XVI

— Commissaire ?

Landowski émergeait difficilement.

En revenant de Rosporden après l’accident, il avait passé plus d’une heure à griffonner sur le paperboard qu’il avait installé dans la chambre du fond. D’un côté, il avait inscrit le nom de toutes les personnes concernées de près et de loin par cette affaire. De l’autre, il avait répertorié les faits. Enfin il avait tracé des lignes rouges partant de la gauche pour aller vers la droite et vice-versa.

— Oui, répondit-il d’une voix grave.

— Gendarmerie de Rosporden. Je vous informe que le petit Jamie a été enlevé ce matin sur la route de l’école.

De quoi faire bondir le divisionnaire.

— Qu’est-ce qu’on sait ?

— Une voiture noire arrêtée à l’intersection d’une rue.

— C’est tout ?

— Presque. Il n’y a pas eu de témoin direct de la scène. Quelqu’un a juste vu la voiture démarrer et le bonnet basculer dans le caniveau.

— Le gamin était seul pour se rendre à l’école ?

— Comme tous les matins, son meilleur copain l’attendait à l’autre extrémité de la rue. Il a hurlé mais c’était déjà trop tard.

— Sa mère ?

— Effondrée forcément. Sa sœur est avec elle. Elle ne quitte pas son domicile au cas où les ravisseurs la contacteraient.

— C’est elle qui vous a demandé de me prévenir ?

— Non. Vous étiez passé l’autre jour à propos du mari et père. Vous étiez aussi sur zone cette nuit. Normal de vous informer.

— Oui bien sûr !

— Le patron a pensé que…

— Vous avez bien fait. Merci.

Il mit fin à la conversation. L’enquête allait suivre son cours. Pour en savoir davantage, il faudrait passer par la hiérarchie. Il appela donc Ange aussitôt.

— Salut Lando ! Doit y avoir quelque chose de cassé ! Ne me dit pas qu’on doit aller en finir un autre sur les bords du canal. On est assez emm… comme ça !

— Désolé, mais vous êtes dans le coup maintenant, Jim et toi. Va falloir résoudre le rébus pour retrouver une virginité.

— Malbecques nous cherche des crosses !

— Je sais. En même temps, il n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Il a un suspect qu’il ne peut que soupçonner puisqu’il ne dispose pas de preuves tangibles ni d’aveux circonstanciés. Avec ça, inutile de monter à la chambre d’accusation pour se faire renvoyer à ses chers dossiers ! Il a besoin d’un peu de concret le magistrat !

— Et donc tu envisages de lui fournir de la matière !

— Exact ! Il veut remonter en première page. Donnons-lui ce plaisir. Faut pas être égoïste non plus !

— Et cette fois-ci faut faire quoi ?

— Y’a du lourd ! Le fils du détenu…

— Et donc de Marina, ta protégée…

— Le gamin a été enlevé ce matin sur le chemin de l’école !

— Toujours cette histoire de diam’s ?

— Tant qu’on ne les aura pas retrouvés…

— Est-ce qu’ils existent vraiment dans le fond ?

— Tu sais, c’est une famille de solides ! Le père connaît la réponse et il ne dira rien pour protéger sa famille et garder de quoi négocier.

— Voie sans issue !

— Donc faut créer une déviation ! En plus, y a un mec qui pourrait bien être de la bande et que le dernier TGV a éclaté comme un moustique téméraire hier soir !

— Ketchup ?

— Un bolide comme ça, même s’il ralentit à l’approche d’une gare, ça ne pardonne pas.

— Et il faisait quoi dehors à cette heure-là, ton kamikaze ?

— Cherchait p’têt des petits cailloux brillants tu vois ?

— Très bien ! Sauf qu’il s’est pris un paquet de métal ferroviaire dans le buffet !

— Comme si on l’avait invité à se mettre devant la loco !

— C’est du Buster Keaton ton histoire !

— Donc il faut expliciter ce geste au plus vite. Surtout avant que la chenille ne redémarre, si tu me suis.

— J’aime bien quand tu racontes, Lando !

— Tu vas chez Jim, tu tâches de l’extraire des bras de sa nouvelle dulcinée s’il est de repos, tu lui racontes une partie du film et vous rappliquez dare-dare !

— C’est chouette cette recrudescence de criminalité dans l’Ouest ! On voit du pays !

— Toi Ange, tu vas te rapprocher des gendarmes locaux et faire le lien. Ils sont sympas. On peut prétexter que selon certains éléments versés au dossier, la DGSI pourrait éventuellement être saisie. La PJ parisienne avec Jim, ce serait un peu plus tiré par les cheveux !

— Et le titi parisien, il va tricoter des napperons pendant ce temps-là ?

— Pas question de se dorer en automne ! Il va se faufiler dans les trous de souris et chercher les petits secrets cachés derrière le miroir. Au final, on se paie les vilains et on ficèle le tout pour faire un cadeau à Malbecques.

— Et ta charmante Marina ?

— Elle retrouve son fils, son mari. Sa famille quoi. Qu’est-ce que tu vas chercher ?

— Moi, rien ! J’aime bien te taquiner.

— Au lieu de jouer au concierge qui est toujours dans l’escalier, change de chemise et rejoins Jim sur le tarmac de Villacoublay. Vous avez juste le temps de prévenir chez vous. Je contacte le ministère.

— J’aimerais bien savoir ce que tu vas fournir comme motif cette fois-ci pour qu’on accepte ta demande si urgente !

— Alerte enlèvement, ça te va ?

Landowski coupa la conversation et jeta son téléphone sur une serviette de bain alors qu’il avait déjà tourné la manette du mitigeur. Comme un matin sur deux, il se prit le jet en pleine poire parce qu’il n’avait pas décroché à temps la douchette.

Il fit vite, aussi rapidement qu’un candidat à l’élection présidentielle en campagne. Le temps d’avaler un café bien trop chaud et d’en renverser une partie sur la nappe, il se retrouva au volant de sa voiture à rouler vers Rosporden.

En partant de Trévignon, la route n’est pas forcément très directe. Il est possible de choisir un itinéraire entre plusieurs mais il faut quand même le temps pour passer par Trégunc ou par Pont-Aven. Il préféra la seconde option, histoire de traverser Nizon où sa première enquête en terre bretonne l’avait mené.

À cette heure-là, il rencontra quelques cars scolaires et des mamans en retard. Le quotidien quoi ! Peu de circulation sinon, le gros des transhumants du matin passant par la voie express. Arrivé à Rosporden, il laissa sa voiture non loin de l’endroit où on avait, la veille, retrouvée vide celle de l’homme dispersé façon puzzle par le TGV.

Avant de sonner à la porte de la maison de Marina, il marqua un temps d’arrêt pour déployer son éventail de questions. Il devait jouer finement s’il voulait gagner la partie. L’épouse et mère montait facilement dans les tours. Et pas seulement pour contempler le coucher de soleil !

— Ah, Commissaire, je suis heureuse de vous voir ! dit-elle sur un ton qui se voulait accueillant.

Sauf, se dit-il, qu’elle ne l’avait pas fait prévenir…

— J’ai appris pour votre fils.

— Entrez !

Il remarqua qu’elle n’avait pas jeté un coup d’œil au-dehors comme si elle ne craignait rien. Ni personne.

Dans un des fauteuils du salon, se trouvait Rosie qui semblait mâcher quelque chose. Elle avait eu le temps de récupérer une friandise quelque part.

— Ma sœur. Commissaire Landowski.

Des présentations au minimum syndical.

— Je vous laisse, dit Rosie en s’extrayant péniblement du profond fauteuil.

Une fois seuls, Marina indiqua un siège au visiteur. Assis, Landowski attaqua aussitôt.

— Vous êtes venue me voir, il y a quelques jours. Vous demandiez mon aide. Est-ce que vous aviez réellement besoin de moi ?

La jeune femme ne s’attendait probablement pas à cette question ni à cette façon d’aborder le problème. Tout de même, un enfant venait d’être enlevé !

— J’étais sous le choc. Je me suis tournée vers vous…

— …et vous avez fait votre petit trafic de votre côté sans me tenir au courant.

Tapait fort le grand flic !

— Je me suis renseignée, répondit-elle évasivement. C’est tout !

— L’homme qui a été écrasé par le train hier soir, vous le connaissiez ?

— Euh…

Landowski fit mine de tirer l’échelle.

— Jouez franc jeu sinon je vous laisse continuer toute seule !

— Je l’avais déjà rencontré.

— Pour quelle raison ?

— Je pensais qu’il savait quelque chose sur l’affaire de Jean.

— Et qu’il pouvait vous aider ?

— M’aider ? Non !

— Quoi alors ?

— M’expliquer pourquoi ça nous arrivait à nous !

— Et il l’a fait ?

— Il savait pour le sac et les empreintes…

— Alors, il vous a menacée ?

— Oui. Il m’a dit qu’il s’en prendrait à ma mère, à ma sœur, à nos enfants si…

— Si quoi ?

— Si je ne rendais pas les diamants ! Il a mis la pression pour me forcer. Il a rendu visite à ma mère et à…

— Votre sœur. Je sais tout ça.

— Co… comment ?

— Je ne fais rien dans la journée et je dors très peu. Est-ce que ça vous convient comme explication ?

Pas très sympa, le commissaire !

— C’est donc que vous avez décidé de m’aider !

Bel aplomb d’une femme dont l’enfant vient d’être enlevé. Bravo !

— Les armes que vous transportiez l’autre jour, c’était pour le tuer ?

Marina se redressa pour protester.

— La voiture arrêtée devant la Ville close. Le thé vert sucré au miel !

Elle ouvrit de grands yeux.

— Mais comment vous…

Landowski éluda.

— Alors, ces armes ?

— Je l’ai envisagé parce que…

— Vous pensiez ne pas avoir d’autre solution ou vous ne vouliez pas lui remettre les pierres ?

— Les deux.

— Vous ne dites pas que vous ne les avez pas !

— À force, je ne sais plus.

— Hier soir, vous aviez rendez-vous avec cet individu pour les lui remettre, c’est exact ?

— Oui.

— Vous l’avez fait ?

— Non.

— Pourtant vous lui avez apporté quelque chose.

— Oui.

— Pour le tromper et finalement le tuer ?

— Oui.

— Expliquez-moi comment vous avez procédé.

— J’ai déposé sur la voie un sac contenant quelque chose pouvant ressembler au toucher à ce qu’il voulait. Le temps qu’il s’en saisisse et avant qu’il ne se rende compte de la supercherie, j’ai fait le tour.

— Pour le tuer ?

Marina serra ses doigts à se faire mal.

— Mais il le fallait, Commissaire ! Pour ma famille ! Il allait voir que les pierres n’étaient pas dans le sac et il allait se venger sur nous. Des femmes et des enfants, c’est facile !

— Alors vous avez grimpé derrière lui ?

— Je pensais le faire.

— Vous ne l’avez pas fait ?

— Quelqu’un d’autre l’a fait pour moi et l’a poussé sous le train.

Landowski hocha la tête, dubitatif.

— Ce quelqu’un qui a constaté que vous les avez bernés tous les deux et qui a décidé de se venger en enlevant votre fils, c’est ça ?

— C’est comme ça que je me l’explique.

— Pour doubler le premier homme ?

— S’en débarrasser ! Pour avoir les diamants, toujours eux alors que je ne les ai jamais vus !

Landowski n’était pas certain de ça.

— Il y a pourtant quelqu’un qui les réclame.

Landowski soupira et ajouta :

— Un sachet de diamants contre un enfant…

Marina sanglota.

— Sinon je ne reverrai jamais mon fils !