> Maîtresse du déguisement... NON !
Mom est de retour à la maison !
Joie !
Je ne lui ai pas encore parlé parce qu’elle dort. Mais je suis quand même allée lui donner un gros câlin en collant ma joue sur la sienne. Elle a ouvert les yeux, m’a souri et s’est rendormie.
Yé !
(…)
Ma réunion avec monsieur Patrick s’est bien déroulée. Comme si je ne lui avais jamais dit qu’il était repoussant.
Pendant que je l’attendais, j’ai écrit un autre article insensé :
Les élèves mis a contribution pour générer de l’électricité
En raison de coupures budgétaires, notre école secondaire ne peut plus payer les comptes d’électricité. Une ingénieuse solution a cependant été trouvée.
Afin d’alimenter notre école en énergie, 10 roulettes géantes reliées à des génératrices ont été installées à la cafétéria. Pendant cinq minutes par jour, chaque élève devra courir dans cette espèce de roue à hamster pour humains et ainsi faire sa part pour le programme énergétique scolaire.
L’idée provient de monsieur Berthiaume, professeur de physique depuis 33 ans à notre école.
« C’était ça ou on brûlait les livres de la bibliothèque pour se chauffer », a-t-il révélé en exclusivité à L’Écho des élèves desperados.
« J’ai aussi fait la suggestion de brancher les influx nerveux des élèves à une génératrice. Tous les êtres humains produisent de l’électricité pour bouger leurs muscles, produire des sensations ou faire fonctionner leur système nerveux. Chaque étudiant est donc une mini centrale électrique. Cette idée m’excitait au plus haut point, j’avais enfin un projet palpitant. Mais la direction l’a trouvé trop lugubre. J’ai d’ailleurs été suspendu 10 jours pour l’avoir soumis. »
Alors, chers amis élèves, qu’attendez-vous pour enfiler vos souliers de course et vous rendre à la cafétéria afin de faire votre part pour qu’on n’étudie pas dans le noir et qu’on ne souffre pas d’engelures aux doigts quand on travaille dans les classes ?
Là encore, c’est tellement extravagant qu’on n’aura pas besoin d’avertir le lecteur qu’il s’apprête à lire une fausse nouvelle.
(…)
Je n’avais pas pensé à Godzilla de la journée, jusqu’à ce qu’on m’avertisse qu’elle m’attendait à l’extérieur après les classes. J’en ai déduit que ce n’était certainement pas pour jouer à l’élastique.
Ouais, j’ai une grande intelligence.
J’ai capoté quand j’ai su la nouvelle. J’avais vraiment peur que la méthode du caméléon ne fonctionne pas. Si Valentine était avec lui/elle pour me désigner dans la foule, j’étais cuite.
Pendant l’avant-dernière période, alors que je planifiais dormir à l’école pendant toute la fin de semaine (et sûrement le restant de ma vie), Kim a eu une idée.
– Je sais ! On va te déguiser !
– Me déguiser en quoi ?
– Je sais pas. Le local de théâtre est peut-être encore ouvert. Je connais le prof, il est super chouette.
Avant la dernière période, Kim et moi avons couru jusqu’au local. Le prof s’apprêtait à quitter les lieux quand on l’a intercepté.
– On pourrait vous emprunter quelques accessoires pour la fin de semaine ? a demandé Kim avec une voix mielleuse.
– Oh, j’ai bien peur qu’il ne me reste plus grand-chose, j’ai tout prêté.
– On peut quand même aller jeter un œil ?
Le prof a gentiment accepté.
On est sorties trois minutes plus tard avec une perruque blonde, une horrible robe en lycra au motif de hamburger au fromage (le pain recouvert de graines de sésame au niveau de la poitrine, la laitue, les tomates, le ketchup, la boulette de viande au nombril, la tranche de fromage et le pain final aux cuisses), une paire de lunettes à monture noire avec des gros sourcils et une moustache collés dessus, ainsi qu’une énorme fausse poitrine.
Il ne restait effectivement pas grand-chose.
Nous nous sommes réfugiées dans la toilette où j’ai enfilé le tout (je me suis rendu compte que la robe était du genre « Gratte et renifle » parce qu’elle sentait le gras et le fromage).
En sortant de la cabine, Kim n’a pu s’empêcher de rire.
– T’es méconnaissable, mais c’est sûr que si tu sors accoutrée comme ça, des agents des services secrets vont surgir de partout pour te kidnapper et t’autopsier, question de voir comme t’es faite de l’intérieur.
En m’observant dans le miroir, ça l’a fait craquer.
– Enlève la robe et les lunettes. Le reste va être suffisant.
J’avoue que la poitrine, je l’ai aimée. J’en avais enfin une !
Je me suis mise à la tripoter comme une excitée de bas étage.
– Arrête, m’a dit Kim, tu me troubles.
Je me suis regardée de côté dans la glace.
– Tu penses que si je vais en classe avec ça, les gens vont me remarquer ?
– Nam, t’as l’air d’avoir deux planètes collées sur le torse. C’est tellement gros que les objets dans nos étuis à crayons vont se mettre à orbiter autour.
– Si je ne la rends pas à au prof de théâtre, tu penses que ça pourrait être grave ?
– Bah ouais, il la porte quand il n’y a personne dans son local.
– Naaan.
– Ouais, c’est du moins ce qu’on raconte. C’est un excentrique.
– Moi aussi, je suis capable d’être excentrique.
Malgré les protestations de Kim, je suis entrée dans la classe du dernier cours de la semaine avec la prothèse mammaire.
L’effet a été immédiat.
Les filles se sont mises à se taper la tête sur leur bureau de manière incontrôlable tandis que les gars sont restés normaux, c’est-à-dire qu’ils se sont gratté les aisselles en poussant des cris de guerre tout en mangeant les poux des autres.
La prof m’a demandé d’aller retirer mon « plastron » parce qu’il empêchait les élèves « de se concentrer, il perturbe le bon fonctionnement de la classe ».
J’ai protesté, je lui ai dit que la nuit dernière, j’avais eu une dernière bouffée de puberté en raison du poulet plein d’hormones que j’avais mangé la veille, mais elle ne m’a pas crue.
Le problème n’était pas ma subite augmentation poitrinaire.
Non.
Trop obnubilée par mon nouveau pouvoir d’attraction, je ne m’étais pas rendu compte que la prothèse s’était détachée et que j’avais les seins aux genoux.
À la fin des classes, j’ai remis ma paire de seins bioniques en m’assurant qu’elle était bien attachée. Puis j’ai enfilé la perruque blonde.
Kim est sortie avec moi et je suis parvenue à intercepter mon frère et Tintin.
J’étais donc protégée.
Mon but était de passer inaperçue.
J’ai demandé à mes frères de se tenir à une dizaine de pas derrière nous et d’être prêts à intervenir en cas d’attaque sauvage.
J’ai tout de suite vu Godzilla sur le trottoir. Comme je m’y attendais, Valentine était en sa compagnie.
– Fais comme si de rien n’était, m’a dit Kim.
Alors qu’on approchait du monosourcil et de sa cousine, Kim m’a regardée et a fait les gros yeux.
– Nam, tes seins !
– Quoi, mes seins ?
J’ai posé mes mains sur ma poitrine. Mes seins avaient disparu !
J’ai regardé derrière moi, craignant de les avoir échappés en chemin. Ou pire, de les avoir échappés et que Tintin ait mis la main dessus ; je n’aurais jamais pu les récupérer parce que mon frère aurait été tenté de s’en faire un chapeau.
– Sont où ? j’ai demandé.
Kim a pointé l’index derrière moi.
– Oh non, sont là !
– Là ? Où, là ?
– LÀ !
En retournant ma tête le plus à droite possible, j’ai effectivement vu que ma prothèse m’avait fait faux bond et qu’elle était rendue dans mon dos.
J’étais comme un chameau.
Parce qu’on continuait toujours de marcher et que Godzilla et Valentine n’étaient qu’à quelques mètres de nous, je ne pouvais pas m’arrêter pour la remettre en place.
– Fais comme si de rien n’était, m’a répété Kim.
– Ben oui, tsé, j’ai d’énormes seins là où il ne faut pas, au moment où il ne faut pas !
Fred s’est approché de moi et m’a dit :
– Tes totons sont dans ton dos.
– Je sais, j’ai grogné.
– C’est plus facile d’attacher son soutien-gorge comme ça ? a demandé Tintin. Ça risque d’être plus corsé quand tu vas avoir des bébés. Je sais pas trop comment tu vas faire pour les allaiter.
– Tintin, ce ne sont pas mes vrais seins.
– Ben voyons donc, il a rétorqué. Tu blagues ?
– Non, c’est une prothèse. Me semble que c’est assez clair.
– Me disais aussi qu’ils avaient poussé vite.
– Faudra que je parle au prof de théâtre, a ajouté Kim, je crois qu’ils ont soif de liberté.
– Qui ? Fred et Tintin ?
– Non, non, les faux seins.
Tintin s’est permis de nous dévoiler un fait inusité :
– Hey, les filles, saviez-vous que nos mamelons étaient alignés aux lobes de nos oreilles ?
– Ceux de Kim goûtent le brocoli, j’ai commenté.
– Ses mamelons ? a demandé Fred.
Kim a protesté :
– Hey !
J’ai fait non de la tête avec trop de vigueur, il a fallu que je replace ma perruque.
– Non, non, les lobes de ses oreilles.
Tintin :
– T’as savouré ses lobes ? Comment tu justifies ton geste ?
– Je n’ai rien à justifier, c’est entre Kim et moi.
– Elle a aussi tété un de mes doigts.
– Popsicle à l’huuumain ! j’ai bêlé.
Nous sommes entrés dans l’autobus sans que j’aie eu à affronter Godzilla et sans que Valentine m’ait vue ; pourtant, dans la foule, j’étais la plus visible.
Une chamelle blonde dans un attroupement d’adolescents, ça se remarque.