Chapitre 16

Il s’attendait à être foudroyé sur place. Maintenant que la transgression avait eu lieu, la colère divine allait s’abattre sur lui. Incrédule, Isabel le fixait de ses grands yeux verts. Il n’arrivait pas à croire qu’il venait de prononcer les mots qu’il s’était interdit de dire depuis si longtemps. Il se sentait tellement plus léger, soudain. Mais était-ce seulement possible ? N’avait-il pas rêvé ?

— Comment pouvez-vous dire cela ? murmura alors Isabel. Vous n’aviez nul besoin d’être sauvé.

En dépit de l’amour qu’il ressentait pour elle, il ne pouvait lui révéler toute la vérité sur son passé. Mais lui en dévoiler quelques bribes, cela, au moins, lui semblait possible, dorénavant.

— Vous l’avez sans doute deviné, Isabel…, commença-t-il avec hésitation. En m’installant ici, à Silloth, il y a de cela trois ans, je me suis retiré du monde. Je me suis replié sur moi-même, refoulant tout sentiment, tout désir ou projet que je pouvais avoir. Je me suis interdit d’envisager quelque futur que ce soit. Je voulais juste exister. Survivre. Et puis vous êtes arrivée, et vous vous êtes immiscée dans ma petite routine bien rodée.

Il ne voyait pas son visage et se demandait comment elle allait réagir à ce qu’il lui confiait. Si elle le repoussait maintenant, il n’aurait plus jamais le courage de s’ouvrir ainsi. S’écartant légèrement d’elle, il chercha à capter son regard.

— Je me suis immiscée, dites-vous ?

— Et comment, vous vous êtes immiscée ! répliqua-t-il en souriant. Vous avez fait preuve d’une force et d’une détermination qui m’ont impressionné. Vous n’aviez rien à quoi vous raccrocher et, malgré tout, vous avez réussi à vous faire une place ici. Votre humilité et votre gentillesse vous ont attiré la sympathie de tous.

— Je n’ai pas toujours été gentille avec vous, dit-elle avec un petit rire. Je vous ai dérangé. J’ai perturbé votre quotidien.

— Ce que vous avez perturbé, c’est cette noirceur que je porte en moi. Vous avez réveillé des sentiments que je croyais à jamais perdus comme la fierté, la confiance… et même l’amour.

En terminant sa phrase, il lui effleura la joue du bout des doigts. Il avait envie de l’embrasser, comme il l’avait fait dans la chapelle, mais il redoutait de perdre le peu de contrôle qu’il exerçait encore sur lui-même.

A sa grande surprise, d’une main légère, elle lui rendit sa caresse. Il aurait voulu que cela dure toujours… Pour ne pas briser la magie du moment, il s’efforça de ne pas bouger.

— Et vous pensez que vous ne méritez ni fierté, ni honneur, ni amour, n’est-ce pas Royce ? demanda-t-elle dans un murmure.

— Ce que je pense importe peu, Isabel. Le fait est que je ne mérite rien de tout cela et que je ne puis, de toute façon, m’y abandonner.

Comment lui faire comprendre sa situation sans entrer dans les détails de son passé sordide ? Il avait vécu comme un animal, ne cherchant que sa propre satisfaction à n’importe quel prix. Lui qui avait piétiné l’existence de tant de gens, il ne méritait pas, en effet, d’avoir une vie digne de ce nom, ni même des rêves.

— Vous recueillez une parfaite inconnue, s’indigna Isabel, et vous lui sauvez la vie. Vous préservez les secrets de lady Margaret, que vous servez, et vous défendez son honneur bec et ongles. Vous faites grand cas d’un petit garçon privé des siens en lui confiant de menues responsabilités pour qu’il se sente utile…

— Comment savez-vous tout cela ? l’interrompit-il, décontenancé.

Il n’avait jamais parlé à quiconque de l’histoire de Margaret ou de ce qu’il faisait pour Cadby.

— Je ne sais peut-être pas qui je suis, répliqua Isabel, mais je vois très bien qui vous êtes. Je vous vois accomplir vos tâches quotidiennes et côtoyer les autres. Quelque part, tout au fond de vous, se cache un homme respectable que vous vous efforcez de museler.

— Je ne suis pas un homme respectable, Isabel. Ne croyez pas cela. Car un tel homme, justement, ne serait pas devant vous en cet instant, en train de vous avouer ses sentiments alors qu’il sait pertinemment que rien n’est possible entre lui et vous. Un homme respectable vous aurait immédiatement ramenée au château pour vous soustraire à ses désirs les plus vils.

Il tremblait d’indignation, et sa colère ne faisait que croître au fur et à mesure qu’il sentait le désir monter en lui.

— Tenez, jamais un homme respectable ne ferait ceci ! s’exclama-t-il en lui prenant la bouche avec fougue.

*  *  *

Bien que prise de court, Isabel pencha la tête en arrière et s’abandonna. Il y avait, dans ce baiser puissant et possessif, un aveu éclatant. Il la voulait. Même si la mémoire lui faisait défaut, la femme qu’elle était savait reconnaître la passion.

Bouleversée, elle sentait se propager en elle une chaleur qui n’allait pas tarder à la submerger. Il l’embrassait toujours à pleine bouche avec, peut-être, toute l’énergie du désespoir, et des vagues de désir montaient maintenant au creux de ses reins. Elle sentit le membre de Royce se roidir contre sa hanche, mais son corps à elle était prêt lui aussi, frémissant et brûlant de le recevoir.

Elle parvint à se défaire, en partie, des couvertures qui l’enveloppaient et repoussa comme elle put les multiples épaisseurs qui s’intercalaient entre eux. Lorsque leurs corps se touchèrent, elle entendit Royce gémir de plaisir. Elle passa la main dans ses cheveux, l’invitant à prolonger encore l’exploration sensuelle qu’il faisait de sa bouche avec sa langue. Ils se goûtaient l’un l’autre, infatigablement.

Il était insatiable et semblait se raccrocher à elle comme à un dernier recours. Dans sa vie d’avant, elle n’avait dû être d’aucune utilité à personne. On ne voulait pas d’elle, on la considérait comme un fardeau. Mais ici, maintenant, Royce avait besoin d’elle. Il la voulait… Il l’aimait.

Lorsque leurs lèvres se séparèrent, les laissant tous deux à bout de souffle, il essaya de s’écarter.

— Je ne peux rien vous offrir de plus, Isabel, dit-il, haletant. Je vous le répète, rien ne sera possible entre nous. Je vous en prie, laissez-moi partir tant qu’il en est encore temps.

La douleur et la peine qu’elle percevait dans sa voix tremblante lui étaient insupportables. Qu’avait-il donc pu faire de si abominable qu’il ne puisse désormais s’autoriser à vivre comme les autres ? se demanda Isabel. Les trois années de solitude et de privations qu’il venait de passer n’étaient-elles pas punition suffisante pour les péchés qu’il avait commis ?

— L’homme méprisable et sans scrupule que vous prétendez être, se risqua-t-elle à lui opposer, userait de mensonges et de flatteries pour obtenir de moi ce que je suis prête à vous offrir. J’ai peur, moi aussi, de ce qui nous attend, et je sais parfaitement que nous ne pouvons, ni l’un ni l’autre, nous engager dans une relation durable… Mais il nous reste cette nuit !

Il l’écoutait, immobile.

— Je vous en conjure, Royce, ajouta-t-elle. Accordez-moi cette nuit. Aidez-moi, ainsi, à affronter les épreuves qui m’attendent encore.

Elle pencha la tête vers lui et posa ses lèvres sur les siennes, mais sans l’embrasser. S’il l’aimait vraiment, il lui donnerait ce qu’elle attendait de lui. Elle avait besoin de se sentir femme, d’être désirée. Elle aussi avait besoin de lui.

— Nous aurions tort de faire cela. C’est mal, murmura-t-il sans pour autant s’écarter d’elle.

— Je crois que c’est une bonne chose, au contraire… s’il y a de l’amour entre nous, répondit-elle alors que leurs lèvres se frôlaient toujours.

— Je vous aime, Isabel, n’en doutez pas un instant, lâcha-t-il dans un souffle.

Elle crut que son cœur ne résisterait pas à cette déclaration. Il l’aimait ! Cela, elle le savait depuis qu’ils avaient échangé ce baiser à la chapelle, mais il ne le lui avait encore jamais dit.

— Je vous aime, et pourtant rien de bon ne résultera de ce que nous nous apprêtons à faire, reprit-il en baissant les yeux.

— Mais notre amour nous sauvera du naufrage, assura-t-elle avec fougue. Je vous en prie, faites-moi l’amour ce soir.

Elle obtint en retour un grognement rauque qui la satisfit pleinement. Il se pencha de nouveau sur elle et, cette fois, il n’interrompit pas son baiser, pas même lorsqu’ils furent à bout de souffle. Brûlante de désir, elle posa les mains sur lui et se mit à caresser ses épaules, ses bras, son dos, ses fesses… Il était si musclé, si viril, qu’elle se demanda ce que cela ferait lorsqu’il s’introduirait en elle. Elle en avait tellement envie !

Comme il se laissait rouler sur le côté, elle craignit qu’il ne veuille se dérober de nouveau. Au lieu de cela, il se mit à effleurer la courbe de ses seins avec une délicatesse infinie. Soulagée par la tournure que prenaient les événements, elle se détendit complètement et se laissa emporter par le désir ardent qu’il faisait naître en elle. Chacune de ses caresses allumait en elle un nouveau feu qui la rendait de plus en plus impatiente. Quand la bouche de Royce remplaça ses doigts sur ses mamelons, elle laissa échapper un petit cri.

Ses lèvres, insatiables, s’attardaient sur ses seins, en agaçant la pointe qui ne tarda pas à durcir. Lorsqu’elle sentit ses mains parcourir ses hanches, son ventre brûlant puis descendre imperceptiblement, mais toujours plus bas, elle sut qu’elle n’y résisterait plus très longtemps. Elle s’agrippa à lui et ses doigts se crispèrent sur ses épaules ; elle brûlait d’envie de sentir sa main s’aventurer entre ses cuisses.

Il devait lire dans ses pensées car, enfin, ses doigts vinrent la caresser au plus secret de sa féminité. Elle gémit doucement et, presque sans s’en rendre compte, s’ouvrit à lui pour le laisser faire à sa guise. Les lèvres de Royce ne tardèrent pas à suivre le chemin tracé par sa main. Bientôt, il s’agenouilla entre ses cuisses. Isabel aurait voulu rester silencieuse mais, lorsque la pointe de sa langue remplaça ses doigts, elle ne put retenir un nouveau cri de plaisir. Il jouait avec elle, la taquinait, et elle sentait quelque chose en elle se tendre toujours davantage. A chaque gémissement qu’elle laissait maintenant échapper, il redoublait d’ardeur.

Elle était sur le point de lui demander grâce lorsqu’il introduisit un doigt en elle tout en continuant à la caresser du bout de la langue. Ce fut alors une véritable explosion. Les vagues de plaisir se succédèrent, toujours plus intenses, et elle chavira corps et âme. Mais Royce continuait à la combler et, bientôt, elle n’eut même plus la force de crier.

Lorsque sa bouche lui accorda enfin un peu de répit, elle crut qu’il en avait fini, mais il n’en était rien. Il se redressa et remonta vers elle pour lui donner un baiser enfiévré. A la grande surprise d’Isabel, il lui prit alors la main et la guida jusqu’à sa virilité frémissante. C’était lui, maintenant, qui gémissait en faisant coulisser son sexe durci entre ses doigts.

Puis il s’étendit sur elle, la recouvrant toute, et, alors qu’elle se tendait vers lui, prête à l’accueillir, il s’immobilisa soudain.

— Vous n’avez qu’un mot à prononcer, Isabel, lui dit-il d’une voix rauque. Dites-moi d’arrêter, et je m’exécuterai aussitôt.

Elle vit dans ses yeux tant de passion et de promesses qu’elle n’hésita pas une seconde.

— Prenez-moi, Royce, murmura-t-elle en s’arc-boutant davantage. Je suis à vous.

Il la pénétra enfin, et se mit à lui imprimer un va-et-vient aussi puissant que sa superbe musculature l’avait laissé espérer. La tenant par les hanches, il les mena tous deux jusqu’à l’extase. Isabel entendit son propre cri déchirer la nuit noire, et celui de Royce, impérieux, au moment où il s’abandonnait à son tour au plaisir.

Ils restèrent ainsi un long moment, immobiles, épuisés, pleinement satisfaits, avant qu’il ne se retire. Royce avait posé la tête sur sa poitrine, et son souffle brûlant lui caressait la peau. Comme c’était bon de le sentir combler ce vide que personne n’avait su combler jusque-là !

Elle allait s’endormir lorsqu’elle l’entendit lui glisser à l’oreille :

— Je vous aime, Isabel. Que Dieu me pardonne, mais c’est la vérité.

*  *  *

La tempête qui faisait rage au-dehors n’était rien en comparaison de celle qui l’agitait. La culpabilité, la colère, le désir et la peur s’entrechoquaient en lui car il la voulait sienne, désespérément, alors même que tout engagement durable était, pour lui, rigoureusement impossible.

Pourtant, il avait pris ce qu’elle lui offrait. Il l’avait marquée de son corps et de sa semence. Il lui avait menti pour parvenir à ses fins en ne lui dévoilant qu’une infime partie de la vérité. Un homme respectable ! Vraiment ! Quelle plaisanterie !

Tourmenté, William tentait de garder la tête froide et de réfléchir à ce qui venait de se passer. Que leur réservait donc l’avenir ? Bientôt, elle retrouverait la mémoire et retournerait à sa famille. Quant à lui, il retournerait à sa routine et demeurerait à Silloth… sans elle. Au moins, se dit-il pour se rassurer, il garderait dans son cœur le délicieux souvenir de cette nuit d’amour qu’elle lui avait accordée. Cela l’aiderait à traverser les moments difficiles, quand il se sentirait faible et seul au monde.

Isabel soupira et se retourna dans son sommeil. Il la serra contre lui et remonta doucement la couverture sur son épaule. Elle dormait comme un nouveau-né.

Mais que se passerait-il si elle ne retrouvait pas la mémoire et demandait à rester auprès de lui ? Pourrait-il la garder à ses côtés tout en préservant le secret de son passé ?

Quelle ironie du sort ! songea-t-il en étouffant un rire amer. Alors qu’elle faisait tout son possible pour retrouver son passé perdu, il aurait donné n’importe quoi pour oublier le sien.

Ainsi serré contre elle, il se rendait bien compte, cependant, qu’il n’arrivait à rien ; le simple contact de sa peau lui faisait perdre toute clairvoyance.

Il avait besoin de s’isoler pour réfléchir à tout cela à tête reposée. Sans doute demanderait-il également conseil à Orrick et lady Margaret avant de prendre une décision.

Se pelotonnant alors contre elle, il lui baisa le front, et décida de profiter encore un peu de la douceur de cette nuit qu’ils passaient ensemble.