À cinq heures et quart ce matin, je me suis levée pour aller faire pipi.
En sortant de la salle de bains, j’ai croisé Pop qui m’a demandé si je voulais déjeuner avec lui.
Même si j’avais encore une heure de dodo devant moi, je me suis dit que je ne pouvais pas passer à côté de cette occasion.
Il m’a fait cuire des œufs et m’a préparé des rôties au beurre d’arachides.
On a parlé de l’école, de mes pseudo-amours, de mon roman, du journal étudiant. Il avait l’air vraiment intéressé par ce que je lui racontais.
Il a desservi la table et, tandis que je terminais mon verre de lait, il m’a dit, sans me regarder :
– Je sais que j’ai un problème. Et je vais essayer de le régler.
Il a ouvert le lave-vaisselle et a commencé à le remplir.
– Je sais que tu peux le régler, j’ai dit.
– Ce n’est pas si facile, Namasté.
– Je sais.
Il s’est arrêté, m’a regardée et m’a souri :
– Non, tu ne sais pas. Tu ne peux pas savoir. C’est... un cauchemar.
Je me suis tue et j’ai fixé mon verre de lait.
Pop a placé quelques assiettes avant de continuer :
– Un vrai cauchemar. Tout s’effondre. Tes deux parents sont malades, ma fille.
« Malades » ?!
– T’as pas aussi un cancer ?!
– Oui, on peut dire, mais pas comme celui de ta mère. Le mien est un salaud de première. Il me ronge de l’intérieur et y’a aucun médicament qui peut le faire disparaître parce qu’il est invisible.
Mon cœur a repris un rythme régulier quand j’ai compris ce dont il voulait parler.
– L’alcool, ai-je soufflé.
Il a fait oui de la tête.
– Avant que vous naissiez, je me suis promis de cesser de boire pour ne pas vous faire vivre ce que mon père m’a fait vivre. Ta mère m’a beaucoup aidé. Et puis me voilà 20 ans plus tard au même point. C’est dur, oui, mais c’est encore plus dur pour vous.
Entendre mon père se confier avec tant de candeur et d’humilité était touchant ; troublant, même.
– Pas tant que ça, je lui ai dit, pour le rassurer. Tu n’as fait de mal à personne.
– T’es fine, ma fille, mais je suis très bien placé pour savoir ce que je vous fais. Vous vivez déjà la maladie de votre mère, pas question que je vous fasse subir la mienne.
– C’est déjà fait.
Je me suis levée et je suis allée donner un gros câlin à mon papounet d’amour.
– Je t’aime.
Il a posé un baiser sur le dessus de ma tête.
– Je t’aime aussi. Je suis chanceux d’avoir une enfant aussi extraordinaire que toi.
– Je ne suis pas si extraordinaire que ça.
– Pourquoi tu dis ça ?
– Va falloir peut-être acheter un nouvel aspirateur parce que le nôtre, j’ai beau lui flanquer des coups de pied, il ne réagit plus. Y’é mort, on dirait.
– Comment ça ?
Je lui ai relaté les faits entourant cette sordide histoire.
C’est encore (un peu) de ma faute si l’aspi est dans cet état.
À la suite de la catastrophe évitée de la souffleuse à neige dans la maison et après que tous ses occupants intoxiqués au monoxyde de carbone se sont mis à simuler une randonnée de ski de fond par une douce journée d’hiver, fallait trouver une solution efficace pour débarrasser la maison de toute cette bave de laveuse.
Fred, encore déçu de ne pouvoir défoncer des murs pour faire entrer la souffleuse dans la maison, a alors dit un mot qui a fait scintiller une lumière rouge dans ma tête :
– Aspirateur.
– Non, non, non, j’ai rétorqué. Chaque fois que tu l’utilises, il faut appeler les pompiers pour te libérer.
Il a levé les mains en l’air :
– Promis, cette fois, il ne va inhaler aucune partie de mon corps.
Tintin a fait une bouche de je-viens-de-lécher-un-citron :
– Ewww, dit comme ça, c’est vraiment troublant. Comme si t’étais de la drogue.
– Ce n’était pas des accidents. L’aspi savait ce qu’il faisait. Et tu sais quoi ? Je pense que pour lui, je suis effectivement une substance qui altère ses facultés. Il est devenu accro à moi.
– Ça expliquerait la raison pour laquelle il te respire dès qu’il en a l’occasion, a déclaré Tintin.
– Voilà ! Je suis, pour lui, une façon de s’évader de son quotidien terne.
Il fallait quelqu’un pour remettre les garçons sur le chemin de la raison et ce quelqu’un, ce fut moi.
– Les gars, vous êtes des hurluberlus. On parle d’un aspirateur !
– Ne sois pas si naïve, Nam. C’est le début de l’Électroménagers Apocalypse, je te l’ai dit. Quand tu vas te réveiller en pleine nuit sans pouvoir respirer et que tu vas constater que c’est ton réveille-matin qui t’étrangle, tu ne pourras pas dire que je ne t’avais pas avertie.
– C’est rien de plus que Fred qui fait des expériences avec son corps. Normal, il apprend à se connaître. Il explore de nouvelles sensations qui le troublent.
– O.K., a fait mon grand frère, on arrête de parler de moi. Mon idée est de faire disparaître la mousse avec l’aspirateur.
J’ai fait une pause, j’ai regardé autour de moi et j’ai dit :
– Ça pourrait fonctionner.
Je sais que l’aspi n’est pas fait pour aspirer du liquide, mais de la mousse, ce n’en est pas vraiment.
Parce qu’après analyse avec mon microscope électronique à balayage photonique (hein ?!), j’ai déterminé qu’une bulle moyenne contenait 99,2 % d’air.
Je me suis dit que le 0,8 % restant allait s’évaporer.
Erreur.
La suite plus tard.
Vous vous êtes toujours demandé à quoi ressemblaient
les insectes minuscules qui recouvrent votre corps
et se nourrissent de vos peaux mortes ? Vous vous
questionnez à propos des milliards de germes qui
grouillent sur vos mains, votre téléphone cellulaire
et les poignées de portes ? La technologie des
microscopes les plus puissants vous est maintenant
accessible. Vous pourrez désormais dire bonjour aux
sympathiques acariens qui composent la moitié du
poids de votre oreiller et serrer la pince au
désopilant sarcopte qui pond des oeufs sous votre
peau. Des heures de cris de terreur en perspective !