La rumeur à l’école s’est répandue comme un feu dans une forêt qui n’a pas reçu de pluie depuis un mois.
Dans ma classe de maths, Élizabeth a reçu un texto l’avisant que l’inconcevable se produisait : quelqu’un avait vu Lara dans l’école.
Oui, public en délire, il est interdit d’apporter dans la classe notre téléphone cellulaire. Voilà pourquoi j’ai fait de gros yeux à Élizabeth, j’ai levé la main et je l’ai dénoncée au professeur en la montrant du doigt.
Depuis, je me demande pourquoi plus personne ne veut me parler...
ZOUKINI !
Des rumeurs folles, à l’école, il y en a si souvent que personne n’en fait un plat.
Un jour, on a dit qu’un rat géant se promenait dans les corridors (c’était un bébé renard !).
Un autre jour, on a dit que Monsieur M. était sur le point de changer de sexe et qu’on allait devoir l’appeler Madame M.
La semaine dernière, on a dit que l’école allait offrir à tous les élèves une tablette numérique pour éliminer les manuels scolaires (yeah !), mais en retour, on devrait signer un contrat dans lequel on s’engageait à vivre comme des amish de 1880 : pas le droit d’utiliser des moyens de locomotion modernes – tout le monde marche pour aller à l’école ou emprunte le cheval et la charrette de ses parents –, pas le droit d’avoir recours à l’électricité, obligation d’abattre des bêtes pour le dîner, levée du corps à 4h30 et dodo à 20h30, scolarité se terminant en deuxième secondaire, mariage planifié à 16 ans et bébé 19 mois plus tard, port de la barbe pour tous les hommes avec interdiction d’afficher la moustache (hum... je crois que ces sacrifices sont mineurs si, en retour, j’obtiens une tablette numérique gratuite – il est où le contrat que je le signe ?).
Tout le monde a pris la rumeur à la légère.
Le plagiat de Lara était sur toutes les lèvres. Les médias en ont beaucoup parlé, les élèves de l’école ne discutaient que de ça et c’était même le sujet de prédilection des professeurs.
Lara est montée aussi vite qu’elle est descendue. D’enfant prodige qui sert d’exemple (persévérance ! talent ! humilité !) et de vedette (première page des journaux, articles élogieux, entrevues), elle est devenue une moins que rien.
Qu’elle soit à l’école, dans ces circonstances, relevait de la science-fiction (hum, jeu de mots poche compte tenu que son roman plagié était de ce genre).
Eh bien, ce quelqu’un avait raison : Lara était aujourd’hui bel et bien à l’école.
Est-ce qu’elle était la seule à ne pas être au courant qu’elle venait de se faire prendre en flagrant délit de plagiat ?
Comment faisait-elle ?
J’éternue dans un corridor et je suis gênée d’aller à l’école les jours suivants !
Après la deuxième période, la rumeur s’est avérée : Kim m’a dit qu’elle avait vu Lara et qu’elle était à 98 % sûre que ce n’était pas un sosie ou un hologramme ou une hallucination visuelle même si le beurre d’arachides qu’elle avait mangé au déjeuner était périmé depuis une semaine.
En me rendant à mon cours, je suis passée devant la bibliothèque, où il y avait un attroupement.
En me dressant sur mes orteils, j’ai vu une fille assise le dos contre le mur, la tête sur les genoux et les bras autour des jambes.
Cette fille, c’était Lara.
Tout le monde la regardait comme si elle était une statue qui vomissait du yogourt.
Elle était clairement en détresse et personne ne lui venait en aide.
Je me suis approchée, j’ai mis ma main sur son épaule et je lui ai posé la plus stupide des questions :
– Ça va ?
Oui, public en délire, j’ai demandé à une fille scrutée comme un phénomène de foire qui vient tout juste de vivre une humiliation format Voie lactée si elle allait bien.
À quoi je m’attendais ? Que Lara lève un visage recouvert d’un maquillage de clown et qu’elle me demande avec un ton enjoué si je voulais un ballon en forme de girafe ?
Lara a fait non de la tête.
– Ne restons pas ici, je lui ai dit. Allons ailleurs.
Toujours penchée vers l’avant, elle a chuchoté quelque chose que je n’ai pas entendu.
– Qu’est-ce que t’as dit ?
Sa réponse m’a glacé le sang :
– Je veux mourir.
J’ai fait un signe de la main aux élèves qui nous regardaient :
– Dégagez, on n’est pas dans un zoo.
Aparté : l’affirmation que j’ai faite est fausse. Je trouve exagéré que certaines personnes considèrent l’école secondaire comme une jungle, avec des prédateurs, des proies et Tarzan (c’est moâââ, tassez-vous, je m’apprête à me balancer de liane en liane et à hurler OH-EE-OH-EE-OH-EE-AW-EE-AW !, faisant honneur au grand homme-singe que je suis – vu que c’est l’hiver, je fais la grève du rasage et j’ai réduit mon quotient intellectuel d’une dizaine de points pour ressembler aux gars de ma classe).
Mais on peut dire que l’école secondaire, c’est un zoo. Parce qu’il y a beaucoup d’espèces différentes (et de très étranges), parce qu’on est obligé d’y aller, parce qu’on se sent en cage et donc prisonnier, et parce qu’il y a même des gens engagés pour ramasser nos déchets (vous devriez voir l’état de la cafétéria après le dîner, on est des vrais cochons dans une porcherie) !
La seule chose qui manque est une boutique où on pourrait acheter des toutous à prix indécent représentant les animaux qu’on y croise.
Il manque aussi des machines à moulée à 25 cents que les visiteurs pourraient utiliser pour qu’on les approche.
Malgré l’horrible mensonge que j’ai proféré à l’endroit des spectateurs de la détresse de Lara, ils sont partis. Probablement plus parce que la cloche annonçant le début des cours venait de retentir qu’en raison de mon regard menaçant.
J’ai tenté de soulever Lara, mais elle ne voulait pas.
– Allez, je lui ai dit. Suis-moi.
De loin, un champion a crié : « Tricheuse ! »
Et une suite de ricanements mesquins a suivi.
J’ai fait comme si je n’avais rien entendu, mais pas Lara, qui a été secouée par une vague de sanglots.
J’ai attendu que tous les élèves soient en classe pour l’interpeller.
– Relève-toi, tu ne peux pas rester là.
Elle a fait non de la tête.
Au bout du corridor, j’ai vu monsieur Patrick. Je l’ai hélé et lui ai fait signe d’approcher.
– Mon amie est... euh... malade. Vous pourriez m’aider à l’amener chez le directeur ?
– Oui.
Il s’est penché et s’est mis à notre niveau.
– Est-ce que tu peux te lever ?
J’ai fait signe à monsieur Patrick de ne rien dire. Il n’a pas semblé comprendre pourquoi, mais il a obtempéré.
– Lara ?
Monsieur Patrick a saisi qui c’était ; il a fait des yeux gros comme ceux d’un tarsier (150 fois plus gros que ceux d’un être humain, merci à une recherche de cinquième année que j’ai faite sur ce si mignon primate).
J’ai vu qu’il se posait intérieurement la même question que moi : pour l’amour des animaux aux globes oculaires surdimensionnés, qu’est-ce que Lara fait à l’école ?!
On a réussi à la faire se lever et on l’a transportée jusqu’au bureau de Monsieur M.
Lara pesait une tonne et elle n’arrivait même pas à mettre un pied devant l’autre. Elle restait penchée vers l’avant, recroquevillée, comme si elle avait reçu un fulgurant coup de poing dans l’estomac.
Sa respiration était difficile et, en mettant la main sous son bras, j’ai senti que son chandail était mouillé par les larmes.
Au bureau du directeur, la secrétaire a appelé la mère de Lara.
Je suis encore toute bouleversée par ce qui s’est passé après...
(…)
Grand-Papi vient de me dire qu’on partait faire l’épicerie. La suite après avoir dépensé tout l’argent que Pop m’a donné en réglisses rouges. Hé, hé, hé...