XIX

On était samedi. La zone industrielle de Dioulan fonctionnait au ralenti.

Ange avait conduit pour venir. Landowski avait quelques coups de fil à passer. En particulier, il avait mis le juge Malbecques au courant des derniers développements de l’affaire. Ce qui n’avait pas suscité un enthousiasme débordant chez le magistrat.

Deux véhicules de gendarmerie attendaient à l’extérieur. Du renfort était venu d’une autre brigade. Les gendarmes, des hommes et deux femmes, attendaient hors des véhicules. Un camion passa au ralenti. Le chauffeur avait baissé sa vitre pour mieux regarder l’attroupement.

La grille de l’entreprise était ouverte. La porte d’accès aux bureaux également. Sur ordre de Landowski, Jim s’était rendu au domicile de la secrétaire pour lui demander de venir au bureau afin de faciliter l’accès des lieux aux fonctionnaires qui allaient procéder à la perquisition.

Il fallut attendre encore une demi-heure avant qu’un émissaire n’apporte le mandat officiel. Sans attendre davantage, Landowski dit :

— On y va !

Un gendarme fit coulisser la portière d’un fourgon et Amaindry en descendit. Il avait une tout autre allure. Rasé de près, cravate, complet veston bleu, chaussures vernies.

— Passez devant, monsieur Amaindry.

Le commissaire n’affichait pas un air soupçonneux. Il donnait l’impression de traiter cet épisode comme une séquence traditionnelle dans le déroulement d’une enquête. Ni plus ni moins. Une fois le parvis traversé à pied, la secrétaire s’annonça sur le seuil. Personne ne songea vraiment à la saluer.

Landowski ordonna :

— Ange, tu prends les bureaux.

L’ami policier choisit son équipe. Les deux femmes gendarmes lui emboîtèrent le pas. L’officier fit signe à ses hommes et le groupe marcha vers la porte du hangar dans un mouvement bien huilé.

— Que cherchez-vous, Commissaire ? demanda Amaindry.

Landowski haussa les épaules.

— Comme vous ! Un sac de diamants !

Il plissa les yeux et leva l’index droit.

— Peut-être plus !

— Si je détenais les pierres ici, Commissaire, il n’y aurait pas eu d’affaire !

— Pas encore, je dirais ! Passez devant. Il y a peut-être des tiroirs fermés dont vous avez la clé.

— Isabelle a accès à tout.

— Vous n’avez pas de secret pour votre secrétaire, c’est ça ?

— Collaboratrice ! précisa Amaindry en souriant étrangement. Landowski aurait bien voulu rentrer dans la connivence. Il attendrait pour cela.

— Qu’est-ce que vous avez dans le hangar ?

— Pas grand-chose, dit l’industriel. Les assemblages étaient terminés. Les pièces à livrer sont parties, il y a quelques jours. Mardi, on va en réceptionner d’autres. C’est toujours comme ça.

— Et le précieux ?

— Parti aussi pour nos agences. On est en fin de mois. Nos clients sont en attente.

— Des pierres peut-être ? demanda le commissaire, un peu ironique.

— Non, rien. Cette affaire a soufflé un vent de frilosité…

— La discrétion est encore là, non ?

— L’audace un peu moins !

Ange apparut à la porte d’entrée. Il joua de l’essuie-glace avec sa main droite. Un sourire en coin apparut sur les lèvres de l’entrepreneur.

— Je crois que vos hommes ont fait chou blanc, Commissaire.

Landowski resta impassible et patienta le temps que la perquisition soit bien terminée dans l’ensemble des bâtiments.

Une voiture conduite par Jim s’annonça dans la cour. Le policier n’était pas seul.

— Qu’est-ce qu’elle vient faire là ? s’insurgea Amaindry en reconnaissant Marina.

— J’ai pensé qu’une petite confrontation ne nous ferait pas de mal, monsieur Amaindry ! Je vois un premier témoin d’un côté, un second d’un autre ! Tout le monde va entendre la même chose. On avancera plus vite, surtout que cette affaire va se terminer bientôt.

— Euh oui, certainement, répondit Amaindry.

— Vous nous invitez dans votre bureau ?

— Bien sûr.

Le patron prit la tête du groupe, suivi de Landowski, Marina et Jim. Ange dit quelques mots à l’officier gendarme qui fit quelques gestes comme pour organiser une protection extérieure. La discussion qui allait avoir lieu devait se passer dans la meilleure sérénité possible. Personne ne devait entrer, ni sortir non plus.

Landowski s’arrogea la place de maître de cérémonie et demanda à Amaindry de s’asseoir sur un siège visiteur. Marine s’assit derrière lui mais à distance. Ange et Jim restèrent debout pour veiller au grain.

— On va reprendre depuis le début, si vous le voulez bien !

Il regarda ses auditeurs en gardant le silence histoire de les mettre un peu mal à l’aise.

— Il y a quelques semaines, Jean…

Il releva la tête.

— C’est curieux, indiqua-t-il, dans cette affaire on a utilisé des prénoms plus que des noms de famille. Cela indique probablement les liens entre vous tous. C’est d’ailleurs, ce qui pourrait plus facilement nous conduire à résoudre notre problème commun.

En fixant Amaindry, il ajouta :

— Rapidement parce que la battue pour rechercher le petit Jamie partira à onze heures.

Il évita de regarder Marina qui, d’ailleurs, contemplait ses chaussures.

— Donc le collaborateur et bras droit de monsieur Amaindry se rend en Normandie pour visiter l’agence de l’entreprise comme il le fait tous les deux mois environ. Il sait que dans l’un des tiroirs du bureau du local sécurisé se trouvent une belle quantité de pierres précieuses gardées dans un sac d’aspect banal pour ne pas attirer l’attention. C’est la procédure normale. Le lendemain matin, une équipe de braqueurs, probablement informés de la présence des valeurs, se fait ouvrir l’accès à l’entreprise puis au local en question en menaçant le gardien. Quelques minutes plus tard, l’équipe ressort, frappe l’agent de sécurité et l’enferme dans le coffre de sa voiture. À ce moment-là, l’alarme retentit et précipite le départ des casseurs. Plus tard, on retrouve la voiture de l’équipe abandonnée sur un parking. Des métaux précieux ont été pris sur le site mais les voleurs ont tout laissé dans la voiture.

Landowski se redressa :

— Le hic c’est que pour le sachet de valeurs, on n’a retrouvé que le bordereau attestant du contenu, contenu non retrouvé à ce jour. Quelques jours plus tard, les enquêteurs retrouvent la trace de l’un des auteurs du casse mais ils le ratent de peu. L’homme a quand même laissé dans son logement un sac de sport où on retrouve des objets en plastique et une carte tracée à main levée des locaux de l’agence avec les accès et les dispositifs de sécurité. Sur ces objets, l’empreinte du collaborateur modèle est formellement identifiée à deux endroits. Pour ce qui est du plan, les recoupements ont montré qu’il y a de fortes chances pour qu’il en soit aussi l’auteur. Ces indices concordants ont d’ailleurs entraîné l’interpellation du collaborateur en question au petit matin. Arrestation un peu mouvementée, le témoin cherchant à se soustraire à l’injonction policière pratiquée sur mandat judiciaire.

Landowski leva les yeux vers Marina. Elle regardait ailleurs.

— Plus tard, reprit Landowski, l’action se déplace en Normandie. L’agent d’entretien molesté le jour du casse est torturé à mort chez lui. Les policiers que j’avais dépêchés sur place pour entendre le témoin font fuir l’agresseur qui est abattu par un tireur inconnu. Cette semaine, un homme domicilié en Normandie, trouve la mort dans la nuit en étant percuté ici à Rosporden par un TGV. Il apparaît ensuite que ces deux hommes sont probablement les auteurs du casse de l’agence de la SAIL à Carpiquet. Selon le gardien décédé, c’est un trio qui a fait le coup. Dont une femme. On peut raisonnablement penser que les deux autres ont été tués, l’un par balle dans le dos, l’autre par la motrice du TGV.

Il leva le doigt vers Marina.

— L’épouse du cadre arrêté est ici. Elle aurait pu ne plus être parmi nous si l’homme tué sur la voie était arrivé à ses fins. D’après l’enquête, il s’en est pris à la grand-mère de Jamie et à sa tante. Probablement pour mettre la pression sur la famille du collaborateur et sur lui-même par ricochet. Tout ça pour que le sac de diamants remonte à la surface.

Il se racla la gorge.

— Cette affaire va encore plus loin puisque cette nuit madame Amaindry a eu un accident mortel à son domicile et qu’on a retrouvé dans l’une des dépendances de la maison située à la limite de la commune, en direction de Scaër, le cartable de Jamie, enlevé il y a deux jours sur le chemin de l’école.

Landowski se tut. L’ambiance devint subitement très lourde surtout que personne ne bougeait. Une minute dans ce cas-là dure une éternité.

Ange et Jim regardaient leur collègue. Ils connaissaient bien la théorie du fil de rasoir et la grande expérience de Landowski pour en jouer finement. La réunion en était au moment précis où la vérité pouvait éclater, ou patienter encore un peu…

Le commissaire désigna Marina d’un geste très direct de la main droite. Avec une certaine violence qui mit tous les participants mal à l’aise. D’ailleurs, les traits de la maman éplorée s’affaissèrent encore davantage.

— Madame, votre attitude dans cette affaire, m’interpelle, ainsi que votre rôle.

Marina se redressa comme pour protester. Landowski l’en empêcha d’un geste sec.

— Permettez ! Vous êtes venue me voir pour solliciter mon aide parce que vous n’aviez pas confiance dans les autorités de votre pays. Il y a là déjà quelque chose de contradictoire.

Amaindry ne semblait tout à coup plus à l’aise.

— Ensuite vous avez eu des rencontres avec le voyou qui est passé sous le train. Donc l’un des artisans du casse. Vous le connaissiez ?

— Mais non, protesta Marina.

— Si peu que vous vous êtes rendue de nuit chez lui à Concarneau ?

— Il avait agressé ma mère et ma sœur !

— Il allait trop loin peut-être…

— Qu’insinuez-vous ?

— Je veux dire qu’il ne suivait pas vos ordres à la lettre !

— Mes… ? Non !

— La veille et le jour du casse, vous n’avez pas travaillé. Avez-vous accompagné votre mari dans son déplacement ?

— Mais non !

— Quand le deuxième larron a été tué d’une balle dans le dos sur les bords du canal en Normandie, on ne vous a pas vue par ici. Je me suis laissé dire que votre père vous avait appris à tirer.

Marina cherchait de l’air. Pathétique.

— Le soir où votre contact ici est monté sur le ballast, vous étiez là.

Il toussota.

— Est-ce que vous l’avez poussé ?

La question n’appelait pas forcément une réponse.

— Je vais vous dire ce que je pense, continua Landowski. Vous avez pu monter ce coup avec votre mari. Des diamants qui roulent sous les doigts, ça donne envie. Votre époux les manipulait, en appréciait la valeur tout en connaissant la discrétion qui les entourait.

En prenant son temps, Landowski balaya son auditoire du regard. Chacun attendait la suite et il en profitait.

— Ensuite, les choses se sont compliquées. Des indices graves et concordants ont mis votre mari en difficulté. Vous êtes venue me voir pour obtenir une sorte de caution morale. Ensuite vous avez suivi votre plan. Effacer les témoins un à un. Belle réussite, je dois dire.

Marina affichait maintenant un visage fermé à double tour. On aurait dit qu’elle laissait passer l’orage. Landowski se tourna vers le chef d’entreprise.

— Et puis il y a eu ce pénible accident, chez vous, cette nuit, monsieur Amaindry. Comme si la coupe n’était pas assez pleine. Si votre femme était encore de ce monde, elle pourrait nous en dire des choses. Notamment sur la présence du cartable de Jamie dans une dépendance de votre propriété.

Le veuf soupira en serrant fortement les mains.

— Faut que je vous dise, Commissaire. Avec Florence nous n’avons pas eu d’enfant. Quand elle avait vu le petit Jamie dans la journée, elle pleurait le soir. Elle trouvait que c’était injuste.

— Qu’avez-vous pensé quand elle vous a appris qu’elle l’avait enlevé ?

— J’en ai été stupéfait ! Je ne pouvais pas penser qu’elle allait aller jusque là.

— Vous lui avez dit qu’il fallait le rendre ?

— J’ai dû insister.

— Et alors ?

— Elle m’a promis de le ramener ce matin.

— Entre-temps, elle est morte. Pensez-vous que votre attitude a pu l’inciter à en finir avec la vie ?

— Je n’en sais rien. Mais je pense que cela a pu jouer.

— Parce que ?

— Elle voulait qu’on parte tous les trois ce matin. Au bout du monde ! Vous vous rendez compte ? Ce n’était pas possible. On ne peut pas traverser les continents avec un enfant qui n’est pas le sien. Bien sûr, j’ai tout de suite refusé. Je crois qu’elle n’a pas compris pourquoi je l’abandonnais en rase campagne. Elle était à fond dans son délire. Un moment, la pression a dû être trop forte pour elle. Rendre l’enfant, ce devait être au-dessus de ses forces.

— Pourtant, il a bien fallu qu’elle libère Jamie !

— Peut-être pour qu’on ne l’accuse pas trop une fois partie ailleurs. Je ne sais pas.

— Ensuite elle est remontée se coucher…

— Je le suppose.

Le mari baissa la tête.

— Elle ne trouvait pas d’issue, dit-il dans un souffle. Une fois sur le palier, elle a décidé de mettre un terme à tout ça et elle s’est jetée par-dessus la balustrade. Je suppose que ça s’est passé comme ça.

Il souffla.

— J’aurais dû m’en rendre compte.

— Parce que ?

— Elle a voulu qu’on fasse l’amour alors que ce n’était pas forcément le moment, ni l’habitude.

— Vous voulez dire…

— On attendait la fin de semaine plutôt.

— Et donc ce désir vous a surpris ?

— J’aurais dû en rechercher l’explication mais vous savez…

Il regarda ses chaussures.

— Je comprends, dit Landowski.

Il se redressa.

— Je reviens aux diamants, monsieur Amaindry. Votre femme en connaissait-elle l’existence ?

— Oui. Elle savait que j’avais organisé cette activité discrète mais lucrative.

— Croyez-vous qu’elle ait pu en avoir envie ?

Amaindry sourit.

— Toutes les femmes aiment les bijoux ! Cette fois, il y en avait pour très cher !

— Assez pour avoir envie de les voler ?

— Que voulez-vous dire, Commissaire ?

— Il y avait une femme dans le commando. On ne l’a pas identifiée à ce jour. La nuit du casse, elle était avec vous, chez vous ?

Amaindry serra les lèvres.

— Vous voulez respecter sa mémoire en ne répondant pas, c’est ça ?

Il s’agita sur sa chaise.

— Mais enfin, Commissaire ! Un peu de décence ! Florence est décédée il y a à peine quelques heures !

— Et il y a un enfant qui n’a pas dix ans et qui a disparu, ça vous va comme explication ?

Dans un souffle, Amaindry lâcha du lest.

— C’est elle, Commissaire.

Il se cacha le visage dans ses mains puis il respira un grand coup. On le laissa continuer :

— Elle était partie voir ses neveux. Une absence de deux ou trois jours. Je ne pouvais pas imaginer qu’elle filait vers le dépôt de Carpiquet…

— Elle vous en a parlé plus tard ?

— Seulement la nuit dernière ! Avant tout ça ! Vous m’avez demandé si je l’avais trouvée bizarre, Commissaire. Je crois qu’elle n’avait plus rien à perdre.

Amaindry semblait totalement détruit.

— C’était une femme forte. Si l’entreprise en est où elle est, c’est grâce à sa ténacité. Sans elle, j’aurais laissé tomber depuis longtemps.

— Elle vous a dit comment elle avait procédé ?

— Un vrai roman ! J’en suis resté baba.

— Votre admiration ne l’a pas sauvée.

— Elle en a décidé autrement, Commissaire.

Il reprit l’explication.

— Léopold nous devait sa liberté. Il avait fait des choses immondes qui auraient pu l’expédier aux Assises. Davantage si la peine de mort avait été encore en vigueur. Florence lui a demandé de trouver deux gars pour simuler le casse. Pour toucher l’assurance, c’était son mobile. Il s’est débrouillé. Ensuite elle a pensé déplacer les soupçons sur Jean en lui envoyant les deux sbires pour l’obliger à tracer une sorte de plan sous la menace.

— Laquelle ?

— Les deux copains de Léopold lui ont parlé de Jamie, ce qui l’a immédiatement fait plier. Après, je ne sais pas trop pourquoi et comment Jean a procédé. Il n’avait vu que les deux casseurs. Il ne savait pas pour Léopold ni pour Florence. Il a sans doute voulu mettre un grain de sable pour faire capoter le coup et se dédouaner peut-être d’avoir fourni le plan des lieux.

— Il a donc caché les pierres et reprogrammé l’alarme…

— Florence en était persuadée. Dans le bureau de Jean, elle a récupéré des objets avec des empreintes. Elle les a fournis à un de ses compères qui les a abandonnés dans son logement pour qu’on les retrouve.

— Et les gendarmes sont arrivés au petit matin…

— De l’avenir de Jean, elle se moquait bien. Elle attendait qu’il dise ce qu’il avait fait des pierres. Mais surtout pas au juge, vous l’imaginez bien !

— Pour forcer la dose, elle a envoyé quelqu’un…

Marina se leva.

— Vous voyez, Commissaire. Vous m’avez accusée à tort. Je n’y suis pour rien !

Landowski haussa les épaules.

— Heureusement que monsieur Amaindry accepte de nous dire la vérité ! dit-elle sur un ton ironique.

— Et puis il s’en est pris à la mère et à la sœur de Marina, je crois, dit le patron comme s’il menait l’enquête.

Landowski se tourna vers l’intéressée.

— Et vous, vous avez décidé de piéger le comparse.

— Je n’avais plus d’autre issue. J’étais décidée à le tuer. Faut comprendre. Quand on arrive à un certain point…

Elle sourit tristement avant de laisser tomber :

— Quelqu’un d’autre l’a fait à ma place !

— Pensez-vous que ce soit votre femme, monsieur Amaindry ?

— Elle était prête à toutes les extrémités pour récupérer les diamants. Elle était très sportive. Elle a pu agir vite et bien !

— Et elle aurait tué le deuxième larron sur les bords du canal ?

— Possible. Elle tirait très bien.

— Ce jour-là, elle était à la maison ?

— Non ! Partie voir ses neveux la veille…

— Et vous ?

— J’étais sorti.

— Vous auriez pu l’accompagner…

— Ce n’était pas le cas.

— Et vous avez fait quoi ?

Amaindry soupira.

— J’ai passé la nuit ailleurs.

— Chez une femme ?

— Oui.

— Une visite occasionnelle ?

— Plutôt épisodique.

— Vous comprendrez que je vous demande l’identité de cette personne.

— Isabelle est au comptoir. Dites-lui de nous rejoindre.

Landowski fit un signe à Jim qui se précipita. En attendant, l’ambiance silencieuse se plomba comme un ciel d’orage. Marina regardait ses mains. Amaindry les siennes.

Jim revint avec la secrétaire.

— Prenez un siège, dit Landowski à l’employée, en montrant un fauteuil libre sur sa gauche.

— Qu’est-ce que…

La nouvelle venue était visiblement inquiète.

— Vous êtes au service de l’entreprise depuis longtemps ? demanda Landowski.

— Bientôt dix ans ! J’ai remplacé Marina qui était enceinte.

— Et ça s’est bien passé avec votre patron ici présent ?

— Mon mari venait de me quitter. J’avais besoin de travailler. La place était libre. Voilà.

Landowski constata que la secrétaire serrait les mâchoires. L’entretien la changeait probablement de ses journées routinières et la stressait.

— Vous avez appris la nouvelle du jour…

— C’est bien triste.

— Vous vous entendiez bien avec madame Amaindry ?

— Elle ne venait pas souvent au bureau mais elle téléphonait à son mari. Quand j’étais de repos, elle me remplaçait parfois.

— Vous avez su pour l’effraction qui a eu lieu à l’agence de Carpiquet ?

— Bien sûr ! J’en ai été peinée pour Jean. C’est lui qui réglait tout ici.

Elle regarda Amaindry.

— Qui faisait tourner la boîte, en fait !

— Deux hommes qui ont perpétré le casse sont morts, un tué par balle et l’autre écrasé par le train, dit Landowski. Vous les connaissiez ?

Elle s’étonna, la main sur la poitrine.

— Moi ? Mais non !

— Ils ne sont jamais venus ici ?

— Moi je ne les ai pas vus.

— Tout à l’heure, j’ai posé une question à votre patron. Je voulais vérifier son emploi du temps. Il m’a alors demandé de vous faire venir.

— Parce que ?

Amaindry la regarda.

— Isabelle, j’ai dit au commissaire Landowski que j’avais passé une certaine nuit hors de chez moi pendant l’absence de Florence.

— Et vous avez affirmé que c’était chez moi ?

— Il ne vous a pas citée ! précisa Landowski. Il vous laisse, je suppose, le droit de le dire ou pas.

La secrétaire croisa les doigts.

— Quand je me suis retrouvée seule, j’ai eu besoin de travailler. Marina était enceinte. C’était une opportunité. Je suis allée la voir. Elle m’a dit qu’elle n’y retournerait pas après son congé de maternité. J’ai donc accepté le poste en sachant que je pouvais espérer y rester définitivement.

— Marina vous avait dit pourquoi elle ne reprendrait pas sa place après son congé ?

— En fait, je l’ai compris assez vite.

Elle dodelina de la tête.

— Quelques jours ont suffi.

— Votre nouveau patron s’est trouvé un peu pressant, c’est ça ?

— Disons qu’il s’est intéressé à moi. Il a regretté le départ de Marina. Forcément quand vous la voyez ! Il ne m’a pas caché qu’il était content de ne plus avoir une épouse comme secrétaire. Il a parlé d’emploi du temps plus élastique, qu’il pourrait y avoir des dépassements d’horaires. Je ne suis pas une oie blanche. J’ai compris.

— Vous avez accepté le poste.

— Vous savez, Commissaire, les emplois par ici, ça ne court pas forcément les rues. Et le salaire proposé était au-dessus de la moyenne !

— Contre tâches supplémentaires ?

— Oui, avoua-t-elle.

— Tu étais d’accord ! s’insurgea Amaindry. Tu ne vas pas dire maintenant que je t’ai forcée !

— Je ne le dis pas non plus !

Landowski leva le calendrier et montra un jour précis au moyen d’une règle en fer.

— Monsieur Amaindry nous dit donc que ce jeudi-là, il a passé la nuit avec vous, chez vous.

— Je vois bien de quelle soirée, il veut parler ! Il y a eu quelques autres nuits, en effet, mais ce n’était jamais un jeudi soir.

La secrétaire grimaça puis elle continua :

— Monsieur Amaindry m’a demandé de répondre oui à votre question.

— Et vous, vous avez envie de dire quoi ?

La tension était palpable. Ange sortit les mains de ses poches pour être paré à toute éventualité. Dans ce type de confrontation, ça part parfois en vrille !

— Que monsieur Amaindry n’était pas chez moi cette nuit-là.

Le patron se leva brutalement.

— Pas vrai ! Je n’ai pas…

Ange fit un pas. Landowski l’arrêta d’un signe de la main puis ordonna :

— Assis !

Amaindry obtempéra.

— Cette fois, ça va vraiment trop loin, reprit la secrétaire. Ce n’est plus un jeu d’adultes consentants qui veulent se voir discrètement.

— Attention à ce que tu fais, Isabelle ! menaça Amaindry. Ne dis rien que tu pourrais regretter !

La secrétaire s’en foutait. Elle continua :

— Je lui ai demandé pourquoi il avait si besoin d’un alibi. Sa femme pouvait faire l’affaire. Il m’a dit qu’il avait été forcé de tuer un homme. Et qu’elle était avec lui !

— Menteuse ! asséna Amaindry.

— Je vais te dire Georges, j’en ai marre de tes combines et de tes promesses. Tu as maquillé tes comptes. Tu as recyclé des pierres démontées sur des bijoux volés. Tu as mis Jean et sa famille en danger. On n’avait pas besoin de ça. Tu veux tout, toujours, trop !

La secrétaire se leva.

— J’ai cru que tu pensais vraiment à moi. Même encore ce matin quand j’ai compris que tu avais tué ta femme. Bête je suis pour avoir cru un instant que c’était pour partir avec moi.

Elle leva la main.

— Juste un instant ! Ensuite j’ai pigé que ton idée était encore et toujours ailleurs. Tu m’aurais tuée aussi bientôt ?

Elle rit et se laissa tomber sur son siège.

— Tu as réellement cru que Marina te reviendrait au final ? Pauvre fou !

Elle se mit à pleurer alors que Marina se levait et s’avançait vers son ex-patron.

— Regarde-moi bien ! lui dit-elle. J’espère pour toi que je vais retrouver mon petit bonhomme. Si je le perds, je te promets une chose. Je t’attendrai, je te retrouverai, n’importe où, n’importe quand. Tu me verras. Tu comprendras. Et je te tuerai !

Marina sortit en claquant la porte.

Ange et Jim se regardèrent. L’épisode avait été intense, fort, émotionnel. C’était ainsi parfois dans les enquêtes policières. Pas toujours. Mais cette fois, Lando avait encore décroché la queue du Mickey !