> Épicerie en folie, la suite (entre autres)

Je fais ma fraîche, mais je commence à avoir peur de Valentine.

Mathieu vient de me dire par texto que je l’avais vraiment rendue furieuse, pas juste parce que j’ai laissé entendre qu’elle avait des seins qui pendouillaient, mais aussi parce que j’ai embrassé son chum devant toute l’école.

Pfff... Elle est tellement susceptible. Mettons.

Mathieu : Je pense vraiment qu’elle va te péter la gueule.

Namasté : Voyons, voyons. Nous sommes des personnes civilisées, pas des singes.

Mathieu : Sans blague, Nam, elle est méga fâchée.

Namasté : Je le serais aussi si j’étais à sa place. : )

Mathieu : C’est pas drôle, Nam.

Namasté : Tu vas me défendre.

Mathieu : J’essaie de la calmer, mais elle est furax. Et en plus, elle se fâche encore plus parce que je te défends.

Que Mathieu soit inquiet m’a perturbée, lui qui ne s’énerve jamais.

Il pourrait y avoir une pluie d’astéroïdes et il sortirait tranquillement son parapluie et se mettrait à siffler Chantons sous la pluie.

Kim me conseille d’aller parler à Monsieur M. Ça ne va rien donner ; il peut peut-être s’assurer qu’il ne va rien se passer à l’école, mais pas à l’extérieur.

Mouais... J’ai peut-être poussé un peu trop ma chance...

(…)

Alexandre est trop cute.

Il affirme qu’il ne va permettre à personne de poser le petit doigt sur moi et qu’il va me servir de garde du corps.

C’est super gentil, mais son école se termine à 15h35 et la mienne à 15h45. Même s’il avait une Formule 1, il ne pourrait pas être avec moi avant 16h15.

Il lui faudrait un hélicoptère, mais ça prend des mois de pratique avant d’avoir un permis. Et c’est cher ; 50 000 dollars pour un vieux modèle qui va te faire vivre les moments les plus effrayants de ta vie en s’écrasant au sol sans raison.

La solution qu’on a trouvée est qu’il dresse une pouliche volante ou un aigle géant.

On trouve ça où ? J’ai jamais vu ça à l’animalerie.

Et les pouliches volantes, elles sont soit roses, mauves ou bleu poudre. Y’a pas un gars qui voudrait grimper là-dessus de crainte de voir sa virilité s’évaporer.

Et les aigles géants, ça mange quoi ? Des vaches ? Des rhinocéros ? Et s’ils passent par-dessus un parc où y’a des personnes âgées qui jouent à la pétanque, est-ce qu’ils vont essayer de les attraper avec leurs énormes serres ?

C’est dangereux, jouer à la pétanque. On ne le dira JAMAIS assez.

Et ces deux bêtes volantes, faudra leur mettre des couches, non ?

Arghhh ! Trop de questions !

(…)

Pour me changer les idées, je vais finir de raconter « Les extraordinaires aventures de Namasté à l’épicerie ».

Révise ton testament et assure-toi d’avoir effacé l’historique de ton navigateur Web, public en délire, parce que tu risques de ne pas en sortir vivant (hein ?!).

Après ma rencontre « fortuite » avec Alexandre qui m’est venu en aide dans le processus très complexe et hasardeux d’échanger des contenants d’aluminium de boisson gazeuse contre de l’argent – pour mes efforts effrénés, j’ai reçu un mirobolant 65 sous –, il était temps, enfin, d’entreprendre mon épopée.

Alors que je m’apprêtais à rejoindre Fred, à qui j’avais demandé de commencer les emplettes, j’ai constaté qu’il était toujours au même endroit… mais DANS le panier d’épicerie.

À l’endroit où on assoit les enfants, face au parent qui conduit.

Affirmer que Fred est un grand enfant et qu’il a quatre ans d’âge mental, je suis d’accord.

Mais il reste qu’il a un corps d’homme.

En me voyant approcher, il m’a fait de grands signes des bras.

– Aide-moi, je ne suis pas capable de sortir.

C’était comme si je venais d’assister à un tour de magie impressionnant. Comme si, sous mes yeux, un homme avait dézippé sa peau, l’avait retirée et un nain en était sorti. (Hum, weird.)

– Comment t’as fait pour faire passer tes jambes ? C’est... impossible.

Un panier d’épicerie, ça a des roulettes, c’est instable. Je n’arrivais pas à me figurer comment Fred était parvenu à passer ses jambes dans les ouvertures sans tomber et se fracasser le crâne.

– As-tu eu de l’aide, genre d’une grue ?

– Non. Mais là, j’ai mal et je ne sens plus mes jambes.

– Sincèrement, mon grand frère, c’est la première fois qu’en même temps, tu me fais honte et tu m’impressionnes. Je suis présentement déchirée entre ces deux sentiments. Comme si je devais aller chercher avec mes dents une réglisse rouge dans une fondue au chocolat.

Fred bougeait comme s’il était prisonnier d’une camisole de force.

– Nam, arrête de parler et sors-moi de là.

– Pourquoi t’as fait ça, Fred ? Pourquoi ?

– Pour le fun. Aide-moi.

J’ai mis mes bras autour de sa poitrine et j’ai tiré vers le haut. Rien n’a bougé.

J’ai essayé trois autres fois et le seul résultat concret a été de sentir la mauvaise haleine de Fred.

J’ai fait trois pas vers l’arrière et j’ai bouché mon nez.

– C’est fou comme tu pues de la yeule. Comme si ta langue était morte depuis deux semaines et était en état de décomposition avancée.

– Ce sont les biscuits au bacon qui font ça. Je vais essayer d’en trouver une autre sorte, j’ai de la difficulté à les digérer.

Je t’entends, public en délire, te demander : « De quessé, des biscuits au bacon ?! » Et, la question suivante, inévitable : « Trop cool ; c’est gras, c’est salé et ça vient d’un cochon tout rose avec la queue en tirebouchon qui fait groin-groin : où je peux en acheter ? »

C’est parce que j’ai oublié de te mentionner que mon frère a commencé à manger les biscuits de Youki.

Quand je l’ai aperçu en flagrant délit de crime alimentaire, il m’a avoué qu’il était devenu accro aux biscuits pour chiens.

La première fois qu’il en a goûté un, c’était par « accident ».

Je lui ai répondu :

– Comment ça peut être un accident ?! Sur la boîte, il y a la photo d’une grosse tête de chien.

– Sur la boîte des Rice Krispies, il y a trois nains.

– Ce sont des lutins. T’essayeras de trouver des petites personnes qui peuvent prendre leur bain dans un bol de céréales.

– Les nains sont magiques, Nam. Ils peuvent faire grossir tous les objets pour les adapter à leur taille. Ça devrait être le contraire, mais bon, j’imagine que c’est un bogue de l’évolution. Et la boîte de Fruit Loops, Nam, est-ce que, parce qu’il y a une perruche dessus, ça veut dire que y’a que les perruches qui peuvent en manger ?

– C’est pas une perruche, c’est un toucan.

– Perruche, toucan, l’important est que si je suis perdu dans la forêt tropicale, je vais me sentir moins seul parce que je vais pouvoir leur faire la conversation.

– De quoi tu parles, Fred ?! Ce ne sont pas des perroquets.

Mon frère a regardé à gauche et à droite, puis m’a déclaré, sur un ton de confidence :

– Ce sont des perroquets, Nam. C’est juste qu’ils sont déguisés parce qu’ils ne veulent pas finir leur vie sur l’épaule d’un pirate.

J’ai cessé de parler pendant deux ans, puis, de retour dans le monde des vivants, j’ai relancé Fred :

– De toute façon, ça ne tient pas, ton argument. C’est écrit sur la boîte : « Votre compagnon canin en raffolera ! »

– J’ai aucune idée de ce que veut dire le mot « canin ». Ni le mot « raffoler ». Et puis, tu lis ce qu’il y a sur les boîtes, toi, avant de manger ?

– Euh, oui. C’est ce qui fait la différence entre se nourrir de riz ou de sacs à ordures.

– Ahhh ! Donc ça se mange, des sacs à ordures. Je me disais justement que ça sentait pas mal bon.

Je n’ai rien répliqué mais, le lendemain matin – hasard ou non –, la boîte de sacs à ordures était vide et mon frère faisait des rots à saveur de plastique.

(…)

Saveur plastique, me semble que ça ferait un cool nom pour un groupe de musique.

C’est un bon départ, ne me reste plus qu’à apprendre à jouer d’un instrument. Siffler et claquer des doigts ou imiter le bruit d’un écureuil, est-ce que ça compte ?

(...)

Retour à l’épicerie avec mon frère de 16 ans coincé dans un compartiment d’enfant de 4 ans.

– Pas de ma faute si je puzes de la yeule, il a dit.

À cet instant, une dame très âgée (genre 35 ans) est passée à nos côtés et nous a déclaré :

– Franchement, les jeunes. On ne dit pas gueule, on dit bouche. Les animaux ont des gueules.

– C’est parce que vous ne connaissez pas mon frère, je lui ai rétorqué. Il a une gueule. Il mange des biscuits pour chiens.

Scandalisée, elle s’est écriée :

– Oh ! Grossier personnage !

Et elle a quitté les lieux, même si elle venait tout juste d’entrer dans l’épicerie ; elle s’est sûrement dit qu’elle ne remettrait plus jamais les pieds dans un endroit fréquenté par un énergumène comme mon frère qui se nourrit de gâteries pour chiens et qui souffre d’un type rare de déformation qui fait en sorte qu’il est né avec un panier d’épicerie fusionné au derrière.

Ces maladies congénitales, quel mystère !

(…)

Je suis fatiguée. C’est l’heure du dodo.