J’ai vu Godzilla et plus question de l’appeler Godzillou, y’a vraiment rien de cute dans ce croquemitaine ! (« Croque-mitaine : personnage maléfique dont on parle aux enfants pour leur faire peur et les rendre plus sages. » J’avoue que c’est un super titre d’un de mes romans d’horreur !)
C’est pas pour l’insulter, mais après avoir fait une analyse en profondeur de la chose, je n’arrive toujours pas à déterminer s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon.
J’ai essayé fort, fort, fort.
C’est une personne plutôt grande (une tête de plus que moi), plutôt grosse, qui porte des jeans et un t-shirt ample. Oui, elle a des seins, mais même les gros gars en ont. J’ai pas osé soulever son chandail pour voir si il ou elle portait un soutien-gorge.
Comme objet de mode, l’individu porte un collier de chien recouvert de piquants en métal.
Cette personne porte une casquette, a les cheveux mi-longs et y’a rien dans ses traits qui m’indique son genre. Pas même son monosourcil (impressionnant) aussi épais que la fourrure d’un ours en hiver.
C’est peut-être sa manière de se protéger du froid.
Quand le printemps arrive, il ou elle mue du monosourcil.
C’est peut-être une chenille ?
Un jour, ce truc hirsute qui grouille va se transformer en papillon !
Je suis perplexe.
Je ne peux pas croire que Valentine a demandé à un gars de régler mon compte. Ou à une fille, si Godzilla en est une... Ouche. Le seul concours de beauté qu’elle pourrait gagner est celui de Miss Abominable femme des neiges. Et ça, c’est parce qu’elle aurait dévoré toutes les autres concurrentes.
Peut-être que c’est une personne qui a un « bel intérieur », qui sait ?
Je le lui souhaite, parce que l’extérieur aurait besoin de rénovations. En fait, faudrait tout démolir et reconstruire. Et décontaminer le terrain.
Je suis contre la méchanceté, mais vu que personne ne me lit, je me permets de me libérer de mes angoisses. J’ai besoin de l’écrire : elle est laitte en ta.
Juste de devoir la regarder est suffisant comme punition. Beaucoup plus efficace et traumatisant que de recevoir une raclée.
En fait, on pourrait même parler ici de cruauté et de châtiment non proportionnel à la faute commise. Mais pour le bien de ma cause, je vais encaisser et me taire.
J’étais dans le local des Réglisses rouges ce midi à préparer le prochain numéro de L’Écho des élèves desperados quand Kim est venue m’avertir que la Bête était dans l’école et qu’elle me cherchait.
– Faut que tu te caches, elle m’a dit, paniquée.
J’ai pensé qu’elle blaguait.
– Relaxe, Babe. Si elle veut circuler dans l’école, elle doit être maintenue en laisse et porter une muselière, non ?
– Je te niaise pas, Nam. La personne est là pour toi et elle te cherche.
Mon cœur s’est mis à danser le twist.
– Pour me battre ?
– Je sais pas. Peut-être. Sûrement pas pour obtenir ton autographe.
– Je dois fuir !
– Tu ne peux pas sortir du local, c’est trop dangereux. Tu dois te cacher ici.
– Ici ? Où ?
Le local des Réglisses rouges est petit. Il y a une bibliothèque, un bureau, une chaise et un canapé pourri et défoncé qui couine comme un chien qui veut faire pitié quand on a le dos tourné.
Aucun endroit pour se cacher.
Kim a regardé à gauche et à droite, puis elle a levé la tête.
– Le plafond. Cache-toi au plafond. Quand la Bête va entrer, elle va regarder partout, sauf là. Ça marche dans les films.
– Dans Spider-Man, oui ! J’ai pas le temps ni le goût de me faire piquer par une araignée radioactive !
Kim a jeté un coup d’œil dans le corridor.
– La personne approche !
J’ai poussé un cri de désespoir mâtiné de panique.
– Ahhh !
J’ai essayé de me cacher sous le bureau, mais comme il fait face à la porte, ça allait être comme évident que j’étais là.
J’ai voulu me faufiler sous les coussins poisseux du canapé, mais les 30 années d’accumulation de poussières, graines de biscuits, mines de crayon et autre substance qui ressemble étrangement à un crachat avec des pattes (ewww !) ont hurlé à la vue de la lumière et m’ont fait comprendre que je n’étais pas à ma place.
J’avoue, avec humilité, que j’ai tenté de grimper sur les murs et de me réfugier au plafond.
À mon grand étonnement, ça n’a pas fonctionné.
C’est à ce moment que Godzilla est entrée dans le local.
Kim a accroché un sourire à son visage et lui a dit :
– Salut, bienvenue au local des Réglisses rouges ; si tu as des embêtements, si tu vis du harcèlement, si t’as des problèmes familiaux ou si ça te pique full entre les deux jambes, on peut t’aider.
– Namasté est-tu là ?
– Euh...
Kim s’est retournée vers moi qui tentais toujours de grimper au mur.
– C’est elle, Namasté ? a demandé Godzilla.
Je ne me suis pas laissé déconcentrer : j’ai continué mon impossible escalade, mais en y mettant plus de vigueur, comme un chat qui tente de sortir d’un bain rempli d’eau.
– Oui, euh, non, en fait, elle, c’est Aglaé.
Je me suis soudainement retournée et j’ai dit, avec une voix de fille qui n’avait que trois mots dans son vocabulaire (« papa », « maman » et « guacamole ») :
– Aaaglaééé !
J’ai laissé un peu de salive sortir de ma bouche et je me suis dirigée vers Kim en marchant comme un chimpanzé.
– Kiiim ! j’ai fait, tout en f lattant son visage. Douuux.
– Donc, euh, est-ce que tu sais où je pourrais trouver Namasté ?
Kim a fait non de la tête.
– Je sais pas de qui tu parles.
C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée de téter le lobe d’oreille de ma meilleure amie.
– Miam, miam, j’ai dit.
Devant ce spectacle affligeant, Godzilla est partie.
Dès qu’elle a été hors de notre vue, Kim m’a poussée et a essuyé son pauvre lobe d’oreille qui avait subi l’assaut de ma bouche.
– Qu’est-ce que tu fais ?! Mon oreille, c’est pas un pis et t’es pas un veau !
Godzilla a refait surface. Tout de suite, j’ai pris le petit doigt de Kim, je me le suis mis dans la bouche et j’ai commencé à le sucer et à vociférer : « Popsicle à l’huuumaiiin ! »
– Ouais, euh, je voulais savoir, t’as parlé de quand ça piquait là, tu sais ce qu’il faut faire pour que ça arrête ?
Kim s’est approchée de la bibliothèque, a attrapé le premier tract qu’elle a vu et l’a donné à Godzilla qui est partie sans rien dire.
Elle a retiré son doigt de ma bouche.
– T’es dégueulasse, Nam. C’est quoi ton problème avec ta bouche qui aspire tout ce qui passe ?
J’ai ignoré sa question parce que la réponse m’aurait fait trop mal. Mettons.
– Tu lui as donné un dépliant sur les pellicules.
– Je sais. Je voulais juste qu’elle disparaisse.
– Mais là, elle va penser que ses démangeaisons sont dues à ça. Elle va croire qu’elle souffre d’une simple désorganisation superficielle des cellules du cuir chevelu.
– Je m’en fous. Ne refais plus jamais ça, Namasté, d’accord ? Tu m’as fait peur, j’avais juste le goût de me jeter dans les bras de Godzilla pour qu’elle me protège.
– Ça a fonctionné, non ?
– C’est sûr. C’est fou comme t’as pas de fierté. Dorénavant, je vais toujours regarder mes doigts comme s’ils étaient des popsicles à l’humain. Je ne savais pas que j’avais les mains aussi froides. C’est plutôt troublant.
– Tu veux que je te dise ce qui est vraiment très troublant ?
– Non.
– Je vais te le dire quand même. Le lobe de ton oreille goûte le brocoli.
– Tu m’écœures.
– Regarde dans nos prospectus, y parlent peut-être de ce problème gênant.
Parlant d’être écoeurée, c’est l’heure du souper.
Bye.