> Un peu comme de la neige, mais vivante

Schnoute de schnoute.

Je viens de faire une gaffe monumentale et spectaculaire.

Y’a que moi pour réaliser ce genre d’exploit.

J’ai eu beau retourner la situation de tous les bords et de tous les côtés, je ne peux pas blâmer Fred.

J’ai essayé, pourtant !

J’ai des années d’expérience, je suis une experte dans cette matière.

À l’aide de mon esprit tordu, j’arrive presque toujours à faire porter en partie la faute à mon grand frère quand je fais une bévue.

Mais là, je dois m’y résoudre, je suis la seule et unique responsable du tsunami qui a ravagé (j’exagère à peine) notre maison.

(…)

Depuis que Mom nous a abandonnés (oui, oui, nous, ses propres enfants) pour aller se faire soigner à l’hôpital, un phénomène bizarre s’est produit : les tâches ménagères ont arrêté de se faire.

Avant, quand un vêtement sale se retrouvait au panier, il réapparaissait comme par magie 20 heures plus tard dans un tiroir de ma commode, plié et sentant bon le champ de lavande après une ondée un après-midi d’été en Provence.

Avant, quand les assiettes et ustensiles souillés traînaient dans l’évier de la cuisine, ils se rendaient comme par magie dans le lave-vaisselle, se faisaient décrotter à coups de jets d’eau puissants, puis réintégraient les armoires en se tenant les hanches et en se dandinant les fesses sur un air de bonga.

Avant, quand les planchers étaient sales et les tapis recouverts de charpies ou de morceaux de nourriture que la bouche de Fred n’avait pas pu attraper, le tout était avalé, comme par magie, par une machine qui fait beaucoup de bruit et qui ressemble à un éléphant, mais sans les oreilles, ni la p’tite queue grise, ni cet amour profond pour les cacahuètes.

J’ignore ce qui se passe quand Fred va à la salle de bains (et je ne veux pas le savoir), mais une fois qu’il a terminé, le miroir est toujours sale. Genre vraiment sale. Gel pour les cheveux, eau, mousse à barbe, dentifrice (je pense que Fred combat le tube furieusement tous les matins, comme s’il était aux prises avec un anaconda ; il pousse des cris, il grogne, il se jette par terre ; mon frère est un guerrier) et même de la sauce tomate (celle-là, je ne la comprends toujours pas ; et non, ce n’était pas du sang, j’y ai goûté, ark !), aucune substance ne me surprend. C’est sûr que s’il y avait de l’huile à moteur, je me poserais des questions... Cela étant dit, quand Mom était là, le miroir semblait autonettoyant. Il ne l’est pas. Je n’arrive plus à me voir dedans, je dois me regarder dans le reflet du robinet ; ça me fait une tête d’asperge et je ris chaque fois.

Environ 95,7 % des trucs que Youki mon p’tit chien d’amooour se met dans la gueule et avale n’est pas comestible. Et 73,3 % du temps, il les vomit et ignore ce qu’il a restitué sous forme de bouillie visqueuse. C’est quoi, ces manières ?! Comme si je me mettais à vomir partout (surtout là où il ne faut pas, comme sur les tapis, dans les marches et à l’intérieur du réfrigérateur) et que je ne ramassais pas mes dégâts. Quand Mom était à la maison, je fuyais dès que j’entendais Youki faire des bruits de gorge étranges. Quand je sortais de mon matelas (best cachette ever, même si les ressorts sont quelque peu inhospitaliers), il n’y avait aucune trace de l’expulsion, hormis une légère odeur de sucs gastriques. Magie !

Je sais que je t’en ai déjà touché un mot, public en délire, mais la poubelle est un sujet de discorde permanent entre Fred, moi et les bestioles – auxquelles elle sert de nid – qui viennent troubler notre sommeil et qui prennent possession de la télécommande de la télévision quand on la regarde ; je suis tannée du Canal bébittes et de ses émissions débiles de télé-réalité comme L’incroyable famille Bousier, Pimp mes antennes et 16 heures et enceinte. Avant, le sac de poubelles n’était jamais plein au point de déborder jusque dans la rue. On n’arrivait jamais à le remplir. JAMAIS ! Mais depuis que Mom est à l’hôpital, il est TOUJOURS plein. Quand je chiale (moins fatigant que de changer le sac), mon frère dit qu’il reste de la place. Où ça ?! Dans sa bouche ?!

Mom, reviens, c’est un ordre !

(…)

Je ne veux pas donner l’impression que Pop ne participe pas aux tâches ménagères ; il en fait.

Mais parce qu’il est toujours à l’hôpital ou en train de se saouler (beurk), Fred et moi devons prendre la relève.

Tintin aussi aide : en minijupe et un pompon dans chaque main, il danse en hurlant un mélange de death metal et de punk hardcore.

(...)

Ma gaffe, maintenant.

J’ai été nommée directrice du département de l’hygiène des tissus mobiles. Bref, je m’occupe du lavage.

Fred était intéressé par ce poste hautement prestigieux, mais j’ai insisté pour l’avoir.

Je ne veux juste pas qu’il touche/regarde/sente (?)/goûte (??)/écoute (???) mes sous-vêtements.

Juste d’y penser, j’en frissonne !

Moins que lorsque je sors les boxers de mon frère du panier de vêtements sales, mais quand même.

(J’ai enfin trouvé un moyen de les manipuler sans vomir un peu dans ma bouche : je recouvre mon corps de sacs à ordures, je protège mes yeux avec des lunettes de ski et mes mains avec des gants jaunes en caoutchouc et, à l’aide du sécateur à long manche de Pop, je transporte les produits dangereux sans risquer de me faire mordre et/ou projeter du venin par eux.)

Parce qu’il ne restait plus de détergent, il a fallu que je trouve vite une solution.

« Vite » parce que je n’avais plus un morceau à me mettre. C’était urgent, sinon il aurait fallu que je me fasse un pantalon avec les rideaux du salon et un chandail avec le tapis de la salle de bains.

Je suis partie à la recherche d’un produit équivalent au détergent à lessive.

J’en ai trouvé un qui avait des propriétés similaires : un liquide délogeant graisses et saletés, donc un tensioactif essentiellement fait de carboxylates de sodium et d’acide sulfonique de benzène alkylique linéaire (ça me rappelle l’époque où j’étais chimiste pour un laboratoire illégal de désinfectant à mains).

Bref, j’ai utilisé du liquide à vaisselle.

Ça ne me dérangeait pas trop de sentir le citron parce que c’est un anticancer naturel et une excellente source de vitamines.

Sans blague, je me trouvais géniale.

Je me suis dit : pourquoi tout le monde ne fait pas ça ? C’est moins cher que du détergent à lessive et ça fait le même travail.

Au début, je n’en ai pas mis beaucoup.

Puis j’ai douté ; je me suis dit que ce n’était pas aussi puissant que le détergent à vêtements, fallait que je sois généreuse.

Je sais pas vraiment quelle quantité j’ai mis, je suis une fille bonne et altruiste, mais la bouteille était presque vide à la fin.

J’ai tourné la roulette jusqu’à « eau chaude » et j’ai appuyé sur le bouton de démarrage.

Yé !

Sauf qu’une demi-heure plus tard, de la mousse est apparue sous la porte de ma chambre.

Je pensais que c’était une mauvaise blague de Fred.

Pas du tout.

De la mousse, il y en avait partout.

Pour donner une idée de l’ampleur du dégât et de la vigueur de la mousse, la laveuse est au rez-de-chaussée.

Ma chambre est au deuxième étage.

La mousse a GRIMPÉ LES MARCHES.

Est-ce que j’ai capoté ? À peine.

Au début, je suis restée silencieuse, simplement parce que j’étais ébahie.

« Cool », je me suis dit. Y’a des nuages dans la maison.

Puis j’ai assemblé toutes mes connaissances, j’ai fait des liens, j’ai émis des hypothèses de travail et quand je suis enfin parvenue à une conclusion plausible, je me suis mise à hurler !

– Phoooque !

Tintin est sorti de sa chambre et a constaté l’invasion blanche.

– Oh non, il a dit en se mettant les mains sur la tête, Youki a la rage !

– Non, j’ai répliqué. C’est la laveuse.

– La laveuse a la rage ?! C’est le début de l’Électroménagers Apocalypse !

Tintin s’est précipité dans sa chambre et en est ressorti quelques instants plus tard.

C’est à ce moment que la situation est devenue weird (parce qu’elle ne l’était pas encore).

(…)

Pop vient d’entrer dans la maison !

Je dois lui expliquer ce qui s’est passé et pourquoi la moitié de la maison est recouverte d’une pellicule visqueuse qui sent l’agrume.

Et pourquoi l’aspirateur est brisé.

Et pourquoi il manque des rideaux.

Et pourquoi la planche à repasser est défoncée.

Et pourquoi Grand-Papi est inconscient sur le sol, la tête dans une flaque de sang et le cœur percé d’un panneau ARRÊT.

Mais nooon, je niaiiise.