RENCONTRE AVEC U.G.

 

Depuis Paris, Michel Langinieux appela U.G. pour lui annoncer que je devais me rendre à Londres, et que je désirais réaliser un entretien avec lui, car je préparais un numéro spécial de la revue l'Originel sur le thème « les Philosophies de l'Éveil ». Cela fit beaucoup rire U.G.. Il répondit qu'il n'y avait aucun problème, et que je n'avais qu'à lui téléphoner, dès que je serais sur place, pour convenir d'un rendez-vous. Je pris ensuite le téléphone et échangeai avec U.G. quelques propos amicaux.

C'était une chance que U.G. se trouve à Londres, car en général il est par monts et par vaux : États-Unis, Chine, Inde, etc. ; on ne peut jamais trop savoir à l'avance où il séjourne.

Une des questions que U.G. avait posées à Michel Langinieux était :

- Comment va le business ?

- Plutôt en dessous..., lui répondit celui-ci.

Après avoir raccroché le téléphone, Michel Langinieux me dit que pour U.G. les problèmes financiers n'existaient pas. L'argent lui tombait comme par enchantement.

U.G. vécut des moments difficiles, précisément à Londres, lorsqu'il était âgé d'environ cinquante ans, avant que la « chose » ne le foudroie, comme il le dit lui-même. Il vécut comme un clochard. Sa vie n'était qu'un calvaire. Depuis, les choses se sont arrangées, et ce genre de « miracle » ne s'est jamais tari.

 

Arrivé à Londres, je pris rendez-vous avec U.G. pour le 2 décembre, jour de mon anniversaire, à 11 heures du matin, chez lui. Il logeait dans un quartier chic de Londres. Maison typiquement anglaise, située sur une très jolie place.

Après avoir sonné, j'entendis quelqu'un descendre les escaliers, et la porte s'ouvrit. J'avais une idée très vague de l'apparence physique de U.G., mais je dois avouer que je ne m'attendais vraiment pas à celle qui s'offrait à moi. Un corps d'hermaphrodite, très mince, presque maigre ; les yeux, d'un charme fabuleux, semblaient de velours.

Nous grimpâmes à l'étage supérieur et nous installâmes dans une pièce qui semblait servir tout à la fois de  chambre, de salon et de cuisine.

Avant de lui poser quelques questions, je branchai magnéto et caméra.

Ce qui paraissait le plus évident, chez ce personnage, c'est que la « peur », cette peur (ou ces peurs) qui nous paralyse, semblait avoir définitivement disparu de sa vie. On percevait qu'il ne s'agissait pas d'une apparence, mais de quelque chose de bien réel.

Ce qui me semblait également intéressant, pour une première rencontre, c'était l'absence, non seulement de  conformisme mais surtout de l'attitude de celui qui sait, de celui qui donne des leçons et veut montrer aux autres qu'il est le maître. Chez lui, rien de tel, vous pouvez être tel que vous êtes, sans vouloir paraître autre chose que ce que vous êtes présentement.

 

De toute manière, ses propos sont clairs : il n'y a rien à faire, et il n'y a aucune chance de changer quoi que ce soit.

Pour un ego bien accroché, c'est extrêmement difficile à accepter. L'ego a toujours des prétentions à être autre chose que ce qu'il est, cela lui donne une telle satisfaction : montrer que l'on a changé, que l'on s'est amélioré, et surtout s'imaginer que l'on va quelque part. Ah oui ! L'ego aime ça ! Les propos de U.G. fracassent tout, à ce niveau.

 

Plus tard, ayant téléphoné à U.G. pour lui dire que j'aimerais le rencontrer à nouveau pour quelques jours, j'allai pour la pemière fois à Gstaad. C'est un endroit très agréable.

J'avais souvent entendu parler de Saanen, le village d'à côté, et des fameux « meetings » de Krishnamurti, sous la tente, mais je n'y étais jamais allé ; les quelques ouvrages de Krishnamurti que j'avais pu lire ne m'avaient pas véritablement inspiré ! Peut-être était-ce trop intellectuel pour moi, ou bien était-ce le fait que ce type d'entretiens  retranscrits ne pouvaient donner ce que Krishnamurti pouvait faire passer directement au travers de sa personne ? En tout cas, l'idée ne m'était jamais venue de le rencontrer.

Concernant U.G., ce fut tout à fait différent. Dès que je lus son premier ouvrage traduit en français, cela produisit en moi un tel choc, que je ne pouvais qu'avoir le désir de le connaître.

Je ne compris que bien plus tard ce que vivait véritablement Krishnamurti, le jour où je lus ses Carnets. La « chose » était là. Je compris que cette « chose » ne pouvait aucunement être transmise par des mots. À présent, il était certain, pour moi, que Krishnamurti avait été touché par quelque chose d'énorme, qui dépassait l'entendement humain : cet otherness dont il parle si souvent dans ses Carnets .

Lorsque, par la suite, je demandai à Michel Langinieux quelle était la personne qui l'avait le plus impressionné dans sa vie, il répondit sans hésitation :

- Krishnamurti.

- Pourquoi ?... insistai-je.

- Parce que lorsqu'on se trouvait en sa compagnie, et que cette « chose » était là, c'était réellement impressionnant. On sentait bien que ce n'était plus de l'ordre de l'humain. Lui-même ne pouvait pas l'expliquer, il disait simplement : « elle est là ».

À présent, je comprenais pourquoi Krishnamurti s'adressait toujours à son auditoire en disant : « Cela fait de nombreuses années que vous venez à mes "teachings", et rien ne se passe. Pourquoi continuez-vous ? »

Eh oui ! Rien ne se passe ! Mais rien ne pouvait se passer ! Cette chose-là ne tenait pas des explications, mais du miracle, si je puis dire, et par conséquent, elle ne pouvait être donnée. Tous les entretiens du monde n'y changeraient rien.

C'est également ce que dit U.G. au sujet de ce qu'il nomme lui-même sa « calamité » ; c'est une chose qu'il est impossible de décider, cela tient du miracle. Bien que cela soit chez U.G. sans doute différent de chez Krishnamurti, les chances que cela se produise restent infimes.

 

Jeudi 11 juillet. 10 heures du matin. Rencontré U.G. dans son chalet, le « Sunbeam », qui surplombe la petite ville de Gstaad. On y a une vue splendide sur toutes les montagnes environnantes, qui, en cette saison, sont recouvertes d'un vert étincelant.

Quelques personnes étaient déjà là. Une majorité d'Italiens qui venaient sans doute de débarquer.

Comme pour les jours précédents, nous nous installions dans la salle à manger. U.G. en bout de table et moi presque à côté, afin de faciliter l'enregistrement. J'étais devenu l'attraction ! U.G. attendait toujours notre arrivée avant de s'installer et débuter l'entretien. « Que le spectacle commence... » semblaient espérer les personnes présentes.

U.G. était toujours égal à lui-même. Rien ne semblait le déranger. Sachant que Cham, mon fils de onze ans, venait avec sa cassette vidéo, il lui laissait le salon pour lui tout seul, afin qu'il puisse la visionner tranquillement.

C'était la raison pour laquelle il installait tout son monde dans la salle à manger. Chapeau ! Et tout cela sans que rien ne soit dit.

Je posai donc ma première question :

- Que pensez-vous de l'idée, préconisée par certains, de « l'homme sans tête » ? De cette notion de « vide » dont ils parlent ?

- Holy business ... ! trancha-t-il. Je ne peux avoir connaissance de ma tête, personne ne le peut... Je ne peux la voir, seuls les autres le peuvent... Même si je la touche, je ne peux en avoir connaissance ... C'est seulement culturel... C'est parce que j'ai appris... Mon éducation fait que j'ai appris à mettre un nom dessus, et c'est tout.

Tout cela me semblait clair et évident. Même évidence en ce qui concerne la personne de U.G.. Il est dépourvu de peurs. « Au milieu des épines, je marche », phrase-clef de U.G.. Cela, on ne peut que le constater.

À ce sujet, je lui posai directement la question, et il me répondit que quoi qu'il puisse lui arriver, il n'y aurait aucun problème. Il pouvait se mettre dans un coin, et, tel un chien, se laisser mourir.

Sortir de ses peurs : voilà la véritable prouesse !

Nombreux sont ceux qui, après une longue recherche, paraissent avoir atteint un état de parfaite tranquillité, et chez qui, brusquement, toute la machinerie se déglingue à la moindre épreuve. Cela s'avère parfois même pire que si rien n'avait été entrepris. En réalité, tout cela n'est que distraction ! Une autre manière de passer le temps ! Une autre façon de se donner l'illusion d'exister !

Bien que U.G. semble ne rien proposer, les gens viennent le voir dans l'attente d'un miracle quelconque. Le problème est que, si miracle il y a, il ne se situe pas là ! U.G. a beau répéter qu'il n'a rien à offrir, ils insistent et continuent à graviter autour de lui. Ce qui me paraît insensé, c'est que certains, qui soi-disant ont trouvé un maître en Inde et écrivent des bouquins sur ce type d'expériences, soient là, à l'affût, comme des débutants. Aussi je me pose la question : qu'ont-ils bien pu trouver ? Je n'ai aucune réponse... Je le présume, pas grand chose ! Même U.G. semble stupéfait devant cet état de fait.

J'aime U.G., car sur ce plan-là, il ne semble pas tricher.

 

C'est ainsi que presque tous les matins, je montais au chalet « Sunbeam » pour m'entretenir avec U.G.. Cela durait, à chaque fois, environ deux heures, et ensuite il préparait le déjeuner pour les trois ou quatre convives qui venaient lui rendre visite.

Je le trouvais, par rapport à notre précédente rencontre de Londres, physiquement en meilleure forme sans doute que cette superbe vallée de Gstaad lui redonnait de la vigueur. Une chose était certaine, c'est que malgré ses quatre-vingts ans, U.G. restait une personne extrêmement alerte, à l'apparence presque jeune. Son humour ne semblait jamais se démentir, et c'était toujours sans fioritures que se déroulait notre conversation.

 

U.G. fait voler en éclats tous nos concepts préfabriqués, nos échelles de valeurs et nos idées reçues, pour nous mettre directement en contact avec la réalité.