LES ARTS

Contrairement aux Grecs, les Romains ne recherchent ni l’harmonie ni la forme parfaite.

L’art romain est essentiellement fonctionnel : commémoratif, il exalte les victoires de Rome. Utilitaire, il propose une architecture au pragmatisme et au confort optimisés. Il rythme la vie du citoyen et de sa cité et se fait symbole de leur réussite.

Utile, colossal, solide et durable, il cherche à impressionner les hommes et à leur faire sentir la grandeur du pouvoir qui les gouverne : il marque les mentalités des Romains et celles des peuples qu’ils ont conquis.

Architecture

Inspirés par les Grecs et les Étrusques, les Romains font de l’architecture un art voué au solide, au pratique et à l’utilitaire. Ils construisent des monuments durables qu’ils reproduisent dans chaque pays conquis : aqueducs, amphithéâtres, voies publiques, arcs de triomphe, thermes et égouts sont des marqueurs de la progression romaine à travers le monde. Ces monuments se caractérisent par des éléments récurrents.

Colonnes

Les Romains reprennent les ordres grecs, mais en les associant. Colonnes doriques (chapiteau sans décor et peu de cannelures sur le fût), ioniques (chapiteau à volutes et fût orné de vingt-quatre cannelures) et corinthiens (chapiteau orné de feuilles d’acanthe, fût ornementé) peuvent coexister dans la même structure.

Ils y ajoutent un nouvel ordre, le toscan (chapiteau finement décoré, fût lisse), et travaillent de plus en plus les chapiteaux de leurs colonnes.

Voûtes et arcs

Les Romains tournent le dos aux plates-bandes, aux toits aigus et aux entablements faits de poutres et de pierres d’un seul morceau des Grecs, pour leur préférer des arcades et des coupoles. Les arcs leur permettent de se servir de matériaux peu coûteux, pouvant se fabriquer sur le lieu même de la construction : les briques. C’est le matériau de base de l’expansion romaine : le marbre, le granit ou la pierre travertine sont réservés à certains éléments (colonnes, portiques). Masse solide, cohérente et plus légère que la pierre, la brique permet l’édification rapide de bâtiments aux vastes dimensions.

Elle permet aux architectes romains d’employer quasi systématiquement des arcs dans leurs constructions : arcades soutenues par des colonnes, arcs de triomphe, voûtes des salles chaudes des thermes, portes gardant les murailles de la cité…

Une construction utilitaire représentative : l’aqueduc

Après avoir choisi le meilleur tracé pour l’aqueduc, on dessine sur un plan la coupe du terrain grâce à des chorobates (ancêtres de nos outils de vérification des niveaux). On détermine la ligne horizontale que parcourra l’aqueduc et on note, tous les 1,20 mètre, la distance entre le sol et cette ligne, pour déterminer les endroits où la construction devra être souterraine ou surélevée : la pente de l’aqueduc doit rester continue pour assurer la circulation de l’eau.

Pour que personne ne puisse voler ou empoisonner l’eau, l’aqueduc est construit à une hauteur de 15 mètres, sur une rangée continue d’arches édifiées sur des piles carrées s’appuyant sur de grandes fondations maçonnées avec du béton. On construit d’abord les piles, puis les arcs et, au-dessus, la conduite de l’aqueduc : un lit de pierres non taillées recouvertes et liées par du mortier. L’intérieur de la conduite est revêtu d’enduit très dur, pour éviter les fuites.

Si l’aqueduc doit traverser une colline, on creuse des puits tous les 20 mètres, avant de les relier grâce à la conduite, que l’on revêt alors de pierres et d’enduit.

Il faut entre cinq et sept ans pour construire un aqueduc permettant d’approvisionner en eau une ville située à une trentaine de kilomètres de là.

Art paléochrétien

Si l’art chrétien s’inspire au départ des formes et des matières utilisées dans l’art païen, il inventera peu à peu des structures originales, valorisant la spiritualisation de la société et offrant à la foi chrétienne une iconographie nouvelle.

L’ornementation des catacombes

Ce sont les catacombes qui, les premières, ont permis aux chrétiens de trouver un espace de libre expression artistique. Ces lieux de mort se transformèrent en mémorial des pieux exploits des martyrs et en galerie des symboles chrétiens.

Poissons et vignes sculptés à même la roche, tableaux de la vie du Christ, fresques relatant les épreuves puis la béatification des saints, statues des gardiens de la foi, tombeaux ouvragés exaltant les vertus des bienheureux ayant trouvé les chemins du Paradis, extraits de la Bible peints sur les parois, représentations de banquets funéraires ou de paysages paradisiaques, peintures de bergers guidant les masses… Les catacombes relaient souterrainement, secrètement, les paroles de la Bible : on peut les considérer comme les ancêtres des églises, avant que l’Empire n’admette enfin la construction et la fréquentation officielles de ces lieux de culte enfin visibles pour tous.

Les mosaïques de Ravenne

Le règne de Constantin permet de voir se multiplier, dans le monde romain, de nouveaux édifices cultuels : les basiliques. Autrefois utilisées dans la vie publique romaine, ces bâtiments gagnent une importance nouvelle.

En devenant la capitale de l’Empire romain d’Occident à partir de 402, Ravenne se devait de devenir une ville fastueuse abritant des monuments prestigieux. Il faudra attendre qu’elle s’orientalise pour qu’elle se dote d’une basilique, Saint-Vital, dont les mosaïques constituent un resplendissant témoignage de l’implantation de la foi chrétienne dans l’Empire romain et du multiculturalisme de celui-ci.

Mosaïque

Héritée de la Grèce, la mosaïque est omniprésente dans le décor romain : plafonds, parois et sols des bâtiments privés et publics s’enorgueillissent de ces compositions de tesselles colorées.

Techniques

Trois types d’opus

Il existe plusieurs techniques de mosaïque : l’opus tesselatum, l’opus vermiculatum et l’opus sectile.

La première repose sur l’utilisation d’un mortier fin et l’utilisation de galets ou de tesselles (petites pierres cubiques) de 8 à 10 millimètres de côté. On l’utilise pour recouvrir rapidement de grandes surfaces.

La deuxième est plus sophistiquée : elle imite, le plus fidèlement possible, les effets de la peinture et de ses nuances. Les tesselles sont taillées sur mesure et peuvent être très fines (quelques millimètres de côté). Ce genre de mosaïque permet de représenter des scènes figuratives d’un grand dynamisme.

Enfin, la troisième utilise de grands fragments inégaux de pierre ou de verre coloré. Elle sert à réaliser des motifs plus simples : ornementations géométriques, végétaux, dessins figuratifs… Les tesselles de verre sont majoritairement employées sur les murs, pour éviter tout risque de cassure sous le passage quotidien des pas. Les mosaïstes recourent parfois aux pierres précieuses pour des commandes impériales, afin d’obtenir des coloris plus vivaces et brillants.

Préparation de la surface

Une fois les tesselles taillées, les Romains préparent la surface sur laquelle ils les poseront à l’aide de petites pinces. S’il s’agit d’une mosaïque au mur, ils passent plusieurs couches d’enduit avant d’esquisser sur le mortier des dessins préparatoires au charbon, qui leur permettront de savoir où placer chacune des pierres.

S’il s’agit d’un sol, ils creusent un trou de 60 centimètres de profondeur : la terre y est compactée et aplanie, puis écrasée par une double couche de planches sur laquelle on dispose un premier lit de grosses pierres, que l’on recouvre d’une couche de gravier, puis d’une couche de gravats de terre cuite mêlée à du mortier. On obtient ainsi une surface solide sur laquelle on applique une dernière couche d’enduit avant de dessiner puis de créer la mosaïque.

Rôle

Son rôle est pratique : les surfaces ainsi couvertes sont solides et peuvent être lessivées plus facilement. Suivant la nature des pièces à décorer, le budget et le goût du commanditaire, la mosaïque peut être un simple pavement uni ou former un tapis de représentations complexes : elle est un art décoratif accessible à toutes les bourses, contrairement à la peinture, réservée aux classes aisées.

Au départ, la mosaïque est noire et blanche : elle sert d’enseignes à des boutiques et des corporations, décore les premiers bains publics, orne le bassin des fontaines républicaines et le sol des maisons.

Avec le développement du style polychrome, la mosaïque devient un art décoratif à part entière, qui permet au riche propriétaire de faire la démonstration de sa fortune et de ses goûts (chasse, théâtre, etc.). Les sols des salles à manger portent des représentations d’aliments jetés au sol, comme pour encourager les convives à festoyer. Les portiques des jardins fleurissent de fleurs de pierre et laissent échapper, derrière des colonnades ornementées de tesselles colorées, des silhouettes d’animaux sauvages. De temps en temps, des écritures jaillissent sur les murs ou sur les sols, invitant à se méfier du chien (Cave canem !) gardant la maison, à identifier les différents personnages représentés dans une fresque ou à méditer quelque maxime philosophique célèbre.

La ville n’est pas en reste : les thermes s’ornent d’athlètes musclés, de gracieuses nymphes à la beauté rafraîchissante ou de créatures marines étranges semblant jaillir des profondeurs. Les fontaines content les amours de Neptune et d’Amphitrite et les lupanars réputés attisent le désir des clients de leurs mosaïques érotiques. Plus tard, les grandes basiliques chrétiennes transmettent leur foi à l’aide de mosaïques narrant des scènes religieuses.

Musique

La musique est très présente dans la vie des Romains : elle accompagne les banquets, les jeux du cirque, les spectacles, les rituels religieux, le quotidien de l’armée en marche et certains rites destinés à soigner les malades.

Si l’hostilité des Pères de l’Église a détruit les partitions (la musique des fêtes et du théâtre païens ayant été bannis de l’Empire devenu chrétien), certains textes antiques, les peintures pompéiennes et le travail des archéologues nous ont permis de retrouver et reconstituer certains instruments, et d’imaginer le type de mélodies et de chants composés par les Romains.

Instruments à vent

Ils sont employés pour accompagner les marches militaires ou certaines manifestations publiques. Le lituus, un long tuyau légèrement recourbé, produit un son haut et strident. Le cornu, ancêtre cuivré du cor hérité des Étrusques, émet un son grave et sombre qui dirige les formations de marche et de combat sur le champ de bataille. La tuba, grand-mère en bronze de la trompette, lâche des sons terrifiants propres à faire fuir l’ennemi ou à donner l’alarme ou le signal d’attaque aux légionnaires : la bucina, son dérivé, signale les changements de tours de garde ou les mouvements de la cavalerie.

La vie religieuse se fait au son des flûtes : la tibia (flûte double inspirée de l’aulos grecque) fait résonner ses mélopées semblables à celles de notre clarinette dans les offices quotidiens, lors des sacrifices ou pour accompagner les chants de lamentation. La syrinx (flûte de Pan) retentit dans les cultes à mystères et dans certaines lectures poétiques.

Instruments à cordes

Les Romains ont emprunté leurs instruments à cordes aux Grecs pour composer les airs accompagnant leurs banquets, leurs spectacles ou leurs rituels religieux.

La lyre (lyra) est constituée de sept cordes tendues dans une carapace de tortue et dans un corps de résonnance en bois, encadré de deux bras en corne d’animal ou de bois ; elle se joue assis. Elle est peu à peu remplacée par la cithare (cithara), qui présente la même structure, mais agrandie : ses onze cordes produisent un son plus fort et plus grave. On en joue debout, pour accompagner les manifestations poétiques. Les musiciens chantent en jouant de la main gauche, avant de redoubler la mélodie ou d’exécuter des solos de la main droite, à l’aide d’un plectre.

Les Romains connaissent aussi le luth : cette sorte de mandoline étire ses cordes le long d’une planche où des cases dessinées indiquent les notes jouables. S’ils se lassent de ces trois instruments, ils peuvent se réfugier dans les harmoniques de la sambuca ou du trigonum, deux harpes (la première de taille imposante, l’autre réduite de manière à pouvoir tenir dans la main) accompagnant les banquets ou les déclamations de poésie.

Instruments à percussion

Les percussions rythment la marche des soldats, les danses improvisées dans les auberges, les festivités des banquets, les rituels religieux et les spectacles théâtraux : avant d’être mélodie, la musique romaine est rythme.

Cymbales (cymbala), tambourins (tympana), cloches, hochets de bois ou de métal, crécelles, grelots et castagnettes cadencent les processions ou les sautillements des saltimbanques. Les flûtistes se chaussent parfois de scabella : ces souliers à semelles de bois très épaisses sont percés, sous les orteils, d’une fente horizontale profonde où est logé un petit morceau de métal. Chaque pas permet ainsi de faire retentir un joyeux cliquetis battant la mesure.

Enfin, certaines percussions, comme le sistre (sistrum), sont réservées au domaine religieux : cet instrument, fait d’anneaux passés à travers une barre de métal, est agité par les prêtres égyptiens pour éloigner les démons cherchant à perturber les rituels encadrant le culte d’Isis.

L’orgue hydraulique

Instrument datant de l’époque impériale, l’orgue hydraulique accompagne de son timbre puissant les courses de char, les combats de gladiateurs ou les spectacles théâtraux. Ses tuyaux sont mis en vibration par le souffle d’un musicien ou par une vessie remplie d’air : elle est donc l’ancêtre de la cornemuse et de l’orgue.

Mélodies

Les Romains auraient produit de la musique monophonique, c’est-à-dire constituée de mélodies simples et non harmoniques.

Ils se sont certainement inspirés de la notation grecque pour écrire leurs partitions : quatre lettres correspondant à quatre notes indiquent aux musiciens la mélodie. Au-dessus de chaque note, des signes rythmiques indiquent la longueur de celle-ci.

Quant au chant, il suit les principes de la scansion poétique.

Peinture

Si la peinture grecque était considérée comme l’art par excellence et a laissé des noms d’artistes prestigieux (Protogènes, Zeuxis, Apelle), les Romains ne lui accordent pas la même place, bien qu’ils nous aient laissé des peintures murales stupéfiantes à Pompéi, Herculanum et Stabies.

Peindre

Les Romains maîtrisent deux techniques de peinture murale : la peinture à sec et la fresque. La première, héritée des Égyptiens, consiste à appliquer sur un enduit sec (plâtre, chaux) des pigments associés à un liant (œuf, colle) qui permet de les fixer. La seconde, inspirée des tombes étrusques, fait appliquer les pigments sur l’enduit humide : le processus de carbonatation les fixe et leur permet de rester très vivaces.

Les pigments sont d’origine minérale et végétale ; certains sont fabriqués artificiellement. Le peintre les applique à l’aide de pinceaux aux brosses de soies de porc ou de poils de blaireau, qu’il trempe dans de petits pots contenant les pigments qu’il a broyés ou travaillés dans un mortier. Il les applique après avoir dessiné, sur la paroi, une organisation générale du décor et des ensembles de personnages.

Chaque peintre est engagé en fonction de sa spécialité : décors, scènes figurées, portraits, ornementation végétale… Perçue comme un artisanat plutôt qu’un art, la peinture ne permet pas l’émergence de célébrités.

Quatre styles de peinture

Ce que l’on nomme le premier style se caractérise par une peinture murale organisée schématiquement en trois parties : une plinthe haute, un panneau médian, une corniche. Elles sont peintes de plaques de marbre, de motifs géométriques évoquant la mosaïque ou de scènes de genre, de paysages et de natures mortes. Ce style cherche avant tout à tromper l’œil, en faisant d’une pièce un espace plus grand et plus luxueux qu’elle ne l’est réellement. Il est au service de l’ornementation pure : présent dans de riches complexes architecturaux comme dans de modestes demeures, il vise la grandeur et l’harmonie.

Le deuxième style cherche lui aussi à donner de la recherche et de la grandeur aux maisons romaines, mais en créant de faux espaces : complexes architecturaux, faux théâtres, fenêtres irréelles, jardins dessinés… Le mur est moins un fond à décorer qu’un écran sur lequel on fait défiler l’improbable : défilés religieux, personnages historico-légendaires et scènes de chasse se déploient entre des panneaux ornementés d’objets de la vie quotidienne (fruits, masques, paniers, guirlandes de feuilles).

Le troisième style s’éloigne de cette recherche de la profondeur et de l’illusion, pour offrir une ornementation plus géométrique : le mur est à nouveau soigneusement divisé par des panneaux aux couleurs franches (rouge pompéien, noir profond, blanc cassé) rehaussés de quelques ornementations géométriques. Le cœur de ces grands cadres est un motif simple (silhouette de muse, petit cupidon) ou un tableau : scène mythologique, paysage bucolique, aventure mythique, parenthèse érotique, portrait pensif…

Enfin, le quatrième style opère une sorte de synthèse des techniques antérieures, insistant tantôt sur l’aspect architectural, tantôt sur l’ornemental. Il crée des scènes oniriques aux perspectives invraisemblables et aux stucs en relief, ou des décorations sur des surfaces plates et structurées, encadrant des tableaux qu’on croirait arrachés à des chevalets.

Les portraits du Fayoum

Ces portraits funéraires, réalisés entre le Ier et le IVe siècle après J.-C., se situent à la croisée de deux civilisations (grecque et égyptienne). Les personnages qu’ils représentent n’y sont pas mis en scène et sont peints en cadrage rapproché sur des planches de bois (vouées à constituer le cercueil) ou sur du lin (pour parer la momie). Ce rare ensemble de peintures frappe par son expressivité fascinante : mélancolie, sérieux, pudeur silencieuse… Les défunts sont comme cloués vivants devant la mort, figés dans leur précieuse individualité, dont chaque détail est mieux conservé dans les mémoires qu’en moulant simplement à la cire le visage du défunt, comme cela se faisait sous la République.

Peints à l’encaustique ou à la détrempe, ces portraits étonnent par la vivacité de leurs couleurs et par leur réalisme : ils nous offrent des photos d’identité frontales de colons romains, postés en garnison en Égypte, qui portent à travers l’éternité leurs regards bouleversants.

Sculpture

Née de l’influence grecque, la sculpture romaine se contente au départ de copier son modèle, avant de créer son propre style : statues, reliefs et statuaire monumentale permettent aux Romains de réinventer cet art et de lui faire connaître son apogée sous l’Empire.

Statues

Les premières statues et les premiers bustes romains sont fournis par les ateliers étrusques. Ils célèbrent les dieux et les héros de la Royauté ou de la République romaine : on imagine que le travail, réalisé en bronze, en argile ou en bois, est de faible qualité. Aucun nom de sculpteur ne nous est parvenu.

La statuaire romaine commence à s’enrichir après la conquête de la Grèce : recopiant les modèles grecs, dupliquant les grands ensembles pour garnir les demeures des patriciens, la sculpture romaine s’embellit et crée des formes qui lui sont propres, comme le portrait. Il existe trois types de portraits : le portrait aristocratique, le portrait hellénistique et le portrait impérial. Le premier, réalisé en cire, en plâtre ou en terre cuite, permet aux patriciens de célébrer leurs ancêtres et d’exalter, par un style sévère et réaliste, leurs vertus. Voué à intimider et à affirmer les valeurs républicaines, il ne dégage guère d’émotion.

Le portrait et la statuaire hellénistiques prennent le contre-pied du rigorisme républicain : développé sous l’Empire, ce type de bustes et de statues favorise l’émotion, le mouvement. Le visage s’autorise des expressions souffrantes ou inspirées, la chevelure se libère, les muscles se tordent pour souligner la force du corps.

L’art servant avant tout aux Romains à la commémoration, ils s’intéressent particulièrement à la représentation impériale. Ces statues et bustes de marbre révèlent toujours le programme politique de l’empereur : jeunesse et impassibilité d’Auguste, sévérité et concentration de Claude (cherchant à contrecarrer sa réputation de bègue et de boiteux et à prouver ses qualités d’administrateur), élan artistique de Néron (voulant faire oublier son goitre sous une courte barbe de poète), régularité des traits de Vespasien (souhaitant renouer avec les valeurs anciennes)…

Reliefs

Hérités de l’art hellénique et de Pergame, les reliefs nous offrent des témoignages du mode de vie des Romains. Ces frises, retrouvées sur des sarcophages, dans des temples ou dans des habitations, représentent avec une vivacité détaillée des cortèges funéraires ou religieux et des scènes de la vie quotidienne.

Elles servent souvent la propagande impériale. Ainsi, l’ara pacis (autel de la paix) augustéen propose deux frises célébrant les valeurs chères à Auguste (la piété et la famille) et des tableautins inscrivant le règne du jeune empereur sous le signe de la fécondité (fresque de Tellus, semblant représenter le retour à l’âge d’or) et de la continuation de la grande histoire de Rome (fresque d’Énée, de Rome et des Lupercales). L’ensemble de l’autel est décoré de bas-reliefs où des centaines de végétaux s’épanouissent et célèbrent la fertilité retrouvée du sol romain pacifié.

Statuaire monumentale

Elle fournit un autre relais à la diffusion de la politique impériale : magnifiant le souverain et ses victoires militaires, les arcs de triomphes et les colonnes majestueuses ponctuent le paysage romain de la grandeur de l’Empire.

Ainsi, l’arc de Constantin est l’un des plus importants monuments de ce genre conservés à Rome : ses trois arcades retracent les grandes étapes de son règne et son triomphe sur Maxence. La colonne de Trajan narre, avec un grand luxe de détails et de dynamisme, les deux guerres menées par Trajan contre les Daces en 101-102 et 105-106.

Synthèse

Malgré sa diversité, l’art romain ne cherche pas à dépasser l’art grec. S’il atteint parfois des sommets ou crée des styles picturaux qui imprègneront l’imaginaire européen, c’est presque malgré lui. En se mettant au service de l’utilité et de la commémoration, il crée des œuvres majestueuses qui théâtralisent la grandeur de Rome et évoquent pour nous, avec nostalgie, sa gloire passée.

LA LITTÉRATURE

Composée pendant l’otium, réduite à un luxe d’intellectuels oisifs, la littérature latine pouvait-elle proposer des formes nouvelles et stimulantes ?

Elle saura s’illustrer dans certains genres (satire, histoire, correspondance, autobiographie), se nourrir de l’influence grecque pour en renouveler d’autres (poésie lyrique, théâtre) et donner naissance à des formes nouvelles (roman, encyclopédisme).

Si elle laisse peu de place à l’imagination débridée et préfère bien souvent adopter un ton sérieux et moral, elle a donc su s’approprier la rigueur précise de sa langue pour porter l’âme d’un peuple sincère, droit, grave – mais capable de s’abandonner à un comique débridé –, conscient de sa grandeur et de ses vertus.

Autobiographie

L’Antiquité ne reconnaît pas l’autobiographie comme genre littéraire à part entière : elle nous a pourtant légué des textes qui correspondent au genre (un auteur-narrateur nous raconte sa propre vie).

Parler de soi de manière détournée

Les premiers textes à valeur autobiographique apparaissent sous la République : Jules César rapporte à la troisième personne du singulier ses Commentaires sur ses exploits militaires (La Guerre des Gaules, publiée entre 57 et 44 avant J.-C.) et militaro-politique (La Guerre civile, date de publication indéterminée). Ces textes le présentent comme un observateur de ses actions passées, plutôt que comme un acteur se remémorant sa vie – ce qui justifie en partie qu’il n’écrive pas à la première personne du singulier et puisse ainsi se permettre de passer sous silence certains faits (comme le passage du Rubicon).

Cicéron emploie la poésie épique pour chanter les louanges de son consulat (À propos de son consulat, 60 avant J.-C.) et revendiquer la pleine puissance du pouvoir civil sur le pouvoir militaire : la poésie permet de mettre en valeur, de manière indirecte, les actions d’une personne au service de la patrie et de louer son impact sur l’Histoire romaine.

Rares sont ceux qui oseront exposer leurs sentiments et leur vie de manière directe : le poète Ovide, exilé, préfèrera la poésie (Tristia, Les Tristes, 9-12 après J.-C.) pour chanter sa douleur et tenter d’attendrir Auguste. Il limitera les propos directement autobiographiques au quatrième chant du recueil.

Transmettre son expérience

Il n’est pas innocent que le premier à oser utiliser la première personne du singulier soit l’empereur Auguste : placé au-dessus de tous, celui-ci pouvait, sans craindre l’accusation d’ambition, relater simplement la manière dont il avait employé le pouvoir. Ses Res Gestae Divi Augusti (Les Actes du divin Auguste, 14 après J.-C.) forment son testament impérial : Auguste y fait le bilan de ses actions politiques, juridiques, militaires et économiques, indique la manière dont il souhaite être enterré et donne au Sénat et à son successeur Tibère la marche à suivre pour maintenir à flots la politique intérieure et extérieure de l’Empire. Son autobiographie est un véritable acte de transmission de son expérience de princeps et se fait, plus qu’un compte-rendu, un guide pour son successeur.

Plusieurs siècles plus tard, saint Augustin livre, avec ses Confessions (397-400), le récit de sa conversion. Contant ses errances intellectuelles et morales, ses désillusions philosophiques puis sa découverte de la grâce et de l’omniprésence de Dieu, il transmet son initiation à la foi et sa formation à l’examen de conscience. Son récit rétrospectif se veut sincère : exposant la vérité de l’apprentissage d’un homme, il exalte à travers lui la gloire divine. Loin d’être narcissiques, ces Confessions sont avant tout un texte religieux, voué à transmettre au lecteur l’illumination d’un homme et ses effusions mystiques.

Correspondance

Genre littéraire à part entière, l’épistolaire a d’abord pris la forme de poèmes : Les Épîtres d’Horace (publiées entre 19 et 13 avant J.-C.) nous livrent dans des lettres en vers les recommandations morales de leur auteur, ses invitations philosophiques (« Sapere aude », ose savoir !) et ses considérations sur toutes sortes de sujets, familiers ou élevés.

Qu’un tel recueil poétique puisse exister nous indique bien que les Romains nourrissaient une certaine affection pour la correspondance… au point d’en publier certaines.

Conversation philosophique

Si certaines correspondances ont pu être publiées, c’est que, loin de constituer de simples échanges familiers et informels, elles présentaient une valeur philosophique. Ainsi, les cent vingt-quatre lettres que Sénèque envoie à Lucilius entre 63 et 64 après J.-C. constituent, plus qu’un échange, une véritable pédagogie du stoïcisme. Ces missives nourrissent les besoins spirituels de leur destinataire en lui enseignant comment se comporter face à la société néronienne, à la foule, aux esclaves, aux amis, à la maladie, à la mort, à l’ambition, au luxe, aux vices… et lui transmettent les vertus stoïciennes qui lui permettront d’atteindre l’ataraxie, c’est-à-dire la tranquillité de l’âme.

Sénèque ouvre donc les voies d’un genre particulier : l’épistolaire pédagogique, que les Pères de l’Église s’approprient pour défendre leur foi ou narrer les indignités qu’on leur fait subir.

Conversation-témoignage

Les ensembles de lettres de Cicéron (Lettres à Atticus ; Lettres à ses proches…) forment un véritable journal de la République : Cicéron y décrit ses observations sur sa vie quotidienne, mais aussi ses expériences politiques. Il s’interroge sur les devoirs publics et privés et relate les événements marquant la République entre 68 et 44 avant J.-C. (nécrologies, informations judiciaires et politiques, mondanités).

Pline le Jeune est son équivalent impérial : son abondante correspondance, publiée de son vivant (entre 101 et 115 après J.-C.) et écrite dans ce but, est le reflet de son époque. Qu’il y raconte l’éruption du Vésuve et la disparition de Pompéi ou qu’il interpelle Trajan, son ami et empereur, sur les problèmes que soulèvent les chrétiens en Bithynie, qu’il décrive sa vie quotidienne ou s’interroge sur des problèmes politiques, économiques, moraux, sociaux ou littéraires, Pline se pose comme un fin chroniqueur des débuts du IIe siècle de notre ère et comme un précurseur du journalisme.

Symmaque et Sidoine Apollinaire lui emboîteront le pas aux IVe et Ve siècles, mais sans parvenir à imiter son style chatoyant et élégant.

Érudition

Les Romains développent, au premier siècle de notre ère, une certaine prédilection pour la littérature érudite : traités scientifiques et encyclopédies se multiplient et se diffusent largement. Écrits en une langue précise et accessible, ces essais cherchent à synthétiser les différents savoirs, techniques et théoriques, connus à leur époque et surtout à les rendre accessibles : ils sont autant destinés à un lectorat averti qu’à un public plus large.

Des traités pragmatiques…

La plupart de ces traités sont destinés à une application pratique. Les agriculteurs puisent dans les œuvres de Caton, Scrofa, Varron et Volumelle les conseils agronomiques dont ils avaient besoin pour rentabiliser leur exploitation. Les architectes trouvent dans Palladius, Vitruve et Frontin les connaissances nécessaires à l’édification d’aqueducs ou de bâtiments publics et privés, ou de quoi réfléchir aux influences de l’architecture et de la géométrie grecques. Celse transmet aux médecins la finesse de ses observations cliniques et ses meilleures indications thérapeutiques et Végèce offre ses Stratagèmes aux généraux. Isidore, Varron et Quintilien nourrissent les amoureux de la linguistique et de la rhétorique et Apicius les cuisiniers ambitieux.

… aux encyclopédies foisonnantes

L’œuvre de Pline l’Ancien se détache de ces traités : son Histoire naturelle offre, en 67 après J.-C., trente-six volumes compilant patiemment les deux mille livres lus par Pline pour cataloguer tous les savoirs de son époque. Cosmographie, géographie, anthropologie, zoologie, botanique, agronomie, pharmacopée végétale, pharmacopée animale, minéralogie, technologie et art sont abordés scrupuleusement et de manière exhaustive. Pline démocratise avec humilité et simplicité les connaissances antiques et sert de base de comparaison pour toutes les encyclopédies jusqu’au XVIIIe siècle, où l’œuvre de Diderot et d’Alembert prend le relais.

Histoire

Les œuvres des historiens romains forment un monument à la gloire de Rome : genre majeur de la littérature latine, l’historiographie se développe sous la République, pour célébrer Rome alors que celle-ci s’effondre.

L’historien antique n’est pas un chercheur offrant un exposé et une analyse objective des faits ; c’est un écrivain qui n’hésite pas à tourner le dos à l’impératif historique. Il lui préfère le plaisir d’un récit bien rythmé et cohérent, ponctué de détails donnant de la couleur à la narration, illuminé par des personnages mémorables qui transforment le récit historique en véritable comédie humaine. Il veut avant tout donner du sens au passé et en dégager des modèles ou des messages qui nourriront les vertus romaines. S’il écrit à propos d’une période qu’il a vécue, c’est pour livrer son expérience personnelle et son regard sur son époque.

De l’étude des causalités au bilan

Écrire l’histoire, c’est tirer le bilan d’expériences négatives, méditer sur la politique d’une époque, souligner ses dangers pour inciter à la prudence : c’est ce qui pousse Salluste à rédiger sa Conjuration de Catilina (43 avant J.-C.) ou sa Guerre de Jugurtha (date inconnue). Ses récits historiques sont souvent interrompus par des pauses et des digressions permettant d’analyser le comportement vertueux ou vicieux des personnages, l’équilibre des institutions, les tensions politiques ou les désordres socio-économiques de l’époque. Salluste se fait historien pour servir une République romaine en crise : il lui tend un miroir pour qu’elle réfléchisse à la responsabilité et aux conséquences de ses actions.

Tite-Live s’inscrit dans une démarche similaire : son œuvre-fleuve devait reconstituer l’histoire de Rome de ses débuts jusqu’à l’époque de rédaction. La publication d’Ab Urbe Condita (Histoire de Rome depuis sa fondation) se fit par fascicules, depuis 29 avant J.-C. jusqu’à la mort de l’auteur, en 17 après J.-C. : elle reste inachevée. L’historien n’eut pas le temps d’analyser comment la ville avait pu construire une si grande puissance en sept siècles pour en arriver à un tel point d’autodestruction à la fin de la République. Son œuvre devait finir après la mort d’Auguste : aurait-il présenté l’empereur comme un exemple de renouveau moral et politique ou en aurait-il dressé un portrait pessimiste, comme si rien ne pouvait entraver la décadence romaine et la nostalgie de ses glorieux débuts ?

La Vie des douze Césars de Suétone présente un projet assez similaire, quoiqu’il ne relève pas toujours du cadre historique. Suétone propose une vision synthétique de certains personnages (de Jules César jusqu’à Domitien), en rédigeant des notices biographiques qui ne suivent pas l’ordre chronologique de leur vie mais qui s’attardent sur leurs traits de caractères et dans des considérations voyeuristes. Suétone désacralise l’image des empereurs : il en fait des êtres bouleversés par leurs passions, pétris de bien et de mal. S’il ne fait pas œuvre d’historien, il participe malgré tout, avec sa curiosité friande d’anecdotes hilarantes, à la naissance d’une forme d’esprit critique.

La naissance de l’esprit critique

Tacite, dans ses Histoires (106-109 après J.-C.) et ses Annales (date inconnue), n’hésite pas à porter un jugement sévère sur les règnes des empereurs, d’Auguste à Domitien. Il souligne la médiocrité des uns et la cruauté des autres. Son style, ironique et impassible, croque avec justesse les êtres les plus vils comme les héros les plus tragiques, les princes les plus corrompus comme les résistants intellectuels et politiques. Même quand il rend hommage à son beau-père (Vie d’Agricola, 98), il ne laisse pas son amour et son respect étouffer sa lucidité : il souligne ses manquements et ses contradictions. Avec Tacite, l’étude de l’histoire telle que nous la pratiquons aujourd’hui fait son apparition.

Ammien Marcellin peut être considéré comme son jumeau tardif : son écriture cinématographique, presque journalistique, nous offre des Histoires (date inconnue) qui prennent le relais de l’œuvre de Tacite en couvrant la période s’étendant de 96 à 378 après J.-C. (du règne de Nerva à la bataille d’Andrinople). Seuls les derniers livres nous sont parvenus : ils correspondent à la période 353-378 après J.-C. dont Ammien a été le témoin direct, en tant que membre de la garde impériale. Malgré ce rôle d’observateur actif, Ammien tente d’atteindre l’impartialité : il fait preuve d’un vif esprit critique, bouscule les préjugés, se moque des orgueilleux, évoque les Grands comme la vie quotidienne du petit militaire.

La décadence du genre historique

Ammien Marcellin offre une rafraîchissante exception à la décadence de l’historiographie : entre le IIe et le IIIe siècle après J.-C., les historiens romains font le plus souvent figure d’abréviateurs. Ainsi, Florus et Eutrope résument l’œuvre de Tite-Live et Aurélius Victor se spécialise dans la synthétisation de biographies impériales.

Les seules nouveautés semblent provenir de l’historiographie chrétienne. La religion montante trouve des écrivains qui feront pour l’Église ce que les premiers historiens romains ont fait pour Rome : produire des récits qui démontreront et confirmeront la foi chrétienne. Lactance, saint Augustin, Orose, Eusèbe de Césarée, Sulpice Sévère et Grégoire de Tours rédigent des ouvrages montrant que ceux qui ont opprimé les chrétiens finissent toujours par être punis par Dieu ou que les Chrétiens ne sauraient être responsables des malheurs qui frappent l’humanité. L’Histoire, sous leur plume, se met au service d’une nouvelle cause, celle d’une Église dont la grandeur se substitue à celle d’une Rome qui décline.

Orateur

Genre chéri des Romains, qui y voyaient un art susceptible de servir leur carrière politique, l’éloquence fournit à l’orateur les moyens de convaincre une assemblée, un tribunal ou un auditoire. Les Romains nous ont laissé de nombreux discours et traités dévoilant les secrets de cet art de bien parler.

Techniques rhétoriques

Cicéron (De l’orateur, 55 avant J.-C.) et Quintilien (De l’institution oratoire, 95 après J.-C.) nous ont légué des techniques rhétoriques pour rendre un discours plus vivant et marquant. Elles reposent essentiellement sur trois verbes : probare, delectare, movere. Pour séduire son audience, il faut être capable de rendre crédible son propos, de charmer l’auditoire et de l’émouvoir… c’est-à-dire à la fois le convaincre par une argumentation rigoureuse et le charmer en provoquant son adhésion subjective et morale.

Le bon orateur commence par un exposé des faits, présentés par des phrases courtes, claires, explicites. Puis, il enchante son public par sa verve : les phrases s’allongent, varient leur rythme, jouent sur des références pour nourrir l’argumentation ou se permettent des touches d’humour. Enfin, il emporte l’assentiment général en donnant libre cours à son éloquence : les phrases gonflent, s’ornementent, portent en elles une tonalité grave et pathétique, mais sans tomber dans des excès hystériques qui provoqueraient la gêne ou le dégoût.

Discours

Toutes ces techniques servent à d’illustres discours politiques et judiciaires. Certains attaquent (les Philippiques de Cicéron s’en prendront à Marc-Antoine), d’autres célèbrent (comme le fera le Panégyrique de Trajan composé par Pline le Jeune). Certains dénoncent des pratiques malveillantes (à l’image des discours de Cicéron contre Catilina et Verrès), d’autres détruisent des rumeurs et cherchent à rétablir la vérité : l’Apologétique de Tertullien réhabilite, avec une ironie mordante, la communauté chrétienne, accusée de rituels impies.

Outils de la puissance tribunitienne et judiciaire, les orateurs nous ont laissé de brillants témoignages de la vitalité de l’éloquence romaine.

Naissance du roman

Comme l’autobiographie, le roman n’est pas reconnu comme un genre à part entière dans l’Antiquité : ces longues fictions en prose à l’imagination débridée ne seront nommées « roman » que rétrospectivement. Elles ne correspondent à aucun genre prédéfini, dans l’Antiquité, ce qui explique peut-être la grande liberté dont elles jouissent.

Ainsi, Pétrone nous livre avec son Satiricon une étrange peinture de la société de Néron : les fragments qui nous sont parvenus de cette œuvre licencieuse nous permettent de mieux connaître les mœurs débridées et le langage idiomatique de cette époque et de suivre les aventures picaresques de ses personnages dépravés. Banquets extraordinaires, pirates cruels, ruses improbables, catastrophes en chaîne et spectacles obscènes font rire le lecteur et lui permettent d’interroger la décadence de Rome sous le règne du plus fou des empereurs. Œuvre comique, épopée décrépite, le Satiricon reste donc malgré tout empreint d’un certain réalisme et enclenche bien des réflexions sur son époque et sur le caractère subversif de la littérature.

L’Âne d’or ou les Métamorphoses d’Apulée propose, un siècle plus tard, un roman rocambolesque qui, s’il n’a pas le caractère satirique de l’œuvre de Pétrone, emmène son lecteur dans une suite d’aventures à l’inventivité déchaînée. Violence sadique, fantastique évanescent et mysticisme oriental s’entrelacent pour faire de ce roman initiatique une lecture distrayante et originale, qui fait exploser les barrières entre les genres littéraires.

Poésie

Au départ produit d’importation grecque, la poésie latine trouve sa propre musicalité et s’illustre dans des formes à la variété surprenante.

Un genre musical

Hymnes, prières, éloges funèbres, incantations magiques, rituels religieux, odes triomphales et chansons populaires forment le lit du lyrisme latin. Les poètes romains, inspirés par les mélopées grecques et les chants de leurs propres campagnes, créent leur métrique et inventent des rythmes spécifiques pour leurs créations.

De nouveaux mètres apparaissent : dactyle (une syllabe longue, deux syllabes courtes), spondée (deux syllabes longues) et trochée (une syllabe longue, une syllabe courte) s’allient pour former des strophes au rythme bien réglé, que les poètes s’amusent à utiliser ou à contourner pour servir leurs projets artistiques.

Un genre protéiforme

Il existe une grande variété de genres poétiques à Rome.

Les épopées chantent les origines de Rome (L’Énéide de Virgile) et les grands moments de son histoire (La Guerre Civile ou La Pharsale de Lucain), ou préfèrent réinventer les destinées de héros mythiques (Les Argonautiques de Valérius Flaccus, L’Achilléide de Stace) ou tragiques (La Thébaïde de Stace). Elles permettent aux auteurs chrétiens de reprendre le flambeau de l’épopée historique et de fournir à leur foi des textes héroïques (Psychomachia de Prudence, Vie de saint Martin de Fortunat).

Les fables d’Ésope, Phèdre et Avianus mettent en scène animaux et humains dont les histoires font rire et transmettent des morales édifiant leurs lecteurs. Ces auteurs ne sont pas les seuls à chercher à éduquer : Virgile et ses Géorgiques, Lucrèce et son De la nature des choses, Prudence et son Apothéose offrent eux-aussi une poésie didactique enseignant les vertus de l’agriculture, du stoïcisme ou du christianisme. Les poètes satiristes soulignent, quant à eux, les vices et les ridicules de leurs contemporains et exhortent leur public à pratiquer une ironie contestataire et corrosive : parmi les railleurs célèbres, on compte Horace, Juvénal, Perse et Prudence.

Tournant le dos à ces vers pédagogues et moralisants, les poètes lyriques et élégiaques et compositeurs d’épigrammes laissent libre cours à leurs sentiments. Horace, Ovide, Catulle, Tibulle, Martial, Properce et Virgile sont les meilleurs représentants de ces acrobaties lyriques qui explorent les mille saveurs de la langue latine. Plus tard, Prudence, Fortunat, Ambroise et Boèce poursuivent leur œuvre, en oubliant les délices païens pour chanter les joies de la foi ou la grandeur des martyrs.

Publication

La publication et la diffusion des livres sont limitées : il n’existe pas de technologie permettant de produire les livres en série. Comment les Romains choisissent-ils les œuvres vouées à traverser les siècles ?

Recitatio et concours

L’écrivain utilise la recitatio pour faire connaître son œuvre au public : ces lectures publiques permettent d’assurer un premier contrôle de la production littéraire et de satisfaire le goût romain pour l’éloquence.

La recitatio se tient dans des théâtres, des odéons, des auditoriums ou chez le patron de l’écrivain. Le poète loue parfois une partie du public pour faire la claque, afin d’encourager un auditoire difficile qui doit rester assis pendant des heures.

Ces performances encouragent la perfection stylistique et la maîtrise d’une belle diction pour captiver l’auditoire (captatio benevolentiae). L’auteur s’appuie ensuite sur les réactions du public pour peaufiner son œuvre. Ces jugements extérieurs tendent hélas à supprimer l’audace et la nouveauté des œuvres : le public préfère les thématiques familières (topos).

Les écrivains peuvent aussi se faire connaître en participant à des concours littéraires : ils y démontrent leurs talents pour le chant, l’éloquence, la composition et la musique.

Diffusion

L’écrivain garde toujours le contrôle de la diffusion de ses ouvrages : c’est à lui d’assurer les dédicaces et les envois de ses livres.

À Rome, les librairies se confondent avec les éditeurs : l’écrivain peut y employer des esclaves spécialisés (librarii) qui recopient son texte sur des rouleaux de papyrus. Le libraire conserve sur ses étagères les livres présentant un grand succès et les revend : les profits des ventes lui sont reversés. L’auteur doit se résoudre à de maigres recettes et se contenter de la gloire et de ses retombées positives (protection d’un mécène) comme négatives (plagiat) : l’écriture reste un divertissement d’esthète oisif.

L’écrivain peut transmettre ses livres à des bibliothèques, qui sont chargées de diffuser et préserver ses écrits. Les plus grandes se trouvent à Athènes, Alexandrie et Pergame, pour les provinces romaines ; à Rome, la bibliothèque de Lucullus, celle du temple d’Apollon, celle des thermes de Caracalla et la Bibliotheca Ulpia de Trajan proposent des milliers d’ouvrages, mais aussi des spécimens archéologiques, des merveilles du monde antique et des portraits ou des bustes d’écrivain.

Lieux de rencontres, de lectures et d’érudition, les bibliothèques restent le meilleur moyen d’assurer la longévité d’une œuvre.

Théâtre

Le théâtre romain est né des préoccupations religieuses des Latins : spectacles étrusques offerts aux dieux et chorégraphies muettes accompagnant des rituels précèdent, dans la chronologie, les satires, les pantomimes et les premières pièces racontant des histoires vouées à faire rire ou pleurer. Ce sont ces dernières qui ont traversé les siècles.

Comédie

Ses dramaturges les plus célèbres se nomment Plaute et Térence : nourris aux œuvres d’Aristophane et de Ménandre, ils inventent une comédie latine qui se contente au départ de traduire, transcrire et réécrire les pièces grecques. Ils dépassent ensuite leurs modèles et personnalisent les personnages archétypaux des comédies antiques : esclaves rusés et dynamiques, maîtres avares et lâches, vieillards libidineux, commerçants fourbes, clients parasites, courtisanes cupides, soldats fanfarons…

Plaute propose une comédie truculente, populaire, bourrée de calembours, de situations pittoresques et de gags scéniques et gestuels : il cherche à provoquer le rire avant toute chose. Il inspirera à Molière ses plaisanteries les plus célèbres : ainsi, L’Avare est un parfait décalque de sa Marmite !

Térence présente un style plus sobre et châtié ; ses sujets sont plus calmes et plus bourgeois, la psychologie de ses personnages plus approfondie : il cherche à faire du rire une source de réflexion morale et utilise l’éducation comme thème sous-jacent à ses pièces.

Tragédie

Tout comme la comédie, elle est tributaire de l’héritage grec (Eschyle, Sophocle et Euripide), qui lui fournit ses sujets et sa dimension religieuse et politique. La tragédie romaine s’écrira souvent en réaction à une actualité houleuse et violente, à laquelle elle multipliera les allusions subversives.

Il ne nous en reste que des fragments, à l’exception des œuvres de Sénèque. Ce dernier a écrit des tragédies aux sujets mythologiques : Médée, Hécube, Hercule furieux, Hercule sur l’Œta, Agamemnon, Les Phéniciennes, Phèdre et Les Troyennes. Mais ces légendes célèbres ne sont que des prétextes à la philosophie : l’expérience de la vengeance, de la culpabilité, de la cruauté, de l’horreur du vice et d’une conscience trouble transforme peu à peu ses personnages en philosophes et ses pièces en leçons stoïciennes.

Synthèse

Plus que l’instrument de la romanisation, la langue latine a été un formidable instrument pour penser, créer et renouveler les genres littéraires. Qu’il serve la puissance de la parole poétique, théâtrale et rhétorique ou qu’il véhicule des savoirs ou des idéaux, le latin s’épanouit et offre même les fondations de formes littéraires modernes (roman, autobiographie).

L’ÉDUCATION

L’immense majorité des Romain(e)s et une grande partie des esclaves savent lire, écrire et compter. À la campagne comme à la ville, chez les riches comme chez les pauvres, les enfants, garçons et filles, reçoivent une éducation basique.

Chiffres

Ce que nous nommons chiffres romains est un système de numérotation dérivé, comme les chiffres étrusques, de la pratique de l’entaille, c’est-à-dire de l’encoche sur des tablettes ou des bâtons.

Si certains chiffres correspondent à des lettres renvoyant parfois à l’initiale du nombre (C pour cent, M pour mille), les premiers sont des symboles. Le I/1 représente une entaille, un doigt ; le V/5 une main ; le X/10 représente deux mains collées l’une en face de l’autre…

Chiffres basiques

La numérotation romaine repose sur sept caractères récurrents :

I : 1 V : 5 X : 10
L : 50 C : 100 D : 500 M : 1 000

Fonctionnement

La numérotation romaine fonctionne par addition ou soustraction : il est en effet impossible de répéter plus de quatre fois un même caractère, à l’exception du M. Le chiffre 4 ne s’écrira donc jamais : IIII.

Ces additions et soustractions ne sont pas aléatoires : elles interviennent en fonction des sept caractères centraux, selon un schéma bien établi.

Voici à quoi ressemble la première dizaine latine :

Symbole

I

V

X

Formation par addition

II, III

VI, VII, VIII

Formation par soustraction

IV

IX

On remarque que la soustraction n’intervient que quand on s’approche d’un des 7 caractères récurrents (par exemple, ici, V et X) ; sinon, on additionne.

Les chiffres se lisent de gauche à droite.

Notons qu’il est interdit de soustraire plus d’une lettre à la fois : 8 s’écrira donc toujours VIII (5 + 3) et jamais IIX (– 2 + 10)

En ce qui concerne les chiffres plus élevés, le système est le même. On écrira donc :

Symbole

L (50)

C (100)

D (500)

M (1 000)

Formation par addition

LX (60 = 50 + 10)

CX (110 = 100 + 10)

DC (600 = 500 + 100)

MC (1 100 = 1 000 + 100)

Formation par soustraction

XL (40 = – 10 + 50)

XC (90 = – 10 + 100)

CD (400 = – 100 + 500)

CM (900 = – 100 + 1 000)

On constate, en observant ce tableau, que les soustractions se font par puissance de 10 (I, X, C). On n’écrira donc jamais 45 VL (50 - 5), mais toujours XLV (- 10 + 50 + 5).

On ne peut soustraire de lettre dix fois supérieure : 1 999 ne s’écrira donc jamais MIM (100 – 1 + 1 000) mais M CM XC IX (1 000 – 100 + 1000 – 10 + 100 – 1 + 10).

Pour lire de grands nombres, le Romain doit donc toujours se rappeler que les signes doivent être de valeur décroissante : (milliers, centaines, dizaines, unités). Le signe qui n’est pas dans le bon ordre doit systématiquement être soustrait du chiffre suivant.

Écolier

À partir de 7 ans, l’enfant romain atteint l’âge de raison et accède à l’éducation : l’apprentissage se fait soit à la maison avec son père ou avec un précepteur grec, soit à l’école, auprès de professeurs.

Une journée type

L’écolier romain se rend dès l’aube à l’école, à la lueur d’une bougie pendant la période hivernale. Il est accompagné de son pédagogue, un esclave qui porte son matériel et lui servira le soir de répétiteur. Dans son cartable, on trouve : une collation pour le déjeuner, une tablette de cire, un stylet à la pointe de bronze ou de fer, une spatule pour effacer ses erreurs. Plus tard, l’écolier glisse dans son sac quelques rouleaux de papyrus et un calame (précurseur végétal de notre stylo à plume).

L’élève apprend en répétant les paroles de son maître ou en imitant ses gestes. La moindre erreur est sanctionnée par un coup de baguette. Il travaille ainsi de 6 heures à midi, fait une courte pause-déjeuner, puis recommence les exercices de la matinée, pour que ceux-ci soient parfaitement maîtrisés. L’école finit de bonne heure : il est libéré en début d’après-midi et peut s’amuser avec ses amis et s’exercer physiquement, avant de reprendre ses leçons avec son pédagogue.

Il travaille par cycle de neuf jours : le jour des grands marchés lui permet de faire relâche, car le forum, où est située son école, devient trop bruyant pour faire cours. Les fêtes religieuses et l’été lui offrent de petites vacances.

Le jeune Romain apprend par la répétition et la mémorisation pendant toutes ses études : la cherté du papyrus ne permet pas un enseignement reposant sur des manuels et l’oblige à entraîner sa mémoire.

Ses études lui permettent d’acquérir les valeurs civiques et morales dignes d’un bon citoyen et de connaître les règles maintenant la cohésion de la civilisation romaine, plutôt que de le former à son futur métier – les Romains favorisent en effet l’apprentissage par la pratique.

Filles

Elles sont d’abord mêlées aux garçons : comme eux, elles apprennent à lire, à écrire et à compter entre 7 et 12 ans. Elles sont ensuite retirées de l’école et, si elles ne sont pas mariées, poursuivent leur éducation à la maison. Leur mère leur enseigne alors leurs futurs devoirs et valeurs de matrone : pudeur, réserve, obéissance, maîtrise du tissage, du filage, de la cuisine et de l’économie domestique.

Les jeunes filles de condition plus aisées sont confiées à un précepteur ou à une école privée : elles lisent les classiques latins et grecs, apprennent à s’exprimer élégamment, mais aussi à jouer d’un instrument ou à chanter joliment. Elles seront ainsi capables de soutenir leur mari quand celui-ci briguera des étapes du cursum honorum et d’être des hôtesses raffinées lors de banquets.

Écriture

Les premières traces d’écriture romaine remontent au VIe siècle avant J.-C. : on a retrouvé des prescriptions rituelles gravées sur la lapis niger (pierre noire) au cœur du forum. En 450, la loi des Douze Tables est gravée dans le bronze et exposée sur le forum : chaque citoyen doit pouvoir la lire pour faire respecter ses droits.

Rome s’affirme alors comme une civilisation de l’écrit.

Un curieux alphabet

Mélange d’alphabets phéniciens, grecs et étrusques, il ne comporte originellement que vingt-trois lettres, dont vingt, seulement, sont utilisées – le K, le Y et le Z, empruntés au grec, le sont rarement. Le W, d’origine germanique, arrive plus tard dans notre alphabet.

La forme originelle de l’écriture romaine est la capitale. Celle-ci est ensuite réservée aux monuments et se diversifie : capitales carrées (tracés rigides), capitales cursives (tracés plus irréguliers), capitales allongées (tracés plus élancés) et capitales africaines (lettres étirées en hauteur, plus souples et maniérées).

L’écriture officielle connaît deux autres formes : l’actuaire, réservée aux actes de l’autorité publique ou aux diplômes militaires, présente des lettres de forme étroite et irrégulière ; l’onciale a des angles plus arrondis.

Dans sa vie privée, le Romain écrit en lettres cursives (écriture manuscrite irrégulière).

Supports officiels

L’écriture intervient dans tous les aspects de la vie publique du Romain : les pièces de monnaie le renseignent sur les valeurs, les titres et le personnage qu’elles représentent, l’année de leur frappe et leur valeur. Les contrats ou marchés qu’il conclut sont notés sur des tablettes de cire, support également utilisé par les banquiers pour tenir les comptes de leurs clients.

Où que le Romain se tourne, l’écriture est présente dans la ville : noms de rue, plans de quartiers gravés sur des bornes et, sur les édifices publics, en lettres majuscules et en abréviations, dédicaces déployant les titres de leur commanditaire ou les raisons de leur construction.

Abréviations

Pour écrire de façon plus condensée et rapide sur les murs, les pièces, les tombes ou dans les textes juridiques et techniques, de nombreuses abréviations sont utilisées. Les mots sont écrits en capitales, sans signe et parfois sans espacement. Disparaissent souvent : les noms propres (L pour Lucius, M pour Marcus…), les titres (cos. pour consul, imp. pour imperator, Caes. pour Caesar, SPQR pour Senatus populusque romanus), les mots courants (f ou fil. pour filius/fils, leg. pour legio/légion) et les formules usuelles (VSLM pour Votum Solvit Libens Merito : a accompli son vœu de bon gré et à juste titre).

L’étude de ces inscriptions sur la pierre, le métal ou encore l’argile se nomme l’épigraphie.

Des graffitis, gravés ou peints sur les murs, l’informent des qualités des candidats postulant à une magistrature, de l’approche d’un spectacle ou des mésaventures amoureuses de ses voisins.

Des enseignes et des pancartes attirent son attention vers les restaurants ou les boutiques.

S’il achète un objet, il découvre, en le retournant, la marque de fabrique de l’artisan, indiquant son nom, la provenance du matériau et des données techniques de fabrication. Ces sceaux marquent l’origine du produit, évitent les contrefaçons ou les vols de techniques entre artisans. Ils informent le consommateur de la qualité des denrées alimentaires : les amphores indiquent le poids et la valeur du produit, le nom du producteur, de l’exportateur et la date de mise en jarre de leur contenu.

Quittant la ville, le Romain n’abandonne pas la civilisation écrite : le long des routes, des bornes militaires lui indiquent régulièrement les distances (calculées en milliers de pas) le séparant des villes les plus proches.

Supports privés

Les tablettes de cire servent à l’écriture de tous les jours. Ce support simple et économique sert aux messages rapides, aux lettres, aux exercices des écoliers, aux prises de notes et aux comptes. On écrit sur la cire à l’aide d’un stylet de corne ou de métal.

Le papyrus est un support plus coûteux : long à réaliser, il est réservé aux documents que l’on souhaite conserver (lettres officielles, textes littéraires).

Le parchemin apparaît plus tard et remplace les livres de papyrus (volumen) à partir du IIIe siècle après J.-C. : le livre n’est plus roulé, mais cousu en cahiers.

On écrit sur ces deux supports avec le calame, un roseau taillé en biseau que l’on trempe dans de l’encre fabriquée avec de la suie.

Langue

Un des éléments essentiels de la romanisation est la diffusion de la langue latine : le latin imprègne toutes les futures langues européennes. Autrefois dialecte d’une petite région rurale, le Latium, il devient la base linguistique de presque tout un continent et fournit le vocabulaire de ses réflexions politiques, juridiques, économiques, scientifiques et spirituelles. Il reste longtemps la langue intellectuelle internationale.

Principes fondateurs

On prête à la langue latine de grandes vertus logiques, au point de l’avoir longtemps utilisée pour rédiger des traités scientifiques, des thèses ou des documents juridiques. Cette réputation de rigueur lui vient de l’image que l’on projette sur le peuple qui la parlait et de sa structure interne.

Le latin ne connaît pas d’ordre des mots fixe au sein de la phrase, même s’il existe des schémas récurrents, comme la place du verbe en fin de proposition. Il construit son sens en regroupant ensemble les mots traduisant les nuances de sa pensée et en variant les terminaisons des mots. L’ensemble de ces formes changeantes se nomme une déclinaison : à chaque fonction du mot correspond une terminaison différente, permettant de repérer sujet, complément d’objet, etc.

Cette spécificité du latin lui permet de se passer de certains types de mots (articles, pronoms personnels sujets et, parfois, prépositions). Le latin est donc plus synthétique que le français, qui est une langue analytique nécessitant davantage de mots, placés dans un ordre déterminé, pour créer du sens.

Cette capacité de synthèse du latin, qui exprime des concepts complexes en peu de mots, lui vaut sa réputation de rigueur, de solidité et d’efficacité, propre à porter de nouvelles idées scientifiques et morales.

Héritage

Si le latin n’a offert ses normes grammaticales qu’à l’allemand, il a imprégné l’étymologie de notre langue et légué des expressions passées dans le langage courant.

Tout le monde a ainsi utilisé un lavabo (je me laverai), un agenda (choses devant être faites), consulté le nec plus ultra (rien au-delà) des index (qui montre), écrit un post-scriptum (« écrit après » la lettre rédigée), emprunté un train omnibus (s’arrêtant à toutes les stations), rêvé de former un duo (deux) musical avec son alter ego (un autre soi)…

Qui n’a jamais soutenu mordicus (en étant prêt à mordre) quelque chose, avant de faire a posteriori (ultérieurement) son mea culpa (c’est ma faute) car un a priori (un préjugé) l’avait conduit à ce casus belli (cas de guerre) ? Les aléas (hasards) de la conversation créent parfois ce genre de quiproquo (littéralement « quelqu’un pour quelque chose » ; malentendu) qui peuvent continuer ad libitum (autant qu’il plaît, longtemps), etc. (et caetera : et les autres choses).

Professeur

Si les élèves les plus nobles bénéficient d’un précepteur, les autres sont confiés, moyennant finances, à trois types de professeurs : le magister ludi, grammaticus et le rhetor.

Magister ludi

Il apprend aux enfants de 7 à 11 ans à lire, écrire et compter. Il accueille ses élèves dans une école publique, louée par les parents, s’ouvrant sur le portique du forum et isolée de l’agitation du centre-ville par une simple tenture.

Installé dans une chaire surélevée, le magister ludi transmet son savoir par la répétition, à des élèves répartis en plusieurs sections : les abecedarii (étudiant l’alphabet), les syllabarii (connaissant les syllabes) et les nominarii (reconnaissant les mots).

Les élèves ânonnent les lettres des alphabets grecs et romains, à l’endroit et à l’envers, pour apprendre leur prononciation, leur nom puis leur forme. Ils écrivent des lignes sur le sable ou sur des tablettes de cire. Le maître guide leur main ou leur fournit une trace que les enfants repassent au poinçon.

L’enseignement arithmétique est limité : l’élève apprend le vocabulaire des chiffres et mime de très petites opérations avec de petites pierres (calculi), puis des calculs plus complexes avec un abacus, une sorte de boulier rectangulaire ancêtre de la calculatrice.

S’il n’hésite pas à distribuer les coups de férule, le magister ludi varie ses méthodes à partir du Ier siècle après J.-C. : il stimule les enfants par le jeu, l’émulation positive, les louanges et les récompenses.

Férule

Ce bâton était le meilleur allié du maître pour faire régner la discipline. Il a donné naissance à l’expression « être sous la férule de quelqu’un », qui signifie « obéir à quelqu’un au doigt et à l’œil ».

Grammaticus

D’origine grecque, asiatique ou égyptienne, il enseigne aux enfants entre 12 et 17 ans. Il leur permet d’acquérir un petit bagage culturel et de mieux maîtriser leur propre langue.

Avec lui, ils découvrent les grands textes : Homère, Virgile, Tite-Live… Les élèves lisent les textes, apprennent à les découper correctement (ceux-ci sont rédigés sans ponctuation et sans espace), analysent vers et paragraphes, avant de les retenir par cœur, avec les commentaires de leurs professeurs. Ils s’imprègnent de la stylistique des grands écrivains, s’entraînent à reformuler leurs phrases et à écrire des rédactions complexes.

Les leçons d’histoire-géographie et les cours de mythologie, de musique et d’astronomie aident à mieux comprendre les allusions des grands textes littéraires. Quant aux mathématiques, elles sont aussi enseignées, même si les connaissances des écoliers ne dépassent pas la division.

Rhetor

Au sommet de l’éducation du futur citoyen se trouve le rhéteur : il le transforme en orateur né, prêt à partir à la conquête du cursus honorum.

Il lui enseigne la rhétorique, la littérature, la philosophie et le droit. Il pousse son étudiant à construire, dans sa mémoire, une véritable bibliothèque dans laquelle il piochera pour nourrir son style, citer des auteurs pour rendre une conversation plaisante ou créer un argument inattaquable lors d’un procès.

Celui-ci apprend par la pratique son futur métier : l’administration, la stratégie militaire, les sciences et les techniques ne sont pas enseignées dans cet enseignement supérieur tourné vers la théorie. Dans l’Antiquité tardive, les écoles de rhétorique développent certains savoirs pratiques, comme la sténographie, fort utile dans un empire qui ne cesse de développer son administration.

Le système éducatif romain évoluera peu. Le seul apport notable est celui de l’empereur Vespasien (69-79), qui crée des universités et un embryon d’enseignement public, pour rendre Rome plus attractive face à Athènes, Pergame, Rhodes et Alexandrie, où les patriciens envoyaient leurs enfants finir leurs études. Il s’assure ainsi que les valeurs romaines restent bien transmises et que les enfants de Rome ne soient pas pervertis par les mœurs étrangères.

Synthèse

Cette éducation inégalitaire, dont les principes pédagogiques semblent si différents des nôtres, nous lègue deux héritages : les chiffres romains, dont nous nous servons toujours pour nommer nos siècles, et des bases linguistiques qui imprègnent incognito nos langues européennes.