Quelques mots…

Je livre ici un roman historique, un ouvrage de fiction.

J’ai tout de même tenté de respecter scrupuleusement la chronologie et les événements survenus entre 1863 et 1870. La très grande majorité des personnages évoqués jouent leur propre rôle sur la scène que je leur ai créée. Bien sûr, aucun d’entre eux n’a exactement prononcé les paroles que je leur mets dans la bouche, mais j’ai par contre essayé de retrouver leur ton en parcourant leurs écrits. Par exemple, dans une lettre, Gilbert McMicken a réellement suggéré d’utiliser des prostituées pour connaître les projets de la Fraternité fénienne…

Tous les personnages ne sont pas tirés de l’histoire. David Devlin, John Donovan, Eithne Ryan et sa sœur n’existent que dans mon imagination. Ils sont presque les seuls dans ce cas. En effet, le consul Archibald et sa fille Édith, qui écoutait les conversations de son père avec des informateurs cachée derrière un passe-plat, ont bien existé. Il en va de même pour Elizabeth Warne, la responsable des détectives de sexe féminin, puis des espionnes figurant dans le service de renseignements dirigé par Allan Pinkerton. Elle mourut prématurément de la tuberculose. Parfois, j’ai donné un nom d’emprunt à un personnage réel: l’assistant du secrétaire aux finances de la Fraternité, que j’appelle Rudolph Fitzwilliam, s’appelait en réalité Rudolphus Fitzpatrick. Lui trouver un patronyme ne m’a pas demandé grand effort.

Cet homme a été soupçonné d’être un informateur en 1867, mais il aurait participé à l’invasion de 1870. La petite sortie de scène que je lui ai concoctée n’a pas eu lieu.

Habitués aux récits d’espionnage contemporains, la lectrice ou le lecteur trouveront peut-être mon personnage central bien désinvolte, et miraculeusement chanceux d’échapper à tous les soupçons. Des agents secrets pouvaient-ils se comporter comme des amateurs, et les organisations révolutionnaires faire preuve de tant de naïveté?

En fait, pour composer le personnage de David Devlin, j’ai utilisé l’autobiographie d’un autre personnage du roman, bien réel celui-là, parue sous son nom d’espion de Henry Le Caron (Twenty-five Years in the Secret Service. Recollections of a Spy, 1892), plutôt que le sien propre: Thomas Miller Beach. Cet homme a pu œuvrer comme premier collaborateur de John O’Neil alors que celui-ci était secrétaire à la guerre, puis président de la Fraternité fénienne. Lors de l’invasion de 1870, il a bel et bien fait en sorte de fournir des armes pour deux mille hommes, alors qu’il ne s’en présenta que cinq cents. Aucun de ses prédécesseurs n’avait pu faire preuve d’une pareille efficacité!

Au fil des ouvrages que j’ai consultés, ce qui m’a le plus étonné, c’était l’omniprésence des informateurs britanniques auprès des officiers de la société révolutionnaire. Je le dis dans le roman: cela doit être un record absolu. Non seulement James Stephens employait un secrétaire particulier qui informait Dublin Castle, mais ce fut aussi le cas de son successeur, Kelly! Et pendant un temps, il semble bien que trois des quatre secrétaires de l’organisation américaine aient eu un espion parmi leurs collaborateurs immédiats.

Il faudra attendre les années 1870 pour voir à la fois une radicalisation du mouvement fénien, son recours au terrorisme (favorisé par l’invention de la dynamite par Alfred Nobel en 1860: quelques années seront nécessaires avant que des militants réalisent le potentiel de ce produit…) et l’exécution pure et simple des informateurs. Cela a correspondu à la création d’une «organisation dans l’organisation», le Clan na Gael, dont je donne ma petite version issue du cerveau de John Donovan. À compter de ce moment, le mouvement devint dangereusement efficace. Pour connaître les activités révolutionnaires irlandaises dans les années 1870 et 1880, l’ouvrage de Christy Campbell s’avère très intéressant. (Fenian Fire. The British Government Plot to Assassinate Queen Victoria, London, Harper Collins, 2003)

Dans ce texte, la cohérence du récit exigeait que je donne ma version — imaginaire — de l’assassinat de Thomas D’Arcy McGee. À cet égard, je me suis beaucoup inspiré, tout en me donnant une immense licence littéraire, d’un article de David A. Wilson («The Fenians in Montreal, 1862-68: invasion, intrigue, and assassination», Journal of Irish Studies, Fall-Winter, 2003). En fait, toute ma présentation des activités féniennes à Montréal s’inspire de ses travaux, de même que le rôle que je fais jouer à James Patrick Whelan. Je transforme certains de ses soupçons en certitude. Cet homme affirmait ne pas être le meurtrier, mais connaître le coupable. Évidemment, ne sachant pas qui a fait le coup, je charge l’un de mes «personnages inventés» du crime.

Le prince Arthur résida à Montréal à l’époque où je l’indique, il se rendit à la frontière américaine avec les troupes de volontaires lors de l’invasion fénienne de 1870. Je ne sais pas si on voulut attenter à sa vie. Cependant, son frère Alfred a bien été attaqué dans la banlieue de Sydney en Australie: l’événement m’a inspiré, comme il a inspiré John Donovan.

Jean-Pierre Charland

Montréal, le 20 avril 2005