, mais était restée bloquée à mi-chemin. Le matériau de la clôture, qui commençait à se défaire, s’était pris dans sa fourrure. Chaque fois qu’elle se tortillait, les bouts pointus lui rentraient dans la peau, lui arrachant un gémissement.
« Tiens-toi tranquille », lui ordonna Griffe de Ronce. Il étudia la situation. « Si on déterrait ce poteau, la clôture se détacherait. » Le morceau de bois avait l’air solidement planté dans le sol, mais s’ils s’y mettaient tous…
« On irait plus vite en coupant les brindilles avec nos dents », intervint Pelage d’Orage. Il donna de petits coups de canine dans la clôture, mais celle-ci ne céda pas. « Non, c’est trop dur.
— Sans blague ! railla Nuage Noir. C’est plutôt sa fourrure qu’il faudrait arracher à coups de dents !
— Laisse ma fourrure tranquille, espèce de cervelle de souris ! »
L’apprenti du Clan du Vent montra les dents.
« Si tu avais fait attention, ce ne serait pas arrivé. Et si on ne parvient pas à te libérer, tu devras rester là.
— Pas question ! intervint Pelage d’Orage. On ne peut pas l’abandonner ! Je resterai avec elle, s’il le faut.
— Parfait ! rétorqua Nuage Noir. Comme ça, nous quatre, les vrais élus, pourrons continuer sans vous. »
Les poils du guerrier du Clan de la Rivière se dressèrent sur sa nuque. Il fit basculer son poids sur ses pattes arrière si bien que les muscles de ses cuisses roulèrent sous sa fourrure gris sombre. Les deux matous étaient à un poil de souris de se battre. Griffe de Ronce constata avec inquiétude que quelques moutons s’étaient approchés d’eux, tandis que dans le lointain il entendait un chien aboyer. Il leur faudrait partir au plus vite.
« Ça suffit ! rugit-il, s’interposant entre les deux mâles. On ne laisse personne derrière. Il doit y avoir un moyen de la sortir de là. »
Pelage d’Or et Jolie Plume s’étaient couchées près de l’apprentie. La chatte grise mâchait des feuilles d’oseille.
« Franchement ! s’exclama-t-elle en crachant la mixture, exaspérée. Vous, les mâles, vous ne savez donc rien faire à part vous disputer ?
— Que veux-tu, c’est la seule chose pour laquelle ils sont doués, répondit Pelage d’Or, une lueur amusée dans les yeux. C’est ça, étale l’oseille sur sa fourrure. Ça devrait la rendre bien glissante. Rentre le ventre, Nuage d’Écureuil, tu as mangé trop de souris ! »
Griffe de Ronce observa Jolie Plume appliquer la pulpe d’oseille sur le pelage de l’apprentie, frottant avec sa patte avant dans les bourres de poils autour de la clôture.
« Essaye encore », lui indiqua Pelage d’Or.
Les griffes plantées dans le sol, Nuage d’Écureuil tira de toutes ses forces sur ses pattes avant, et poussa sur ses pattes arrière.
« Ça ne marche pas ! fulmina-t-elle.
— Mais si », lui assura Jolie Plume d’une voix tendue. La guerrière appliqua une patte sur l’épaule de Nuage d’Écureuil, qui était maintenant toute visqueuse. « Continue.
— Et dépêche-toi ! » ajouta Griffe de Ronce.
Le chien aboya de nouveau, dispersant les moutons venus les observer. Une odeur de canidé leur parvint, portée par la brise. Pelage d’Orage et Nuage Noir se préparèrent à détaler.
Nuage d’Écureuil fit un dernier effort, colossal, et s’extirpa enfin de la clôture. Une touffe de fourrure rousse y resta accrochée, mais l’apprentie était enfin libre.
« Merci, miaula-t-elle aux deux chattes en s’ébrouant. C’était une idée géniale ! »
Elle avait raison. Griffe de Ronce regrettait de ne pas y avoir pensé lui-même. Enfin, ils allaient pouvoir reprendre leur progression, droit vers le couchant… et vite, avant que ce chien ne les rattrape. Il les mena à travers champs, convaincu que le Clan des Étoiles les guidait.
En ouvrant les yeux le lendemain matin, Griffe de Ronce fut désemparé à la vue du ciel voilé par une épaisse couverture nuageuse. Sa confiance envers le Clan des Étoiles vacilla. Voilà ce qu’il avait redouté depuis le début. Ce n’était peut-être qu’un hasard si le ciel était resté dégagé jusque-là. Comment pouvait-il savoir dans quelle direction aller s’il ne pouvait voir le soleil ?
Ses compagnons dormaient toujours. La veille au soir, ils n’avaient trouvé comme abri qu’une petite cuvette dans un champ, protégée par deux arbustes au tronc noueux. Griffe de Ronce se sentait de plus en plus nerveux sans la voûte familière de la forêt au-dessus de sa tête. Il ne s’était jamais rendu compte à quel point les siens et lui dépendaient des arbres : ils y trouvaient du gibier, un abri et une cachette. Il repensa à la prophétie d’Étoile Bleue, et une terrible anxiété se referma sur lui comme une mâchoire de blaireau sur sa nuque.
Pour se dégourdir les pattes, il grimpa au sommet de la cuvette afin de jeter un œil alentour. Le ciel arborait un gris uniforme ; l’air était humide, comme s’il allait pleuvoir. Au loin se trouvaient une ceinture d’arbres et d’autres nids de Bipèdes. Griffe de Ronce espérait que leur itinéraire ne les conduirait pas une nouvelle fois en terrain hostile.
« Griffe de Ronce ! Griffe de Ronce ! »
Une voix excitée retentit dans son dos. En se retournant, il vit Jolie Plume courir vers lui.
« Je l’ai eu !
— Quoi donc ?
— Le signe de l’eau salée ! précisa-t-elle, ronronnant de plaisir. J’ai rêvé que je marchais au bord d’une étendue rocailleuse où s’écoulait un ruisseau. Lorsque je me suis penchée pour y boire, l’eau était toute salée, et je me suis réveillée avec son goût dans la bouche.
— C’est formidable, Jolie Plume. »
L’inquiétude du guerrier se dissipa un peu. Le Clan des Étoiles veillait toujours sur eux.
« Cela signifie que seul Nuage Noir n’a pas reçu de signe, poursuivit la chatte, coulant un regard vers l’apprenti qui dormait dans une touffe d’herbe.
— Alors on ne devrait peut-être pas évoquer ton rêve devant lui, suggéra-t-il, mal à l’aise.
— C’est impossible ! protesta-t-elle, choquée. Il le découvrirait d’une façon ou d’une autre, et il penserait qu’on l’a trompé délibérément. Non, ajouta-t-elle après avoir réfléchi un instant, laisse-moi le lui dire. J’attendrai qu’il soit de bonne humeur.
— Tu n’es pas près de lui en parler, alors ! » ricana-t-il.
Jolie Plume émit un petit miaulement peiné.
« Oh, Griffe de Ronce ! Nuage Noir n’est pas si terrible. Ça a été très dur pour lui de quitter la forêt juste avant son baptême de guerrier. À mon avis, il se sent isolé. Moi, j’ai Pelage d’Orage, et toi, Pelage d’Or et Nuage d’Écureuil. On se connaissait déjà tous avant, alors que Nuage Noir est tout seul. »
Griffe de Ronce n’avait jamais considéré les choses sous cet angle. Il prendrait le temps d’y réfléchir, même s’il doutait de pouvoir montrer plus de patience envers ce novice qui le contredisait sans cesse.
« Nous sommes tous loyaux envers nos Clans, miaula-t-il. Envers la forêt et le code du guerrier également. Nuage Noir comme nous tous. Il s’en sortirait très bien s’il arrêtait de vouloir jouer les chefs, alors qu’il n’est qu’un apprenti. »
— Tu as raison, mais quand il apprendra qu’il est le seul à ne pas avoir eu de signe… »
D’un geste bref, Griffe de Ronce pressa son museau contre celui de Jolie Plume :
« Alors parle-lui. On ferait bien de les réveiller et de se mettre en route. Enfin, si on arrive à déterminer la bonne direction.
— Par là. » Elle leva la queue vers la ceinture d’arbres au bout du champ. « Le soleil s’est couché derrière hier soir. »
Et après ? se demanda Griffe de Ronce. Sans le soleil, comment trouveraient-ils leur chemin ? Le Clan des Étoiles leur viendrait-il en aide pour découvrir l’endroit où le soleil sombrait dans l’eau ? En redescendant dans la cuvette et avant de réveiller ses compagnons, il adressa une courte prière aux guerriers de jadis.
Montrez-nous la voie, par pitié. Et veillez sur nous lorsque les ennuis arriveront… quels qu’ils soient.