C.A. : Pourquoi avez-vous tout rejeté en bloc ?
U.G. : Les gens qui étaient autour de moi, et qui représentaient les fondements de la pensée indienne, m'ont trompé. Ils ont trompé tout le monde dans leurs croyances en des « êtres supérieurs », en « d'autres états ».
Ces sages, quand ils me disaient : « vous êtes comme les autres », ne m'intéressaient pas. Ils ne pratiquaient pas ce qu'ils prêchaient. Quelle dichotomie, dire une chose, et faire l'opposé !
À présent, chose curieuse, ils éprouvent le besoin de venir me voir !
C'est comme ces politiciens qui disent une chose et en font une autre. Ils disent vous amener des choses différentes, mais à la base, vous restez un produit... entre leurs mains.
Aussi continuent-ils à venir me voir, et me disent : « vous êtes le vrai, vous êtes vrai, un pur produit de l'Inde » ou, dit d'une autre façon, « d'un très grand pays », Je n'accepte aucunement leurs assertions.
Que ce pays produise des gens comme moi puis les proclame « illuminés » est la preuve qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette contrée.
Si l'enseignement est faux, c'est que les maîtres sont faux. C'est la raison pour laquelle j'ai dû tout rejeter en bloc.
Certes, j'ai pratiqué ce que disent les livres. J'ai étudié le vedanta pour ma maîtrise, mais je l'ai rejeté par la suite, car il n'y a rien dedans.
Ce que vous dites détruit les fondements même de la pensée humaine.
Voyez, que font les maîtres religieux, les psychologues, les scientifiques, les politiciens ? Rien ! Rien, puisque c'est. Aussi je n'accepte rien, ne propage rien et je m'en fiche.
Pareillement, je ne vois aucun avenir pour l'humanité si ce n'est un pessimisme glauque. L'espèce humaine a fait plus de mal que de bien. Nous n'avons aucune raison de vivre sur cette planète; nous devrions en être balayés ! Il n'y a rien que nous puissions faire ! Rien.
Cette croyance que notre espèce a été créée dans un but noble, et que toutes les espèces sur cette planète l'ont été pour le profit de l'humanité, est la cause de la tragédie humaine.
Je pense que rien ne peut être fait pour inverser le processus qu'ont proclamé les maîtres spirituels du passé. Tout ce que les maîtres spirituels et tout ce que ces enseignements ont dit - ce qu'avait à dire l'humanité - a encore fait plus de tort.
Je ne tiens pas à libérer qui que ce soit de quoi que ce soit. Les gens ne s'intéressent qu'au confort. Avoir des maîtres religieux donne du confort, c'est tout.
Le problème ici-bas est d'affronter !
Que pensez-vous de la notion de bonheur ?
J'ai vécu partout dans le monde. J'ai rencontré des maîtres spirituels, des gens haut placés, des politiciens ; la seule chose qu'ils veulent est un bonheur total, un plaisir permanent.
Cette forme de bonheur, de plaisir est impossible à atteindre. L'organisme vivant ne s'y intéresse pas. C'est donc automatiquement rejeté.
Dans la vie, il y a des moments de plaisir, de souffrance, de bonheur, de peine; l'un sans l'autre est impossible.
Personne ne veut perdre l'espoir d'avoir un jour le bonheur définitif. Ce bonheur qu'on ne peut jamais perdre : aucun moment de souffrance, seulement du plaisir; c'est quelque chose d'impossible !
C'est la raison pour laquelle cela ne m'intéresse pas de libérer qui que ce soit de quoi que ce soit.
Ils peuvent se faire du souci, chercher tant qu'ils veulent. Ce que j'ai trouvé est si différent de ce qui est prêché ! C'est ce que j'ai découvert : prenez-le ou pas.
Ce que j'ai trouvé, c'est : sortir de chaque chose, de ce que chacun a pu dire auparavant.
Ce n'est pas que je proclame être quelqu'un d'extraordinaire. J'ai eu de la chance ! Celle de m'être libéré des pensées, des volitions.
Ce que les gens racontent a été totalement évacué de mon système. Jeté !
Cela arrive-t-il par accident ?
Cela arrive de façon naturelle. C'est pourquoi je peux dire que j'ai eu de la « chance », non pas dans le sens d'un billet de loterie - l'espoir de gagner des millions et des millions de dollars -, mais dans le sens où il n'y a aucune façon de dire que cela est arrivé par ma volonté, mes efforts ou ma pensée. C'est un accident !
J'ai été confronté à quelque chose de radicalement différent de ce que j'avais été éduqué à croire, de ce que je pouvais penser, sentir et expérimenter.
Voilà pourquoi je dis que ce que j'exprime n'a rien d'original : pas une pensée, pas une sensation, pas un sentiment, pas une seule expérience, dans ce que je raconte, qui m'appartient. Je ne peux les appeler miens.
Jusque-là, j'expérimentais ce qu'on voulait que j'expérimente.
Chaque chose pensée était ce qu'on voulait que je pense. Chaque chose que je voulais était ce qu'ils voulaient que je veuille.
D'où ma question : « Est-ce que je veux quelque chose qui ne soit pas ce qu'ils aimeraient que je veuille ? »
Je ne l'avais pas compris à l'époque, je luttais si fort !
Personne n'arrivait à me faire comprendre ce que je voulais : quelque chose de différent de ce que chacun voulait.
Autre chose, je n'arrivais pas à me défaire de cette question fausse, de cette idée que je devais réaliser : « Qui suis-je ? », « Pourquoi suis-je ici ? », « Quel est le but de la vie ? » Ces questions ne m'intéressent plus du tout !
Quand les gens me demandent pourquoi je suis ici, je suis assez cru dans ma réponse : « Il n'y a aucune raison merveilleuse pour laquelle je suis ici, je suis ici pour des tas de raisons. »
Toutes ces questions : « Pourquoi suis-je ici ? », « Quelle en est la raison extraordinaire ? », ne m'ont jamais intéressé. Je suis ici. C'est le monde où je suis.
Alors, de quelle manière doit-on fonctionner ?
Il y a quelque chose de faux dans ces questions. Le système de valeurs des humains qui m'a été imposé est responsable de mes misères. Pourquoi devrais-je m'adapter à un système de valeurs que je trouve erroné ?
Vouloir m'y placer est la cause de ma souffrance.
Il n'y a rien que je puisse faire. Courir loin, hors de ce monde, renoncer. Mais il n'y a rien à quoi renoncer : les sannyas en Inde le font, les hippies aussi. Pourquoi devrais-je renoncer ? Pourquoi devrais-je vivre dans une grotte, méditer, pratiquer toutes les techniques dites spirituelles comme je l'ai fait étant jeune, et être pris par toutes ces expériences créées par moi ?
La seule réalité : je vis et fonctionne dans ce monde.
On ne peut résoudre ce problème en fuyant, en s'isolant. Ce que j'ai pu trouver doit opérer, fonctionner dans ce monde. C'est la seule réalité pour moi, il n'y en a pas d'autre. Autrement, on ne peut fonctionner.
Je suis partie intégrante du monde, il n'y a aucun moyen de m'en isoler : la rébellion contre ce système de valeurs n'a aucun sens pour moi.
Votre pensée semble proche de celle des anarchistes ?
Sans doute, mais je dis : être anarchiste, c'est un état d'esprit, il n'y a pas d'action.
Pourquoi être effrayé ? Tout cela va être détruit, de toute façon. Pourquoi avoir peur de l'anarchie, du chaos ?
Que pensez-vous de ces notions d'ordre et de chaos dont parlent les scientifiques ?
Les scientifiques disent qu'« ordre » et « chaos » font partie de l'univers. Ils se soucient de savoir s'il existe un ordre.
Qui se soucie de savoir qui a créé ce monde ? Était-ce un accident ? Dieu l'a-t-il créé ? Je ne me sens nullement concerné ! Cela n'a aucun sens pour moi. Je ne m'intéresse pas aux réponses des scientifiques, à leurs théories.
Pour moi, un scientifique n'est pas différent d'un métaphysicien. Un scientifique fait une métaphysique d'un autre ordre.
Comment pensez-vous pouvoir faire passer votre message ?
Je le redis, cela ne m'intéresse aucunement de convertir qui que ce soit à ma façon de voir. C'est ce que j'ai trouvé.
Je me veux comme étant une personne. Je n'ai donc pas d'organisation ni d'institution.
Les gens me demandent pourquoi je n'arrête jamais, pourquoi je voyage sans arrêt. Mais quand je n'ai plus d'argent, j'arrête. Je finirai bien par m'asseoir et me reposer sous un châtaignier sauvage en Inde.
Je ne veux rien qui grandisse autour de moi, aucune organisation.
Malgré tout, de nombreuses personnes désirent vous rencontrer.
Le problème est que si je m'installe dans un endroit, beaucoup de gens veulent me voir, et cela me fatigue.
Cette fois, j'ai réussi à empêcher qui que ce soit de venir. Je n'ai même pas répondu au téléphone depuis des jours, non pas pour pouvoir penser, mais pour les stopper, pour vivre sans garde du corps. Pourquoi en aurais-je besoin ?
Jésus avait-il des gardes du corps ?
Certaines personnes haut placées s'en entourent. Pourquoi ? Leur vie est-elle si précieuse ? Parfois, le Premier ministre de l'Inde, et certains leaders importants, me rendent visite et me disent : « Vous avez besoin de gardes du corps. » Cela ne m'intéresse pas.
Si vous voulez un poste élevé, vous devez accepter d'être tué par n'importe quel fou ; c'est un privilège qui est réservé à ceux qui veulent vivre au « top ». Vous ne pouvez avoir l'un sans l'autre !
Peut-être que ces gens de la sécurité qui travaillent avec eux ont intérêt à les soutenir pour se soutenir eux-mêmes ? Peut-être ont-ils envie d'être à la place du président ? Mais le problème est qu'ils ne sont pas prêts à mourir à n'importe quel moment.
Et ces gens que l'on tue par centaines, par milliers, au Cachemire, pour l'unité du pays ? Pourquoi tuer des gens ? C'est la raison pour laquelle ils n'aiment pas ce que je dis.
Je suis un criminel comme eux, je n'ai donc pas peur des assassins. Je suis un voleur. J'ai volé tout ce qui appartenait à chacun dans ce monde.
Criminel, voleur, peut-on éviter de l'être ? Est-ce le début de la sagesse ?
Un jour, j'ai rencontré Bertrand Russel ; il s'intéressait à la bombe à hydrogène. Il voulait la stopper. Je lui ai demandé : « Êtes-vous prêt à le faire sans l'aide de la police ? Avez-vous des policiers pour protéger vos propriétés et ce que vous avez volé ? Si vous n'êtes pas prêt, alors, ne demandez pas aux autres de signer la non-prolifération.
Vous voulez une position puissante, brûler, faire du chantage, manipuler, enterrer les autres nations !
Allez-y, je n'ai rien contre ! Parce que vous avez des armes très puissantes ! Mais n'empêchez pas les autres d'avoir les mêmes armes ; pourquoi voulez-vous qu'ils signent un contrat de non-prolifération ? »
Vous voulez dire que rien ne nous appartient ?
Pourquoi vouloir que les gens signent un copyright, les droits d'auteur, de propriété intellectuelle ? Vous avez des contrats internationaux de droits d'auteur pour protéger la propriété intellectuelle internationale. Moi, je ne veux rien.
Chaque mot, chaque phrase, je l'ai pris. Chaque chose, nous l'avons prise ailleurs ; chaque chose que j'utilise, je l'ai piquée ailleurs. Je ne veux aucun copyright. Il n'y a pas de propriété intellectuelle. Rien n'est ma propriété.
Ce que je dis est : n'empêchez pas les autres dans leurs actions, ils deviendraient vos voleurs ! Les guerres, vous ne les gagnerez jamais contre le terrorisme, la drogue, l'âge ! Ce n'est pas dans la nature des choses.