I

Une fille de rien

Elle n’est rien. Les autres le lui ont fait comprendre dès sa plus tendre enfance et – à quoi bon le nier ? – cette évidence l’a toujours révoltée.

Elle n’est rien parce qu’elle est pauvre. Elle n’est rien parce qu’elle est paysanne. Elle n’est rien parce qu’elle n’est pas franque1.

Où est-elle née ? À quelle date ? Elle ne le dira jamais, peut-être pour l’excellente raison qu’elle-même l’ignore. C’était, sans doute, au début des années 5402, quelque part dans le Nord-Ouest de la Gaule.

Ses parents ? Elle n’en fera jamais état, même arrivée au faîte des honneurs. Il se peut qu’elle les ait perdus tôt, avant que s’amorce son incroyable destin. Il se peut aussi que, pragmatique, intelligente et peu sentimentale, elle n’ait pas jugé bon de les mettre en avant, ni même de leur assurer une quelconque aisance, dans la conviction qu’ils la desserviraient par leur simple présence. Toute sa vie, elle sera seule, résolument seule. Sans famille, sans proches, sans clan : terrible handicap dans une société où l’individu s’appuie avant tout sur sa parentèle pour exister, faire valoir ses droits, se défendre. Autour d’elle, personne. De cette avanie, elle fera une force.

Elle n’est pas une esclave, raflée au cours d’une guerre quelconque, ni une fille d’esclaves. Ni une serve attachée au sol du domaine. Simplement une paysanne gauloise dans un pays qui, depuis un siècle et demi, ne s’appartient plus.

En janvier 406, un million de Barbares avec femmes et enfants avaient passé le Rhin gelé et déferlé sur l’Empire romain. Wisigoths, Ostrogoths, Burgondes, Vandales, Suèves et autres tribus satellites de ces nations germaines fuyaient la terrifiante poussée en Europe Centrale d’une peuplade asiate, les Huns. La Belgique, la Gaule, l’Espagne, l’Afrique du Nord, l’Italie avaient subi le déferlement féroce de ces migrants, d’abord simplement avides de pillages et de tueries, puis désireux de se tailler des territoires et des installations stables dans des provinces que Rome n’était plus capable de défendre.

La Gaule avait éclaté. Les Wisigoths s’étaient établis en Aquitaine, dominant le pays des Pyrénées à la Loire et contrôlant outre-monts une partie de l’Espagne. Les Burgondes avaient établi leur domination de Sens à Genève et tout le long de la vallée du Rhône. Face à ces deux puissances qui professaient pareillement l’hérésie arienne, négatrice de la divinité du Christ, ce qui survivait de la Gaule catholique, misérable enclave entre Seine et Loire dérisoirement appelée Romania, avait tôt compris sa fragilité. À la fin du V e siècle, alors que les Wisigoths accentuaient leur pression et s’emparaient de Tours, tombeau de saint Martin et, à ce titre, capitale religieuse du pays, les évêques gaulois avaient décidé d’une contre-offensive. Ils avaient besoin d’un prince catholique susceptible de défendre la Romania les armes à la main, et de libérer les Gaules asservies. Puisque ce prince n’existait pas, ils le créeraient.

L’entreprise s’était révélée plus longue, plus compliquée, plus tragique que les prélats l’avaient imaginée dans leur optimisme. Cependant, en dépit de tous les aléas rencontrés, elle avait fini par aboutir. Au soir de la Noël 496, Clovis, roi des Francs Saliens, petite peuplade alliée de Rome, installée au nord de la Somme, territoire trop exigu dont elle avait su rapidement sortir, recevait à Reims le baptême catholique, et se muait en champion de la religion qu’il venait d’embrasser.

À sa mort, en novembre 511, le souverain avait réunifié les Gaules autour de lui, soumis et converti les Burgondes, écrasé les Wisigoths contraints de se replier sur l’Espagne. L’arianisme n’était plus qu’un sinistre souvenir. La mission du Franc était accomplie et la reconnaissance de l’Église lui était acquise, nonobstant les flots de sang répandus et l’accumulation de crimes commis avant d’arriver à ce triomphe.

Le peuple des Gaules, qu’il avait délivré du joug de l’hérétique, le vénérait presque unanimement ; l’avenir s’annonçait rayonnant.

Il avait été lamentable.

Le baptême de Clovis avait constitué, ainsi que l’évêque de Reims, Remi, le lui avait expliqué, un mandat divin dévolu aux Francs. Cette royauté, que des prélats, au demeurant fort patriotes, lui avaient donnée, comportait en retour deux obligations à leurs yeux étroitement conjointes : la défense du catholicisme, et la protection de la nation gauloise contre ses ennemis. Clovis n’était pas un conquérant mais un élu et un libérateur. Jusqu’à sa mort, il avait su s’en souvenir et respecter les devoirs qui étaient les siens.

Ses fils et ses petits-fils avaient, malheureusement, une tout autre conception de leur pouvoir. À peine leur père enterré et le royaume partagé selon la coutume germanique, génératrice de drames et de massacres familiaux à répétition, ils s’étaient comportés dans leurs États gaulois comme ils se conduisaient dans les régions qu’ils annexaient au terme de conflits armés, c’est-à-dire comme en pays conquis.

Ce qui restait, à la génération précédente, de l’ancienne aristocratie sénatoriale gallo-romaine, laquelle avait souvent contribué aux succès de Clovis, avait été peu à peu écartée, aux suivantes, des fonctions de prestige tant ecclésiastiques qu’administratives et militaires, où l’avait remplacée une noblesse franque courageuse mais rarement méritante. Dévoués à leurs princes, ces leudes et ces antrustions francs, même devenus évêques, n’étaient pas d’un caractère à les contredire ni à les affronter. Aussi les fils de Clovis avaient-ils rarement trouvé devant eux un homme assez téméraire pour refréner leurs audaces et dénoncer leurs fautes. Quant à se soucier des populations autochtones devenues les principales victimes de leurs querelles et de leurs guerres intestines, nul ou presque n’y songeait.

Ainsi les Gaulois, en un demi-siècle, avaient-ils été écartés des affaires, voire réduits au statut de sujets de seconde zone dans leur propre pays. L’élite, ou ce qui passait pour telle, était franque. Alors beaucoup, parmi les plus malins, avaient germanisé leurs noms et ceux de leurs enfants.

Tel avait été le choix de ses parents à elle. Une bonne idée, en soi, dont elle leur est redevable ; un prénom gaulois ou latin lui eût certainement compliqué la vie. Reste que, faute de parler le francique et maîtriser les lois onomastiques régissant la formation du prénom d’un nouveau-né3, ils lui en ont donné un ridicule, dépourvu de sens et qui prête toujours à rire la première fois qu’elle l’énonce : Frédégonde. De prime abord, il sonne bien, il a même de l’allure, du moins pour des oreilles gauloises. À celles des Francs, il est tout bonnement grotesque ; l’alliance absurde de deux termes antinomiques, Fried, la paix, Gund, la bataille. Deux racines qui se retrouvent dans une multitude de prénoms germaniques mais jamais associés4. Cela suffit à dénoncer l’imposture, à souligner l’ignorance de sa famille, à la déclasser.

Frédégonde en a souffert, autrefois, avant de décider que, puisqu’elle n’était rien, elle deviendrait quelqu’un, par ses propres moyens. Heureusement, elle n’en est pas dépourvue.

La Fortune, à défaut d’une Providence à laquelle, quoique chrétienne, elle ne croit guère, a voulu qu’elle soit belle, très belle même. D’une beauté sensuelle qui trouble les hommes au premier regard, les tout jeunes comme les très vieux, les puissants et les humbles. Elle a très vite compris le pouvoir que ce charme lui conférait ; elle s’en est servi5. Sans vergogne. Dans cette société où priment la force et la violence, les femmes disposent de très peu d’armes, surtout si elles sont pauvres. Il faut bien s’accommoder de celles que l’on possède. Frédégonde a tôt compris qu’elle ne gagnerait rien à rester vertueuse.

D’ailleurs, que pèse l’honneur d’une paysanne gauloise en ce milieu du VI e siècle ? Pas grand-chose. Les chroniques sont pleines d’histoires de jeunes filles, parfois de femmes mariées, si ce n’est de religieuses, qui, pour leur malheur, ont provoqué la concupiscence d’un puissant, ont été enlevées, violées, sans que, sauf exception, les autorités répriment ces crimes6. Quelle importance puisqu’elles ne sont pas sujettes de la coutume germanique ? Violenter une Franque, voler sa fille, sa femme ou sa sœur à un Franc sont des actes passibles de poursuites, de châtiments, d’amendes très lourdes destinées à dédommager la famille de la victime ; mais ce droit de la Faide ne s’applique pas aux Gaulois. Alors, pourquoi se gêner ? Qui viendra défendre la fille si elle a l’audace de se plaindre ?

Frédégonde n’a pas attendu d’être prise de force ; elle s’est donnée, moyen comme un autre d’obtenir une protection contre la brutalité des hommes qui l’entouraient. Elle n’ignore pas les saletés que les autres racontent sur elle dans son dos, la réputation de traînée que certains s’acharnent à lui faire et qui lui colle à la peau : ragots de jaloux qui n’ont rien obtenu d’elle, ou de rivales qui aimeraient être à sa place… En réalité, elle ne s’est jamais abandonnée au premier venu, trop consciente de sa beauté pour en faire bon marché, pas plus qu’elle n’a trompé les hommes dont elle s’est servi. Elle avait trop besoin d’eux pour s’en faire des ennemis. Certes, elle a eu des fidélités successives, mais jamais parallèles7. Toutes conduites par la même et unique ambition : parvenir jusqu’à l’un des princes, réussir à se faire remarquer, devenir sa concubine, la mère d’un ou plusieurs de ses enfants, et, qui sait, être, un jour, la reine des Francs…

L’idée, en cette fin des années 550, n’a rien d’aussi extravagant qu’il y paraît.

Quatrième fils de Clovis et de Clotilde, le roi Clotaire, qui devait, en 558, sur ses vieux jours, du fait des décès successifs de ses frères et neveux, réunifier à son profit ce royaume des Francs découpé en morceaux à la mort de leur père en 511, n’avait jamais pu se plier à la stricte monogamie catholique.

Jeune, il avait épousé, religieusement, une fille de la petite noblesse franque, Ingonde, dont il se croyait amoureux. Après quelques mois de mariage, il s’était avisé que sa belle-sœur, Arégonde8, était plus jolie que sa femme, et l’avait épousée à son tour, cette fois en se passant du prêtre, la complaisance de l’Église envers la dynastie mérovingienne n’allant pas jusqu’à bénir la bigamie. Les vieilles mœurs germaniques légitimaient la chose9.

En 524, son frère aîné, Clodomir, tué en guerroyant contre leurs cousins de Burgondie, Clotaire, dans l’espoir d’obtenir la tutelle de ses neveux en attendant l’occasion de les supprimer10, avait épousé sa belle-sœur, la reine Gontheuque. À la polygamie, il ajoutait l’inceste, le droit canon interdisant d’épouser la veuve de son frère. Les évêques avaient protesté, sans résultat, mais n’avaient pas osé fulminer contre le roi l’excommunication qu’il encourait. Devant leur dérobade, Clotaire s’était cru tout permis. Une autre femme, Chunsinde, était venue s’ajouter au harem royal.

Puis, en 536, usée par les grossesses, la reine Ingonde était morte, et Clotaire, délivré de celle qu’il avait épousée devant Dieu, avait, sans pour autant renvoyer ses concubines, décidé de contracter une nouvelle union « légitime » et pris pour femme, sans se soucier de son refus éperdu ni de son attirance pour la vie religieuse, la petite princesse Radegonde de Thuringe, une captive de guerre qui joignait à la beauté des droits inestimables sur la couronne thuringienne.

Si Radegonde, au terme de dix années d’une union de cauchemar, et après l’assassinat de son jeune frère par Clotaire, était parvenue à obtenir une séparation de fait d’avec son mari, avant de prendre le voile à Poitiers, le roi, toujours vert, l’avait rapidement remplacée, en enlevant la reine Vuldetrade, toute jeune veuve de son petit-neveu, Thibaud d’Austrasie.

Emplis de respect pour un pareil exemple, les quatre fils qui lui restent de ces multiples unions11 brûlent de marcher sur les traces de leur père, et Frédégonde compte bien en profiter.

Où, quand, comment, en quelles circonstances a-t-elle réussi à approcher le prince Chilpéric, le fils de Clotaire et d’Arégonde ? Là encore, elle serait la seule à pouvoir le dire tant l’événement, insignifiant, a échappé au regard de leur entourage. Appartenait-elle déjà à la domesticité entourant le jeune homme lorsqu’il s’est marié en 555 ? Frédégonde était-elle l’une des servantes de la fiancée, Audowère ? Cette seconde hypothèse demeure la plus plausible12.

D’un point de vue politique, diplomatique, il ne s’agit pas d’un grand mariage. Dans la crainte de se susciter des rivaux, Clotaire, s’il a choisi un gendre royal lorsqu’il a marié Chlosinde13, sa seule fille, s’est gardé de donner à ses fils des alliances prestigieuses. L’aîné, Caribert, a petitement épousé la fille d’un des antrustions de son père, une certaine Ingoberge, que cette union royale a enflée d’un orgueil démesuré et rendue d’une vanité quasi insupportable. Gontran collectionne les liaisons mais n’en a officialisé aucune. Sigebert est, sur le plan amoureux, d’une telle discrétion qu’on ne lui connaît aucune passade. Quant à Chramne, en révolte ouverte contre son père, il vient d’épouser la fille du comte d’Orléans, Chalda, dont, d’ailleurs, il semble épris14. Rien de prestigieux dans tout cela.

Chilpéric n’a pas visé plus haut, ou son père ne l’a pas laissé viser plus haut. Audowère n’est qu’une fille de leude, jeune, sans doute fraîche et gracieuse à défaut de posséder une beauté remarquable, peu instruite et passablement sotte15, défauts que l’on ne s’avise guère de reprocher à une femme… Pourvu qu’elle ait une postérité, le reste importe peu.

Des enfants, Chilpéric s’est appliqué à lui en faire tous les ans, dans l’intérêt de la dynastie, ce qui ne l’empêche pas d’aller chercher ailleurs des plaisirs qu’il ne trouve pas dans le lit conjugal.

Tout en gardant dans ses écarts de conduite une certaine discrétion : le roi Clotaire, qui s’est permis tant de caprices et a commis tant de fautes au cours de sa longue existence, ne passe rien, par principe, à ses proches. La fin tragique de Chramne l’a opportunément rappelé…

Celui-ci, fils de la concubine Chunsinde, avait été longtemps le préféré de Clotaire, conscient que ce garçon intelligent, audacieux, sans scrupules, son digne héritier en fait, était, de toute sa progéniture, le plus doué et le plus prometteur. Comme, à peine sorti de l’adolescence16, Chramne piaffait d’avoir part aux affaires, Clotaire avait décidé de tester ses capacités en lui confiant le poste de vice-roi d’Auvergne, une région clef d’une fidélité douteuse envers les Mérovingiens. L’expérience avait d’emblée tourné au désastre, le prince et sa bande d’amis n’ayant rien trouvé de mieux à faire que mettre Clermont-Ferrand et ses alentours en coupe réglée, n’hésitant pas à s’approprier pour leurs parties fines les dames et demoiselles de l’aristocratie locale qui avaient eu la malchance de leur plaire. Puis, démasqué par ses demi-frères, Caribert et Gontran, qui ne l’affectionnaient guère, Chramne avait tenté de lever des troupes contre son père. En 559, toutefois, à la surprise générale, Clotaire avait accordé son pardon au fils rebelle, lequel avait regagné Paris en compagnie de son épouse et de leurs deux fillettes. Tout semblait apaisé entre le roi et le prince lorsque, une nuit d’automne, Chramne et sa famille, se sachant en danger, avaient pris la fuite et trouvé refuge en Armorique, près du roi breton Conomor, époux de la sœur de Chalda.

Clotaire, furieux, avait voulu prendre des otages : le comte et la comtesse d’Orléans, beaux-parents de Chramne et de Conomor, qui avaient eu le temps de se réfugier dans la basilique Saint-Martin de Tours, lieu d’asile inviolable, mais auquel les envoyés de Clotaire, par accident ou bien outrepassant leurs ordres, avaient mis le feu. Le vénérable sanctuaire était parti en fumée, et ceux qu’il abritait aussi… Cette fois, la guerre était inévitable.

Chramne et Conomor l’avaient perdue.

Le dénouement avait passé en horreur tout ce que la chronique de la dynastie, pourtant riche en abominations, avait déjà connu. Clotaire, dont la colère ne s’était point apaisée, lorsque son fils et les siens lui avaient été amenés, avait donné ordre que le prince fût torturé à mort devant sa femme et ses filles ; puis, Chramne à l’agonie, il les avait fait tous enfermer dans la cahute où on les avait surpris et l’on avait mis le feu à la masure. Un long moment, apparemment content de sa revanche, le vieux roi avait écouté hurler sa bru et ses petites-filles en train de brûler vives.

Ce drame datait de l’été 560 et, si, sa fureur retombée, il pesait lourd sur la conscience de Clotaire, du moins avait-il constitué pour ses autres fils un exemple salutaire. Caribert, Gontran, Sigebert et Chilpéric avaient compris la leçon. Pour jouer aux souverains, ils attendraient que leur père fût au tombeau.

Au demeurant, ils espéraient bien n’avoir pas trop à attendre : le vieux allait sur ses soixante-cinq ans, âge avancé que ni Childéric ni Clovis, les fondateurs de la dynastie, n’avaient atteint17. Une fois débarrassés de lui, ils feraient ce que bon leur semblait, ce dans tous les domaines.

Frédégonde le savait et, elle aussi, elle patientait.

Depuis combien de temps Chilpéric l’avait-il remarquée parmi les servantes d’Audowère ? Plusieurs mois, sinon plusieurs années. Les servantes de l’épouse légitime, ses suivantes s’agissant d’une reine ou d’une princesse, constituaient un vivier de maîtresses potentielles parmi lesquelles le mari avait tout loisir de choisir une compagne pour la nuit, voire une concubine en titre. Belle comme elle l’était, elle n’avait pas eu de mal à attirer son attention, à le séduire, à s’imposer. Ce succès ne lui suffisait pas.

Frédégonde n’était pas la seule à coucher avec le prince Chilpéric. À l’instar de son père, de ses frères, et de tous les hommes de leur famille, celui-ci avait, en amour, un tempérament insatiable et fort peu de goût pour la fidélité. C’était de notoriété publique18. L’avoir mis dans son lit ne constituait en rien une garantie d’avenir. Or, Frédégonde voulait des garanties.

Certes, Chilpéric envisageait, quand il était de bonne humeur, de faire d’elle sa concubine officielle, mais c’était un projet repoussé après la mort de son père, laquelle pouvait se faire attendre jusqu’à une époque où Frédégonde aurait perdu sa jeunesse et son charme. D’ailleurs, une concubine, en droit romain comme en droit germanique, ne représentait rien, ou presque. L’homme pouvait la congédier du jour au lendemain sans lui accorder de dédommagement.

Il n’existait de sécurité, relative, que dans le mariage et pour l’heure, Chilpéric, hélas, était marié. Évidemment, eu égard aux risques inhérents des grossesses répétées et des accouchements, Audowère, qui multipliait les maternités, pouvait disparaître ; mais Frédégonde ne croyait pas Chilpéric capable, en pareil cas, de l’imposer comme sa nouvelle épouse. Clotaire n’avait pas cherché d’alliances royales pour ses fils : cela ne signifiait pas qu’il fût disposé à les laisser contracter des mariages honteux. Ne restait qu’à attendre. Frédégonde se faisait fort, quand le vieux serait mort, d’amener Chilpéric à en passer par ses volontés à elle.

En quoi elle s’illusionnait un peu.

Fin novembre 561, le roi Clotaire, comme il chassait dans la forêt de Cuise19, prit froid sous les couverts. Les brouillards insidieux de l’automne, pour la première fois, eurent raison de son robuste tempérament ; il regagna sa villa grelottant de fièvre, si mal en point qu’il se mit au lit, et ne se releva plus. En quelques heures, la bronchite dégénéra en congestion pulmonaire, et le vieux roi, soudain désabusé, comprit qu’il allait mourir. Jamais encore il n’y avait sérieusement songé.

Toute sa longue vie, Clotaire avait été obsédé du désir de réunir entre ses seules mains ces Gaules que l’on commençait aujourd’hui à nommer officiellement Francia20 et que Clovis, son père, avait, à l’instant de mourir, partagées entre ses quatre fils. Il avait mis presque un demi-siècle avant d’y parvenir, ne reculant pas devant le crime quand il lui semblait nécessaire. Cette réunification n’avait été complète qu’en 558, trois ans plus tôt, lorsque son frère Childebert s’était éteint sans postérité masculine. Et voilà que tout, de nouveau, était à recommencer ; la mort de Clotaire, conformément au droit royal germanique qui mettait le royaume sur le même plan que les successions des particuliers, allait entraîner un redécoupage du pays entre quatre princes. Bien entendu, ceux-ci n’auraient à leur tour qu’une ambition : réunifier la Francia à leur seul profit, sans regarder aux moyens nécessaires. Guerres civiles, alliances contre nature, tueries, fratricides reprendraient de plus belle. Jusqu’à ce que le plus fort, le plus malin ou le plus chanceux arrive à ses fins.

Comme Clovis avant lui, Clotaire avait toujours perçu la perversité d’un système successoral remontant à une époque lointaine où les rois germaniques n’étaient que des chefs de guerre, et leur héritage le butin accumulé au combat. Partager des chevaux, du bétail, de l’or et des esclaves ne présentait pas de difficultés ; diviser des terres si péniblement gagnées et unifiées relevait, en revanche, de l’absurdité. Il eût fallu imposer un autre système, au profit de l’aîné, du fils légitime, du plus compétent, et préserver coûte que coûte l’intégrité du royaume…

Clovis n’en avait pas eu le temps, ou ne l’avait pas osé. Quant à Clotaire, il avait fini par se croire, ou presque, invulnérable, immortel, et avait repoussé à plus tard des décisions nécessaires mais qui le renvoyaient à sa condition humaine et périssable… Voilà comment, en cette fin de l’automne 561, le roi n’avait pris aucune disposition successorale, n’ayant pas même fait les parts de chacun de ses fils. Maintenant, il n’en avait plus le temps, ni peut-être l’envie. À l’exception de Chramne, qu’il avait voué à une mort épouvantable, ses enfants n’avaient jamais inspiré grande affection, encore moins grande estime, à Clotaire. Il les tenait pour de piètres princes, médiocres dans le bien, mais aussi dans le mal, ce qui, à ses yeux, était infiniment plus grave, et tout à fait incapables de lui succéder. Peut-être éprouvait-il un vague amusement à les laisser se départager entre eux. Comment ? Au prix de quelles souffrances, de quels malheurs pour les Gaules et leurs peuples ? La question n’intéressait nullement Clotaire.

Son ultime préoccupation était d’ordre spirituel : grand pécheur, grand coupable, tardivement terrifié par la pensée de l’Enfer qu’il avait mérité, le roi comptait, au jour du Jugement, sur l’intercession de son vieil ami, l’évêque Médard de Noyon, pour lui éviter le pire au tribunal de Dieu. Il avait prévu de se faire enterrer à côté du saint prélat dans la splendide basilique qu’il comptait élever sur leur double tombeau, à Soissons. Projet imprévisiblement retardé car Médard, qui jouissait d’une santé de fer, avait vécu quasi centenaire et n’avait rendu l’âme qu’en juin 560, de sorte que, quinze mois à peine après son décès, les fondations du sanctuaire projeté, en dépit des sommes investies dans le chantier, sortaient à peine de terre.

Or, connaissant ses fils, Clotaire doutait qu’ils prissent à cœur d’achever les travaux. Les drôles allaient avoir de gros besoins d’argent quand il s’agirait de se combattre les uns les autres sous prétexte d’égaliser leurs parts, et aucune envie d’en dépenser afin de respecter les dernières volontés paternelles. À cela s’ajouterait une histoire de prestige dynastique. Clovis et Clotilde reposaient à Paris ; en choisissant Soissons21, Clotaire conférait à cette ville un statut de nécropole royale, et une légitimité supplémentaire à celui de ses fils qui la trouverait dans son lot. Afin d’éviter ce désagrément, les princes pouvaient décider, quand il n’y serait plus, de l’ensevelir dans la basilique parisienne des Saints Apôtres, ce qu’il souhaitait à tout prix éviter.

Voilà pourquoi il les avait fait venir tous les quatre à son lit de mort : il voulait les engager par des serments solennels à respecter ses vœux. Ils jurèrent, plusieurs fois, preuve du peu de créance que leur père accordait à leur parole… Précaution supplémentaire, il exigea de Sigebert, le benjamin des enfants qu’il avait eus d’Ingonde, sa première épouse, le serment particulier de veiller au respect de cet engagement. Il tenait celui-là pour le plus capable, tant sur le plan politique que militaire. Très tôt orphelin de mère22, Sigebert avait été élevé par la reine Radegonde, « cette nonne », comme disaient les leudes et les dames de la cour qui la détestaient. Elle lui avait inculqué quelques principes religieux et moraux dont ses frères ne jugeaient pas utile de s’encombrer. Assez, avec un peu de chance, pour lui interdire de se parjurer.

Ayant ainsi multiplié les précautions, Clotaire rendit l’âme dans les premiers jours de décembre 561. Ses fils en furent d’abord abasourdis. Ils avaient fini par croire leur père increvable et restaient décontenancés de leur liberté soudaine ; hésitants, incertains de l’avenir, du partage, des alliances à nouer.

Caribert, Gontran et Sigebert, les trois fils d’Ingonde, feraient-ils front commun contre Chilpéric, leur demi-frère et cousin, le bâtard ? Chercheraient-ils au contraire à le ménager, en prévision du jour inévitable où les liens du sang ne les empêcheraient plus de s’affronter ? Gontran, la tête politique de la fratrie, prudent et diplomate à défaut d’être brave, y songeait déjà sans le dire ni le montrer.

Pour le moment, ils prenaient leur temps, tâtaient le terrain, se jaugeaient. L’organisation des obsèques de leur père, qu’ils voulaient solennelles, et qui le furent, constituait une parenthèse bienvenue, leur donnait le temps de la réflexion. La disparition du roi avait été si inattendue ! L’absence de testament de Clotaire les laissait devant leurs propres responsabilités, leurs propres choix. Au fond, peut-être cela valait-il mieux… Clovis, leur grand-père, se sachant malade, avait voulu simplifier la tâche de ses héritiers, dont l’aîné avait tout juste vingt ans, et avait procédé lui-même au découpage. Dans l’illusion de créer une solidarité entre ses enfants, qui se haïssaient, il avait enchevêtré leurs lots de manière inextricable, leur laissant des terres pour moitié au nord et pour moitié au sud des Gaules ; le résultat s’était révélé ingérable, les conflits interminables et sanglants. Les petits-fils ne commettraient pas la même erreur et découperaient des parts cohérentes. Quant à leur attribution, il leur sembla que le meilleur moyen d’y pourvoir était le tirage au sort. Qu’on l’appelât hasard, Fortune ou Providence, le résultat des dés serait incontestable. Ils firent tous mine d’y croire.

En fait, Chilpéric, s’il n’avait soufflé mot, n’en pensait pas moins. Il savait d’expérience qu’il n’est pas très compliqué de piper des dés ni de fausser un jeu. Il savait aussi, depuis son enfance, qu’il était le trouble-fête et que les autres le rejetaient. Les six enfants d’Ingonde, les princes et princesse légitimes, constituaient un clan uni à défaut d’être aimant, toujours prêt à faire bloc contre les intrus que représentaient à leurs yeux les bâtards de leur père. En raison des misérables origines maternelles, et de son statut de préféré, Chramne avait échappé à leur vindicte. Pas Chilpéric, le fils de leur tante Arégonde.

Instinctivement, Chilpéric savait que ses demi-frères et cousins trouveraient un moyen de le désavantager. À défaut de le déshériter, la bâtardise ne le privant pas de ses droits, ils s’arrangeraient pour lui octroyer le lot le plus maigre, le mettre en position de faiblesse, avant de l’éliminer. Il en était sûr.

Calcul d’autant plus injuste que Chilpéric se trouvait, pour l’heure, le seul en possession de fils. En effet, Sigebert et Gontran demeuraient célibataires, Caribert n’avait que des filles, tandis que lui avait déjà engendré trois princes : Théodebert, Mérovée et Clovis. Le choix de ces prénoms, qui renvoyaient aux gloires de la famille, n’était point innocent et Chilpéric savait que ses frères en avaient grincé des dents parce que, ce faisant, il se présentait comme l’avenir et l’espoir de la dynastie. Un espoir et un avenir qu’en ce début d’hiver il entendait défendre, par tous les moyens. Si ses frères prétendaient n’avoir rien envisagé, il y avait beau temps, en revanche, que Chilpéric tirait ses plans en vue du jour où son père ne serait plus.

Précautionneux, Clotaire avait toujours veillé à ne pas laisser de grosses sommes à ses fils, raison pour laquelle il avait aussi pris soin de ne pas les allier à des familles nobles, riches et puissantes. L’argent est le nerf de la guerre. En les en privant, il leur évitait la tentation de se rebeller contre lui.

Chilpéric ne possédait donc aucuns fonds propres ; ses frères non plus. Or, s’il voulait peser sur le partage, empêcher qu’il se fît en sa défaveur, il lui en fallait, beaucoup et tout de suite : pour acheter des soutiens, des hommes, des armes, défendre au besoin ses droits sur le champ de bataille. Où le prendre, cet argent, sinon dans les coffres de Clotaire ?

Malgré la réunification tardive du royaume, le défunt roi administrait la Francia à l’ancienne mode, son pouvoir demeurant largement itinérant, nomade. Les instances dirigeantes se trouvaient où se trouvait le roi, et le roi vagabondait beaucoup, tantôt à Paris, Soissons, Orléans, ses capitales, tantôt dans ses villas rurales de Chelles, Berny, Meaux, Vitry ou Cuise, qu’il préférait aux vieux palais romains citadins, hâtivement restaurés et souvent inconfortables. Le Trésor, qui avait tendance à se confondre avec la fortune personnelle du souverain, l’accompagnait au fil de ses pérégrinations.

Chilpéric savait aussi que Clotaire, prudent et circonspect, laissait toutefois une partie de ses richesses dans les salles des coffres de ses propriétés favorites ; et que la villa de Brennacum23, voisine de quinze miles environ, abritait une de ces salles…

Alors, tandis que les fils d’Ingonde, à Soissons, faisaient mine d’observer décemment le deuil d’un père qu’ils avaient beaucoup craint mais jamais aimé, Chilpéric prit en hâte la route de Brennacum. Là, jouant habilement de la menace et des promesses, il parvint à se faire ouvrir la salle des coffres et fit main basse sur l’or qu’elle contenait. De sa vie le prince n’en avait vu autant. Cependant, ce n’était pas suffisant, il s’en doutait, pour lui permettre de réaliser ses projets. S’il voulait réussir, écraser ses frères, il lui fallait bien davantage, et il pensait connaître le moyen infaillible de se le procurer. À Paris se trouvait, disait-on, le fabuleux trésor de l’oncle Childebert. Quand Chilpéric en disposerait, rien ni personne ne serait plus en mesure de l’arrêter.

Voilà à peu près le discours qu’il tint aux quelques petits seigneurs présents à Brennacum, qu’il convainquit, en leur distribuant à pleines mains le magot paternel, de se joindre à lui pour lancer un raid sur Paris24. Troupe inconsistante, mais qui, dans ces moments d’incertitude et de vacance du pouvoir, alors que tout pouvait arriver et l’un des princes, en effet, s’imposer au détriment des autres, suffit, le surlendemain, à s’emparer de Paris. Chilpéric, enivré de sa trop facile victoire, se rua au palais, celui-là même qu’avaient habité deux siècles plus tôt les empereurs Julien et Gratien, symbole fort de la continuité entre Rome et les Mérovingiens qui conférait à la petite cité des bords de Seine sa légitimité et son prix, et il n’y trouva pas le moindre sou d’or… Il en resta ahuri, puis anéanti.

D’une rapacité et d’une avarice proverbiales, l’oncle Childebert passait pour fabuleusement riche ; à sa mort, cette fortune était allée à Clotaire, qui l’avait laissée sur place. Du moins celui-ci l’avait-il alors prétendu. L’ennui étant que le défunt roi avait menti.

Dans les derniers mois de sa vie, Childebert avait été saisi d’un grand remords puis d’un terrible repentir en se ressouvenant de tout le mal qu’il avait fait au cours de son existence ; à l’instar de Clotaire, il avait une peur effroyable, quoique tardive, de la damnation. L’évêque de Paris, Germain, qui l’assistait, lui avait alors suggéré de soulager son âme en redistribuant aux pauvres du royaume tout cet or, fruit de leurs peines et de leurs labeurs, qu’il leur avait volé en les pressurant indûment d’impôts. Sans autres héritiers directs que des filles, célibataires et certainement promises au couvent dès que leur père serait mort25, Childebert avait trouvé l’idée plaisante, rien qu’à imaginer l’air déconfit de son frère quand il découvrirait le trésor entièrement vide. Avec l’aide de Germain, il s’était donc employé à soulager toutes les détresses, au point qu’à sa mort, il ne se trouvait plus un nécessiteux dans son royaume, et plus un solidus dans ses coffres.

Clotaire ne s’était pas vanté de cette déconvenue, laissant croire à l’existence d’une fortune évaporée dont le malheureux Chilpéric se trouvait pour l’heure la nouvelle dupe. Au vrai, l’affaire était fâcheuse. Lui qui comptait sur cet or pour lever des forces n’avait même plus de quoi solder la poignée d’hommes entraînés dans son expédition, et ceux-ci, sentant le vent tourner, réclamaient haut et fort les sommes promises. Comme il ne pouvait les payer, ils le plantèrent là, impuissant, désarmé. Ses demi-frères, informés de sa tentative malencontreuse, galopaient déjà vers Paris, à la tête de vraies troupes, eux.

Un instant, Chilpéric se vit mort. Le légalisme de ses frères le sauva. Eu égard aux mœurs familiales, ceux-ci n’eussent pas éprouvé beaucoup de scrupules à lui planter leur francisque dans le crâne ou leur scramasaxe dans le cœur ; mais, contre toute attente, le droit était en faveur du bâtard. Tant que les parts n’étaient pas faites et distribuées, chacun pouvait prétendre s’en tailler une proportionnée à son audace et son courage. Chilpéric avait couru sa chance ; les autres ne pouvaient lui tenir rigueur de n’avoir pas su ou voulu en faire autant. Ils eurent la magnanimité inattendue de mettre son acte sur le compte de la jeunesse et de l’immaturité : il n’avait que vingt et un ou vingt-deux ans. Puis ils le prièrent de quitter Paris. De toute façon, ils n’avaient jamais eu l’intention de lui octroyer la ville, il le savait. Il s’en alla, soulagé de s’en tirer à si bon compte, mais profondément humilié.

Quel rôle Frédégonde avait-elle tenu dans la mise en œuvre de cette équipée ridicule ? Aucun sans doute. Elle n’était toujours qu’une fille de rien, une gueuse avec laquelle le prince prenait son plaisir mais dont il ne faisait ni sa confidente, ni sa conseillère.

À Soissons, ses frères n’avaient pas perdu tout à fait leur temps puisqu’ils étaient parvenus à se mettre d’accord sur la formation de quatre « royaumes », et même, vraisemblablement, sur leur attribution, qu’ils n’eurent point, malgré ce qu’ils avaient promis, la sottise de livrer au hasard d’un coup de dés. Chilpéric avait raison depuis le début : ils comptaient lui abandonner le strict minimum.

Pour la façade, toutefois, les princes procédèrent à un tirage au sort, tel qu’il se pratiquait traditionnellement dans les armées franques lors du partage du butin. Depuis la fameuse affaire du vase de Soissons, personne ne s’était plus jamais avisé de contester les lots des rois, fussent-ils gonflés au détriment de ceux des guerriers et attribués au prix de tricheries manifestes. Le partage du royaume se fit avec la même iniquité26, et Chilpéric se garda de s’en plaindre. Il s’était lui-même mis hors jeu.

Caribert, en tant qu’aîné, tira la part du lion, qui couvrait toute la façade ouest de la Francia, à l’exception de l’Armorique bretonne indépendante, de l’estuaire de la Somme à la frontière pyrénéenne, avec Paris pour capitale. Y manquait un débouché indispensable sur la Méditerranée, qui lui fut accordé sous forme d’une enclave à l’est de Marseille.

Gontran, le puîné, gagna la Burgondie, l’héritage de la reine Clotilde, leur grand-mère, que Clovis et ses fils avaient reconquis les armes à la main sur leurs cousins. L’ensemble, s’étendant le long de la vallée du Rhône, de Genève à Avignon, riche de villes aussi anciennes et florissantes qu’Auxerre et Lyon, avait été encore agrandi d’Orléans et Bourges, d’Arles, reprise aux Ostrogoths, et de l’ouest de Marseille. Chalon en était le centre.

Sigebert eut l’Austrasie. C’était la part que Clovis avait accordée au fils de son premier lit, Thierry27. Elle comportait d’importants territoires outre-Rhin, que ce prince tenait de sa mère, augmentés de conquêtes ultérieures en Germanie qui avaient considérablement étendu vers l’est la puissance franque. De ce côté du Rhin, l’Austrasie englobait Reims, la ville du baptême de Clovis, et Metz, aux avant-postes, ce qui lui conférait paradoxalement la place de capitale. Depuis que Thierry l’avait enlevée aux Wisigoths, l’Auvergne appartenait également à l’Austrasie, ce qui ne simplifiait rien d’un point de vue administratif.

Que restait-il à Chilpéric ? Le minuscule royaume de Soissons, entre Tournai et la Somme, une enclave que Clovis, à quinze ans, trouvait déjà trop petite pour ses ambitions… Ses frères lui firent valoir l’honneur, pour lui, de posséder le berceau de leur dynastie, et Soissons, avec la tombe de leur père bien-aimé, ce qui signifiait qu’ils lui abandonnaient le soin d’achever à ses frais la construction de la fameuse basilique promise au défunt. Chilpéric avala la couleuvre, quoiqu’elle fût de belle taille, et se jura in petto qu’on n’en resterait pas là.

La pénitence, pourtant, allait durer de longues et pénibles années.