I

Le commissaire divisionnaire Landowski posa son mug sur la table de la terrasse. Plus précisément, il le poussa à toucher le bord de l’assiette où subsistaient les restes de son plat chaud.

Il venait de déjeuner simplement d’un axoa de veau mélangé avec un riz basmati du Penjab. Un délice très personnel parce qu’il parfumait le plat avec des baies roses savamment concassées par ses soins dans un creuset et rajoutées dans le plat une fois servi dans une assiette à soupe. Rien avant. Rien après. Ni vin ni eau. Café et c’est tout.

Le bocal de viande cuisinée venait tout droit du Pays Basque, où l’administration l’avait convié à donner une conférence sur les modes opératoires des importateurs de stupéfiants. Itinéraires, convois en go fast, leurres, armement. Rien de cela n’avait de secret pour lui. Idem pour les souvenirs douloureux de policiers morts en service pour avoir tenté de barrer la route à des trafiquants de drogue.

Il en avait serré quelques-uns de ces fondus, capables de tuer pour sauver leur saloperie de came en jouant aux quilles avec leurs bolides racés contre des fonctionnaires de police. Des premiers, il y en avait en taule à jouer les caïds sur les coursives quand les veuves de policiers pleuraient les seconds devant les tombes. De quoi faire grincer les dents du commissaire. Toujours ce différend entre police et justice.

Depuis quelques mois, le divisionnaire était sans réelle affectation. L’ex-directeur de la DGSI l’avait placé en réserve du service en attendant de lui confier de plus hautes fonctions et lui avait demandé d’intervenir devant les nouvelles promotions de gendarmes et de policiers. Une manière de découvrir les charmes de la France profonde tout en faisant profiter les stagiaires de sa très grande connaissance du métier.

Dans les couloirs de la direction à Levallois-Perret, on avait aussi parlé de lui pour une accession au grade de commissaire général de police. Une promotion convoitée. Nombre d’appelés, peu d’élus. Puis les élections étaient passées par là. Le directeur avait été remplacé. D’un fauteuil, l’autre. Dans les hautes sphères, c’était devenu une sorte de jeu comme s’il était essentiel de ne pas toujours laisser les bons éléments chercher à transformer utilement la République. Probablement que le nouveau pouvoir sorti des urnes au mois de mai allait prendre son temps. Voire faire d’autres choix…

Lorraine Bouchet, compagne du commissaire et magistrate au Parquet de Paris, se trouvait peu ou prou dans la même situation. Pour respecter le principe des chaises musicales ayant cours dans la magistrature tous les trois ou quatre ans, elle devait émigrer vers une autre juridiction et occuper une tout autre fonction.

Pour elle non plus, la nouvelle affectation n’était pas connue. Une sorte de flou pas très artistique mais que Lorraine Bouchet acceptait finalement assez bien. Elle continuait son travail comme si de rien n’était, à la grande satisfaction de sa greffière qui n’avait pas franchement envie de changer de patronne. C’est toujours aux subordonnés de s’adapter. L’inverse n’est pas entré dans les mœurs.

Et puis, le nouveau Palais de Justice étant en construction à Clichy, le Président du TGI l’avait chargée de proposer un plan de répartition des bureaux de magistrats à l’intérieur de cette tour de verre. Autrement dit, elle devait se coltiner une mission extrêmement délicate au cours de laquelle elle aurait bien du mal à faire avec les susceptibilités des uns, les exigences des autres et les impératifs de l’État.

En même temps, on sortait de l’été pour entrer dans l’été indien. Si d’aventure il y avait des Chinga-pooks à plumes sur le sentier de la guerre, il serait toujours temps de sonner la charge. Il était certainement urgent d’attendre…

Magistrate et commissaire avaient bien profité de quelques jours de vacances au bord de la mer.

Lorraine avait fait de la plongée autour des Îles Glénan, Landowski de la pêche au lancer en passant des heures sur la digue à se faire narguer par le menu fretin, avant de se retrouver ensemble le soir en terrasse pour ne rien faire du tout. Ou l’essentiel d’un couple.

En mer, la tourelle baptisée « Men Du » se laissait lécher à sa base par un mouvement d’écume bien blanche. Pour remarquer le clapot du rivage, il fallait que l’océan soit en train de taquiner vraiment. Les beaux jours allaient maintenant se compter mais la mer, avec l’archipel des îles Glénan en toile de fond, vaudrait toujours qu’on s’y attarde. Question de lieu, pas de temps. La mer n’a pas de limite à sa longévité, elle.

Tout à coup, Landowski la remarqua.

Une jeune femme aux cheveux clairs, bermuda en jean, chaussures de sport à bandes noires, coupe-vent bleu marine ouvert. Lunettes de soleil relevées. Avec une pointe d’insolence dans l’attitude et la certitude d’être remarquée.

Elle avait le regard franchement dirigé vers le vacancier debout sur sa terrasse à cent mètres. Le terme « rivé » aurait même pu être employé. Pas de doute sur le but de sa promenade à pieds. Le policier était visé. Landowski tiqua. Vivement que les arbustes en croissance plantés dans le terrain créent un peu d’intimité. Derrière un rideau de verdure, il serait enfin à son aise. Il préférait largement la discrétion à l’étalage. Pour vivre heureux, vivons cachés.

L’inconnue remontait le chemin venant de la route côtière et rejoignant tranquillement le petit village de Trévignon situé en retrait de la Pointe, bien à l’abri des caprices de l’océan. La maison avait été le choix de Lorraine. Un coup de cœur qui avait fait un trou béant dans ses économies puisqu’elle avait financé l’achat toute seule. Si Landowski était du genre solitaire, Lorraine, quant à elle, veillait jalousement sur sa liberté.

La promeneuse marchait sans se presser le moins du monde. Ce n’était même plus de la nonchalance à ce stade puisqu’on aurait dit qu’elle faisait du surplace pour bien être certaine d’être repérée. Peut-être même qu’elle simulait un déplacement pour ne pas quitter Landowski des yeux. Manifestement elle voulait absolument capter le regard du commissaire. Une attention appuyée qui ne pouvait que révéler un intérêt quelconque pour un vieux briscard de terrain.

Quelconque ? Pas si sûr. On ne tire pas des bords dans un lieu tranquille et à la lisière d’une parcelle privée sans raison. Surtout si l’insistance du petit manège commence à intriguer l’occupant. Il y a quelque chose de gênant, d’indécent à forcer le trait de cette manière même quand la raison peut paraître légitime. Était-ce un regard critique envers un nouveau venu ou un moment d’admiration devant un jardin bien entretenu ? Était-ce un rejet du principe de propriété ? De l’autorité ? De l’État ? De l’anti-flic primaire ?

Ou tout autre chose. Landowski avait eu les honneurs de la presse nationale et locale pour des affaires qu’il avait résolues en Bretagne. Incidemment, ici et là, on avait probablement cité le lieu habituel de ses vacances. Ensuite, pour le retrouver, il suffisait de… mener l’enquête !

Quand on ne sait pas, le mieux, eh, c’est de demander, vous ne croyez pas ?

Landowski rentra dans le séjour puis gagna la porte d’entrée donnant sur l’arrière de la maison. Avant de sortir, il glissa la main dans le premier tiroir du meuble du vestibule pour y pêcher une arme de poing qu’il engagea dans son dos sous sa ceinture de cuir. Il était du genre à sortir couvert en toutes circonstances.

Il marcha sur le fin gravier dont Lorraine exigeait qu’il soit régulièrement ratissé pour effacer les traces de pas et de roues et il s’avança jusqu’au portail à demi fermé. Eh oui, encore une manie de flic de ne pas permettre l’irruption rapide d’un véhicule. Simple précaution pas difficile à pratiquer. Et ça fait faire du sport…

En voyant Landowski s’approcher, la promeneuse s’était arrêtée au bord du jardin d’en face et elle regarda l’homme approcher puis s’arrêter derrière la partie fermée du portail.

— Bonjour ! lança-t-il. Vous cherchez quelque chose, quelqu’un ? Je peux vous renseigner peut-être ?

Le commissaire avait fait dans le léger pour ne pas effaroucher. Lorraine lui reprochait d’être parfois un peu trop abrupt dans sa prise de contact. Sauf qu’un policier ne l’est pas seulement aux heures de bureau. Au grand dam parfois des conjoints. Et puis, Landowski ne vivait pas dans un monde de Bisounours. Ceci expliquant cela.

L’inconnue sembla hésiter un instant, passant d’une jambe d’appui à l’autre en regardant ses chaussures. Landowski haussa les épaules. Libre à elle de ne pas répondre. Il n’allait pas insister. Les gens font ce qu’ils veulent et il ne leur demandait davantage que si la procédure l’exigeait. Quand elle aurait besoin de quelque chose, elle oserait le dire non ?

Le shérif avec ses gros revolvers a toujours fasciné. Le criminel aussi d’ailleurs. Certaines cherchent le frisson. S’il s’agissait d’une curieuse avide de sensations fortes, elle repasserait. Il n’avait pas envie de perdre son temps. Il avait fait le minimum syndical en posant une question de bon voisinage. Lorraine ne pourrait pas le traiter de vieux ronchon. Pas cette fois.

Il venait juste de se retourner pour rentrer et passer à autre chose quand il entendit la réponse fuser enfin.

— Euh bonjour !

Il fit face à la nouvelle venue qui dit :

— C’est vous le…

Comme ponctuation, la jeune femme usa d’un léger coup de menton.

— C’est moi le, dit-il comprenant qu’il valait mieux se passer d’effets de manches comme se gargariser de superlatifs.

— Ah !

— Vous vouliez me voir ?

— Oui. Enfin je ne sais pas si…

— Puisque vous êtes là !

Elle venait lentement de s’approcher du portail. Instinctivement Landowski regarda ses mains. Tant qu’elle les tenait devant elle, il n’y avait pas de souci. Il en connaissait de ceux qui avaient baissé la garde devant une jolie femme bien sous tous rapports avant de se faire fumer comme des harengs.

— Vous êtes bien le commissaire Landowski ?

— C’est moi oui ! Qui le demande ?

La jeune femme s’éclaircit maladroitement la voix.

— Moi ! Je voudrais vous dire quelques mots. En particulier. Enfin si c’est possible.

Il la regarda plus attentivement. Elle avait les yeux un peu rougis et la mine fatiguée mais elle ne semblait pas abattue.

— Vous venez d’où comme ça ?

— De Rosporden. Ma voiture est garée un peu plus bas sur la corniche. Mon fils est à l’intérieur.

— Il pouvait vous accompagner. Je ne mords pas vous savez !

En disant ça, il n’en était pas si sûr.

— Non, non. Il peut m’attendre. Il a sa tablette, ses jeux. Je ne vais pas vous déranger bien longtemps.

Landowski se dit que c’était plausible puisqu’on était mercredi.

Elle leva un regard mouillé vers le grand flic.

— Et puis je ne veux pas qu’il entende ce que j’ai à vous dire.

Landowski n’aimait pas beaucoup ces messes basses ou le clair ne sort pas du gris. Au bar de l’embrouille, il ne demandait jamais qu’on remplisse à nouveau les verres.

Avec juste ce qu’il fallait d’humanité, il dit :

— Venez à la maison. Le café est encore chaud.

Il se demanda aussitôt s’il n’avait pas tort d’être si urbain tout en comprenant que la courte sieste qu’il s’imposait en vacances était compromise. Mais puisqu’il avait affaire…

La visiteuse remonta l’allée en compagnie du commissaire. Sans un regard, sans un mot. Il y avait quelque chose de solennel dans ce parcours en duo et Landowski pensa aussitôt qu’il venait de se coller dans de belles emmerdes.

L’invitée entra la première puis elle attendit dans le vestibule que l’hôte referme la porte.

— Passons en terrasse, si vous le voulez bien. C’est par là.

Il indiqua le chemin.

— Quel que soit le sujet, on y est toujours mieux. Les embruns peut-être.

Il entendait déjà Lorraine lui dire qu’il n’était pas aussi avenant avec elle. Et qu’il suffisait d’une…

Il chassa ses craintes d’une grande inspiration puis il demanda :

— Le café, c’est oui ?

Invitée par un geste de Landowski, la visiteuse venait de s’asseoir sur un fauteuil en rotin.

— C’est oui, répondit-elle en souriant.

Landowski la quitta quelques minutes, le temps de redonner un coup de chaud à la cafetière qu’il avait éteinte après s’être lui-même servi tout à l’heure. Discrètement hein, puisqu’il avait légèrement travesti la vérité.

Mais elle ne le regardait pas faire. Elle avait les yeux vissés sur l’horizon liquide. Un peu comme si elle avait l’envie forcenée de s’y fondre. Et disparaître.

Il y a parfois de ces échappatoires disponibles qui s’offrent à ceux qui n’en peuvent plus et Landowski avait cru lire dans les yeux de cette femme inconnue une sorte de détresse infinie pouvant mener d’un drame à un autre. Même si la force était encore là.

Tous les deux au portail. Elle ne sachant pas comment se tenir. Lui restant campé sur ses jambes écartées. Il avait compris qu’il se rendrait responsable de quelque chose s’il la laissait repartir sans avoir daigné l’écouter.

— Et si vous me disiez pourquoi vous cherchez à me voir, dit-il en installant tranquillement la cafetière en verre et la tasse en grès.

Volontairement il ne l’avait pas regardée, se bornant à verser le breuvage noir goudron qu’il affectionnait, dans la tasse puis dans son mug qu’il avait laissé sur la table.

— Sucre ?

Il tendit une timbale en étain garnie de dosettes de couleur.

— Non merci.

— Attention hein. Je le fais fort !

— Ça me va.

Il comprit qu’elle ne dirait rien tant qu’il resterait debout. Alors il s’assit.

La visiteuse le fixa dans les yeux.

— Vous êtes armé.

Elle avait donc remarqué la bosse dans le dos.

— Réflexe professionnel. On ne sait jamais à qui on a affaire.

— Même devant une femme ?

— Tout individu. Le sexe n’a absolument rien à voir là-dedans. Sans sexisme aucun, bien entendu !

Landowski croisa les mains.

— Alors ? demanda-t-il, laconique.

La jeune femme inspira un grand coup et lâcha :

— Mon mari a été arrêté.

Information banale pour un commissaire ! D’où un visage impassible.

Elle gronda avant d’ajouter :

— Il est innocent. Vous comprenez ? In-no-cent !

La force de l’émotion, contenue le temps de se trouver face à face avec le policier, s’exprima aussitôt en pleurs.

— Calmez-vous, dit Landowski ne sachant pas vraiment quelle attitude adopter, racontez-moi plutôt.

La femme releva la tête, se passa la main dans les cheveux en oubliant les lunettes qui tombèrent sur la table. Elle les récupéra, replia les branches puis elle dit :

— Ils sont venus un matin de bonne heure. J’étais devant mon bol de café.

— Qui ça ?

— Des gendarmes casqués et armés. Ils ont fait irruption chez moi. Je n’ai pas eu le temps de réagir qu’ils étaient déjà massés devant la porte de la cuisine.

— Ils étaient combien ?

— Cinq ou six, je ne les ai pas comptés. J’étais tellement terrorisée.

— Et…

— Ils cherchaient mon mari.

— Il n’était pas là ?

— Il était sorti pour faire son jogging du matin. Ils ont dit qu’ils allaient l’attendre. Aussitôt après, mon mari est rentré. Du coup, ils ont reculé dans le fond du couloir. Il y a un angle. Notre fils les avait vu ou entendus, je ne sais pas. Quand son père est arrivé sur le palier, il a ouvert la porte de sa chambre et il a crié pour le prévenir. Jean s’est enfui en claquant la porte.

— Le groupe l’a alors pris en chasse…

— Pas tout de suite. À cause de Jamie qui pourrait sortir et se jeter sous une voiture, on avait enlevé la poignée. Il faut utiliser la clef pour ouvrir la porte de l’intérieur.

— Ils ont perdu du temps.

— Un peu mais le premier a réussi à ouvrir assez vite. Les autres ont dévalé les escaliers à toute vitesse et se sont rués à l’extérieur.

— Et vous ?

— J’ai ordonné à Jamie de ne pas chercher à sortir, de fermer derrière moi et je suis partie dans la rue comme ça, sans penser à me couvrir. Comme une folle. Je suis descendue vers l’étang. Je connais le parcours que Jean faisait en courant. Je l’ai accompagné quelques fois. Je l’ai vu essayer de s’échapper vers la Remise du Moulin puis revenir vers l’étang et en faire le tour. Il a filé vers la voie de chemin de fer puis il a disparu de l’autre côté. Je suis revenue chercher la voiture et j’ai pris la route de Coray pour tenter de le récupérer.

— Et faire quoi ensuite ?

— Je ne sais pas. Il y avait plus urgent.

— Fuir avec lui ?

— Peut-être. C’était une erreur, une méprise. Ils allaient me le tuer. Je ne pouvais pas les laisser faire ça.

— Ils avaient des raisons de le faire ?

Elle parut agacée.

— Mais je ne sais pas ! Ils étaient armés. C’était très violent. Je n’ai pas réfléchi. Je voulais le retrouver, être avec lui !

— Et vous l’avez revu plus loin ?

— Il nageait dans l’autre étang. Je l’ai vu de la rive. Je me suis approchée en courant. J’ai vu un gendarme lever son arme. Puis un autre tirer sur lui. Jean a crié. J’ai crié aussi et…

— …il s’est rendu ?

— Je ne les ai pas vus l’arrêter. Je suis tombée. Une femme gendarme m’a relevée et m’a soutenue pour me ramener à la maison. Je ne voulais pas mais elle m’a dit que c’était ce qu’il fallait faire si je voulais le revoir. Quelques minutes plus tard, j’ai vu plusieurs fourgons revenir en direction du centre-ville et passer sous la voie ferrée. Jean devait être à l’intérieur de l’un de ces véhicules.

Elle appuya ses mains sur ses oreilles.

— Ces sirènes hurlantes, je ne les oublierai jamais !

— Et vous êtes rentrée chez vous ?

— La jeune femme a été chic avec moi. Elle est restée un moment pour être certaine que tout allait bien. Jamie s’était préparé et habillé. Il était prêt à partir à l’école. Brave petit bonhomme ! J’ai tenté de le rassurer.

Elle sourit tristement.

— Il m’a dit : J’ai compris Maman. Ne t’inquiète pas. Je serai toujours là pour Papa et toi.

— Ensuite vous l’avez déposé à l’école…

— On a fait comme d’habitude. Pour Jamie, je voulais faire comme si. D’ailleurs, il ne m’a rien demandé et moi je n’ai rien dit.

Elle fit tourner son alliance avec deux doigts de l’autre main.

— Si. Je lui ai promis que son père reviendrait !

Les sanglots montèrent, incontrôlables.

— Ensuite…

Elle se reprit. C’était visiblement difficile pour elle. Landowski le comprenait très bien.

— Oui plus tard, je suis allée à la gendarmerie. On m’a dit que Jean était concerné par une affaire, qu’on devait lui poser des questions, qu’on ne pouvait rien me dire de plus à ce stade de l’enquête, qu’il fallait que je revienne le lendemain à dix heures.

— Ce que vous avez fait ?

— Entre-temps, j’ai demandé à ma sœur de s’occuper de Jamie, de le récupérer à la sortie de l’école et de le prendre chez elle le temps que je me pose et que je comprenne ce qu’il se passait. Elle habite Rosporden elle aussi. Pas très loin de la gendarmerie d’ailleurs !

— Et qu’est-ce qu’on vous a dit le lendemain ?

— Que Jean allait être entendu dans une affaire criminelle. Criminelle, vous vous rendez compte ?

— Vous avez demandé à le voir ?

— Bien sûr ! J’ai même insisté mais on m’a répondu qu’il avait été transféré le soir même de son arrestation dans un autre département pour être entendu sur place par le juge chargé de l’affaire.

Ainsi donc, il ne s’agissait même pas de faits qui se seraient passés dans le Finistère. Pas simple a priori. De quoi titiller déjà la fibre policière de Landowski.

— C’est arrivé quand ? demanda-t-il après un silence.

— L’arrestation ? Lundi matin.

— On vous a conseillé de prendre un avocat ?

— Non et je n’ai rien demandé.

— Et depuis ?

— Rien.

Landowski pianota sur le bord de sa tasse.

— Vous devez savoir que je ne suis pas en poste dans le département, expliqua-t-il. Je suis en vacances, enfin si l’on peut dire. Pourquoi avez-vous choisi de venir me voir moi ?

— J’ai confiance en vous.

— Mais encore ?

— Jean est innocent. Il y a forcément une autre explication à cette affaire. Je sais ce dont vous êtes capable. J’ai lu vos exploits. Vous le sortirez de là !

Landowski but une gorgée de café et soupira. Elle y allait fort la nénette ! Il n’était pas chargé de l’affaire. Il n’en connaissait pas les détails. Il n’était pas détective mais commissaire de police. On allait encore lui reprocher de s’occuper de choses qui ne le regardaient pas. Le mieux c’était de ne pas s’en mêler et de renvoyer la jeune femme vers les autorités compétentes. S’il se mettait à répondre aux sollicitations, il n’avait pas fini. Il voyait déjà la tête de Lorraine…

Il hocha la tête doctement.

— Je vais voir ce que je peux faire, dit-il lentement.

Il s’étonna de s’entendre prononcer ces quelques mots. Certes il s’en foutait bien de marcher sur les plates-bandes des collègues. À condition que ce soit pour la bonne cause, bien entendu. La veuve et l’orphelin, mais en l’occurrence, il ne s’agissait ni de l’une ni de l’autre, pour l’instant. Les collègues gendarmes allaient grincer des dents. Mais il y avait cette épouse et mère. Cette femme. Peut-être que le contact était passé entre eux deux…

Landowski laissa la visiteuse repartir. Il attendit pour qu’elle prenne un peu d’avance puis il la suivit à distance. Elle avait de quoi penser et réfléchir. Elle ne se retournerait donc pas. Non loin de la jonction avec la route côtière, il traversa un terrain en friche où on avait dernièrement arraché des grands arbres et il se plaça en lisière du talus surélevé par rapport à la route. Il put ainsi jeter un œil sur le véhicule et sa passagère sans être vu. Un moment plus tard, la voiture passa à petite vitesse. Curieux. Pas de jeune garçon à l’intérieur. Personne d’autre d’ailleurs. La jeune femme était seule dans l’habitacle. Elle commençait déjà à lui mentir ?

Il regarda le Post-it qu’elle lui avait remis avant de partir. Elle y avait inscrit ses coordonnées : nom, prénom et numéro de téléphone.

Juste pour lui-même, il dit :

— Pas sympa ça, Marina ! Non, pas sympa !