Bonne nouvelle : l’état de Mom s’améliore de jour en jour. Je viens de lui parler au téléphone et son ton était bon. Je lui ai raconté mes tribulations à l’épicerie, ça l’a fait beaucoup rire.
Elle a hâte de rentrer à la maison. Elle dit que l’hôpital, c’est super déprimant, surtout quand on est patient. Mais elle connaît presque tout le monde parce que c’est là qu’elle travaillait, donc il y a toujours quelqu’un pour lui faire la conversation.
Au début, quand j’ai parlé à Pop, il m’a semblé qu’il sentait un peu l’alcool.
Considérant ce qu’il m’avait dit et la franchise avec laquelle il l’avait fait, j’ai pensé qu’il ne pouvait juste pas avoir recommencé à boire aussi rapidement.
Je suis un peu trop parano.
(…)
J’ai aussi discuté de Lara avec Mom.
Elle est hospitalisée dans un département de psychiatrie depuis cet après-midi.
Ce matin, à l’école, quand la secrétaire a contacté la mère de Lara pour l’aviser que sa fille n’allait pas bien, elle a répondu qu’il n’était pas question qu’elle aille la chercher et qu’elle devait assumer ses actes. Puis elle a raccroché la ligne au nez de la secrétaire.
Monsieur Patrick et moi, on n’en revenait pas.
La pauvre Lara était en état de choc. On n’arrivait pas à lui parler. Elle ne faisait que pleurer et gémir.
J’ai entrevu son visage et, dans ma vie, je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi démoli. Il a même fallu que je ravale un sanglot.
Monsieur M. a rappelé la mère de Lara et ils ont discuté une quinzaine de minutes. Je ne sais pas ce qu’ils se sont dit parce que la porte du bureau du directeur était fermée, mais, au bout du compte, la mère est venue chercher sa fille.
Cela a au moins répondu à l’une des questions que je me posais : Lara était à l’école parce que ses parents l’avaient forcée à y aller.
FORCÉE !
La pauvre Lara est seule au monde.
Je pense que le rôle des parents est de protéger leurs enfants contre les autres, mais aussi contre eux-mêmes.
Je pense que le rôle des parents est d’aimer leurs enfants de manière absolue.
Je pense que le rôle des parents est de reconnaître qu’ils ont gaffé quand ils ont gaffé et d’en accepter les conséquences.
Si j’avais fait une bêtise comme celle de Lara, je suis persuadée que mes parents m’auraient épaulée et qu’ils auraient endosé une partie de ma responsabilité.
Ils n’auraient pas été contents, c’est sûr, mais jamais ils ne m’auraient abandonnée.
Et ils ne m’auraient certainement pas envoyée à l’école !
Finalement, ce n’est pas la mère de Lara qui s’est présentée, mais une de ses tantes.
Monsieur M. avait pris la décision d’appeler une ambulance parce que Lara dépérissait à vue d’œil.
Assise sur une chaise, toujours recroquevillée sur elle-même, elle se balançait d’avant en arrière. Elle murmurait des trucs parfois incompréhensibles et parlait des examens à venir ou de son lit qu’elle n’avait pas bien fait.
C’était épeurant !
Monsieur Patrick et Monsieur M. essayaient de savoir si elle avait besoin de quelque chose, si elle avait soif ou faim, mais y’avait rien de logique dans ce qu’elle racontait.
Monsieur Patrick a dit que Lara avait perdu le contact avec la réalité.
Une minute après que la tante est arrivée – une femme bien qui a fait preuve de compassion –, les ambulanciers ont pointé leur nez.
Ils ont été super gentils avec Lara ; ils l’ont assise sur une civière et recouverte d’un drap.
Et ils sont partis avec elle. Sa tante les a suivis.
Depuis, je n’ai pas de nouvelles.
J’ai demandé à Mom si elle connaissait des gens qui travaillaient dans le département de psychiatrie et qui pourraient nous en dire plus sur l’état de Lara. Elle en connaît, mais ils n’ont pas le droit de dévoiler des informations aussi confidentielles.
J’espère de tout mon cœur qu’elle va mieux.
Je pense très fort à elle et je lui envoie des ondes positives.
Je doute que ça donne des résultats parce que je ne suis pas une antenne, mais bon...
(…)
Il a aussi fallu que je justifie la mort (que Bouddah ait son âme) de notre aspirateur.
Pop avait déjà raconté à Mom les conséquences de l’excellente idée que j’ai eue de mettre du liquide pour laver la vaisselle dans la laveuse, mais il ne s’expliquait pas pourquoi l’aspi pouvait en être décédé.
Facile !
Fred a sorti l’aspirateur du placard, l’a branché dans la prise de courant et l’a activé.
Puis il a entrepris d’enlever la mousse, tout en restant sur ses gardes, comme s’il manipulait un serpent en furie, parce que les dernières fois qu’il a utilisé l’aspirateur, il a fallu que les pompiers viennent le secourir.
Au début, mon grand frère semblait manquer de confiance en lui puis, lentement, au fur et à mesure qu’aucun incident indécent ne survenait, sa colonne vertébrale s’est redressée, son menton s’est soulevé, ses épaules se sont élargies et j’ai vu qu’il était fier de lui, comme le cavalier qui remonte sur son cheval à la suite d’une mauvaise chute.
Ou comme le matador qui retourne dans l’arène après qu’un taureau est parvenu avec une de ses cornes à lui enlever son pantalon devant une foule horrifiée à la vue de ses foufounes blanches.
C’était super efficace, comme méthode. À ce rythme, en moins de 10 minutes, toute la mousse aurait été chose du passé et ce débordement glissant un simple écho du passé.
C’était trop beau pour être vrai, bien entendu.
Après une minute d’aspiration intensive, de la fumée provenant de l’aspirateur a envahi la pièce.
J’ai crié à Fred :
– Arrête, il y a un problème.
Il a fait non de la tête.
– C’est normal !
Parce que Fred est un expert en éradication de mousse à liquide à vaisselle par un instrument qui ne sert absolument pas à ça, je l’ai laissé faire.
Sauf que la fumée est devenue de plus en plus noire.
Au point de déclencher les détecteurs.
Assez pour empêcher Fred d’accomplir sa besogne ? Nope.
– Arrête, j’ai hurlé, on ne peut plus respirer.
– Utilise ta bouche.
De quessé ?!
Quelques instants plus tard, des feux d’artifice miniatures sont apparus. Comme des étincelles, mais qui flottaient dans les airs.
– FRED !
Il a paru irrité :
– QUOI ?! ÇA VA ALLER, ARRÊTE DE CAPO...
Et l’aspirateur de se mettre à cracher du feu.
Ma réaction aurait été de tout lâcher, de me mettre en petite boule et de pleurer.
Mais Fred étant Fred, il a soulevé le tuyau et, un large sourire étampé au visage, il a fait :
– TROP COOL !
Son rêve de posséder son propre lance-flamme était enfin devenu réalité.
Dans sa tête, il a imaginé tout ce qu’il pourrait accomplir avec pareil jouet : chasser le gorille récemment évadé du zoo, faire peur aux brigadiers à l’air bête en se cachant derrière un buisson et impressionner les filles avec son « briquet 2.0 ».
Ce moment de pure magie a été de courte durée puisque les rideaux derrière lui se sont enflammés.
Et le moteur de l’aspirateur a explosé.
Tintin a essayé d’éteindre les rideaux en soufflant dessus « Ffff, ffff, ffff ! », croyant peut-être qu’il s’agissait d’une grosse bougie de gâteau d’anniversaire.
Je lui ai dit, cherchant un moyen d’éteindre le début de l’incendie :
– N’oublie pas de faire un vœu, tant qu’à y être !
J’ai finalement arraché les rideaux et, avec mes pieds, j’ai mis fin au feu de joie.
J’ai ouvert les fenêtres et j’ai essayé de faire sortir la fumée à l’aide d’un magazine.
Tintin me regardait drôlement :
– Qu’est-ce qu’il y a ?!
– C’était beau.
– Beau ? Qu’est-ce qui était beau ?
– La danse que tu viens de faire.
– La danse ? De quoi tu parles ?
– Sur les rideaux. C’était gracieux et violent.
– C’était pas une danse, Tintin, j’éteignais le feu.
– Ah oui ? T’es sûre ? Pourquoi t’as pas soufflé dessus comme moi ?
– Parce que souffler sur un feu, ça l’aide à se propager. Avec mes pieds, j’ai étouffé le feu. Tu penses que, pour le plaisir, j’arracherais les rideaux et je me mettrais à danser dessus ?
– Pas pour le plaisir, mais au nom de cet art millénaire qu’est la danse.
Qui sont apparus quelques minutes plus tard et ont stationné leur camion rouge avec une échelle et tous gyrophares allumés devant la maison ?
Eh oui, les pompiers !
Notre détecteur de fumée est relié à une centrale et lorsqu’elle a appelé pour vérifier si tout était en ordre, on n’a pas entendu le téléphone sonner ; la centrale a donc demandé aux pompiers de venir faire un tour.
Fred est allé à leur rencontre en disant : « Salut les buddies ! » Et il leur a annoncé, tout fier, que cette fois, le suceur de l’aspirateur n’était pas collé à un endroit biscornu de son corps.
Repose en paix, aspirateur.
Et surtout, R.I.P., suceur. J’espère que dans le nouveau monde où tu es, personne n’abuse de toi en te faisant cracher du feu ou en te collant sur la peau moite d’un adolescent incompris.